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UNE TRAGÉDIE AUTRICHIENNE

VERS L’ANSCHLUSS

Après une longue phase de mise en sommeil, le mois de jan- vier 1938 voit l’intérêt pour l’Allemagne national-socialiste au sein de la presse valaisanne se renforcer brusquement, alors que l’actualité ne justifie, momentanément du moins,

que très partiellement cette refocalisation sur le Reich hitlé- rien. Charles Haegler ouvre les feux dès le 5 janvier avec un article traitant des relations de l’Allemagne avec le Saint- Siège et « des paroles sévères [du Pape] à l’égard de la per- sécution des catholiques en Allemagne »149. Il est d’ailleurs révélateur que la première intervention du Nouvelliste valai-

san en 1938 concernant l’Allemagne aborde le problème par

le biais de la question confessionnelle… Quoi qu’il en soit, la presse cantonale francophone embraye très tôt sur la pro- blématique allemande, à tel point qu’il est difficile de parler des événements germano-autrichiens de mars comme d’un coup de tonnerre dans un ciel bleu, tant l’attente de « quelque chose » est forte dans les semaines qui précèdent l’Anschluss, périodes de tension et de détente alternant à un rythme de plus en plus saccadé.

Dans une ambiance générale de malaise, rendue peu ou prou par l’ensemble de la presse valaisanne, le Nouvelliste avance dès le 17 février – le lendemain de l’entrée dans le cabinet Schuschnigg du chef du Parti national-socialiste autrichien Arthur Seyss-Inquart, défini au passage comme ayant « de fortes sympathies pour l’Allemagne hitlérienne, ce qui ne l’empêche pas d’être un catholique convaincu » – que « le problème austro-allemand a atteint un stade critique »150.

Tout à fait représentatif des variations soudaines d’interpré- tation des événements austro-allemands par la presse à cette époque, l’article qui suit le 26 février est d’une tonalité toute différente : bien que ne niant pas le réel danger repré- senté pour l’indépendance de l’Autriche par la menace national-socialiste, Charles Haegler fait du discours du chancelier Schuschnigg devant la diète une « réponse de la bergère » au berger berlinois, affichant à l’occasion son indéfectible soutien à « l’Autriche voisine et amie » et mini- misant les conséquences de l’entrée du parti nazi autrichien dans le cabinet fédéral. Le rédacteur du Nouvelliste ne

148Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion, 31 juillet 1934. 149Nouvelliste valaisan, 5 janvier 1938.

doute pas un instant « qu’en face du péril hitlérien que redoute l’ensemble du peuple autrichien », ce dernier ne réalise « une véritable unité d’action pour conquérir légale- ment son indépendance » face à « l’ombre » dessinée par une Allemagne « à qui tous les moyens sont bons – guerre et diplomatie – pour atteindre ses fins »151.

Au début du mois de mars, nouvelle modification du point de vue et retour à l’incertitude. « Que se passe-t-il en Autriche ? » titre le Nouvelliste du 5 mars. Six jours plus tard, le quotidien se fait l’écho de l’annonce par Schus- chnigg de la tenue d’un plébiscite national sur l’indépen- dance de l’Autriche le 13 mars, dévoilant même la ques- tion qui fera l’objet du scrutin (quoique dans une version divergeant légèrement du texte original)152: « Le mot d’or- dre électoral est le suivant : Es-tu pour une Autriche libre, indépendante, autoritaire et chrétienne, allemande et cor- porative ? »153

Mais c’est bien entendu après le tournant constitué par l’Anschluss lui-même que le discours se fait plus virulent pour condamner l’Allemagne nazie. Préparant son édition du dimanche 13 mars, Charles Haegler n’hésite pas à com- parer ce moment aux heures les plus sombres de juillet

1914 : « Et, ce samedi, on se croirait revenu aux jours, que l’on croyait bien à jamais révolus, de juillet 1914, lorsque cette même Autriche, influencée alors déjà par l’Allemagne, adressait un ultimatum à la Serbie. Aujourd’hui, c’est elle qui en a reçu un plus humiliant encore de l’Allemagne, devant lequel elle a cédé. »154

Qu’on ne s’y méprenne pourtant pas : si Charles Haegler se fait sévère dans ses allusions au rôle de l’Autriche impériale de 1914, il n’en souligne pas moins le côté « tragique » des « événements qui se déroulent en Autriche », arguant qu’« à nouveau, la force a primé le droit », et mettant au défi « une âme bien née » de ne pas « lire sans une profonde émotion » les mots de Schuschnigg annonçant sa démission. A l’image de l’ensemble de la presse conservatrice, le Nouvel-

liste relève en effet la dernière phrase du discours du chan-

celier, lorsque ce dernier « [prend] congé à cette heure du peuple autrichien en exprimant cet espoir que Dieu pro- tège l’Autriche »155. L’annonce de la tenue d’un plébiscite (au contenu bien différent de celui envisagé par Schus- chnigg), en vue de valider le rattachement de l’Autriche au Reich, est qualifiée pour sa part de « farce » qui « aurait manqué au couronnement de cette tragédie »156.

« Les villes autrichiennes pavoisées en l’honneur du chance- lier Hitler qui y entre en conquérant, le chef du gouvernement d’un pays hier encore libre et indépendant, M. Seiss-Inquart [sic], qui le salue de ce terme de vassalité Mein Führer ! [,] les croix gammées sur toutes les façades et sur tous les monu- ments publics, cent mille soldats allemands dans les garni- sons et sur les routes, des drapeaux partout, voilà de quoi faire pleurer les patriotes par toutes les pierres ! L’abomina- tion de la désolation, comme disent les Livres sacrés, est

accomplie. Dépecée une première fois par le Traité de Ver- sailles, l’Autriche l’est une seconde fois par l’Allemagne qui, par la force des événements et l’incurie indécrottable des démocraties, est en train de devenir une puissance tellement formidable et tellement homogène que ni l’Angleterre, tou- jours égoïste, ni la France, toujours rongée par ses chancres intérieurs, ne pourront même plus songer à lutter contre elle. 73 millions d’habitants sont sous son obédience. » (Nouvelliste

valaisan, 15 mars 1938)

151 Nouvelliste valaisan, 26 février 1938.

152 http://de.doew.braintrust.at/m9sm104.html, (Dokumentationsarchiv des Österreichischen Widerstandes, Vienne).

153 Nouvelliste valaisan, 11 mars 1938.

154 Idem, 13 mars 1938. 155 Ibidem.

Les jours passent, le ton ne change pas. Simplement, à la condamnation sans réserve de l’Allemagne nazie vient s’ajouter la dénonciation de l’inaction des démocraties, significative dans les colonnes d’un titre conservateur qui, contrairement à bien de ses pairs, s’emploie d’ordinaire plutôt à les défendre. « Pauvre nation autrichienne, tu connais en ce moment tous les abandons », reprend ainsi Charles Saint-Maurice, condamnant autant que le coup de force allemand, la négligence et l’absence de courage et de réaction des puissances occidentales.

Cette fois-ci, le regard sur l’Autriche n’est plus conditionné par son rôle dans le déclenchement du conflit européen en 1914, mais par son dépècement en 1918. Cela n’a rien de fortuit : du souvenir d’une Autriche impériale, orgueilleuse et dominatrice, on en revient à l’image, plus récente, d’une Autriche déjà victime des clauses négociées par les puis- sances victorieuses à Saint-Germain-en-Laye157 et amoin- drie territorialement, car amputée non seulement des ter- ritoires non allemands de l’ancien empire, mais encore de régions germanophones comme le Tyrol du Sud ou les Sudètes, qu’elle revendiquait au nom du principe de l’au- todétermination. Ce rappel implicite tend à démontrer à quel point il aurait été difficile pour le petit Etat démembré de s’opposer à l’avancée allemande.

A la critique de l’expansionnisme nazi, qui « met toute une nation sous clef », répond la dénonciation des démocraties de l’Ouest, qui ont renoncé à « sortir le glaive du four- reau »158. Mais Charles Haegler ne se s’arrête pas à cette mise en accusation de la France et de l’Angleterre, sans doute afin de prouver qu’il ne cherche pas à profiter de la situation pour dénigrer le système démocratique, à l’instar de certains de ses confrères. Il remarque également que « la

Russie n’était pas là », trop occupée par les « procès de Mos- cou », où « un certain Vychinski, opportuniste de son métier, demandait des têtes ». Il rappelle surtout que « l’Ita- lie n’était pas là », l’Italie mussolinienne, si souvent présen- tée comme la garante d’un certain équilibre en Europe, qui s’est cette fois refusée à rejouer le rôle de protectrice de l’in- dépendance autrichienne : « En 1934, l’Italie, concentrant ses troupes sur le Brenner, avait arrêté l’Allemagne. Mais, en 1935, elle avait tenté d’élargir son empire en occupant l’Ethiopie, pays féodal, esclavagiste, barbare en un mot, et qu’elle voulait civiliser. Les pays démocratiques lui ont fait grise mine. L’Allemagne l’a approuvée. En attendant, l’Au- triche a été assassinée. »159

Lourde est l’amertume au Nouvelliste. L’Italie, dont on attendait beaucoup, a laissé faire. On la voyait plus proche de l’Autriche autoritaire et catholique que de l’Allemagne totalitaire et athée. Erreur d’analyse qui se paie en espoirs déçus au lendemain de l’Anschluss.

La position générée par cet état d’esprit est ambiguë. Cher- chant toujours à préserver la fiction d’une Italie fasciste plus respectable que l’Allemagne nazie, Charles Haegler tente de la justifier et de faire porter la responsabilité de la situation sur le troisième acteur de ce jeu triangulaire : les démocraties. Ce sont elles qui ont marqué leur désappro- bation face à la mission civilisatrice de l’Italie en Abyssinie (on voit au passage en quelle estime était tenu le dernier Etat véritablement indépendant du continent africain…), poussant le régime fasciste dans les bras de l’Allemagne et forçant donc indirectement l’Italie, face à l’annexion de l’Autriche par le Reich, à une inaction, certes coupable, mais dont la France et l’Angleterre, pour avoir rompu le front de Stresa, portent au final la responsabilité.

157Les articles 80 et 88 du Traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 interdisaient précisément toute forme de rattachement de la nouvelle République d’Autriche à l’Allemagne et refusaient formellement à l’Autriche le nom d’« Etat d’Autriche alle- mande » (Staat Deutschösterreich), revendications qui constituaient

pourtant les deux premiers articles de la proclamation de la République du 12 novembre 1918.

158Nouvelliste valaisan, 15 mars 1938. 159Ibidem.

Les démocraties sont ainsi doublement responsables : en ne soutenant pas le régime fasciste dans ses aventures afri- caines, elles ont aliéné à l’Autriche son plus solide allié, poussé à saisir la main tendue par l’Allemagne ; en n’inter- venant pas de manière énergique pour protéger ensuite directement l’indépendance de l’Autriche, sous la forme d’un traité d’assistance militaire comme celui négocié en 1924 entre la France et la Tchécoslovaquie, elles ont laissé la voie libre aux visées annexionnistes allemandes.

Si cette vision n’est pas totalement erronée quant au manque de clairvoyance des démocraties à l’égard de la question autrichienne au sens strict, elle est par contre sin- gulièrement biaisée en ce qui concerne le rôle de l’Italie et l’interprétation des réactions françaises et anglaises à l’égard de la politique abyssinienne du régime fasciste. C’est en cela d’ailleurs que ce point de vue est significatif : il est marqué par la volonté de sauver à tout prix une certaine image de l’Italie mussolinienne, et de justifier son absence de réaction en en déplaçant la responsabilité effective sur les démocra- ties. A ce titre, Charles Haegler ne fait que s’aligner sur les positions conservatrices, quitte à abandonner sur le moment ses sympathies démocratiques, parlementaires et, dit plus simplement, pro-françaises, qui faisaient de lui un représentant un peu particulier de la majorité catholique-

conservatrice. On peut dès lors parler d’un réajustement (en tout cas momentané et lié au problème de l’Anschluss) de la position du Nouvelliste valaisan dans un sens conservateur traditionaliste, antilibéral et antiparlementaire.

Du côté de La Patrie valaisanne, on souligne dès la fin février l’importance du remaniement ministériel exigé par Hitler lors de l’entrevue de Berchtesgaden. Seyss-Inquart, « l’homme qui fut imposé à M. Schuschnigg par Hitler », y est décrit comme « l’homme du führer et des nationaux- socialistes avant d’être ministre autrichien »160. Mais dès le début du mois, La Patrie valaisanne annonce que « les jours du régime [autrichien] sont comptés »161. Le journal sier- rois, sous la plume de « X »162, pose un regard assez perspi- cace sur les événements autrichiens, donnant un sens à leur enchaînement et présageant assez justement leur conclu- sion : « Il faut avoir vécu de près la grande pitié du peuple viennois pour se rendre compte qu’il lui fallait autre chose que les raffles [sic] de la “ Stadtspolizei ” [sic] pour avoir foi en Schuschnigg. Non que cet universitaire n’ait pas eu les qualités d’un chef d’Etat – mais succédant au chancelier Dollfuss dans le plus grand désarroi, il ne pouvait se conci- lier cette partie du peuple qui déjà se réclamait du nazisme. Tout autre homme politique n’eût d’ailleurs pas été plus heureux, si l’on songe que les traités de paix ne pouvaient

La conférence de Stresa réunissant l’Angleterre, la France et l’Ita- lie avait pour but l’élaboration d’une prise de position commune face au rétablissement du service militaire obligatoire en Alle- magne et à la question de l’indépendance autrichienne. Musso- lini cherchera en vain à obtenir également le soutien des démo- craties, ou du moins leur neutralité, sur le dossier éthiopien. La déclaration finale est marquée par ces ambiguïtés, et le « front de Stresa » ne survit pas à la négociation « en solo » par le Royaume-

Uni d’un accord bilatéral avec le Reich sur la question de la marine de guerre allemande (18 juin 1935) et à la déclaration de guerre italienne à l’Ethiopie (2 octobre 1935). Si l’Angleterre porte certainement une part de responsabilité quant à la rupture du front de Stresa de par ses négociations unilatérales avec l’Al- lemagne, c’est bien l’Italie qui met fin au front en plaçant les puissances occidentales face au fait accompli au moment du lan- cement des opérations en Abyssinie.

L a c o n f é re n c e d e S t re s a ( 1 4 a v r i l 1 9 3 5 )

160 La Patrie valaisanne, 25 février 1938. 161 Idem, 1erfévrier 1938.

162 Ce rédacteur est non identifié, mais a visiblement séjourné à Vienne et fait preuve d’un certain réalisme quant à la marge de manœuvre réelle de Schuschnigg.

faire de l’Autriche démembrée un pays viable. Les récents événements de Vienne, dont Hitler a tenu les leviers de commande, constituent le premier acte d’un mouvement d’annexion à l’Allemagne. Le second sera vraisemblable- ment un plébiscite. »163L’article se conclut sur cette phrase révélatrice de la position révisionniste de La Patrie (comme d’ailleurs de la quasi-totalité de la presse valaisanne en dehors de la Feuille d’avis d’Alexandre Ghika) en ce qui concerne les traités de l’immédiat après-guerre : « Verrons- nous jouer le troisième [acte du mouvement d’annexion de l’Autriche à l’Allemagne] sans assister du même coup au déchaînement des forces latentes de guerre ? Il y aurait dans ce cas ceci de paradoxal que rien n’aura tant été cause de guerre que les traités qui ont visé à une paix universelle. »164 Plébiscite, il y aura en effet et il sera tenu le 10 avril afin de légitimer a posteriori un acte situé hors du noyau dur du droit international public. Mais ce n’est pas l’unique point sur lequel la vision proposée par La Patrie valaisanne pré- sente quelque valeur, l’ambiguité de la position de Schus- chnigg étant parfaitement rendue : dirigeant d’un pays remettant perpétuellement en cause son identité et doutant de sa propre viabilité, Schuschnigg est le chef autoritaire d’un peuple tiraillé entre volonté d’affirmer sa spécificité et besoin de se définir avant tout comme de langue et de cul- ture allemandes, déchiré entre le sentiment de devoir défendre son indépendance et la frustration de n’avoir pas

été entendu lorsqu’il demandait le rattachement au Reich, à l’époque où celui-ci était encore démocratique. Tous ces éléments constitutifs de la position insolite du chancelier face au peuple autrichien, que seul le charisme d’un Doll- fuss pouvait éventuellement faire passer au second plan, sont rendus implicitement par ce petit paragraphe concis et pondéré qui dénote une justesse d’analyse dont La Patrie

valaisanne n’a pas toujours fait preuve.

Le 11 mars 1938, La Patrie valaisanne annonce la tenue d’un plébiscite sur l’indépendance de l’Autriche pour le 13 mars, citant le texte soumis au vote, au même moment et dans les mêmes termes que le Nouvelliste165. L’édition suivante de La

Patrie valaisanne (mardi 15 mars) consacre naturellement sa

première page à l’Anschluss, sous la plume de A. T.166. Le ton employé est très proche de celui du Nouvelliste du matin – condamnation de l’action allemande et dénonciation de l’inaction des démocraties –, à deux détails près cependant : tout d’abord, une certaine résignation est perceptible du côté de Sierre, où l’on insiste beaucoup plus qu’à Saint- Maurice sur le fait que l’Autriche de l’après 1918 n’était de toute manière pas viable, et que l’Anschluss, pour condam- nable qu’il soit, était inévitable à moyen terme ; ensuite est posée également la question douloureuse de la nouvelle situation des catholiques autrichiens dans le Grand Reich, question par ailleurs curieusement absente chez Charles Haegler à ce moment.

163La Patrie valaisanne, 25 février 1938. 164Ibidem.

165La Patrie valaisanne, 11 mars 1938.

166Il s’agit d’Aloys Theytaz, rédacteur en chef de La Patrie valaisanne en remplacement de Charles Allet, passé au Registre foncier cantonal depuis le début de l’année précédente. LUGON2008, pp. 292-293.

« Ce pays – nous l’avons dit à maintes reprises – n’était d’ail- leurs guère viable, si ce n’est dans la pauvreté extrême, c’est- à-dire dans des conditions qui favorisent on ne peut mieux l’agitation. Et nous savons où cette agitation a mené l’Au- triche. Celle-ci, démembrée, réduite à la misère, s’est laissé prendre au piège de l’Anschluss, non par pure idéologie raciste, mais par pure nécessité qu’il ne tenait qu’aux traités de 1918 de prévenir. Que va faire le Reich de ce pays annexé ?

Que deviendra le peuple catholique entre les mains de chefs dont les idéologies païennes achèvent de déchristianiser l’Al- lemagne ? C’est l’angoissante question qui se pose aujourd’hui, car les hommes du Reich qui entendent régner sur des citoyens nouvellement assujettis ne respecteront pas plus en pays autrichien le domaine sacré de la conscience individuelle qu’ils ne l’ont respecté en Allemagne. » (La Patrie valaisanne, 15 mars 1938)

Si à La Patrie valaisanne, comme au Nouvelliste, on parle du « fait brutal d’une annexion par la force »167, la réflexion semble dépasser ce stade purement descriptif pour tendre à la fois, dans un sens réactif, vers une explication causale, exclusive de toute autre interprétation, que l’on pourrait réduire schématiquement à une équation faisant du Traité de Saint-Germain la cause directe de l’Anschluss qu’il cher- chait justement à empêcher, et, dans un sens prospectif, vers la question de savoir ce qu’il va arriver au modèle de l’Autriche catholique.

Ces deux éléments sont typiques de la démarche intellec- tuelle d’Aloys Theytaz, et viennent en quelque sorte se superposer et compléter l’analyse proposée par le Nouvel-

liste de Charles Haegler. Aloys Theytaz parle de l’Anschluss

comme d’une « tragédie », au sens classique du terme, dont le « dénouement était fatal » et inéluctable168, alors que Charles Haegler, qui ne se réfère qu’une seule fois aux trai- tés de l’après-guerre, n’en fait pas la cause directe et unique de la situation de l’Autriche au printemps 1938. De même en ce qui concerne la question confessionnelle en Autriche annexée, Charles Haegler ne l’aborde tout simplement pas. Ces différences de vues entre le Nouvelliste et La Patrie sont le signe d’un réel changement : les positions de l’organe conser- vateur, on le perçoit assez nettement, sont en effet moins monolithiques, plus élaborées et plus nuancées que par le passé. Avec le changement de personnel opéré à La Patrie

valaisanne par rapport aux années 1933-1934, on se retrouve

face à un journal qui, s’il ne modifie pas fondamentalement