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entrepreneuriat social

3.1.2. Vers la mesure d’une valeur globale en entrepreneuriat

social

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La valorisation d’un projet et ses résultats dépendent fortement des perceptions. C’est une déclaration arbitraire sur les aspects à mesurer et la manière de les mesurer. Certes, il a des accords entre une communauté ou un groupe qui valident par consensus ou concession le choix des indicateurs. Quand sur un marché les gens se mettent d’accord sur un prix, ils échangent des choses d’une valeur équivalente pour échanger. S’il est difficile de mesurer combien de moutons équivalent une vache, ou combien de fèves de cacao il faut donner pour un sac de maïs, la tâche est encore plus compliquée avec une dématérialisation de l’économie. Dans une économie de la connaissance, la création de richesse se fait de plus en plus par des actifs intangibles :

« La création de valeur est de plus en plus représentée par des facteurs intangibles

comme l’innovation, les idées, les relations avec les employés ou les questions environnementales et de communauté. Et ce sont justement ces facteurs intangibles

qui fondent la spécificité de l’entrepreneuriat social » (Boussaguet & Haddad, 2013)

Lors de la section au chapitre 2 sur la mesure de l’impact social, nous avons vu différentes méthodologies recueillies par l’Avise, l’ESSEC et le MOUVES, mais il y a d’autres méthodologies que l’Agence Phare (2017) a classé en 5 approches :

Type de méthode Caractéristiques

Quantitative

Approche à partir d’indicateurs

Analyse des effets à partir d’indicateurs formalisés par des administrations ou développés en interne. La définition d’indicateurs s’accompagne souvent de la passation de questionnaires (Par exemple : Indicateurs OCDE ou VCI).

Approches monétisées

Analyse de la chaine d’impacts auprès des parties prenantes puis tentatives de monétisation des changements observés (Par exemple : SROI). Approches

comparatives (Approches randomisées)

Analyse statistique des effets à partir d’une

comparaison entre un groupe témoin, non-touché par un dispositif et un échantillon test touché par le dispositif, afin d’isoler les effets imputables au projet.

62Pendant la phase de rédaction finale de cette thèse, nous nous sommes aperçus de l’étude menée par l’Agence Phare pour l’Avise où les auteurs affirment que «l’évaluation d’impact est un processus de long terme, qui implique enfin

d’associer les salariés, les bénéficiaires et les parties prenantes lors des différentes étapes de la démarche » (Agence Phare,

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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Type de méthode Caractéristiques

Approche par les coûts évités

Calcul de la différence entre de l’argent investi et les coûts évités pour les financeurs (en général publics).

Qualitative Entretiens (individuels ou collectifs)

Démarche compréhensive pour appréhender les représentations des acteurs et leurs perceptions des effets des actions.

Tableau 5. Synthèse des principales méthodes d’évaluation d’impact social. Source : (Agence Phare, 2017, p. 9) Ici, nous allons explorer deux méthodologies qui nous paraissent les plus complètes quant à l’intégration de valeurs sociales et économiques : nous verrons les indicateurs de l’OCDE en matière de politiques publiques du développement durable, la Matrice pour le Bien Commun, développée dans un contexte de militance citoyenne ; puis nous aborderons le SROI, un outil financier. Pour finir, nous présenterons l’Index de création de valeur sur les actifs intangibles.

3.1.2.1. Indicateurs du développement durable de l’OCDE

Au niveau macroéconomique, l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE) a établi des indicateurs qui permettent de considérer qu’un pays se dirige vers un développement durable (Tableau 6). Mais ces indicateurs ne peuvent pas être appliqués au niveau de la firme. En revanche, ils nous donnent une idée du consensus international en matière des données pour le développement durable, même s’ils restent dans la mesure de résultats (ils ne regardent pas le processus ou la mise en œuvre) et n’évaluent pas forcément la qualité de certains résultats.

Ces indicateurs peuvent être utilisés dans une comparaison plus large entre entreprises et entre pays. Mais pour parler de la valeur globale d’un projet, nous devons réduire les échelles et trouver d’autres indicateurs qui peuvent mesurer impacts et bénéfices sur la société et la nature.

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

Indicateurs fondamentaux du développement durable de l’OCDE

Thème Indicateurs

Indicateurs de ressources : préservons-nous

notre base d’actifs ?

Actifs environnementaux

Qualité de l’air Indice d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et

émissions de CO2. Émissions de NOx

Ressources en eau Intensité de l’utilisation de l’eau (prélèvements /

ressources renouvelables)

Ressources énergétiques Consommation de ressources énergétiques Biodiversité Superficie des zones protégées en proportion de la

superficie totale

Actifs économiques

Actifs produits Volume du stock de capital net

Actifs de R-D Taux de croissance de la productivité multifactorielle Actifs financiers Actifs étrangers nets et balance des opérations

courantes

Capital humain

Stock de capital humain Proportion de la population diplômée du 2ème cycle

du secondaire/de l’enseignement supérieur

Investissements dans le capital humain Dépenses d’éducation

Dépréciation du capital humain Taux et niveau de chômage

Indicateurs de résultats : satisfaisons-nous nos besoins actuels ?

Consommation Dépenses de consommation finale des ménages Intensité de production de déchets urbains Distribution du revenu Coefficients de Gini

Santé Espérance de vie à la naissance

Qualité de l’air en ville

Statut professionnel / emploi Rapport emploi / population Éducation Taux de scolarisation

Tableau 6. Série d'indicateurs fondamentaux du développement durable de l'OCDE. Source : https ://www.oecd.org/fr/std/36328924.pdf

3.1.2.2. Indicateurs de développement durable régionaux

Blanchet et November (1998, cités par Pellaud, 2000), du Centre d'écologie humaine de l'Université de Genève, ont contribué à une étude sur des indicateurs de développement durable, à la demande du Conseil Économique et Social de Genève. Eux, « en se basant sur la notion de "projet" (constructions, transports...), ont établi une grille de 20 questions devant permettre d'établir la durabilité de ce dernier » afin de soutenir la prise de décisions politiques (Pellaud, 2000, p. 1.1.3.10.3.). Le questionnaire se divise en 4 sections :

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A. Soutenabilité économique : satisfaction des besoins matériels. B. Soutenabilité humaine : satisfaction des besoins socioculturels.

C. Soutenabilité écologique : satisfaction des besoins de qualité du milieu et préservation des ressources.

D. Cohérence avec les valeurs inhérentes au développement durable.

Figure 33. Représentation tétraédrique de critères possibles pour l’analyse d’un projet dans une perspective de

développement durable. Source : Pellaud (2000) Le questionnaire s’inscrit dans une représentation à quatre côtés. Cette représentation tétraédrique comprend les trois dimensions classiques du développement durable, plus la dimension éthique pour donner cohérence à la démarche grâce à des éléments plus subjectifs qui ne rentrent pas dans les autres trois dimensions. Nous nous accordons avec Pellaud (2000) sur le fait qu’il s’agit bien de l’un des rares modèles qui représente la partie éthique dans le développement durable.

3.1.2.3. Index de création de valeur (VCI)

L’index de création de valeur (value creation index) a été créé par le centre d’innovation d’affaires de Cap Gemini Ernst & Young et il permet de voir que « la création de valeur est de plus en plus représentée par des facteurs intangibles comme l’innovation, les idées, les

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

relations avec les employés ou les questions environnementales et de communauté » (Boussaguet & Haddad, 2013, p. 7). Cet index est une métrique dynamique qui veut surpasser la simple mesure financière d’une entreprise pour représenter sa performance selon neuf catégories de facteurs intangibles à travers des indicateurs obtenus par des sources diverses comme les rapports de l’organisation, de l’industrie, des experts, et des études spéciaux (Cohen Kalafut & Low, 2001). Les deux mesures, financières et non financières sont nécessaires parce qu’elles indiquent des choses différentes :

« Les mesures financières de la performance, comme mesures rétrospectives, nous

parlent de la performance passé de l’entreprise. La performance non financière reflète

la santé et le potentiel de création de valeur d’une firme en une manière différente » (Cohen Kalafut & Low, 2001, p. 13)63

Figure 34. Modèle de l'index de création de valeur (VCI). Source : (Cohen Kalafut & Low, 2001, p. 11)

Les indicateurs de cet index de création de valeur sont construits autour des catégories qui souhaitent être libres de subjectivité pour être ensuite standardisées et corrélées avec la valeur de l’entreprise dans le marché. Ces mesures sont révélées aux investisseurs, mais elles sont utiles pour piloter la performance de l’organisation, pas forcément pour concevoir la valeur ou construire un projet.

63 Cittation littérale : “Financial measures of performance, as retrospective measures, tell us about a company's past

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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3.1.2.4. Matrice pour le bien commun

Le mouvement de l’économie pour le bien commun (economy for the common good), né en 2010, a créé une feuille de balance en forme de matrice qui en anglais s’appelle « Common Good Balance Sheet » (Association for the Promotion of the Economy for the Common Good, 2017). Il s’agit d’un artefact qui « traduit les standards des relations humaines et des valeurs inhérents vers un contexte économique, et récompense les parties prenantes pour se comporter et s’organiser dans une manière humaine, coopérative, écologique et démocratique » (Association for the Promotion of the Economy for the Common Good, 2016)64. En fait, la matrice croise cinq « valeurs » (dignité humaine, coopération et solidarité, soutenabilité écologique, justice sociale, et codétermination démocratique et transparence), avec des parties prenantes (fournisseurs, investisseurs, employés, clients et partenaires, et autres parties prenantes de l’environnement). À chaque croisement, la matrice propose des critères qui devront être démontrés dans le rapport du Bien Commun pour accréditer les points (Figure 35). Elle rajoute aussi des pénalisations pour des activités qui vont contre les valeurs proposées.

Il s’agit d’une mesure de contribution des entreprises au bien commun d’une société démocratique. Cette matrice est fruit du travail d’un mouvement pour la transformation des rapports économiques selon les besoins sociaux. L’idée est d’utiliser cette ‘balance’ pour donner des avantages aux entreprises qui contribuent le plus au bien commun. La contribution serait vérifiable par des audits extérieurs, faits par la communauté de personnes, d’entreprises et de collectivités qui s’entendent avec l’économie du bien commun et la font vivre (Association for the Promotion of the Economy for the Common Good, 2016). Dans la matrice, la valeur économique est évaluée à travers les valeurs sociales et éthiques liées à l’activité. Les besoins et les idéaux de la société, choisis et validés collectivement, sont le point d’entrée pour le bien être. L’activité productive et la rentabilité passent au deuxième plan. Bien que cette matrice soit un projet ambitieux, que plusieurs acteurs se soient rajoutés au mouvement de l’économie du bien commun, ce dernier reste méconnu, peut-être à cause de l’apparente difficulté de le mettre en place.

64Citation littérale : “It translates standards for human relationships as well as constitutional values into an economic context and rewards stakeholders for behaving and organizing themselves in a humane, cooperative, ecological and

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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3.1.2.5. Retour social sur investissement (SROI)

Le Retour Social sur Investissement (ou Social Return on Investment, SROI) peut être estimé comme une approche vers une valeur globale, mais cette méthodologie considère toujours le processus entrepreneurial comme une boîte noire. Elle mesure l’écart entre le capital que l’entreprise a investi (input) et les résultats (produits - outputs, changements sur les personnes - outcomes et changements nets liés à l’activité - impact). C’est une méthodologie qui emploie la monétarisation (des équivalences financières) pour rendre compte des produits (McGlashan, 2014) :

- Pour démontrer aux investisseurs et parties prenantes que l’organisation fait une différence et s’améliorer par l’identification des forces et faiblesses.

- Pour engager les parties prenantes clés dans le développement des activités.

- Pour valoriser les changements sociétaux et environnementaux (par exemple la réduction de la malaria) avec les résultats de l’activité (l’installation des moustiquaires, par exemple).

La méthodologie du SROI est une aide pour raconter l’histoire de l’entreprise ; elle accepte qu’il n’existe pas une seule manière de répondre aux questions de l’impact social (NEF, 2004). Il faut alors « mesurer ce qui reflète le mieux les intérêts de l’organisation et ses parties prenantes » en se posant quelques questions (NEF, 2004, p. 2.1) :

- Qui est intéressé par nos affaires et quels sont leurs objectifs ?

- Comment hiérarchiser les parties prenantes ? Nos objectifs sont-ils alignés ? - Quel indicateur de résultats illustre le mieux la réalisation de nos objectifs ? - Pouvons-nous mesurer le retour social dérivé de l’impact des activités ? Après, il faudrait (NEF, 2004, p. 5.1) :

Consulter les parties prenantes sur les priorités à atteindre (quand c’est possible et une fois qu’elles ont été identifiées et hiérarchisées) ;

Mesurer le progrès des objectifs ;

Comprendre ce qui permet d’avancer ou ce qui bloque pour affiner la stratégie ;

Communiquer auprès des parties prenantes impliquées les réussites, les blocages et les plans d’actions.

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

La mesure se fait alors par des hypothèses plausibles co-construites entre les parties prenantes. Une fois les décisions prises, les résultats des mesures s’expriment en termes comptables par des équivalences financières établies préalablement entre tous les intéressés. Au final, le retour sur investissement sera un ratio entre la valeur créée divisée par le capital investi (The SROI Network, 2012).

Malgré tous les avantages et la popularité de la méthode, nous considérons qu’il s’agit d’un outil de pilotage et non de conception d’une nouvelle activité. En plus, « la monétarisation de l’économie n’est pas considérée comme un principe fondamental et lié à la nature humaine de l’économie, étant donné que l’économie humaine peut exister sans monnaie » (De Lastic, 2014, p. 20). Si la monnaie peut traduire d’une façon plus ou moins appropriée la valeur, elle ne doit jamais être la finalité, la mesure ultime, et moins encore la propre valeur.