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Introduction au chapitre 4

4.2. Choix méthodologique et design de la recherche- recherche-intervention recherche-intervention

4.2.2. Cadre méthodologique interdisciplinaire pour la recherche-intervention

4.2.2.1. Éléments empruntés à la sociologie de la traduction 81

Pour notre intervention, nous avons recouru à des principes d’ethnométhodologie mis en avant par la sociologie de la traduction. Ce construit théorique a été bâti dans les années 1970 autour de la notion de « traduction » empruntée à Michel Serres (Callon & Ferrary, 2006). Elle est connue aussi sous le nom de théorie de l’acteur-réseau ou sociologie de l’acteur réseau (en anglais : Actor-Network Theory). Par l’application de ce courant sociologique, nous pouvons

81 Quelques éléments de cette section ont été publiés dans le chapitre coécrit entre A. Marin et I. Rivera « L’apport de la

sociologie de la traduction pour lever le paradoxe de la valeur et rendre compte de la complexité de l’entrepreneuriat

social » publié en Schmitt (coord.) (2016) De la complexité de l’action dans les organisations, Berne : Growth Publisher. Nous allons approfondir sur la traduction dans la Section 7.2.

Partie II. Mise en place d’une démarche de recherche intervention

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mettre en avant les actions des entrepreneurs sociaux et leur réseau82. Un réseau est « ce qui prend toute substance qui avait semblé d'abord autonome (c'est ce que le mot [substance] signifie après tout) et la transforme en ce qu'elle doit subsister à travers une écologie complexe des affluents, des alliés, des complices et des assistants »83 (Latour, 2011, p. 799). Ce réseau est devenu visible par l’observation et par notre participation dans la vie courante de l’organisation. La sociologie de la traduction est, en effet, une approche constructiviste qui considère que « la société est le résultat toujours provisoire des actions en cours » (Callon, 2006, p. 267), c’est un réseau qui agit et évolue constamment.

L’acteur réseau est une définition ontologique. Il s’agit d’une nouvelle façon de suivre les acteurs en pensant à la symétrie entre humains et non-humains dans les relations sociales qui laissent une trace que l’on peut identifier et suivre (Latour, 1996, 2005). Dans les années 1980, Bruno Latour et Michel Callon ont développé cette théorie au Centre de Sociologie de l’Innovation avec des élèves de science et technologie de l’École des Mines à Paris. Plus tard, John Law et Madeleine Akrich ont fait d’importantes contributions pour donner de la liberté aux études sur les relations entre les techniques et la société :

Akrich a utilisé la TAR pour « comprendre comment les innovateurs, concepteurs, promoteurs de dispositifs techniques construisent des représentations des utilisateurs auxquels ils destinent leurs dispositifs et inscrivent ces représentations dans les choix techniques et organisationnels qu'ils effectuent, produisant ainsi des "scénarios" qui cadrent les relations possibles entre les utilisateurs et les dispositifs » (Akrich et al., 2006, p. 7)

Pour prendre une image, cette sociologie est une lentille pour voir les acteurs, c’est une voiture pour suivre l’action, pour cartographier les relations. Mais il y a des nuances à considérer, selon Bruno Latour (1996, p. 370) :

Il ne s’agit pas d’un arrangement stable de nœuds ;

Il ne s’agit pas de relations purement sociales mais de l’incorporation des entités non -humaines et non-individuelles qui rendront compte de l’essence même des sociétés, au même niveau que les humains ;

82 Le réseau est un concet particulier : « la notion de réseau a remplacé celle de système. Tandis que la première s’intéresse

à délimiter et à mettre en relation les éléments d’une partie donnée de la réalité, sans hiérarchie précise, la première

considère que les éléments d’une partie se trouvent interreliés par des moyens de circulation de l’information » (Arellano Hernández, 2003, p. 4, traduction propre)

83Citation littérale : “what takes any substance that had seemed at first self-contained (that’s what the word means after

all) and transforms it into what it needs to subsist through a complex ecology of tributaries, allies, accomplices, and

Chapitre 4. Justification et mise en place d’une stratégie de recherche intervention…

Il ne s’agit pas que de filaments, mais de tout un changement de dimension pour rajouter autant de classes aux nœuds que l’on souhaite ;

Il ne s’agit pas de sphères ou de pyramides, mais de réseaux. Toutes les caractéristiques sociales : loin/ près, micro/ macro, intérieur/ extérieur, maître/ esclave sont des effets de médiations, de traductions, de luttes qui ont lieu dans les réseaux

Dans le même ordre d’idées, l’acteur-réseau est alors un concept qui signifie qu’à chaque fois que « vous souhaitez définir une entité (agent ou acteur), vous devez déployer ses attributs, son réseau » ; en plus, « un acteur n’est plus qu’un réseau et un réseau n’est plus que des acteurs » dont le mot réseau permet seulement d’attribuer l’action (Latour, 2011, p. 800)84. L’interaction des acteurs fera ressortir des intrigues ; il y aura des négociations, des actes de persuasion, des calculs, des violences pour agir au nom des autres. Il faudra donc traduire tout cela (Callon & Latour, 2006). La traduction est un processus de transformation d’acteurs, de matérialisation d’idées et de socialisation (Vinck, 2004). La traduction consiste à trouver comment et en quelle mesure les acteurs se manifestent, mobilisent le réseau, s’associent et établissent des équivalences (Arellano Hernández, 2011). Elle nous permet de rendre compte de la complexité de la nature et de la société qui se trouvent toujours entre définies et coproduites (Jacquemain & Frère, 2008, p. 146).

Pour réussir la traduction, le fait d’employer une ethnométhodologie nous fera observer attentivement ce qui paraît absurde (Garfinkel, 2001) ; cela signifie participer à l’action telle que le font les acteurs et à construire un sens avec les codes des acteurs (mots, sons, silences, gestes) à travers les objets intermédiaires qui enrichissent l’échange, facilitent la médiation, et finalement coproduisent la connaissance et l’action (Vinck, 2004).

Dans la pratique, la traduction est un processus qui donne un rôle à chaque acteur et fait céder les controverses à travers des étapes de problématisation, intéressement, enrôlement et mobilisation de l’objectif, des rôles et des relations implicites dans un projet (Chiapello & Gilbert, 2013; Oiry, 2012) :

84Citation littérale : The actor network “is a purely conceptual term that means that whenever you wish to define an

entity (an agent, an actor) you have to deploy its attributes, that is, its network […] an actor is nothing but a network, except that a network is nothing but actors […]. Here again, network is the concept that helps you redistribute and

Partie II. Mise en place d’une démarche de recherche intervention

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a) Problématisation. Ici, les acteurs externalisent leur représentation du problème, l’outil qu’ils considèrent utile pour le résoudre, et le rôle que doit jouer chacune des parties. b) Intéressement. Ici, chaque acteur doit s’approprier une traduction spécifique,

intéressante de l’outil, même si cela peut être considéré comme une trahison du projet original (Callon, 1986, cité par Oiry, 2012).

c) Enrôlement. Ici, les acteurs leaders concepteurs essaient de stabiliser la finalité et l’intérêt du projet sous la forme du rôle qu’ils assument, justement, en tant que leaders. d) Mobilisation. Ici, il s’agit de coordonner l’action des alliés, et de désigner des porte

-paroles et des médiateurs.

En gestion, cette approche a été utilisée pour comprendre l’influence des outils de gestion sur le comportement des gens (Chiapello & Gilbert, 2013). En suivant les acteurs tel qu’il est proposé par l’acteur réseau, nous pouvons retrouver des traces de la complexité humaine dans leur interaction. Pour représenter les interactions, nous pouvons utiliser des graphiques (réseaux visuels) que l’analyse de réseaux peut rendre intelligibles par la suite. Dans cette thèse, nous avons construit un graphique du réseau de notre projet à l’aide de NetDraw, un outil du logiciel UCINET développé par Borgatti, Everett et Freeman en 2002, de la firme Analytics Technologies85. La raison du choix du logiciel s’est portée sur sa simplicité d’utilisation (Beauguitte, 2009).

4.2.2.2. Éléments empruntés à l’analyse de contenu de discours et des