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LE CHEMIN DE MUNICH OU L’EXACERBATION DES PEURS

SEPTEMBRE 1938 : LA CRAINTE DE LA GUERRE ET LE « LÂCHAGE » DE LA DERNIÈRE DÉMOCRATIE

D’EUROPE CENTRALE À LA PATRIE VALAISANNE… « Le ciel politique se rembrunit. »269Par ce jeu de mots, le

Nouvelliste valaisan résume bien l’ambiance suffocante qui

règne à la fin de l’été 1938, malgré les ouvertures esquissées – en réponse à la pression allemande – par le gouverne- ment tchécoslovaque, dont on loue le « grand esprit de conciliation », qui devrait suffire à « contenter tous ceux qui ne visent pas purement et simplement la destruction de la Tchécoslovaquie »270.

Il apparaît assez clairement que le sentiment dominant face à la « succession de coups de poker », qui tient lieu de poli- tique étrangère à l’Allemagne national-socialiste depuis

267 Le Rhône, 7 octobre 1938.

268 Nouvelliste valaisan, 2 septembre 1938.

269 Idem, 28 août 1938. 270 Idem, 4 septembre 1938.

l’annonce du rétablissement du service militaire obligatoire en mars 1935, est la crainte de voir voler en éclats la paix revenue moins de vingt ans plus tôt. Ce sentiment atteint son plus haut degré d’intensité au mois de septembre 1938 : « Il reste que vingt ans après la paix, les nations se retrouvent devant des événements qu’elles avaient espéré conjurer pour longtemps », résume le Nouvelliste271; « L’on se croirait revenu aux heures tragiques de fin juillet 1914 », renchérit Le Rhône272; « La paix du monde ne dépend plus que de Hitler, et de lui seul », avance pour sa part La Patrie

valaisanne273.

Pour comprendre l’ambiance de cette période, il est indis- pensable de saisir que ces phrases d’apparence grandilo- quente ne sont pas le fait de journalistes exagérant le péril réel et jouant la surenchère rhétorique afin de faire gonfler le tirage, mais qu’elles expriment un réel sentiment d’inquié- tude, exacerbé par les menaces verbales et les démonstra- tions de force allemandes. Si l’on ne parvient pas à entrer dans cet univers mental structuré autour d’un sentiment dif- fus mais persistant d’inquiétude, où l’appréhension légitime

se mêle aux peurs irrationnelles engendrées par une mémoire collective marquée au sceau indélébile de la Grande Guerre, il est impossible de comprendre l’explo- sion soudaine de joie et de soulagement que provoque le « compromis » de Munich. L’« attente anxieuse » dont parle

La Patrie valaisanne274 n’est ni plus ni moins que la peur panique de voir le monde, et la Suisse avec lui, s’embraser une nouvelle fois. C’est bien là que le bât blesse. Après l’Au- triche, après les Sudètes, le pangermanisme nazi menace directement la Suisse alémanique, à laquelle le Reich adjoindra à n’en pas douter la Suisse romande pour faire bonne mesure ; d’où le thème récurrent de la « surveillance de nos frontières »275. A la mi-septembre, La Patrie annonce que l’ordre a été donné de miner les ouvrages d’art assurant les liaisons routières et ferroviaires avec l’Allemagne et que l’ensemble de ces points stratégiques a été placé sous la garde de la troupe276. Cette communication participe d’un mouvement global de préparation mentale à un éventuel conflit européen et achève d’alourdir une atmosphère déjà tendue.

Dès lors, chaque nouvelle en provenance de Prague ou de Berlin est longuement discutée, disséquée et interprétée, alors qu’au fil des jours s’étiole le soutien dont jouissait la Tchécoslovaquie démocratique d’Edvard Beneš et de Milan Hodža. A ce titre, un double mouvement se dessine au fil du mois de septembre 1938 : au fur et à mesure que le dan- ger d’une conflagration armée se concrétise, les soutiens à la petite république multiethnique se font plus rares. Non

271Nouvelliste valaisan, 8 septembre 1938. 272Le Rhône, 9 septembre 1938.

273La Patrie valaisanne, 9 septembre 1938. 274Idem, 13 septembre 1938.

275Le Rhône, 13 septembre 1938.

276La Patrie valaisanne, 13 septembre 1938. Si le journal transmet à ses lecteurs l’annonce diffusée par le Département militaire fédéral, il s’empresse également de préciser par la voix d’Aloys Theytaz qu’il la juge malvenue dans la tension ambiante. « En attendant la solution [du] problème [germano-tchèque], restons calmes. […] Mais pour faire régner le calme, les autorités fédérales sont mal inspirées d’ordonner ostensiblement certaines mesures de précaution, comme le chargement des mines, les exercices de couverture de frontière. » La Patrie valaisanne, 16 septembre 1938.

que des titres comme La Patrie ou le Nouvelliste prennent soudain fait et cause pour l’Allemagne hitlérienne, loin de là, mais la presse catholique-conservatrice choisit tout sim- plement le parti de la paix. Aux yeux d’Aloys Theytaz ou de Charles Haegler, cette paix ne peut être sauvée que par une cession au Reich des territoires qu’il réclame. Et si le prix à payer pour sauver la paix est le sacrifice d’un Etat « artificiellement constitué par le Traité de Saint- Germain »277, la presse conservatrice valaisanne dans son ensemble pense, à la suite de Chamberlain et de Daladier, que l’Europe s’en tire encore à bon compte.

Le 13 septembre, à La Patrie valaisanne, on souligne encore « l’extrême bonne volonté de la Tchécoslovaquie »278 face aux revendications empreintes de bellicisme du Reich hit- lérien, de même qu’on revient, à l’inverse, sur « la mauvaise volonté allemande » qui « continue à empoisonner l’atmo- sphère internationale »279. Pour La Patrie, il apparaît égale- ment clairement que Konrad Henlein, le chef du Sudeten- deutsche Partei (SdP, le Parti allemand des Sudètes) n’est « qu’un pantin dont le Führer tire les ficelles selon ses caprices »280, la tête du SdP à Karlsbad (Karlovy Vary) rece- vant ouvertement ses ordres de Berlin, à l’image de ce qui se passait quelques mois plus tôt pour le parti nazi autrichien. Le discours tenu à Nuremberg par Hitler le 12 septembre marque un premier tournant. Exprimant à la face du monde la volonté allemande de recourir aux armes pour ramener les Allemands des Sudètes dans le giron du Reich si les moyens pacifiques s’avèrent inopérants, il force Aloys

Theytaz à se poser de but en blanc la question de savoir s’il vaut la peine de risquer un conflit européen pour soutenir Prague. La réponse fuse : « Nous ne voyons pas bien que toute l’Europe soit mise à feu et à sang pour l’amour du gouvernement de Prague qui veut de force retenir 3 mil- lions et demi d’Allemands. »281Si le prix à payer doit être la guerre, il apparaît clairement que personne à La Patrie ne ressent la nécessité de soutenir la Tchécoslovaquie. Il est même probable, selon Aloys Theytaz, que « les Puissances se rendront compte que l’on ne peut créer durablement des nations artificielles, comme la Tchécoslovaquie, née du Traité de Saint-Germain, et constituée de Tchèques, de Slo- vaques, d’Allemands, de Magyars, de Ruthènes et de Polo- nais ». Pour le rédacteur en chef de La Patrie, il est naturel « que les groupements ethniques, brusquement séparés, tentent un jour ou l’autre de se regrouper »282, selon le sacro-saint principe du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes283. Alors même qu’on se doute bien que les Alle- mands « craignent souverainement la guerre »284, on ne veut pas tenter le diable.

Ici encore, les représentations de la guerre – même si on sait celle-ci objectivement peu probable au vu de l’impré- paration allemande – conditionnent le regard porté sur les événements. Aloys Theytaz a ainsi beau ne pas croire personnellement à l’imminence d’un conflit285, il ne peut pas analyser la question germano-tchèque autrement qu’en fonction de celui-ci. A juste titre, dans la mesure où malgré les oppositions de l’OKH et l’évidence de l’aspect

277 La Patrie valaisanne, 4 octobre 1938. 278 Idem, 13 septembre 1938.

279 Idem, 9 septembre 1938. 280 Ibidem.

281 La Patrie valaisanne, 16 septembre 1938. 282 Ibidem.

283 Un principe théorique qui n’est cependant, à l’époque comme aujourd’hui, en aucune manière formellement justiciable en droit international public.

284 La Patrie valaisanne, 16 septembre 1938. Si ce n’est pas le cas de leur Führer, la population dans sa grande majorité et les généraux craignent la guerre, car ils savent que la Wehrmacht est inapte à soutenir un conflit sur deux fronts : contre la Tchécoslovaquie à l’est et les puissances coalisées à l’ouest.

285 Il condamne d’ailleurs les mesures militaires préventives prises par le Conseil fédéral en vue de la « couverture des frontières » : « En fait de couvertures, nous croyons bien que nos militaires ne verront jamais que celles des cantonnements lors du prochain cours de répétition… » La Patrie valaisanne, 16 septembre 1938.

défavorable du rapport des forces armées en présence (environ un pour deux en faveur des démocraties et de la Tchécoslovaquie), Hitler était bien décidé à déclencher le conflit au 1eroctobre 1938 au plus tard.

Aloys Theytaz n’est pas non plus dupe quant au véritable sens des revendications du SdP, qui ne réclame encore offi- ciellement pour le territoire des Sudètes qu’une autonomie renforcée au sein de la Tchécoslovaquie, soit ni l’indépen- dance, ni le rattachement au Reich qui sont pourtant ses buts réels : « L’agitation des Sudètes est, elle aussi, un peu artificielle, un peu précipitée, organisée bien plus pour les besoins de la cause hitlérienne que pour la libération d’une minorité opprimée. Mais le fait est là. Les Sudètes n’enten- dent pas se laisser gouverner par des Tchèques : ils veulent obstinément la botte de celui qui est déjà leur Führer ! » Et de conclure : « Eh bien ! qu’ils [les Allemands des Sudètes] aillent tâter du régime hitlérien ! L’Europe n’est pas dans la stricte obligation de s’entre-déchirer pour faire tenir debout une machine qui s’essouffle. » Au final, la question est la sui- vante : « L’équilibre européen serait rompu par 3 millions et demi de Sudètes ? » Et la réponse est claire : « Non ! »286 Alors que les événements s’accélèrent durant la seconde quinzaine de septembre, La Patrie valaisanne convient à plu- sieurs reprises du caractère « insensé », « totalement irréa- liste », voire simplement « cruel »287des prétentions expri- mées par Hitler lors de ses conversations avec Chamberlain et dans les mémorandums qui sont rédigés consécutive- ment. Les positions ne sont cependant pas révisées : il faut céder sur tout, dès lors que cela permet d’éviter la confron- tation militaire. La paix à tout prix : tel est le leitmotiv, alors même que le journal conservateur reconnaît que les catho- liques des Sudètes ont sans doute tout à perdre d’un ratta- chement au Reich.

Dans ce contexte mental, l’annonce de la signature de l’ac- cord, dans l’édition du 30 septembre 1938, est marquée par « une grande joie »288. Aloys Theytaz relève dans l’édi- tion suivante que « ces concessions, dont la Tchécoslova- quie a fait les frais, étaient inévitables, non seulement en fonction de la paix, mais en fonction du statut même de la République tchécoslovaque, qui ne pouvait prétendre rete- nir plus longtemps et de force des minorités inassimi - lables ». Le rédacteur de La Patrie va même plus loin et avoue qu’il se refuse « à croire que seule la volonté du Führer est la cause du malaise créé entre Tchèques et Sudètes ». En quelque sorte, si la forme de l’accord peut « paraître étrange à certains », ce dernier n’est que « la correction normale et logique de traités stupides qui, ayant eu l’énorme préten- tion de servir la paix, ne portaient que des germes de guerre ». La seule chose qui compte, c’est que « cette recti- fication [ait] été faite en fin de compte sans recours à la force brutale »289.

« Après la déception des catholiques de la Sarre et de l’Au- triche, après les avertissements et protestations des évêques allemands, comment les catholiques sudètes n’ont-ils pas compris qu’ils avaient tout à gagner à rester attachés à la Tché- coslovaquie, dans un régime de liberté de conscience, où ils avaient journaux, écoles, possibilités d’obtenir autonomie et parité de droit […] sans s’exposer à se voir persécutés demain par le régime nazi qui, étant néo-païen, ne peut pas ne pas être sournoisement, hypocritement et méthodiquement per- sécuteur. Les catholiques qui auraient pu donner le ton sont restés dans l’ombre ! Mais [leur] antipathie contre les Tchèques était telle qu’ils préférèrent aller à Hitler que de res- ter à Bénès. » (La Patrie valaisanne, 27 septembre 1938)

L a P a t r i e v a l a i s a n n e e t l e s c a t h o l i q u e s d e s S u d è t e s

286La Patrie valaisanne, 16 septembre 1938. 287Idem, 23 septembre 1938 ; 27 septembre 1938.

288Idem, 30 septembre 1938. 289Idem, 4 octobre 1938.

… ET AU NOUVELLISTE

Au début du mois de septembre, Charles Haegler défend une position proche de celle de son confrère Aloys They- taz, qualifiant d’« inadmissibles » les prétentions alle- mandes et relevant que le « grand esprit de conciliation » dont fait preuve Prague « ne peut manquer d’avoir produit une certaine impression »290. Quatre jours plus tard, on part toujours du principe que la balle est dans le camp allemand : « les Allemands sont au pied du mur. A eux de dire maintenant s’ils veulent la guerre ou la paix. »291 S’ouvre alors une courte période d’attente anxieuse. Elle aboutit exactement et en même temps qu’à La Patrie, soit juste avant le tant attendu discours de Hitler à Nuremberg, à une nette remise en cause du schéma binaire initial (met- tant face à face, sommairement, un Reich agressif et une République tchécoslovaque en état de légitime défense), au profit d’un positionnement plus contrasté à l’égard de la Tchécoslovaquie : « Quand le Traité de Versailles a dépecé l’Autriche et créé, entr’autres, l’Etat tchécoslo- vaque, ne reflétait-il pas les sentiments antireligieux et antichrétiens qui, à ce moment-là, animaient certaines grandes nations sorties, pour un jour, triomphantes de la guerre ? »292Les tensions se faisant plus vives au plan inter- national, on se replie vers les modèles explicatifs les plus simples et, ce n’est pas un hasard, on fait intervenir le fac- teur confessionnel. Le souvenir de l’ancienne Autriche impériale, vieux fantôme errant à la périphérie de l’univers mental catholique-conservateur, frappe à la porte du Nou-

velliste qui, si elle lui était jusqu’ici demeurée close, s’ouvre

cette fois-ci largement. Dans les heures de réelle angoisse de septembre 1938, on va chercher dans les traités de

1919 les causes profondes de la crise à laquelle on est confronté. Et Charles Haegler, qui s’était refusé jusque-là à entrer dans le jeu du révisionnisme cher à nombre de ses collègues de droite, entre à son tour dans la danse qui va fatalement le conduire à lâcher la dernière démocratie d’Europe centrale.

Le schéma de pensée est toujours le même. Il repose sur un seul axiome : Versailles a dépecé la grande puissance catho- lique et réduit à néant l’Autriche-Hongrie ; à un moment ou à un autre, cette injustice devait se voir corrigée. Le prin- cipe de l’autodétermination, matériellement plus apte à éventuellement justifier les revendications allemandes, n’est même plus évoqué. Il n’est soudain question plus que de religion. Peu importe au final la validité de l’explication avancée (une critique de Versailles, en soi, pourrait trouver facilement sa justification), on ne cherche rien d’autre qu’un facteur unique et simple, capable d’expliquer d’un seul coup un monde sur lequel on ne semble plus avoir la moindre prise. L’explication ne repose plus dès lors que sur un mysticisme inquiet, lui-même fondé sur l’idée d’une puissance divine bafouée par les hommes en 1919 et qui, tout à coup, se rappelle à leur bon souvenir.

« On y [au Traité de Versailles] a découpé l’Europe non pas dans un sentiment de justice, d’équité, d’idéal, en tenant compte des aspirations des peuples, mais mû par cet odieux mobile de la guerre que certains gouvernements avaient enga- gée contre la religion sous toutes ses formes, contre l’idée même de Dieu. Voilà la vérité. […] Et le conflit de Tchécoslo- vaquie descend de là en ligne directe. » (Nouvelliste valaisan, 13 septembre 1938)

L e Tr a i t é d e Ve r s a i l l e s v u p a r C h a r l e s H a e g l e r

290 Nouvelliste valaisan, 4 septembre 1938. 291 Idem, 8 septembre 1938.

L’offense faite à Dieu est si grande293qu’elle occulte toutes les causes matérielles de la situation de l’Europe à l’au- tomne 1938. Cette dérive religieuse a valeur d’explication totale. Face au danger de l’embrasement, elle seule peut à la fois donner un sens au magma confus des événements et indiquer l’unique issue permettant de ramener l’ordre là où règne le chaos : « L’essentiel est de sauver la civilisation et l’ordre. On n’y arrivera qu’en ramenant les peuples et les nations à Dieu. »

Dans l’éditorial de Charles Haegler, ce réflexe de repli vers la religiosité s’accompagne d’une étrange litanie antimo- derne associant indifféremment, au sein d’une vision apo- calyptique, divers symboles hétéroclites de la modernité perçus comme autant de signes de déclin, de déchéance : « La vie déborde ; la science en multiplie les manifestations ; les automobiles couvrent les routes et remplissent les rues, il n’y a plus de distance ; l’air est conquis comme l’espace ; la pensée, la parole volent à travers l’espace ; la presse, à vil prix, communique à tous sa fièvre quotidienne ; le luxe éclate, les plaisirs abondent, les cinémas regorgent. Cepen- dant, au milieu de cette exubérance, on multiplie l’arme- ment destiné à tuer des hommes ; le chômage ne diminue pas, et, pareille au chœur dans le drame antique, la clameur grandissante d’une guerre prochaine monte, menace et jette la crainte et l’épouvante. »294

Charles Haegler nous dépeint ici une fresque de cauche- mar contemporain, à égale distance de Jérôme Bosch et de Max Beckmann, qui n’a d’autre sens que d’exprimer l’in- compréhension, l’inquiétude, presque le désespoir qui s’in- sinuent jusqu’au cœur du Valais, en ces heures qui précè- dent Munich. Les références, parfois naïves – le cinéma ! –,

accumulées pêle-mêle dans le désordre le plus complet, ne font au final que dire la peur qui étreint un homme de foi face à un monde qui change et qui menace de se déchaîner. A ce paroxysme d’angoisse répond le lendemain la détente relative suscitée par le discours de Hitler tenu à Nuremberg le 12 septembre : le discours, moins guerrier que prévu, est immédiatement interprété par la presse comme un signe de relâchement de la pression internationale. Dans son édito- rial « L’atmosphère allégée », Charles Haegler va jusqu’à par- ler de la « sagesse » et du « bon sens » de Hitler295: chaque indice d’une éventuelle détente diplomatique est surinter- prété avec irénisme ; l’information, plutôt que de demeurer dans les limites de l’objectivité, devient prétexte à exprimer le souhait que la paix se maintienne à tout prix. Charles Haegler, pour sa part, se raccroche à l’idée que le Reich va se retirer du conflit diplomatique et laisser les Allemands des Sudètes négocier avec Prague, dans le cadre d’un arran- gement interne à la Tchécoslovaquie, désamorçant ainsi le risque d’une conflagration européenne296. Le fait d’évacuer la dimension internationale du problème est, à ce titre, un moyen comme un autre de nier le caractère potentiellement fatal de la question pour la paix européenne.

La tension croît cependant de nouveau durant la seconde quinzaine du mois ; de manière inversement proportion- nelle, les manifestations de sympathie ou même de simple compréhension pour la Tchécoslovaquie se raréfient. « La coupe est amère pour la Tchécoslovaquie, mais il faut la boire »297, résume Charles Haegler sans plus de compassion que nécessaire. Les rencontres entre Hitler et Chamberlain se succèdent298, faisant alterner au Nouvelliste phases de tension et de détente à un rythme de plus en plus rapide.

293On n’est pas loin ici de cette idée que les Grecs désignaient sous le terme d’hybris – la démesure, ou lorsque l’homme se met en tête de détruire ce que les puissances divines ont bâti, persuadé dans son orgueil qu’il est devenu lui-même créateur.

294Nouvelliste valaisan, 13 septembre 1938. 295Idem, 14 septembre 1938.

296Ibidem.

297Nouvelliste valaisan, 21 septembre 1938.

298Hitler et Chamberlain se rencontrent le 15 septembre à Berchtesgaden, où ils s’entendent sur un plébiscite dans les régions litigieuses, puis, du 22 au 24 septembre à Bad Godesberg, où Hitler se fait plus pressant, exigeant une occupation du territoire sans plébiscite, et finalement du 29 au 30 septembre à Munich. SHIRER1967, pp. 417-456.

Lorsque la Tchécoslovaquie marque sa désapprobation à