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La durabilité comme dimension de la valeur éthique 51 La considération de la nature dans les activités productives est un choix éthique qui a connu

entrepreneurs sociaux

2.3.2. La durabilité comme dimension de la valeur éthique 51 La considération de la nature dans les activités productives est un choix éthique qui a connu

une longue évolution. En 1972, après la publication du Rapport du Club de Rome (Meadows et al., 1972), la Suède a accueilli la Conférence des Nations Unies qui a abouti au Programme Environnemental. Ce dernier, malgré son approche centrée sur les pays développés (Guimaräes, 1994), a marqué un premier succès dans la lutte environnementale : « pendant la conférence, on a parlé non seulement de protection de l’environnement mais aussi de quelque chose de plus large : la recherche de relations communes entre aspects environnementaux et sujets économiques liés au capital, la croissance et l’emploi »52 (Calvente, 2007, p. 1). Depuis sa création en 1983, les rapports de la Commission Mondiale pour l’Environnement et le Développement des Nations-Unies (World Commission for the Environnement and Development - WCED), ont établi le besoin d’« évaluer toute action ou initiative selon trois approches : économique, environnementale et sociale » (Calvente, 2007, p. 2). Quelques années plus tard, le rapport Brundtland de 1987, déclarait : « Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement soutenable » (cité par Harribey, 2004, p. 6). La notion de développement durable (de l’anglais sustainable) était alors née.

À la même époque, à la fin des années 1980, les sciences naturelles ont dénoncé à l’aide de la thermodynamique53 les limites de la croissance et du mode de production industrielle que nous soutenons sans tenir compte de la capacité de la nature à compenser notre activité (Sustainability Illustrated, 2015). Après la conférence des Nations Unies sur l’environnement

49 Ici, « le juste, tel qu’il est décrit par Aristote est une valeur intéressante car elle mêle étroitement l’ordre économique et

l’ordre moral » (De Lastic, 2014, p. 25)

50L’équité « est supérieure sur un plan morale » à la justice parce qu’elle corrige les inégalités et prend en compte les

dispositions matérielles dans la valorisation pour acquérir un objet (De Lastic, 2014, p. 27).

51 Nous avons extrait parties du chapitre « Hacia la construcción de un modelo de valor sustentable para el emprendimiento » publié

conjointement entre le Pr. Christophe Schmitt et moi dans l’ouvrage coordonné par le Pr. Igor Rivera intitulé « El emprendimiento, realidades y perspectivas» à paraître sous ‘Publicaciones IPN’ au Mexique.

52 Citation littérale : “durante esa conferencia no sólo se habló de la protección del medioambiente sino de algo mucho

más amplio: la búsqueda de relaciones comunes entre aspectos ambientales y temas económicos relacionados con el

capital, el crecimiento y el empleo”

53 En effet, « née des sciences de l'ingénieur, au voisinage des sciences du vivant, la thermodynamique est la théorie physique qui relie notre développement techno-économique à l'évolution biologique, à l'écologie globale et à la cosmologie » (Georgescu-Roegen, 1995, p. 34)

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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et le développement à Rio de Janeiro, Brésil, en 1992 (Guimaräes, 1994, p. 45), le développement durable est devenu le « symbole du consensus idéal […] le nouveau paradigme du développement » (Monteiro Da Costa, 1996, p. 85). Maintenant, il nous faut trouver les moyens de continuer à vivre sans pour autant extraire plus de ressources de la lithosphère, accumuler des déchets inorganiques ou détruire les écosystèmes54. Deux choses sont urgentes : (1) la recherche de biens et services qui peuvent satisfaire de façon synergique nos besoins (Max-Neef, 1998), (2) repenser la croissance et le développement.

En effet, contrairement au développement et au bien-être, la croissance ne devrait pas être notre principal souci :

« Le bien-être présent dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens ce qu’ils font et ce qu’ils

peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel. La soutenabilité de ces niveaux de bien-être dépend de la question de savoir si les stocks de capital qui importent pour notre vie (capital naturel, physique, humain, social) seront ou non transmis aux générations à venir » (Stiglitz et al., 2009, p. 11)

Alors la durabilité dépend de notre capacité à créer un socle résilient. Traditionnellement, dans le monde des affaires, nous avons considéré le développement durable selon trois sphères correspondant à la vision du modèle de Triple Bottom Line ou les 3P : personnes, profit, planète (Brodhag, 2007; Elkington, 2004)55. Dans cette vision se sont développés, par exemple, les concepts de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ou de responsabilité sociétale corporative (RSC), comme un « ensemble d’obligations et engagements, légaux et éthiques dérivés de l’action collective entre tous les membres de l’organisation sur les domaines économique, sociale et environnementale » (Orrego Correa, 2008, p. 230). Se sont développés aussi des outils comme le modèle d’affaires à trois feuilles (“The triple layered business model canvas” par Joyce & Paquin, 2016) représentant une firme avec les bénéfices et les impacts qu’elle peut avoir sur les plans économique, social et environnemental.

Cependant, ces trois approches du développement durable peuvent être trompeuses car on pourrait penser qu’il y a des acteurs économiques qui ne font pas partie de la société ou qu’il

54 Grinevald et Rens (dans l’introduction de Georgescu-Roegen, 1995, p. 14) expliquent justement le processus

d’extraction de ressources la lithosphère (pétrole et minéraux) qui soutient un système de production industrielle

insoutenable vu l’incapacité de la nature de décomposer à travers la photosynthèse les déchets inorganiques au même

rythme que sa production et accumulation.

55 Les deux auteurs mettent en avant comment la durabilité cherchait l’intégration des activités de l’entreprise et de changer le mode de développement, tout en constatant que ce n’est pas forcément le cas entre ceux qui disent incorporer

Chapitre 2. Les différents modèles de la valeur en entrepreneuriat social

y a des choses de la société qui n’ont pas de relation avec la nature. Plus encore, il nous fait penser à une équivalence d’échange entre les trois sphères qui n’existe pas. En contraste, si on représente l’environnement, la société et l’économie par la théorie d’ensembles, c’est l’ensemble environnement qui contient l’ensemble société qui contient lui-même l’ensemble économie (Figure 28). Dans ce modèle, les entreprises sont des sous-systèmes de la société elle-même un sous-système de l’environnement. Donc, les relations entre les trois domaines sont beaucoup plus claires : tout vient, à un moment donné, de la nature.

Figure 28. Changement de perspective pour aborder le développement durable. Ce changement de perspective est nécessaire pour mieux comprendre le développement durable. En effet, Bustillo-García et Martínez-Dávila (2008), ont dénoncé qu’« on n’a pas compris le phénomène dans son intégrité, et on n’a pas développé une analyse ni une construction conceptuelle dans le domaine des politiques publiques ; dans la recherche, il a été traité de façon superficielle, d’où des énoncés ambigus et peu pédagogiques pour la société dans son ensemble ». Calvente (2007, p. 2) considère que « la durabilité est une notion de mode qui s’utilise plus pour impressionner que pour expliquer ». Elle est devenue une simple stratégie de marketing. Il faudrait peut-être accepter qu’il est trop tard pour incorporer la durabilité dans nos activités productives (Gambino, 2012).

Si le progrès technique a permis une productivité majeure par rapport à l’utilisation des ressources naturelles, énergie y compris, la croissance de la population et de la production des biens et services compense les économies qui ont été faites ; en plus, la pauvreté et les

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inégalités continuent à grandir parce que nous n’avons rien changé dans le fond : « la faille principale des promoteurs officiels du concept de développement durable est leur incapacité à penser l’avenir en dehors du paradigme de la croissance économique éternelle » (Harribey, 2004, p. 7).

Nous devrions donc changer de perspective, nous diriger vers une transition écologique, vers une décroissance : « C'est dans la sphère humaine et le maintien de sa condition (la biosphère) que l'économie doit chercher ses finalités […]. L’économie étant un sous-système de la biosphère et de la sphère humaine, elle doit intégrer leurs contraintes de reproduction » (De Lastic, 2014, p. 40). Selon ces restrictions naturelles, le paradigme du développement durable peut devenir un modèle global de valeur. Considérer les trois ‘P’ (planet, people, profit) comme des sous-systèmes peut permettre de mieux aborder le développement durable et de comprendre qu’économie, société et nature sont imbriqués dans une relation complexe de production et reproduction, organisation et réorganisation des différents capitaux pour répondre finalement aux besoins sociétaux plus larges (Figure 29).

Guimaräes (1994, p. 54) affirme que la durabilité est un « défi éminemment politique ». C’est en effet au niveau politique qu’il faut faire une alliance correcte, étant donné que la ‘rationalité’ politique se fait en fonction des intérêts des personnes qui prennent la décision. Pour que la durabilité soit considérée comme un vecteur de la valeur, elle doit être introduite au niveau des paradigmes, des cadres d’analyse et d’action de toute activité et de toute pensée. Il faut dépasser la mode du concept pour passer à une profonde réflexion et une transformation de la façon d’agir, comme on l’a fait avec la qualité, la supply chain, le lean manufacturing, les réseaux, ou la veille technologique. Les entreprises qui ont compris et appliqué les philosophies associées à ces concepts et méthodologies se sont bien démarquées des autres organisations qui n’avaient pas questionné les présupposés de base ni changé leurs pratiques (Paradas, 2006).

Finalement, il apparaît que, pour saisir la valeur d’une chose ou d’une activité, il faut entreprendre une quête de sens (se questionner sur l’intentionnalité) et prendre conscience de la globalité de son cycle de vie, voire un peu plus.

Chapitre 2. Les différents modèles de la valeur en entrepreneuriat social

Figure 29. Trois composantes du développement durable.