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Introduction au chapitre 1

1.2.3. Différentiation de concepts liés à l’entrepreneuriat social

En tant que concept nouveau, l’entrepreneuriat social cohabite avec de nombreux autres concepts, substituts complémentaires, subtilement différents ou parfois très distincts, selon la communauté qui a forgé tel terme. Il y a tellement de concepts et de notions qu’il est facile de se perdre. À un moment donné, Dacin, Dacin et Matear (2010) ont insinué qu’il ne fallait pas un nouveau cadre théorique, car l’entrepreneuriat social n’est plus qu’un contexte d’application des théories entrepreneuriales qui utilisent les mêmes principes d’opportunité, de ressources et d’individus. De plus, il faudrait oublier aussi d’autres typologies comme l’entrepreneuriat institutionnel et culturel car leur originalité ne justifierait pas sa séparation.

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Par ailleurs, la définition de l’entrepreneuriat social basée sur la création de valeur sociale pourrait être débattue car toutes les entreprises génèrent de la valeur sociale, bien que ce ne soit pas leur priorité (elle-même très difficile à identifier). En ce sens, tous les types d'entrepreneuriat pourraient être vus comme contextes d’application d’un seul agir entrepreneurial (Schmitt, 2015). Nous avons présenté les spécificités et la genèse du terme. Nous allons présenter maintenant un agenda d’évolution vers une transition écologique, ce qui peut légitimer son existence en tant que champ disciplinaire et de pratique particulier. Nous allons par la suite explorer des termes pouvant être liés à l’entrepreneuriat social. Un concept est celui de l’entrepreneuriat productif (Baumol, 1996). Il se base sur l’allocation productive de ressources pour une meilleur croissance, notion très présente chez Schumpeter. Le cadre d’entrepreneuriat productif, appliqué à l’entrepreneuriat social, nous permettrait d’évaluer l’allocation de ressources pour le développement durable et la construction de la société.

Une allocation adéquate de ressources pour le soulagement des problèmes sociaux est très présente dans le tiers-monde. La réussite des nombreux entrepreneurs se mesure « sur l’application de savoirs de haut niveau et de technologies de pointe, mais sur l’observation des faits économiques et sociaux afin de déterminer la nature du problème à résoudre et les moyens mobilisables pour y remédier » (Boutillier, 2008, p. 12) ; alors, l’entrepreneuriat productif et social trouverait sa place lors de la détermination des besoins et la façon de les atteindre.

À la fin des années 1980, les économistes se sont intéressés aux différentes formes d’organisations qui renforcent les liens sociaux locaux (Boncler et al., 2013). À cette époque-là, les chercheurs ont ouvert des voies pour le développement de l’entrepreneuriat social (Bacq & Janssen, 2011; Dees, 2001; Yunus, 2007b) et l’entrepreneuriat durable34 (Fonrouge & Petzold, 2013) comme deux champs particuliers. La grande différence entre les deux concepts est liée à la mission de chaque typologie : alors que l’entrepreneuriat durable se proclame être plus large pour concilier en soi trois missions (économique, sociale et environnementale), l’entrepreneuriat social seulement cherche (apparemment) à combler un déficit dans la dimension sociale ou économique. De Hoe et Janssen (2014), par exemple, vont argumenter que l’entrepreneuriat social est axé plutôt vers la résolution des problèmes

34 Le développement durable a été aussi conceptualisé par les sciences naturelles autour des années 1980, comme nous allons le voir lors du prochain chapitre.

Chapitre 1. Le champ de l’entrepreneuriat social

sociétaux en prenant en compte la culture et le contexte social tandis que l’entrepreneuriat durable est dédié à la création des organisations qui ont la responsabilité de préserver les ressources naturelles pour les générations futures.

Si nous poursuivons cette logique, nous pourrions avoir d’autres typologies telles que l’écopreneuriat ou l’entrepreneuriat vert traités par Berger-Douce (2014) selon la définition des trois sphères du développement durable (Figure 23). On serait obligés même de penser à des catégories qui ne sont pas évidentes de définir comme l’entrepreneuriat environnemental.

Figure 23. Typologie de l’entrepreneuriat selon les trois piliers du développement durable. Source : (Fonrouge & Petzold, 2013, p. 312) *=typologies rajoutées. Néanmoins, étant donné la complexité du monde, nous n’arrivons pas à comprendre comment la préservation de la nature peut être une mission sans dimension sociale, et nous ne comprenons pas pourquoi elle ne peut être considéré dans le même champ que l’entrepreneuriat social. Concrètement, nous considérons qu’il n’y a pas assez d’arguments pour séparer deux typologies d’entrepreneuriat étant donné que certains auteurs (comme Boutillier, 2008) établissent une relation directe entre le développement durable et l’entrepreneuriat social, en concluant que le besoin de durabilité va favoriser l’émergence d’entreprises différentes, avec un modèle plus social où l’homme est au cœur de l’économie, avec des restrictions naturelles nécessaires et facilitatrices de la survie humaine. Nous pourrions même parler de valeurs coopératives (champ indiscutable de l’économie sociale et

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Un autre concept lié à l’entrepreneuriat social est l’innovation sociale35. L’innovation est un processus qui implique le développement et l’application de l’inventivité pour satisfaire les besoins et les désirs de la population (augmentation de la richesse sociale) par un produit nouveau ou significativement amélioré (Marín & Rivera, 2014). Nous avons commencé à nous intéresser à l’innovation par rapport aux révolutions industrielles et technologiques qui résultent de phases de changement social et de croissance (Gómez García & Vázquez Garatachea, 2011). Schumpeter (1934) a traité l’innovation comme étant des mutations qui brisent les cycles économiques, et le manuel d’Oslo reprend cette idée dans sa définition de l’innovation comme l’introduction des produits et des procédés d’organisation, de vente ou d’approvisionnement, nouveaux ou significativement améliorés, dans le marché ou dans une organisation (OCDE - Eurostat, 2006).

Ensuite, Pérez (2004) a fait le lien entre la découverte des matières premières, le développement des technologies clés et leur utilisation avec le déclenchement des révolutions technologiques, puis industrielles, qui ont redéfini les structures institutionnelles, valeurs comprises. Les organisations et les pays qui ont eu la chance d’être dans la courante hégémonique ont bénéficié des technologies et de la richesse associée. Les autres, non. Même dans une même région, des disparités internes sont visibles entre les entrepreneurs qui ont trouvé le financement et ont su profiter de la révolution et ceux qui se trouvent toujours derrière les leaders. Avec la globalisation de la révolution de l’informatique (Gómez García & Marín Pérez, 2011), d’autre possibilités se sont offertes : innovation ouverte et innovation sociale sont des exemples.

L’étude de l’innovation sociale n’est pas aussi développée que celle de l’innovation technologique mais le corpus des recherches à travers des récits, comparaisons, analyses quantitatives, ou autres, commence à donner un cadre de référence solide à ce type d’innovation (Mulgan, 2007). L’innovation sociale est l’ensemble d’idées et de solutions nouvelles qui permettent de s’organiser pour obtenir des produits pour le bien-être social généralisé ; ce sont des modèles d’affaires qui donnent prospérité économique, sociale et environnementale aux communautés (INSEAD, 2011).

35 Nous avons utilisé notamment cette différence pour choisir le projet de Franck sur d’autres projets qui pourraient être qualifiés d’innovation sociale tel que Handisco (PeeL, 2015). Même quand son produit va essayer de répondre à un besoin

Chapitre 1. Le champ de l’entrepreneuriat social

L’innovation sociale ne consiste pas à faire les mêmes choses sous une approche sociale. Il faut changer la façon de faire les choses sociales et reconstituer la société à travers la participation de tous pour tous (Donoso Azañón, 2012). Le commerce équitable ou le microcrédit sont de bons exemples d’innovation sociale (Fiorelli & Daudin, 2012). Grâce à l’innovation sociale, les entreprises qui ont du succès peuvent reconnecter la société au progrès (Herrin, 2011) ; services et acteurs se renouvellent et rachètent (Paris Tech Review, 2011). Confrontés à des moments critiques, les membres de la société ont décidé de donner une réponse collective ; acteurs privés et publics ont mélangé ressources et capacités (Patureau, 2010) avec créativité, pensée divergente, travail en réseau (Morales, 2009), une gouvernance participative, une éducation de la population (Fergany, 2003) et d’autres capacités facilitatrices du développement (Sen, 2001). Pour que le développement fleurisse, il faut en finir avec la pauvreté, la tyrannie, le manque d’opportunités et l’exclusion ; pour cela, les initiatives de la société organisée telles que des groupes de soutien, des lignes téléphoniques d’assistance, des cliniques, des fab labs, des centres de technologie ouverte, de médecine complémentaire, etc., sont des innovations sociales du moment où elles créent des rapports sociaux qui construisent de la valeur pour tous.