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Introduction au chapitre 1

1.1.1. L’ent repreneuriat comme processus social

L’entrepreneuriat est un processus de création de valeur (Verstraete & Fayolle, 2005) qui commence avec la construction d’une opportunité d’affaires et la définition d’un projet qui rend concret l’intention d’entreprendre (Chirstian Bruyat & Julien, 2001) d’un porteur qu’on appelle « entrepreneur ». L’entrepreneur (ou le groupe des entrepreneurs) développera les actions nécessaires pour modéliser son idée dans l’élaboration d’un projet (Pouget-Cauchy, 2013) inscrit dans le futur, c’est-à-dire, dans une incertitude liée à sa complexité (Schmitt, 2012a).

Dans l’introduction à l’ouvrage « Entrepreneuriat », Michel Coster (2009) présente une synthèse du processus créatif entre homme et projet qui passe pour une triple transformation : identitaire (du porteur du projet à entrepreneur), économique (de l’idée à l’opportunité d’affaires) et d’action collective (d’un groupe à une organisation). Ces transformations visent à affirmer sa légitimité, construire son avantage concurrentiel et un pouvoir dans le marché (Coster, 2009, p. xix). Ce modèle (Figure 10) est un passage du porteur du projet à l’organisation (entreprise) par des interactions entre des logiques différentes vers un agir systémique qui met en tension les aspirations de l’entrepreneur et l’agir de l’entreprise elle-même, par des « arbitrages » qui nous font penser à des traductions de pouvoir.

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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Figure 10. Process entrepreneurial. Modifié de Coster (2009, p.XX) Il ressort du modèle de Coster (2006) qu’il relie une situation entrepreneuriale avec un modèle identitaire, personnelle, fruit des croyances et des valeurs, en même temps, avec un modèle organisationnel social et économique, tout en gardant au cœur de la situation la valeur de l’opportunité entrepreneuriale qui est développée par le processus Révélation-Structuration-Action20. Ce processus donne forme à une aventure qui rencontre des déclencheurs, des attracteurs et des limiteurs qui vont permettre à un projet de se solidifier ou non (Figure 11).

Figure 11. Phases de l'aventure entrepreneuriale. Fusion du diagramme présenté par Rico Baldegger lors de la réunion de Projectique à Biarritz en juin 2016 et de la figure

de Coster (2009, p. XX) Même s’il s’agit d’un modèle compliqué plein d’éléments intéressants pour notre propos (notamment la quête d’équilibre entre aspirations personnelles, exigences du marché et restrictions de l’organisation humaine), le modèle de Coster (2009, p. xix) ne considère ni les représentations de l’entrepreneur ni la complexité du contexte. En effet, l’entrepreneur n’est pas un être isolé :

« Les milieux et leurs cultures influencent les types d’acteurs entrepreneuriaux que

nous y trouvons, que ces acteurs choisissent des processus qui sont fortement influencés par les cultures de leurs milieux et que les résultats entrepreneuriaux obtenus ne sont pas le fruit du hasard, mais la conséquence d’un ensemble de facteurs

sociaux et individuels à dimensions culturelles. » (Filion, 2008, p. 22)

20 Nous avons enlevé la phase de sortie entrepreneuriale (harvesting) pour l’avoir considérée de peu d’intérêt pour cette

Chapitre 1. Le champ de l’entrepreneuriat social

Une entreprise, certes, naît d’un entrepreneur qui a une expérience, des connaissances et une vision ; mais il est un être social qui doit considérer les possibilités et limitations de la société qu’il habite : il est entouré de sa famille, de ses amis, de ses collaborateurs, de ses associés qui lui apportent leur soutien et de l’information qui donnent à l’entrepreneuriat une catégorie de phénomène socioculturel non linéaire (Julien & Molina Sánchez, 2012). En effet, Pierre-André Julien montre (en citant Aldrich, 1990) que les différences régionales de l’entrepreneuriat sont liées à la complexe dynamique entre l’entreprise et son marché ; il faut considérer les types d’individus, d’organisation, de secteur, de contextes diverses, et d’époques, au moment d’avancer dans le processus entrepreneurial : « l’acte entrepreneurial n’est pas concevable en dehors de la société qui le contient » (Julien & Molina Sánchez, 2012, p. xxii). Alors une approche plus complexe d’une situation entrepreneuriale semble s’imposer et transforme la triade en pyramide (Figure 12).

Figure 12. Pyramide de l'entrepreneuriat. Source : (Julien & Molina Sánchez, 2012, p. xxv) Sous l’angle de la complexité humaine, Janssen (2009) a fait une exposition du domaine de l’entrepreneuriat (voir Figure 13) en reprenant les propos de Verstraete et Fayolle (2005) sur l’hétérogénéité du domaine de l’entrepreneuriat ; il a proposé une définition de l’entrepreneuriat en fonction de 4 éléments, à savoir: l’entrepreneur peut être aussi un repreneur ou un développeur d’activités à l’intérieur d’une organisation ; les ressources à mobiliser ; la fonction de création de valeur et le vecteur opportunité.

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Figure 13. Éléments de définition de l'entrepreneuriat. Élaboration propre à partir de Janssen (2009)

Chaque élément de cette fonction possède sa propre complexité. Cette fonction permet de voir l’entrepreneuriat aux différents stades exposés par Coster (2009) et doit être contextualisée selon le temps et l’espace comme suggéré par Julien et Molina (2012). Le défi consiste à observer le processus dans sa complexité, et l’entrepreneur (en tant que porteur d’un projet et fédérateur d’un réseau) doit en être conscient. Il doit rendre intelligible la complexité de sa démarche par des représentations adaptées :

« L’acteur entrepreneurial se doit de bien connaître les composantes de la chaîne de valeurs liées aux processus de conception, de production et de mise en marché du produit ou du service projeté. La représentation de la niche ciblée constitue un élément majeur du processus entrepreneurial, mais c’est aussi le cas des représentations

relatives à la mise en valeur de cette niche » (Filion, 2008, p. 23)

Cette citation de Filion introduit un élément qui n’était pas explicitement considéré par le reste des modèles : la chaîne de valeurs (économique et autres). Les valeurs précèdent les représentations des occasions d’affaires qui pourront résulter dans des projets. A la fin, nous ne pouvons entreprendre que ce que nous sommes capables d’imaginer.

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Ainsi, les représentations issues des valeurs permettent de lier un niveau macroéconomique de l’entrepreneuriat (contexte, milieu socioculturel ou environnemental), à un niveau microsystémique de l’entrepriseet de l’entrepreneur dont l’action se déroule (Figure 14) :

« C’est la capacité de cerner et de mettre en valeur ces occasions entrepreneuriales qui permet à l’acteur entrepreneurial de se différencier, d’innover et de contribuer une

valeur ajoutée. Il s’agit d’un processus éminemment empreint de subjectivité où les

représentations peuvent jouer un rôle majeur afin de mieux préparer les acteurs entrepreneuriaux à bien jouer ce rôle. » (Filion, 2008, p. 23)

Figure 14. Contextes macro et micro systémiques du processus entrepreneurial. Modifié de Filion (2008, p. 22 et 23) Cette perspective de représentations et des valeurs liées aux milieux est applicable aussi à la valeur économique des produits. Si nous suivons le concept de chaîne de valeur :

« Il n’est pas possible d’imputer à telle ou telle autre partie prenante du projet

entrepreneurial une contribution chiffrable par rapport à la valeur du produit (Lorino, 1991, Bouquin, 2001). Le mythe de l’homo oeconomicus, où l’entrepreneur est

considéré comme individualiste et rationnel, est invalidé (Goglio, 2005). Émergent aussi les prémices de la valeur globale. On trouve ici un des fondements qui permettra de sortir de la perspective économique de l’entrepreneuriat : la dimension sociale de l’entrepreneuriat (Zafirovski, 1999 ; Jones et Wadhwani, 2006) » (Schmitt, Ndjambou, et al., 2014, les citations sont propres à la source).

Nous reprenons ainsi la conclusion de Filion (2008) :

L’entrepreneuriat est « un processus éminemment inter-actif (sic). Les acteurs entrepreneuriaux qui réussissent sont souvent qualifiés de super-héros qui ne doivent leur succès qu’à eux seuls. […] [Il faut savoir, déjà, que] chaque acteur entrepreneurial définit différemment le succès. Cependant, la réponse fournie par plus de 90 % des

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acteurs entrepreneuriaux à la question "Comment expliquez-vous votre succès ?" mentionne essentiellement la présence de collaborateurs hors pair qui ont compris la

vision de l’acteur entrepreneurial et qui se sont engagés à fond comme facilitateurs pour le soutenir dans la mise en œuvre de ses projets et dans sa progression

entrepreneuriale » (p. 25)

Ces collaborateurs (parties prenantes) que nous venons d’évoquer communiquent avec l’entrepreneur en établissant un niveau de connaissance, acceptation et intégration mutuelle (Figure 15).

Figure 15. Processus de représentation mutuelle entre l’acteur entrepreneurial et les membres du système relationnel qui passe par un niveau de connaissance, acceptation et intégration réciproque. Adaptation de Filion (2008, p. 25-26). Si le fait de créer et de partager un seuil commun de connaissance, acceptation et intégration implique un développement normatif de préparation, formulation, évaluation et suivi des projets dans tous ses aspects techniques, il ne faut pas oublier la réalité sociale, la problématique humaine et leur sens (Orrego Correa, 2009). Les habilités entrepreneuriales et celles non entrepreneuriales, toutes les deux, participent au succès de la démarche de création de valeur (cf. Wamae, 2009, p. 200). À la fin :

L’entrepreneuriat est un « projet collectif qui suppose une construction sociale particulière de ressources, de compétences et de productions de chaque région […] il

est basé sur la mobilisation sociale […]. Comme tout processus de développement, l’entrepreneuriat est simplement l’histoire collective de l’homme […] [sur un territoire]

qui est en quête de son identité propre […], [une expérience partagée] avec tous les membres de l’entreprise et ceux qui font partie de son réseau et son environnement » (Julien & Molina Sánchez, 2012, p. 268).

Une fois considérée la globalité de l’entrepreneuriat, nous pouvons faire le point sur la pensée et l’action des entrepreneurs.

Chapitre 1. Le champ de l’entrepreneuriat social