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Introduction au chapitre 4

4.1. Choix épistémologiques pour une recherche- recherche-intervention recherche-intervention

4.1.2. Le choix d’un paradigme constructiviste

Globalement, il y a deux paradigmes généraux (postures épistémologiques) communs à toutes les disciplines (Savall & Zardet, 2004, p. 55). Il existe par conséquent deux familles d’hypothèses « explicitées et reconnues » répondant à des questions d’épistémologie (Avenier & Gavard-Perret, 2008, p. 20) : le positivisme et le constructivisme. Au Tableau 8, nous décrivons les principales différences entre les deux paradigmes, tout en gardant à l’esprit qu’il y a une multitude de nuances et des possibilités entre les deux.

69 Aporie = « Difficulté d’ordre rationnel paraissant sans issue (Petit Robert, 2010), une impasse. Exemple : une flèche qui

Partie II. Mise en place d’une démarche de recherche intervention

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Positivisme Constructivisme

Réalité Le monde et l’objet de recherche

préexistent.

Il y a une réalité objective du monde observé.

Le monde n’est pas donné une fois

pour toutes.

La réalité et socialement construite.

Chercheur Il doit rester extérieur et chercher à

effacer sa subjectivité. La neutralité de l’observateur est un mythe.

Interaction avec

l’objet Elle est une perturbation de la réalité ontologique. Elle est cherchée comme la condition même de la connaissance.

Principales

idées rejetées Les idées irrationnelles et vagues. L’objectivité et l’accès objectif au réel

Recherche type Logique déductive : du modèle

théorique à sa validation empirique à travers de tests contrôlés.

Observation du changement et du processus de transformation comme dimension clé des systèmes.

Caractéristiques

scientifiques Vérifiabilité Confiabilité et réfutabilité Représentabilité Interaction sujet-objet

Tableau 8. Principales différences entre positivisme et constructivisme. Élaboration propre à partir du texte de Savall et Zardet (2004) Bulinge (2010, p. 221), pour sa part, oppose positivisme et relativisme. Il distingue quatre postures pour analyser l’information (réductionniste, déterministe, interprétativiste et constructiviste). Ces postures évoluent entre l’importance des faits et du jugement pour construire et aborder la connaissance (Tableau 9). D’autre part, Perez (2008) développe les différences entre les cadres positiviste, interprétativiste et constructiviste comme trois modes de production des connaissances en gestion.

Pour nos travaux, nous avons trouvé intéressante la posture de l’interprétativisme que certains auteurs opposent au constructivisme malgré leurs similitudes (Tableau 10). Encore une autre posture intéressante est le socioconstructivisme, c’est-à-dire, « une vision historico-sociale qui considère comment, sous la pression de facteurs économiques, sociaux, politiques et culturels, les sociétés se développent et évoluent » (Fourez, 2009, p. 16). Cette posture implique que « les savoirs standardisés d’une discipline sont une réponse collective à des questions d’une époque et à des situations qu’elle a engendrées » (idem, p. 17).

Nous pourrions trouver encore des nuances et des termes associés à différents paradigmes constructivistes. Cependant, nous nous sommes aperçus que les différences entre approches sont parfois minimes. Elles sont dues, peut-être, à la nature de la discipline qui leur a donné

Chapitre 4. Justification et mise en place d’une stratégie de recherche intervention…

naissance. Avenier et Gavard-Perret (2008) ont balayé la littérature qui gravite autour des différences entre postures constructivistes. Ils placent l’interprétativisme, par exemple, au niveau de la méthodologie, étant donné qu’ils partagent les mêmes hypothèses de connaissances contextuelles et une réalité perçue.

Positivisme (Intentionnalisme) Relativisme

Posture Réductionniste Déterministe Interprétativiste Constructiviste

Problématique et question clé

Observer et agréger des données. Quelle représentation (quoi) ?

Comprendre une situation. Quels liens (comment) ?

Expliquer des évènements. Quelle motivation (pour quoi) ?

Expliquer ou agir sur les évènements. Quelle finalité (dans quel but) ?

Activité

Collecter, comptabiliser, mesurer croiser les

données…

Identifier les relations de causalité,

chronologiques,

géographiques…

Établir des liens systémiques, entre les informations et le contexte global. Problème résultat

d’une intention. Qualifier les faits…

Élaborer des scénarios et procéder à des simulations Outils d’analyse Traitement documentaire : indexation, classification, évaluation, tableaux… Analyse quantitative, relationnelle, statistique, tableaux de bord, matrices… Analyse qualitative, analyse relationnelle, matrices d’hypothèses comparées. Analyse prospective et prévisionnelle Produits Données techniques (ELINT), biographiques, économiques Analyses et synthèses de situation, early warning, tableaux de bord, diagnostic Estimations, commentaires Scénarios prospectivistes, prévisions de situation, indicateurs de tendances. Rôle des faits Majeur Majeur Important Faible Rôle du jugement Mineur, intervient néanmoins dans le choix et le croisement des données

Important Majeur Majeur Fiabilité

/incertitude Elevée /Très faible Elevée /Faible Variable /Elevée Faible /Elevée

Risque d’erreur Très faible, dépend essentiellement de la qualité de données et de la capacité à identifier les informations manquantes Faible, dépend de la qualité des données et du traitement de l’information Important Important Exemples Annuaires, organigrammes, données statistiques, ordres de bataille… Analyse de marché, de processus, d’une organisation, d’un

système, des risques…

Analyse d’évènements Analyse de tendances, shadowing Tableau 9. Typologie des approches analytiques en renseignement : Entre positivisme et relativisme.

Partie II. Mise en place d’une démarche de recherche intervention

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L’interprétativisme Le constructivisme

Vision de la réalité Phénoménologie du réel70 Statut de la

connaissance

Hypothèse relativiste

L’essence de l’objet ne peut être

atteinte.

L’essence de l’objet ne peut être

atteinte (modéré) ou n’existe pas

(radical) Nature de la réalité Dépendance/Interaction Hypothèse intentionnaliste du sujet et de l’objet

Le monde est fait de possibilités Origine de la

connaissance Empathie Construction Objectif de la

recherche

Comprendre les significations que les gens attachent à la réalité

sociale

Construire une représentation instrumentale et/ou un outil de

gestion utile pour l’action

Chemin de la connaissance

L’interprétation

« Pour quelles motivations/intentions des acteurs… ? »

La construction

« Pour quelles finalités les acteurs… ? » Nature de l’objet de

recherche

Développement d’une compréhension de l’intérieur d’un

phénomène

Développement d’un projet de

connaissance

Origine de l’objet de

recherche Immersion dans le phénomène étudié Volonté de vouloir transformer la connaissance proposée Critères de validité de

la connaissance

Cohérence avec l’expérience du

sujet

Idiographie (cas isolés) Empathie (révélatrice de

l’expérience vécue par les acteurs

Adéquation

Utilité/convenance par rapport à un projet

Enseignabilité (communicable par des représentations)

Tableau 10. Différences entre une approche interprétativiste et un approche constructiviste. Source : (Girod-Séville et Perret, 1999 reproduit par Maurand-Valet, 2010, p. 5) et (Allard-Poesi et Maréchal, 2007 cités

par Bulinge, 2010, p. 213)

Avec cette information, et en regardant la tradition de la recherche dans notre champ, nous avons choisi le constructivisme. Il est devenu notre « métathéorie » (Savall & Zardet, 2004, p. 55). Notre choix se justifie, avant tout, parce que le constructivisme est une approche où chaque individu a ses propres représentations de la réalité : « chacun voit le monde à sa façon » (Fourez, 2009, p. 15). Particulièrement, grâce à Avenier et Schmitt (2008), nous avons décidé d’adhérer au paradigme épistémologique constructiviste radical71 (PECR), aussi appelé

70La phénoménologie s’opposé contre l’ontologie du réel du positivisme. 71 Radical = qui vienne aux racines, aux origines (von Glasersfeld, 1988)

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téléologique72 (PECT) ou pragmatique73 (PECP) (Avenier & Le Moigne, s. d.). Ce choix nous semble adéquat pour le traitement de l’action dans l’entrepreneuriat en tant que science de l’artificiel. Il nous permet de mieux exploiter la méthode de recherche intervention que nous avons choisie et qui utilise les représentations sociales des acteurs et des chercheurs pour coproduire la connaissance via la confrontation mutuelle (Savall & Zardet, 2004, p. 79).

« Le PECR constitue un paradigme épistémologique explicitement fondé, différent des paradigmes épistémologiques positivistes. De la même manière, les sciences de

l’artificiel constituent un paradigme scientifique différent de celui des sciences naturelles classiques, qui est moins focalisé sur la réduction, la simplification,

l’explication causale linéaire, que celui-ci. » (Avenier & Schmitt, 2008, p. 8)

Ce paradigme, hérité de Jean Piaget (1896 – 1980) et Ernst von Glasersfeld (1917 – 2010) (Avenier & Schmitt, 2008), possède quelques hypothèses de base (Avenier & Le Moigne, s. d.; Schmitt, 2015) :

H1. Il y existe une expérience humaine de réels (phénomènes) et seule l’expérience de réels est connaissable.

H1.1. L’existence ou non d’un réel unique et/ou indépendant de l’observateur est incertaine, et se prononcer à ce propos ne rajoute rien à la connaissance.

H1.2. La connaissance des réels expérimentés est liée au projet, histoire, langage, culture, institutions dans lesquels le phénomène a lieu et le chercheur se trouve inscrit. Il s’agit d’une représentation construite.

H2. Toute connaissance est plausible, et non une vérité absolue ni une représentation vraie de la réalité.

H2.1. La confrontation aux phénomènes étudiés est médiatée par les perceptions du chercheur.

H2.2. La connaissance cherche à fournir des moyens d’action et de pensée dont l’utilité est évaluée par rapport à leur adaptation fonctionnelle et la viabilité des procédures qui y dérivent pour atteindre les objectifs fixés.

72 Téléologique = projectif, opposé au déterminisme, relatif aux moyens et fins qui se mettent en place, dans ce cas, pour et par la connaissance (Le Moigne, 2001)

73 Pragmatique = action sur le réel, en opposition au relativisme de Guba et Lincoln (1989, 1998, selon citations de Avenier & Le Moigne, s. d.)

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Plausibilité74 seront deux notions clés dans notre modélisation de la valeur. Avant ça, il faut que le constructivisme de Jean Piaget (1896 –1980) s’oppose historiquement à « l’innéisme75

et à l’empirisme76en psychologie, à l’individualisme77 et au fonctionnalisme78 en sociologie ». Il fait ressortir deux idées intéressantes sur les organisations (Bouchikhi, 1990, p. 15) :

1. Les structures sont des constructions historiques, sans début ni fin connus mais avec une logique qu’on peut reconstituer. On n’est plus intéressés par la relation cause -effet mais par le processus de structuration ;

2. Le processus de structuration est une interaction entre l’individu et son milieu, en quête d’équilibre.

Pour compléter son cadre méthodologique, Bouchikhi (1990, p. 17) a mobilisé « la théorie de la structuration des systèmes sociaux » d’Anthony Giddens (1938 - ) qui « rejette le dualisme individu/structures » et apporte au moins deux contributions :

1) Les structures résultent des stratégies intentionnelles et non intentionnelles des acteurs.

2) Les structures sont régionales ; existent champs hétérogènes, autonomes, interpénétrés mais il n’y a pas besoin d’une cohérence de tout le système.

Il faut avertir que :

« Le fait que la connaissance dépende du chercheur et de son projet de connaissance

n’empêche pas ce chercheur de prendre comme hypothèse de travail que le

phénomène qu’il étudie existe indépendamment de lui en tant que sujet individuel,

même si, dans le même temps, il admet que ce phénomène est socialement construit.

D’autre part, cette dépendance du chercheur est tempérée par le fait que la

connaissance est reliée à l’action » (Avenier & Le Moigne, s. d.).

En effet, dans l’épistémologie génétique de Piaget, « les structures cognitives se construisent dans l’interaction entre un sujet, non encore conscient de son existence en tant que tel, et des objets, ou plus généralement le milieu qui l’entoure. Le rôle de l’action est fondamental dans le schéma constructiviste proposé par Piaget » (Bouchikhi, 1990, p. 62). Ceci rejoint le cadre

74 La plausibilité est le caractère de ce qui semble devoir être admis, qui est admissible ou qui est probable. Elle est

différente de la possibilité qui réfère à la capacité d’exister ou de se faire (Le Petit Robert, 2010).

75L’innéisme considère que les structures mentales sont purement innées, avant la naissance. 76L’empirisme considère que les structures mentales sont pure expérience.

77L’individualisme privilège l’individu par rapport au groupe.

Chapitre 4. Justification et mise en place d’une stratégie de recherche intervention…

théorique des représentations que nous avons exploré lors des théories entrepreneuriales (cf. Chapitre 1) :

« Les mondes entrepreneuriaux de même que ceux de la gestion organisationnelle, et en particulier péemmiste [de la PME], se construisent à partir de modèles mentaux où la subjectivité, la relativité, la personnalisation ainsi que la différenciation des comportements constituent des assises qui sont acceptées et bien comprises » (Filion, 2008, p. 3)

Donc, pour réussir à créer une connaissance qui soit scientifiquement valable dans un cadre constructiviste, il faut travailler en suivant un comportement éthique, voire déontologique. Il faut mener une quête réflexive sur la propre pratique et le propre contexte, et il faut expliciter de façon très détaillée le processus mis en œuvre pour arriver aux conclusions (Avenier & Le Moigne, s. d.). Nous pouvons trouver l’aboutissement de tous ces présupposés dans les principes épistémologiques constructivistes énoncés par Le Moigne (1990, 1995 cité par Savall & Zardet, 2004, p. 58) :

La représentabilité : la connaissance est une organisation de nos représentations d’un monde constitué par nos expériences et non une réalité objective qui existe indépendamment de toute détermination particulière.

L’univers construit : nous ne cherchons pas à découvrir les lois de la nature.

L’interaction sujet-objet : la discipline est évaluée pour le projet et les méthodes mises en œuvre.

L’argumentation : le chercheur qui est concepteur-observateur-modélisateur va expliciter ses hypothèses et le processus d’élaboration de connaissances.

L’action intelligente : opposée au principe positiviste de « la raison suffisante » (Le Moigne, 2012a, p. 40), ce principe cherche l’élaboration d’une « correspondance adéquate ou convenable entre une situation perçue et un projet conçu par le système » (Savall & Zardet, 2004, p. 58)

Pour une validation scientifique, Bouchikhi (1990, p. 71) indique qu’une approche constructiviste doit satisfaire certaines exigences (cité par fragments) :

Une dimension temporelle dans l’analyse. L’observation d’un instant ne suffit pas. C’est en observant dans le temps qu’on peut déduire la logique de fonctionnement.

Partie II. Mise en place d’une démarche de recherche intervention

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Une représentation de l’organisation comme un construit social contingent79. Les structures sont médium d’interaction entre acteurs.

Une explication des structures par l’interaction entre l’organisation, en tant que tissu d’acteurs, et son environnement.

Une possibilité d’émergence des structures non homogènes qui ne suivent ni une stratégie prédéfinie par des dirigeants, ni un impératif de survie.

Une acceptation de la singularité des processus de structuration et des explications qui ne sont pas forcément transposables à d’autres organisations.

Ces exigences nous ont servi aussi de justification pour faire un seul cas d’étude. Nous allons maintenant choisir les méthodes qui nous permettront de mieux nous approcher de notre objet d’étude.

4.2. Choix méthodologique et design de la