• Aucun résultat trouvé

Une presse catholique au temps des idéologies (1933-1938) : poids du facteur religieux et dérives antisémites dans les représentations du nazisme et de l'austrofascisme au sein des journaux valaisans de langue française

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Une presse catholique au temps des idéologies (1933-1938) : poids du facteur religieux et dérives antisémites dans les représentations du nazisme et de l'austrofascisme au sein des journaux valaisans de langue française"

Copied!
104
0
0

Texte intégral

(1)

au temps des idéologies

(1933-1938)

par

Arnaud Maret

Premier prix du Concours d’histoire Gérald Arlettaz

Poids du facteur religieux et dérives

antisémites dans les représentations

du nazisme et de l’austrofascisme au sein

des journaux valaisans de langue française

1Cet article est extrait d’un mémoire de master présenté en 2011 à la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg et dirigé par le professeur Francis Python.

2 La Patrie valaisanne, 21 mars 1933.

INTRODUCTION

Dans le contexte du Valais de l’entre-deux-guerres, mettre en résonance presse et catholicisme peut paraître relever de l’évidence1. Pourtant, en ce qui concerne une période – les années 1930 – et un domaine – la presse – encore peu trai-tés de front par l’historiographie cantonale, l’étude du fac-teur religieux et de son importance dans l’élaboration du regard porté par la presse valaisanne sur les phénomènes idéologiques que sont le nationalsocialisme et l’austro -fascisme peut prendre tout son sens. Véritablement omni-présent, le discriminant confessionnel pèse de tout son poids dans les processus de formation de l’opinion canto-nale face aux régimes autoritaires et totalitaires qui voient le jour dans le centre de l’Europe au cours de la décennie 1930. « Le catholicisme reste une force, et Hitler est trop intelli-gent pour ne pas s’en rendre compte. »2En quelques mots, Charles Allet, rédacteur à La Patrie valaisanne au début des années 1930, illustre à la perfection le rôle que joue le

facteur religieux au point de départ de l’évolution qui mar-quera l’appréhension des différents modèles politiques européens par les acteurs du monde journalistique valaisan. En plus de résumer l’état d’esprit général qui baigne le petit monde de la presse du Vieux-Pays au moment de la prise de pouvoir du NSDAP en Allemagne, Charles Allet se révèle ici tout à fait représentatif d’une communauté de journa-listes (qui ne le sont bien souvent qu’à temps partiel, exer-çant à côté de leur rôle d’éditorialistes des fonctions aussi diverses que variées) pour laquelle la rubrique de politique étrangère est également une tribune permettant d’exprimer une sensibilité politique, sociale ou religieuse. A l’exception notable d’un Charles Haegler au Nouvelliste valaisan, qui a fait ses premières armes à Paris et à Bruxelles, les rédacteurs valaisans de l’entre-deux-guerres voient avant tout dans le journalisme le prolongement de leur activité de militants politiques. Il n’est donc pas étonnant que l’analyse portée

(2)

sur les événements internationaux se révèle parfois parti-sane et se colore d’une dose plus ou moins importante de subjectivité. C’est d’ailleurs là que se trouve une grande par-tie de l’intérêt de l’étude de cette presse locale, foisonnante malgré l’exiguïté du territoire dans lequel elle s’enracine et l’importance réduite de son lectorat, riche d’un dégradé presque infini de nuances en dépit de son rattachement quasi unanime à la tradition catholique-conservatrice. La presse d’opposition (le Confédéré et Le Peuple valaisan jusqu’à sa disparition en avril 19363) se donne, de son côté, pour mission de faire entendre la voix des minorités. Parallèlement au rattachement à telle ou telle sensibilité politique, et venant en quelque sorte compléter cette appartenance partisane, un aspect religieux essentiel vient s’inscrire au sein même de la démarche journalistique ; il doit être pris en compte si l’on veut saisir les tenants et aboutissants de cette démarche. Dans la vision du monde (Weltanschauung, au sens que prend cette expression en allemand) des rédacteurs valaisans de l’époque, un facteur confessionnel profondément ancré détermine, dans une importante mesure, le regard porté sur les événements européens qui égrènent la décennie 1930.

Affirmer que les journaux valaisans des années 1930 – et il n’est pas indispensable de s’interdire de dépasser ce cadre temporel, dans un sens comme dans l’autre – sont dans leur immense majorité des titres catholiques, est sans doute une forme de truisme ; mais tenter de définir comment ce caractère confessionnel s’intègre à l’analyse des événements internationaux, pour y voir enfin autre chose que la simple transcription ou la réécriture plus ou moins heureuse de dépêches d’agence, n’est pas dépourvu d’intérêt. C’est du moins le pari que l’on prend dans cette étude.

A ce titre, le regard porté par les journaux valaisans sur l’Al-lemagne national-socialiste est très rapidement univoque : dès la fin de l’année 1933, on ne trouve quasiment plus un seul journaliste pour défendre un projet hitlérien dont on commence à percevoir les contours, et ce malgré la sympa-thie initiale inspirée par les premières mesures prises contre la menace marxiste et par les promesses d’un retour à l’ordre après les déboires du parlementarisme weimarien. Le discriminant confessionnel peut cependant contribuer à nuancer cette vision d’un front monolithique de la presse valaisanne face à l’expérience nazie d’avant-guerre et per-mettre de déceler les fissures sous la surface unie, si bien que l’univocité apparente du début peut finalement débou-cher sur une pluralité réelle des appréciations du phéno-mène hitlérien. C’est là tout l’enjeu d’une approche renou-velée de la presse valaisanne de cette période.

L’ambivalence au sein de la majorité conservatrice (y com-pris la dissidence frontiste) se révèle à cet égard particuliè-rement intéressante : une sympathie avouée pour une forme de redéfinition du système démocratique, dont l’Al-lemagne nazie pourrait éventuellement offrir un exemple, côtoie une aversion tout aussi ouverte pour les méthodes employées par le régime hitlérien face à l’opposition catho-lique allemande. A cette ambivalence ne peut manquer d’être rattachée la question du positionnement de la presse catholique-conservatrice face à la tentation antisémite à laquelle succombent certains périodiques.

De même, en ce qui concerne l’expérience autrichienne, le facteur religieux qui, au premier abord, devrait déterminer une sympathie uniforme pour le régime catholique du chancelier Dollfuss, génère finalement des appréciations beaucoup plus variées que pressenti.

3 Edité depuis sa création en 1927 à Lausanne et héritier de la longue tradition des feuilles socialistes valaisannes, l’organe du Parti socia-liste valaisan renaîtra en 1953.

(3)

Politique extérieure du IIIe Reich, situation de politique intérieure de l’Autriche au temps du Front patriotique, rapports de ces deux formes différentes d’Etat autoritaire avec l’Eglise, ces trois éléments se mêlent inextricablement dans les commentaires apportés par les éditorialistes

valai-sans. Au travers des analyses qu’ils portent, ceux-ci dessi-nent finalement le profil de leur propre appréhension des rapports entre catholicisme, conservatisme politique et redéfinition de la démocratie à la lumière des préceptes de la doctrine sociale de l’Eglise.

(4)

Loin du quasi-monopole qui se dessine à partir des années 1960, avec le Nouvelliste dans la partie francophone du canton et le Walliser Bote dans le Haut-Valais, chaque région linguistique voit durant l’entre-deux-guerres se développer une presse plurielle liée aux différentes sensibilités poli-tiques présentes dans le canton. Il s’agit donc de tenter d’es-quisser un tableau de cette presse valaisanne foisonnante des années 1930, en particulier dans la partie francophone du canton. Antoine Lugon rappelle à ce titre que c’est en 1930 que « la presse valaisanne connaît son plus haut pic »4.

LES TITRES EN PRÉSENCE

Numériquement, on peut se faire une idée de la richesse de l’offre journalistique du Valais romand entre 1933 et 1938 en se référant au tableau ci-contre (Tableau 1). L’ensemble des quinze titres édités alors dans la partie basse du canton y figurent (quelle que soit leur fréquence de parution). La richesse de l’offre en matière de presse écrite durant cette phase de l’histoire valaisanne peut s’expliquer par la situa-tion de « quasi-monopole »5dont celle-ci bénéficie jusqu’à la guerre : le journal reste encore dans les années 1930 le seul média (pris en son sens premier d’intermédiaire) capa-ble de mettre véritacapa-blement en communication les zones rurales et alpestres du canton avec la plaine, et le canton lui-même avec le reste de la Suisse.

LE PAYSAGE JOURNALISTIQUE VALAISAN AU TOURNANT DE 1930

4 LUGON2008, p. 129. 5 FOURNIER1996, p. 42. Titre Période de parution Confédéré 1861-Courrier de Sion 1925-1935 Courrier du Valais

(succède au Courrier de Sion) 1935-1938

Feuille d’avis du district de Monthey 1920-1968 Journal de Sierre 1918-Journal du Chablais 1920-Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion 1903-1968 Nouvelliste valaisan 1903-La Patrie valaisanne 1927-1970 Le Petit Valaisan 1937-1938 Le Peuple valaisan 1927-1936 Le Pilon 1933-1934 Le Rhône 1929-1959 Tribune valaisanne 1937 Le Valaisan 1936-1939 Ta b l e a u 1 : Q u o t i d i e n s , p l u r i - h e b d o m a d a i re s , h e b d o m a d a i re s e t m e n s u e l s v a l a i s a n s d u r a n t l a p é r i o d e j a n v i e r 1 9 3 3 - d é c e m b re 1 9 3 8 . ( L i s t e a l p h a b é t i q u e d e s p é r i o d i q u e s v a l a i s a n s , M é d i a t h è q u e Va l a i s - S i o n )

(5)

De cette longue liste, il s’agit de faire ressortir les quoti-diens les plus importants – qui seront seuls étudiés ici. En terre francophone, pour ce qui est de la droite conserva-trice classique, retenons ceux qui deviendront les deux « grands » de l’entre-deux-guerres : le Nouvelliste valaisan et le Journal et feuille d’avis du Valais. Créés en 1903, ceux-ci se partagent une position dominante après la dispari-tion, en 1922, de l’organe conservateur – presque l’organe du gouvernement – hérité des luttes du XIXe siècle, la

Gazette du Valais, qui fusionne avec L’Ami du Peuple pour

devenir Le Valais (1922-1927), puis La Patrie valaisanne en 1927 (qui s’efface pour sa part progressivement de l’avant-scène journalistique valaisanne). Au seuil des années 1930, trois périodiques principaux se partagent donc le lectorat conservateur francophone : le Nouvelliste valaisan, édité à Saint-Maurice, le Journal et feuille d’avis du Valais (Sion) et La Patrie valaisanne (Sierre). Face à ce trio, qui exprime toutefois des sensibilités différentes au sein de la mouvance conservatrice, s’élève la voix radicale du

Confé-déré, organe de l’opposition radicale depuis 1861, alors

qu’apparaît en 1929 à Martigny un nouveau trihebdoma-daire, Le Rhône, moins marqué politiquement, mais toute-fois assimilable à la mouvance conservatrice (bien qu’édité en fief historiquement radical). La position du Courrier de

Sion et de son successeur, le Courrier du Valais, tous deux

issus de la mouvance conservatrice pour y revenir après une longue incursion dans le domaine frontiste, devra quant à elle être précisée. Entre 1927 et 1936, Le Peuple

valaisan tente également de faire entendre la voix des

socialistes bas-valaisans une fois, puis deux fois, puis de nouveau une fois par semaine, après les tentatives de

l’Ave-nir entre 1920 et 1923, puis du Falot de 1925 et 19276. Le

Pilon puis la Tribune valaisanne porteront, chacun à son

tour, la voix des frontistes valaisans durant quelques mois (respectivement en 1933-1934 et en 1937).

Ceci posé, il convient d’établir un nouveau panorama de la presse valaisanne des années 1930, duquel on écartera cette fois les titres à vocation purement locale ne s’intéres-sant pas aux questions internationales (comme la Feuille

d’avis du district de Monthey ou le Journal de Sierre), pour se

concentrer sur les seuls périodiques à vocation réellement cantonale, en tenant évidemment compte de la barrière lin-guistique. On obtient dès lors dix titres principaux, dont un seul quotidien, le Nouvelliste valaisan à partir de 1929, les autres périodiques demeurant pour la plupart des tri-ou bihebdomadaires) (voir Tableau 2).

Ces dix titres peuvent être répartis en trois groupes, selon leur orientation politique : groupe conservateur, groupe d’opposition, groupe fascisant. Ces groupes sont cepen-dant à considérer avec une certaine prudence, dans la mesure où ils restent éminemment inégaux en termes d’im-portance. Avec ses cinq titres, le premier groupe rassemble en effet l’écrasante majorité du tirage hebdomadaire, alors que le second ne se réserve que la portion congrue et que le troisième, quantitativement parlant, ne joue qu’un rôle minime, pour ne pas dire insignifiant. Même s’il ne convient pas d’analyser ces groupes de périodiques uni-quement à l’aide de critères quantitatifs (d’autres facteurs entrent en ligne de compte qui justifient qu’on s’intéresse au groupe fascisant, malgré son poids quasi nul en termes de tirage), garder à l’esprit cette répartition inégale entre les groupes ainsi que cette pondération représentée par le tirage permet d’apprécier plus exactement l’impact d’un contenu rédactionnel donné sur le lectorat.

Le premier de ces groupes, en nombre de titres comme en tirage global, est donc le groupe catholique-conservateur, avec pas moins de cinq titres (dont le seul quotidien de la vallée du Rhône) : le Nouvelliste valaisan, le Journal et feuille

d’avis du Valais, La Patrie valaisanne, auxquels il faut

adjoin-dre une feuille qui ne se réclame d’aucune appartenance

(6)

politique, mais qui suit une ligne proche de celle définie par les titres « officiellement » conservateurs (et qui recom-mande à son lectorat de voter les listes conservatrices), en l’occurrence Le Rhône ; il convient de ne pas oublier égale-ment un journal conservateur aux frontières floues du frontisme, le Courrier de Sion d’Adolphe Sauthier. On le voit, la multiplicité des titres n’est pas forcément syno-nyme de pluralité d’opinions, puisque cinq des dix titres en présence (regroupant à eux seuls plus des trois quarts du tirage) se rangent dans le camp conservateur. Chacun de ces périodiques exprime cependant une nuance au sein de la pensée majoritaire, évitant au bloc conservateur de se scléroser totalement.

Moins important numériquement, le groupe suivant réunit deux sensibilités différentes que rapproche pourtant la lutte contre l’hégémonie conservatrice : les radicaux et les socialistes. Il repose sur deux périodiques, à savoir les organes officiels respectifs de ces deux courants politiques. Le Confédéré, créé en 1861 et encore vivant aujourd’hui, porte la voix des radicaux, alors que le Peuple valaisan a pour vocation de faire entendre celle des socialistes, jusqu’à sa disparition en 1936. L’ancrage historique clair du radi-calisme dans le Bas-Valais et le Valais central explique l’ab-sence de tout pendant germanophone à l’organe radical. On considérera par ailleurs que c’est en grande partie l’im-portance du courant chrétien-social dans le Haut-Valais, de

7 FOURNIER1996, p. 43.

Titre tendance politique / lieu d’impression

Confédéré libéral-radical, organe du Parti libéral-radical / Martigny

Courrier de Sion conservateur traditionnel, tendances frontistes / fascisantes à partir de 1933 / Sion

Courrier du Valais frontiste/fascisant jusqu’à 1937, puis retour à un conservatisme traditionnel / Sion

Journal et feuille d’avis conservateur modéré / Sion

du Valais et de Sion

Nouvelliste valaisan conservateur modéré (ou « progressiste »7) / Saint-Maurice

La Patrie valaisanne conservateur traditionnel, organe du Parti conservateur / Sierre

Le Peuple valaisan socialiste, organe du Parti socialiste / Lausanne

Le Pilon frontiste/fascisant / Sion

Le Rhône apolitique (de facto conservateur modéré) / Martigny

Tribune valaisanne frontiste/fascisant / Sion

(7)

même que le moindre degré d’industrialisation de cette région et sa tradition conservatrice marquée, qui empê-chent le socialisme de s’y implanter aussi fortement que dans le Bas-Valais, ce qui pourrait expliquer l’absence d’un périodique socialiste germanophone durant la période étudiée.

Le troisième et dernier bloc, quantitativement le moins important, rassemble les publications, régulières ou non, à tendance fasciste. L’utilisation de ce terme est dangereuse, surtout lorsqu’on l’applique à un mouvement qui tend à se démarquer sur plusieurs points du fascisme italien et, plus encore, du nazisme allemand ; il est cependant nécessaire de l’employer pour bien marquer la différence entre cette orientation tendant vers une totale remise en cause du sys-tème démocratique et parlementaire et le simple corpora-tisme traditionnel catholique. Appliqué à la presse et à la politique valaisanne, ce mot aura donc, faute d’en trouver un meilleur, plus une valeur d’étiquette qu’une véritable signification idéologique. Entre décembre 1933 et avril 1934, Le Pilon sédunois se fait la voix du Front valaisan qui se constitue, mais ne paraît que cinq fois durant la période. Le Courrier de Sion d’Adolphe Sauthier évolue, de 1933 à 1935, aux limites floues du conservatisme traditionnel et du frontisme, mais il reste assez clairement en deçà de la ligne rouge. Le doute n’est plus permis après le premier rachat du titre, opéré par Léopold Rey : entre 1935 et 1937, le Courrier

du Valais est parfaitement représentatif de la pensée

fasci-sante, corporatiste, antisémite et antiparlementaire la plus nette, dont il se fait d’ailleurs le porte-parole officiel dès 1936. En 1937, Léopold Rey revend pourtant son journal à la SA du Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion, et le titre opère un retour dans le giron conservateur (orientation

agricole), avant de disparaître définitivement l’année sui-vante. Léopold Rey en profite alors pour lancer, en janvier 1937, son propre périodique frontiste, la Tribune valaisanne, qui reprend le rôle d’organe officiel de l’Union nationale valaisanne (UNV) créée en 1935. Toutefois, avec la dispari-tion de la Tribune en mai de la même année, la tendance fas-cisante cesse définitivement de se faire entendre dans la presse régulière. Si le groupe fascisant est donc représenté de manière plus ou moins continue au cours de la période étudiée, avec deux « trous » entre avril 1934 et mai 1935 ainsi qu’entre mai 1937 et la fin de la phase temporelle analysée, il ne dépasse pas en longévité les bornes de cette dernière.

LE GROUPE CONSERVATEUR

L’année 1903 reste une date importante pour l’histoire de la presse valaisanne, puisque deux des principaux pério-diques du canton naissent en ce début de XXe siècle : le Nouvelliste et le Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion. Le mardi 17 novembre 1903, à Saint-Maurice, paraît le pre-mier numéro du Nouvelliste valaisan. Le lieu d’impression n’est pas anodin, car l’imprimerie de l’Œuvre Saint-Augustin est étroitement liée à l’Abbaye de Saint-Maurice ; le Nouvelliste voit donc le jour « sous l’aile protectrice de l’Ab-baye »8et s’empresse de se définir comme « bon catholique, comme tout Valaisan qui a le culte de la Patrie »9. De poli-tique, il ne sera point question dans ces pages, affirme d’em-blée l’éditorialiste qui explique ne chercher qu’à diffuser de l’information : « Il faut au public un journal à nouvelles, à informations et à annonces. […] Nos confrères ont tous une couleur politique ; le NOUVELLISTE n’en aura pas. »10 Cette

8LUGON2008, p. 68.

9Nouvelliste valaisan, 17 novembre 1903.

(8)

mise au point initiale est cependant plus rhétorique que convaincue (et convaincante). Le Journal et feuille d’avis du

Valais et de Sion tiendra le même discours dans son premier

numéro, quelques jours plus tard. Il est pourtant difficile en Valais d’écrire sans faire de politique.

Charles Haegler sait toutefois faire preuve d’une certaine indépendance à l’égard du parti comme de l’Eglise : il n’hé-site pas à s’opposer ouvertement à la caste aristocratique qui tente de maintenir son influence au sein du parti majo-ritaire11, et il va jusqu’à se brouiller avec les chanoines de l’Abbaye, au point de quitter en 1924 l’imprimerie de l’Œuvre Saint-Augustin pour fonder l’Imprimerie Rhoda-nique et libérer ainsi son journal de la tutelle ecclésiastique indirecte que celui-ci subissait12.

S’il n’entend pas nuire aux « organes existants »13, il est clair que la feuille trihebdomadaire14 de Charles Haegler marche sur les plates-bandes de la Gazette. L’apparition de

De 1903 à 1949, les éditoriaux du Nouvelliste sont tous signés « Charles Saint-Maurice ». Ce pseudonyme transparent cache en fait Charles Haegler, fondateur et rédacteur en chef du journal jusqu’à sa mort. Après des études classiques au Collège de Saint-Maurice, puis à l’Université de Lausanne et à celle de Louvain, il entame une carrière de journaliste en France (au Nouvelliste à Lyon et au Gaulois à Paris), qu’il poursuit en Belgique (au

Mes-sager à Bruxelles), puis à Genève (Courrier de Genève), avant de

revenir en Valais (Gazette du Valais). Cette formation à l’étranger et hors du canton est encore assez inhabituelle pour un ressor-tissant valaisan au tournant de 1900 pour qu’on la relève. A son retour au pays, Charles Haegler fonde le Nouvelliste valaisan, puis l’Association de la presse valaisanne (APV) en 1921.

Parallèlement, il entame une carrière politique sous la bannière conservatrice : conseiller communal à Saint-Maurice (1924-1928), il entre dès 1921 au Grand Conseil, qu’il préside en 1936-1937. De 1935 à sa mort, il est préfet du district de Saint-Maurice. Yves Fournier le définit comme un « éditorialiste de talent » et « un membre influent et l’idéologue du parti conser-vateur valaisan »15.

La ligne politique de Charles Haegler, bien que très fortement marquée par le catholicisme, n’en est pas moins généralement respectueuse du parlementarisme libéral, ce qui constitue une exception à une époque où la droite valaisanne conservatrice traditionnelle se laisse parfois tenter par les sirènes du corpo-ratisme.

C h a r l e s H a e g l e r ( 1 8 7 5 - 1 9 4 9 )

11Il soutient notamment la publication d’un ouvrage d’histoire valaisanne mettant à mal quelques grandes familles sédunoises, alors que le Conseil d’Etat se refuse à subventionner le manuel en question. Nouvelliste valaisan, 22 décembre 1903.

12LUGON2008, p. 104.

13Nouvelliste valaisan, 17 novembre 1903.

14Le Nouvelliste paraît le mardi, le jeudi et le samedi jusqu’à décembre 1929, où il devient quotidien.

15Y. Fournier, « Haegler, Charles », in  DHS.

Charles Haegler, ou Charles Saint-Maurice, au Nouvelliste valaisan. (AEV, Collection des portraits)

(9)

deux nouveaux périodiques conservateurs (orientation politique affichée sinon revendiquée) en l’espace d’une année montre d’ailleurs que la vieille Gazette est déjà en perte de vitesse au début du siècle, ce qui peut expliquer les regroupements qui devront s’opérer dans les années 1920.

Quelques jours après le Nouvelliste, le 28 novembre 1903, le premier numéro du Journal et feuille d’avis du Valais et de

Sion paraît. Le ton employé est le même : on ne revendique

officiellement aucune appartenance politique. En revanche, le nouveau trihebdomadaire imprimé à Sion ne fait pour sa part aucune référence à la religion catholique.

Comme pour le Nouvelliste, il y a derrière ce journal un homme : Emile Gessler (1881-1923). Fils aîné d’un impri-meur haut-valaisan établi à Sion dans la seconde moitié des années 1870, professeur de sténographie et de dactylo -graphie à l’Ecole normale, Emile Gessler reprend l’entre-prise paternelle en 1903 et fonde la même année le Journal

et feuille d’avis du Valais et de Sion16. Après sa mort en 1923, le journal demeure associé à l’imprimerie et à la famille Gessler : émerge d’abord la figure de Georges (1888-1957), frère cadet d’Emile, puis, jusqu’à la fusion de la

Feuille d’avis avec le Nouvelliste en 1968, celle de Gérard

(1917-1985), fils du précédent. A la différence du

Nouvel-liste valaisan, la Feuille d’avis reste donc jusqu’à la fin une

entreprise que l’on peut considérer comme familiale, par ses liens avec l’Imprimerie Gessler. En 1903, la situation des deux trihebdomadaires est cependant comparable : dans les deux cas, il s’agit d’un organe de presse né de la volonté d’un seul homme (Charles Haegler pour l’un, Emile Gessler pour l’autre), même si la famille Gessler reste plus en retrait au plan du contenu rédactionnel, recourant à des rédacteurs externes tels qu’André Marcel et Alexandre Ghika.

Face à ces deux nouveaux venus, la presse conservatrice traditionnelle née au siècle précédent tente de se mainte-nir. La vieille Gazette du Valais constitue l’organe officiel du parti ; on a vu à cet égard que le Nouvelliste et la Feuille

d’avis ont bien pris soin de souligner une indépendance

politique de façade afin de ne pas disputer à la Gazette son rôle de porte-étendard du conservatisme valaisan. Fon-dée en 185517, soit durant l’intermède qui voit les radi-caux se maintenir au pouvoir de 1848 à 1857, la Gazette

du Valais fait à ses débuts figure de seul périodique

conser-vateur pour le Valais romand. Son nom n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard : il se réfère à la Gazette du Simplon, journal clérical du temps de la lutte contre les libéraux qui avaient imposé la Constitution régénérée de 1839, puis organe officiel du gouvernement sous le « régime de fer » qui s’installe au printemps 1844, après la défaite des troupes libérales-radicales au défilé du Trient, et qui per-dure jusqu’à la défaite du Sonderbund en décembre 1847.

Alexandre Ghika est le responsable de la rubrique de poli-tique étrangère au Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion durant toute la période étudiée. Descendant d’une ancienne famille princière roumaine exilée en Suisse, Alexandre Ghika aborde les questions concernant l’Europe centrale et orientale – révision des traités de paix de l’après-guerre, redéfinition des frontières, problème des minorités – avec un point de vue foncièrement différent de celui de la majorité des éditoria-listes valaisans et, bien souvent, avec une plus grande luci-dité. Son approche, accordant une large place au droit inter-national public, est cependant marquée parfois par des partis pris antihongrois (moins souvent, antiautrichiens) qui trou-vent leurs racines dans les relations tendues entretenues par la Hongrie et la Roumanie d’après-guerre.

A l e x a n d re G h i k a ( 1 8 6 5 - 1 9 4 0 )

16LUGON2008, p. 275. 17La Gazette du Valais passe le flambeau à la Nouvelle Gazette du Valais

en 1874, qui elle-même reprend le nom de Gazette du Valais en 1888. La ligne éditoriale et politique suivie reste cependant la même.

(10)

La Gazette sort pourtant affaiblie de l’affaire de la Banque cantonale du Valais, qui a éclaboussé la majorité conserva-trice à laquelle elle est liée. De plus, une frange des conser-vateurs la considère comme trop occupée de politique et pas assez de religion. Une place est donc à prendre ; L’Ami

du peuple fribourgeois l’occupe en publiant, à partir de la

fin de l’année 1878, un supplément hebdomadaire puis bihebdomadaire destiné au Valais et édité à Sion18. Après une tentative avortée de fusion des quatre organes conser-vateurs (Gazette du Valais, L’Ami du peuple, Nouvelliste

valai-san et Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion) en 1905

déjà (tentative dont La Liberté fribourgeoise se fait la pre-mière l’écho, mais dont aucun des quatre protagonistes valaisans ne revendiquera la paternité), une fusion à deux se dessine entre la Gazette et L’Ami du peuple : rédaction commune à partir de 1908, puis en 1922 fusion effective en un nouveau périodique, Le Valais, qui prend le nom de

La Patrie valaisanne en 1927.

Le Courrier de Sion, journal sédunois conservateur tradi-tionnel fondé en 1925, apporte en 1933 son soutien au Front valaisan, par la voix de son rédacteur Adolphe Sauthier, membre du comité de fondation du mouvement

Originaire de Loèche, Charles Allet est le fils d’Oswald Allet (1864-1948) qui fut vice-chancelier cantonal de 1896 à 1913, chancelier de 1913 à 1924 et rédacteur à L’Ami du peuple et à la

Gazette du Valais durant les années 1890 et 1900. Après des

études de droit et un brevet d’avocat-notaire, Charles Allet entame une carrière de journaliste au Nouvelliste valaisan de Charles Haegler. Il passe ensuite à La Patrie valaisanne, dont il sera le rédacteur en chef de 1933 à 1937, avant de passer le témoin à Aloys Theytaz. Après son départ de La Patrie

valai-sanne, il quitte définitivement le monde de la presse pour entrer

au Registre foncier, où il officiera jusqu’à sa retraite.

Dans un premier temps, Charles Allet fait preuve d’une certaine attirance pour l’Allemagne nazie, avant de s’en détourner lorsqu’il constate les tendances anticatholiques du régime. Il manifeste également un antimarxisme virulent. Quelques ten-dances antisémites sont observées au temps de La Patrie. Aloys Theytaz naît à Vissoie et obtient sa maturité au Collège de Sion, avant de suivre des études de droit à l’Université de Fribourg. Il s’inscrit dans le même temps à des cours de jour-nalisme et collabore à La Liberté. A son retour en Valais, après avoir réalisé une partie de ses études à Vienne, il ouvre une

étude d’avocat-notaire à Vissoie, puis à Sierre. En 1937, il succède à Charles Allet comme rédacteur en chef de l’organe du Parti conservateur, poste qu’il occupe jusqu’à 1941. Après la guerre, il entame une carrière juridique, auprès du tribunal de district de Sierre, et politique. Il est notamment député au Grand Conseil de 1945 à 1965, ainsi que sous-préfet (1950-1955), puis préfet (1955-1968) du district de Sierre. En paral-lèle, il continue à collaborer irrégulièrement à divers journaux valaisans (Le Rhône, Nouvelliste valaisan notamment). Auteur de nombreuses pièces de théâtre et poèmes, il est également parolier de plus de deux cents chansons mises en musique par le compositeur valaisan Jean Daetwyler.

A La Patrie valaisanne, il rompt avec la ligne de son prédécesseur, qu’il partage cependant lorsqu’il travaille sous sa direction, notamment au plan de l’antisémitisme (antisémitisme qu’il exprime formellement dans un article le 14 octobre 1933). Moins dogmatique et possédant un horizon politique plus large que Charles Allet, il renonce notamment à toute allusion antisémite pour prendre au contraire timidement la défense de la commu-nauté israélite allemande, au même titre qu’il défend les catho-liques du Reich. De façon générale, il ne fait à aucun moment preuve de compréhension à l’égard de l’Allemagne nazie.

C h a r l e s A l l e t ( 1 9 0 4 - 1 9 8 9 ) e t A l o y s T h e y t a z ( 1 9 0 9 - 1 9 6 8 ) à L a P a t r i e v a l a i s a n n e

(11)

frontiste. Adolphe Sauthier rédige par ailleurs le premier manifeste du Front valaisan. Un antisémitisme virulent couplé à un anticommunisme classique dans la presse de droite de l’époque est la marque de fabrique de Sauthier. Toutefois, « malgré ses déclarations parfois peu ortho-doxes, le Courrier reste l’organe d’une fraction du parti majoritaire », relève Roger Joseph19.

La situation change radicalement en 1935 : le journal est racheté par Léopold Rey ; Adolphe Sauthier est remercié et le titre du périodique est modifié en Courrier du Valais. Cette année marque une rupture totale avec le clan conser-vateur : de sa création en 1935 à sa revente en 1937, le

Courrier du Valais peut être rattaché au groupe fascisant.

La dernière période de parution du Courrier du Valais, de janvier 1937 à août 1938, est marquée par un retour à une ligne neutralisée, définie par le nouveau propriétaire, la SA du Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion, avant que le groupe ne renonce tout simplement à faire paraître son deuxième titre.

Un tard-venu dans le groupe conservateur fait son appa-rition en 1929. Edité en terres radicales, Le Rhône est lié à l’Imprimerie Pillet de Martigny. Jules Pillet (1883-1966), alors imprimeur du Confédéré20, crée à la fin des années 1920 un journal trihebdomadaire désigné comme apolitique, mais assimilable à la mouvance conservatrice, qu’il imprimera durant plus de trente ans, jusqu’à la dis-parition du titre21. Le Rhône n’est pas aussi marqué politi-quement que le Nouvelliste valaisan par exemple et, de tout le bloc conservateur, c’est sans doute le seul journal qui puisse satisfaire à l’étiquette « apolitique » que tant de ses concurrents se sont plu à revendiquer, du moins à

leurs débuts. Toujours est-il qu’en s’efforçant de faire entendre une voix neutre en terre radicale, Le Rhône se voit vite désigné, dans le climat politique bipolaire qui y règne, comme un journal qui, s’il n’est pas ouvertement radical, ne peut qu’être conservateur. La détermination de l’appartenance politique du Rhône est donc plus exogène qu’endogène.

Au seuil de la décennie 1930, cinq titres se partagent ainsi le lectorat conservateur francophone : le Nouvelliste valaisan, le Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion, La Patrie

valai-sanne (héritière directe de la Gazette), le Courrier de Sion et Le Rhône.

LE GROUPE D’OPPOSITION

La place laissée à la presse d’opposition dans le Valais de l’entre-deux-guerres est réduite. Ces courants « classiques » d’opposition sont d’ailleurs facilement définissables : il s’agit des contestations radicale et socialiste, chacune devant être subdivisée en deux branches suivant la région linguistique à laquelle on la rattache.

En Valais, le courant radical reste de tout temps une spéci-ficité francophone. L’opposition radicale d’avant 1848 s’enracine dans les districts du Bas-Valais, dans une bien moindre mesure dans ceux du Valais central et reste totale-ment étrangère au Valais germanophone. Cette répartition géographique ne va pas se modifier fondamentalement au fil des décennies ; que ce soit au moment où les radicaux occupent le pouvoir (1847-1857) ou lorsqu’ils jouent le rôle de parti d’opposition (1857-1893) puis celui de parti minoritaire participant au gouvernement (de 1893 à nos

19JOSEPH1977, p. 146.

20Cela s’explique assez facilement, étant donné que Martigny est le fief historique des radicaux valaisans.

21Le Rhône est en effet absorbé par le Nouvelliste valaisan en 1960, pour donner le jour au Nouvelliste du Rhône, qui ne tardera pas à phagocyter la Feuille d’avis. Concernant ce processus de regroupement au sein de la presse conservatrice valaisanne, se reporter à RAYMOND

(12)

jours, avec des interruptions), le radica-lisme valaisan demeure avant tout romand.

Après les turbulences de la Régénéra-tion, du « régime de fer » conservateur, du Sonderbund, de la victoire des radi-caux et de leur maintien tant bien que mal au pouvoir, ces derniers retrouvent en 1857 ce qui est en quelque sorte leur rôle « classique » en Valais, celui d’oppo-sants à la majorité conservatrice. C’est dans ce contexte qu’est lancé le

Confé-déré du Valais en 1861, héritier de la

lignée de presse libérale-radicale formée par L’Echo des Alpes (1839-1844),

L’Ob-servateur (1846-1848) et le Courrier du Valais (I) (1849-1857)22. Dès sa nais-sance, le Confédéré se voit donc attribuer un rôle précis : donner la réplique à la

Gazette conservatrice et combattre le

régime conservateur.

Après une décennie d’existence, la débâcle financière de la banque canto-nale semble justifier le combat du

Confédéré et légitimer une partie de sa

critique à l’égard du gouvernement can-tonal. Le bihebdomadaire est définitive-ment implanté et son existence n’est plus remise en question. Dans le contexte du « Kulturkampf » helvétique et des deux tentatives de révisions constitutionnelles au niveau fédéral (1872 et 1874), le Confédéré – Organe

des libéraux-radicaux valaisans fait Un lecteur du Confédéré, 1922.

(Coll. Duarte-Rouiller, Martigny, Médiathèque Valais - Martigny)

22Ce Courrier du Valais (I) s’éteint avec le régime radical en 1857 et n’a donc rien à voir avec le Courrier de Sion créé en 1925, qui change de nom en 1935 pour devenir le Courrier du Valais (II).

(13)

entendre sa voix face à une presse conservatrice cléricale et nettement hostile aux projets de renforcement de l’au-torité fédérale.

En 1877, le Confédéré réduit pourtant sa fréquence de parution à une seule fois par semaine23, alors que l’ennemi conservateur semble se renforcer avec l’apparition, l’année suivante, du supplément valaisan de l’Ami du Peuple. Le combat devient alors triangulaire (Gazette – L’Ami du peuple

– Confédéré), par voie de presse comme, parfois, par voie

de justice : en 1895, le Confédéré est notamment condamné à payer 1000 francs d’indemnités, somme considérable pour l’époque, au conseiller d’Etat Henri Bioley « pour de prétendues injures dirigées contre sa personne »24.

Avec l’apparition du Nouvelliste et de la Feuille d’avis au début du siècle et l’effacement progressif de la Gazette du

Valais, le Confédéré se voit progressivement confronté à

une presse conservatrice nouvelle, ou tout du moins orga-nisée différemment. Malgré ces changements, le Confédéré continue d’assumer, au début des années 1930, le même rôle qu’au moment de sa création : élever une voix cri-tique au sein d’une presse cantonale à dominante large-ment conservatrice. Cette voix sera, à partir de 1935, celle d’André Marcel.

On l’a dit, le Haut-Valais se caractérise par une quasi-absence de toute sensibilité radicale. Il convient toutefois de nuancer cette affirmation : un petit groupe libéral modéré s’est développé à Viège du temps des luttes de la Régénération, et se maintient au fil des décennies. En 1929, il lance l’Oberwalliser25, un hebdomadaire imprimé à

Martigny et qui va durer jusqu’au début de l’année 193626.

23Le Confédéré redevient bihebdomadaire dans les années 1890, puis trihebdomadaire durant la période étudiée.

24Confédéré, 27 juin 1895.

25Il n’a pas été retenu dans l’échantillon analysé ici, car de langue allemande.

26LUGON2008, p. 122. Un second essai sera fait dans les années 1950 avec le Demokrat.

27Idem, p. 282.

28MARCEL1997, pp. 11-12.

D’origine vaudoise, André Marcel est membre de l’Association de la presse valaisanne entre 1927 et 1951, année de son retour à Lausanne. En Valais, il collabore tout d’abord au Journal et

feuille d’avis du Valais et de Sion (jusqu’à son licenciement à

l’au-tomne 1935), avant de passer au Confédéré. « Polémiste avant tout »27, il est également l’auteur de nombreuses comédies en

un acte. Son départ de la Feuille d’avis est l’occasion d’un petit psychodrame, dont la presse valaisanne a le secret, et d’échanges épistolaires peu amènes entre la direction du jour-nal et le rédacteur licencié. « La direction de la Feuille d’Avis a choisi le moment où j’étais malade et désarmé pour me congé-dier », dénonce André Marcel dans le Nouvelliste du 28 novem-bre 1935, alors que le titre sédunois avance pour sa part des raisons économiques. Après huit ans de bons et loyaux ser-vices, il semble que ce soit avant tout la plume trop corrosive

du chroniqueur qui ait été finalement jugée incompatible avec la ligne du journal. Une fois passé au Confédéré, André Marcel ne manquera d’ailleurs pas d’égratigner à l’occasion son ancien employeur.

Attaché au parlementarisme libéral, il est l’un des rares à pren-dre ouvertement position en faveur de la Tchécoslovaquie dans son différend avec l’Allemagne au sujet des Sudètes en 1938. La même année, il lance un vibrant appel contre l’antisémitisme après la nuit de Cristal, sans rencontrer l’écho espéré chez ses confrères valaisans.

Dans la préface du livre Le Valais de mes années folles, le journa-liste Pascal Thurre dit : « J’ai connu André Marcel au temps où le diable en Valais avait deux visages… celui de Dellberg et le sien. […] On comprend pourquoi, lorsqu’il croise à Sion un conseil-ler d’Etat, c’est le conseilconseil-ler d’Etat qui salue en premier. »28 A n d r é M a rc e l ( 1 9 0 2 - 1 9 9 6 )

(14)

Pour les socialistes, le problème se pose différemment. Au début du XXesiècle, une sensibilité socialiste minoritaire est présente sur l’ensemble du canton, toutefois plus au niveau de la vallée du Rhône (près des centres industriels) que dans les vallées latérales. Cette opposition tente natu-rellement de se faire entendre par voie de presse, mais toutes les tentatives esquissées (dans le Haut-Valais comme dans le Bas-Valais) tournent assez rapidement court. On mentionnera pourtant les expériences suivantes, liées à la période de forte croissance industrielle de la dernière décennie du XIXesiècle et des deux premières du XXe: La

Lutte d’Ulrich Gailland (1901-1905), publiée à Lausanne et

fortement teintée d’anticléricalisme ; Le Bas-Valaisan (1904-1906) et Le Simplon (1906-1908) de Clovis Pignat, plus proche toutefois de l’aile gauche du radicalisme que du socialisme, et, enfin, La Justice (1909-1913) et Le Falot (1914-1919), auxquels collaborent ces deux mêmes figures du mouvement ouvrier valaisan. Toutes ces tenta-tives sont marquées par l’irrégularité de la parution et les problèmes récurrents de trésorerie, qui conduisent à chaque fois à un échec.

L’immédiat après-guerre voit pourtant la réunion des dif-férentes tendances politiques et syndicales de gauche dans la formation d’un parti socialiste cantonal (1919) comp-tant dix sections en 1920 (Monthey, Saint-Maurice, Marti-gny, Sion, Sierre, Loèche, Viège, Glis, Naters et Brigue). Aux lendemains de la grève générale, de nouveaux jour-naux chargés d’être les porte-drapeaux du mouvement socialiste dans chacune des régions linguistiques du canton sont également créés : L’Avenir (1920-1923) bas-valaisan et le Walliser Volkszeitung (1920-1923) de Karl Dellberg, qui est publié à Berne. L’année 1923 marque cependant de nouveau l’échec de ces deux tentatives parallèles. Clovis Pignat tente ensuite de faire revivre Le

Falot entre 1925 et 1927, sans plus de succès. L’essai le

plus concluant de la période reste Le Peuple valaisan, qui paraît une fois, puis deux fois, puis de nouveau une fois par semaine entre 1927 et 1936, sous la direction d’Alexandre Walter.

L’ère qui s’ouvre en 1936 pour la presse de gauche peut être qualifiée de période noire : il faut attendre les années 1950 pour qu’une feuille socialiste francophone refasse son apparition, voire les années 1970 pour retrouver un tel journal dans la partie haute du canton. Le seul périodique socialiste valaisan actif durant la phase temporelle qui nous intéresse est donc Le Peuple valaisan, qui s’éteint en 1936. Il est ainsi difficile de parler d’un réel regard de la presse de gauche valaisanne sur le national-socialisme pour l’ensem-ble de la période, même si la fail’ensem-blesse des effectifs du parti socialiste cantonal permet d’expliquer partiellement ce vide à partir de 1936.

29LUGON2008, p. 293.

Figure de la presse socialiste valaisanne et Haut-Valaisan d’origine (Grächen), Alexandre Walter devient secrétaire de la section sierroise de la FTMH (Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie, aujourd’hui intégrée au syn-dicat Unia) en 1920. Député socialiste au Grand Conseil de 1929 à 1933, puis de 1945 à 1949, il prend une part très active à l’élaboration de la loi sur le travail de 193329.

Rédac-teur en chef du Peuple valaisan de 1927 à 1936, soit durant la totalité de la première période d’activité de ce dernier, il col-labore de nouveau au journal lorsque celui-ci est refondé en 1953. De 1925 à 1927, il participe également à la rédaction du Falot.

Ses analyses portant sur l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche sont souvent marquées d’un assez fort dogmatisme marxiste.

(15)

LE GROUPE FASCISANT

La première feuille valaisanne ouvertement « fasciste » est

Le Pilon, entre décembre 1933 et avril 1934. Publié par le

Front valaisan, qui se voit forcé d’intégrer la Fédération fas-ciste suisse (FFS) en 1934 (en grande partie à cause du défi-cit de ses finances creusé justement par la publication à perte du Pilon), le mensuel ne survit pas au groupement politique qui le portait à bout de bras. Jusqu’à la naissance du Courrier du Valais, en mai 1935, le fascisme à la valai-sanne ne parvient plus à se faire entendre au niveau de la presse, du moins officiellement.

Avant l’intégration du Front au sein de la FFS, le rédacteur du Courrier de Sion Adolphe Sauthier, aussi corédacteur du manifeste marquant la naissance du mouvement, se contente de signifier très discrètement la sympathie que lui inspire le Front valaisan, sans pour autant rompre formel-lement avec le conservatisme. L’intégration du Front valai-san au sein du mouvement du colonel Fonjallaz en 1934 marque d’ailleurs la rupture définitive entre Adolphe Sau-thier et le frontisme valaisan. On peut dès lors s’aligner sur la position défendue par Roger Joseph et classer le Courrier

de Sion dans le groupe conservateur. Même s’il est clair

qu’Adolphe Sauthier est tenté par la voie frontiste (son engagement au sein du Front suffit à le prouver), son jour-nal peut encore être considéré comme l’expression d’une voix, certes parfois discordante, mais dans l’ensemble fidèle au conservatisme30.

A l’inverse, le rachat du Courrier de Sion et son changement de nom (Courrier du Valais) en 1935 marque l’entrée du périodique dans la sphère fascisante, et ce jusqu’à sa revente en 1937. Le Courrier du Valais revendique le quali-ficatif d’« organe officiel de l’UNV » et doit ainsi être claire-ment rattaché au bloc fascisant. Cela explique que le

Cour-rier de Sion et le CourCour-rier du Valais n’apparaissent pas dans

le même groupe au sein de ce travail, bien que l’un soit le successeur direct de l’autre.

La revente finale du Courrier du Valais à la Feuille d’avis par Léopold Rey signe la neutralisation du titre, alors que la création de la Tribune valaisanne en janvier 1937 marque la naissance du dernier avatar de la presse frontiste cantonale. Avec sa disparition au mois de mai de la même année, le groupe fascisant se retire définitivement de la scène jour-nalistique valaisanne.

30JOSEPH1977, p. 146.

Entre l’été 1933 et la fin de 1934, deux thèmes récurrents occupent les colonnes des rubriques internationales des jour-naux valaisans : la question des relations austro-allemandes et celle du sort réservé aux catholiques allemands. Les rap-ports entre l’Allemagne de Hitler et l’Autriche de Dollfuss font couler beaucoup d’encre, les fronts se constituant assez rapidement en faveur de la seconde face à la première. Ce

LA QUESTION CATHOLIQUE ALLEMANDE

choix est précisément dicté par la question catholique alle-mande, et plus spécialement par la lutte entreprise par le régime national-socialiste contre l’Eglise allemande et son bras politique, le Zentrum. C’est donc en grande partie en réaction à cette persécution de l’Eglise catholique par le gouvernement nazi que les sympathies de nombre d’édito-rialistes catholiques-conservateurs valaisans se tournent

(16)

vers l’Autriche autoritaire, grâce notamment à la coloration chrétienne-sociale fortement marquée du régime que le chancelier Dollfuss s’efforce de mettre en place.

Au-delà de cette argumentation, peu apte à expliquer le positionnement d’une presse d’opposition pour qui l’orien-tation catholique et autoritaire du régime autrichien serait considérée plus comme une cible de critique que comme un sujet de louange, la presse valaisanne dans son ensem-ble ne peut s’empêcher d’inscrire la question austro-alle-mande dans un contexte plus large et se retenir de soutenir le petit Etat face à la grande puissance, tant il apparaît clai-rement qu’un éventuel Anschluss pourrait n’être que le prélude à une annexion pure et simple de la Suisse par l’Al-lemagne nazie.

La question catholique allemande, quant à elle, concerne évidemment au premier chef la presse catholique-conserva-trice. Les libéraux-radicaux et les socialistes n’ont que peu d’intérêt à soutenir la cause des catholiques allemands, si ce n’est au nom de grands principes libéraux, démocratiques, égalitaristes ou simplement humanistes. A l’inverse, la presse conservatrice s’intéresse à la minorité catholique allemande en tant qu’entité confessionnelle, en tant que « corps » (au sens qu’on donnait à ce terme sous l’Ancien Régime) au sein de la société allemande, et non en tant que groupe de citoyens noyé dans l’ensemble d’une population allemande constituée avant tout d’individus égaux en droit. Le point de vue est donc, à n’en point douter, foncièrement différent.

DE L’EXPECTATIVE À LA DÉNONCIATION DE LA POLITIQUE ANTICATHOLIQUE DU REICH Au sein de la presse catholique-conservatrice valaisanne, on perçoit très vite que les catholiques allemands consti-tuent une force politique réelle, et qu’ils devront tôt ou tard prendre position face au régime qui se met en place. Au

printemps 1933, la lutte entreprise par le national-socia-lisme contre le communisme et la social-démocratie appa-raît encore aux journaux catholiques valaisans comme un point sur lequel le nouveau régime allemand et le Zentrum de Mgr Kaas pourraient travailler de concert. La première phase est marquée par l’espoir que Hitler tende la main aux catholiques allemands dans la tâche de rénovation natio-nale qu’il entreprend. A La Patrie valaisanne, on affirme déjà que « Hitler […] souhaite visiblement l’appui des catholiques et maintes de ses déclarations le laissent claire-ment entendre »31.

Si le nouveau gouvernement fait effectivement des appels du pied aux catholiques du Zentrum, c’est qu’il en a besoin : « Le chancelier soucieux de s’assurer la majorité indispensable des 2/3 au Reichstag pour mener à bien sa réforme constitutionnelle, cherche à se rapprocher du Centre […] Car le catholicisme reste une force, et Hitler est trop intelligent pour ne pas s’en rendre compte. »32Entre cette force et le nouveau régime, on ne peut envisager que deux types de relations : la collaboration ou la confronta-tion. Dans un premier temps, la presse catholique-conser-vatrice pense que le premier terme de l’alternative est encore envisageable.

A l’instar de La Patrie valaisanne, le Nouvelliste considère d’emblée comme possible un travail constructif du Zen-trum avec le nouveau gouvernement. Il relève que « le parti du Centre, qui n’a nullement refusé, en principe, de tolérer le gouvernement de Hitler, est prêt à lui accorder son appui ». Charles Haegler, à la différence de La Patrie

valai-sanne, nuance toutefois rapidement son propos et souhaite

« que le Centre ne se berce pas d’illusions »33.

L’attribution des pleins pouvoirs à Hitler, le 23 mars 1933 à Potsdam, change la donne. Si, comme le relève Richard J. Evans, le gouvernement avait encore besoin du soutien du parti du centre avant cette date, ne serait-ce que pour

31La Patrie valaisanne, 4 mars 1933. 32Idem, 21 mars 1933.

(17)

obtenir la fameuse majorité des deux tiers au Reichstag nécessaire à toute modification constitutionnelle, la situa-tion se modifie radicalement une fois ces pleins pouvoirs obtenus. Déjà en butte aux « persécutions croissantes dont les catholiques, leurs représentants politiques, leurs jour-naux, leurs porte-parole et leurs fonctionnaires locaux étaient victimes depuis la mi-février », le Zentrum « cher-chait activement à obtenir des garanties de la survie de l’Eglise ». Une fois ces « garanties » obtenues, les députés du centre catholique se résignèrent à « soutenir la loi des pleins pouvoirs, même si à long terme, cette dernière ne pouvait aboutir qu’à leur mort politique »34.

Si en votant les pleins pouvoirs le centre catholique ne fait, pour Adolphe Sauthier (Courrier de Sion), que « se rallier à la politique [de Hitler] »35, il apparaît cependant clairement que le Zentrum perd toute forme d’importance politique après ce « ralliement ». Le nouveau régime n’a plus besoin de ses voix au Reichstag, puisqu’il peut désormais légiférer sans avoir à se soucier du parlement. Le centre catholique est dès lors, comme le résume Richard J. Evans, bel et bien politiquement mort. C’est d’ailleurs ainsi que Charles Saint-Maurice comprend la situation, lorsqu’il écrit quelques mois plus tard que « le régime hitlérien [a anéanti] le parti du Centre, qui avait été depuis soixante ans l’appui le plus solide du catholicisme en Allemagne »36. Dès lors, la presse valaisanne ne s’intéresse plus au Zen-trum en tant que parti politique, mais, d’une part, aux catholiques allemands en tant que groupe social et confes-sionnel confronté à un régime qui leur est de plus en plus hostile, et, d’autre part, à l’Eglise catholique allemande et à son clergé en tant qu’institution.

A la fin du mois de mars, le manifeste publié à la suite de la conférence épiscopale de Fulda (présidée par l’archevêque

de Fribourg-en-Brisgau, MgrGröber) attire tout particuliè-rement l’attention de La Patrie valaisanne et du Courrier de

Sion. Cette conférence voit en effet l’épiscopat allemand

lever les mesures d’interdiction (excommunication) prises à l’encontre de certains membres ou cadres du parti nazi et peut être interprétée comme une manière, pour l’Eglise catholique allemande, de lâcher du lest face au gouverne-ment. La Patrie valaisanne résume ainsi le contenu de ce manifeste : « La conférence épiscopale de Fulda vient de lever les interdictions par lesquelles le clergé catholique de certains diocèses allemands avait soit excommunié les hit-lériens de ces diocèses, soit interdit aux groupes en uniforme de pénétrer dans les Eglises. La conférence épis -copale explique sa décision en rappelant que le chancelier Hitler a déclaré au Reichstag que son gouvernement res-pecterait les droits de l’Eglise et les concordats passés avec celle-ci par les Etats allemands. Elle rappelle aux catho-liques allemands qu’ils doivent rester fidèles à l’autorité légitime et accomplir leurs devoirs civiques en évitant des attitudes illégales ou subversives. Les évêques invitent éga-lement les associations catholiques à s’abstenir dans les églises et dans l’exercice des fonctions ecclésiastiques de toute démonstration politique de nature à irriter. »37 Pour la presse catholique conservatrice valaisanne, il convient simplement d’espérer que cette volonté de l’Eglise allemande de se tenir à l’écart de l’arène politique, de faire sienne la doctrine paulinienne de l’obéissance à l’autorité civile et de ne pas s’opposer ouvertement à Hitler sera suf-fisante à lui garantir la neutralité, sinon la bienveillance du régime nazi. Pour La Patrie valaisanne, « il faut souhaiter […] que le nouveau régime n’entre en aucune mesure dans les vues de ceux qui voudraient le voir limiter les droits de l’Eglise »38. Quelques semaines plus tard, la rédaction semble

34EVANS2009, t. 1, pp. 426-427. 35Courrier de Sion, 31 mars 1933. 36Nouvelliste valaisan, 21 juillet 1933.

37Courrier de Sion, 21 mars 1933. 38La Patrie valaisanne, 1eravril 1933.

(18)

pourtant déjà abandonner cet espoir, lorsqu’elle constate que Hitler est intervenu pour annuler la nomination d’un dignitaire protestant, et qu’elle réalise qu’il se pourrait tout à fait que le dictateur se décide à agir de façon comparable à l’égard de l’Eglise catholique allemande : « La lutte com-mence entre les pouvoirs civil et religieux. Le catholicisme sera-t-il à l’abri de la tourmente ? On peut en douter. »39 Début juillet, La Patrie valaisanne rapporte l’épisode de la mise en résidence surveillée de l’archevêque de Munich, le cardinal Faulhaber, et la décision de Hitler de surseoir fina-lement à l’arrestation du prélat, alors qu’une arrestation similaire aurait menacé l’ancien chancelier Brüning (Zen-trum)40. La mise en résidence surveillée de l’archevêque de Munich, relevée également par le Courrier de Sion, marque tout aussi profondément Charles Haegler, qui se dit « natu-rellement fort ému » par « les violences qui, à Munich et ail-leurs, [semblent] annoncer un nouveau Kulturkampf plus brutal et plus dangereux encore que celui de Bismarck »41. C’est dans ce contexte d’inquiétude croissante pour le sort des catholiques allemands que tombe, le 20 juillet, l’annonce de la signature d’un concordat entre le Vatican et l’Allemagne nazie42. Cette nouvelle est accueillie avec espoir et soulage-ment par la presse catholique-conservatrice valaisanne.

LA RÉACTION FACE AU CONCORDAT ET À LA FIN DU ZENTRUM

L’annonce de la conclusion du concordat entre le Saint-Siège et le Reich est saluée par l’ensemble des journaux conservateurs valaisans, même si tous ne font pas preuve

du même enthousiasme que La Patrie valaisanne. L’organe du parti conservateur souligne : « Toutes [les] dispositions [du concordat] sont excellentes et assurent à la religion catholique des biens inestimables et une situation qu’elle ne possédait pas auparavant », ajoutant que « ceux qui ont voulu voir dans l’attitude de Rome vis-à-vis de Hitler une capitulation doivent se rendre compte aujourd’hui de leur erreur », et que ce concordat « est une victoire pour cette Eglise à laquelle nous sommes légitimement fiers d’appar-tenir »43. Le Nouvelliste reconnaît que le concordat entre l’Allemagne et le Vatican constitue une avancée, mais il se limite, pour sa part, à relever que Rome a trouvé « le moyen de tenter le sauvetage de l’essentiel »44, formule moins opti-miste, on en conviendra. Quant au Courrier de Sion, il relève qu’« un concordat vaut surtout par la façon dont il est appliqué », rappelant qu’« on a vu, par exemple, au len-demain du Traité de Latran, le pape Pie XI protester solen-nellement contre l’interprétation donné [sic] par Mussolini à certains articles de l’accord ». Un certain scepticisme est donc de mise au Courrier, même si on y reconnaît finale-ment que, « somme toute, voilà un excellent concordat », à condition bien sûr qu’il soit appliqué « dans son esprit et à la lettre »45.

Si Charles Saint-Maurice reste sur la réserve lorsqu’il publie la nouvelle de la signature du concordat, il se reprend quelques jours plus tard – après une lecture attentive des clauses publiées du traité – pour afficher un enthousiasme mêlé d’un rien d’angélisme plus conforme à la ligne de son journal. Il commence par relever qu’avec les concordats (que ce soit celui signé au Latran avec l’Italie mussolinienne

39La Patrie valaisanne, 22 juin 1933. 40Idem, 8 juillet 1933.

41Nouvelliste valaisan, 21 juillet 1933.

42Des concordats existaient déjà entre le Vatican et certains Etats allemands, datant de la période républicaine (concordat avec la Bavière du 29 mars 1924, concordat avec la Prusse du 24 juin 1929, concordat avec le Pays de Bade du 12 décembre 1932). Un tel traité

au niveau fédéral n’avait pourtant jamais vu le jour, le président du Reich Friedrich Ebert s’étant opposé à la création de toute Eglise d’Etat ou de statut comparable.

43La Patrie valaisanne, 25 juillet 1933. 44Nouvelliste valaisan, 21 juillet 1933. 45Courrier de Sion, 28 juillet 1933.

(19)

quelques années plus tôt ou celui négocié avec le Reich hit-lérien), on se trouve face à des « réalités consolantes », et non face à des « parlottes » finissant « toutes en queue de poisson », à l’instar des différentes conférences internatio-nales fleurissant un peu partout46. Le concordat est donc considéré comme une réalité tangible aux effets visibles. De plus, si le 21 juillet Charles Haegler ne parle encore que d’une tentative de « sauvetage de l’essentiel », le discours change profondément six jours plus tard : « Nous ne voyons même, dans le dernier Concordat, aucune restric-tion à la liberté de l’Eglise. Le catholicisme est reconnu comme une des religions officielles, reconnu au point que les clercs échappent aux charges publiques, pourront désormais circuler librement en soutane et seront protégés par l’Etat. Dans le statut juridique, tout ce qui nous est pré-cieux : enseignement du catéchisme, écoles, mariages religieux, services d’aumônerie et œuvres ont reçu une garantie si large et si complète que nous, vieux Suisses, pourrions l’envier. »47

En cette fin de juillet 1933, tout semble donc être pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles pour Charles Haegler. Sans être aussi positif que son confrère, Alexandre Ghika relève cependant, dans les colonnes de la Feuille

d’avis, l’effet modérateur que le concordat aura sur la

poli-tique hitlérienne à l’égard de la communauté catholique et de l’Eglise allemande : « C’est là, très certainement, un acte d’une haute importance, non seulement par le fait de son contenu, mais aussi par la façon dont il dénote très claire-ment que grâce surtout à l’influence incontestable du vice-chancelier von Papen, le vice-chancelier Hitler s’efforce désor-mais de modérer la violence intempestive et dangereuse des éléments turbulents du parti national-socialiste. »48

Loin de s’intéresser exclusivement à la condition des catho-liques allemands (et se différenciant par là de ses confrères conservateurs), Alexandre Ghika cherche à voir dans quelle mesure le concordat, en mettant théoriquement fin aux discriminations à l’égard des catholiques, peut être bénéfique à l’ensemble du peuple allemand, rétablissant une situation intérieure calme « dont le peuple allemand a tant besoin ». Il va même plus loin, en présentant le concor-dat comme la reconnaissance du régime hitlérien « par la plus haute autorité morale du monde », à tel point qu’« aucun scrupule religieux ne pourra plus éloigner le parti, dont M. Bruning [sic] est le chef, de se rallier au parti dirigé par M. Hitler, si bien que l’on ne peut pas dire à notre avis que le chancelier a réussi à lui enlever toute force poli-tique »49.

Alexandre Ghika voit donc dans le concordat une victoire de politique intérieure pour les catholiques allemands. Non qu’il soit le défenseur acharné de la cause catholique et qu’il veuille à tout prix voir le Zentrum au pouvoir, mais parce qu’il pense que si ce dernier participe activement au gouvernement, il pourra exercer une influence modératrice tant sur Hitler que sur la frange la plus extrémiste du parti national-socialiste, et ce pour le plus grand bien de l’Alle-magne et de l’Europe. Pour le rédacteur de la Feuille d’avis, le concordat permet d’élargir la participation à l’exécutif, de réunir l’Allemagne derrière un cabinet plus représentatif des divers courants politiques qui la composent, et de met-tre ainsi un terme à la dérive dictatoriale et extrémiste qui se dessine et que Hitler, selon lui et selon une opinion répandue dans certains milieux, même allemands50, subit plus qu’il ne la dirige. Alexandre Ghika ne paraît pas s’aper-cevoir que, de jure, le concordat négocié avec le Vatican

46Nouvelliste valaisan, 27 juillet 1933. 47Ibidem.

48Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion, 15 juillet 1933. 49Ibidem.

50Cette opinion est notamment répandue du côté de la résistance civile allemande, et en particulier dans l’entourage de Carl Friedrich Goerdeler, persuadé jusqu’à la toute fin qu’un débat contradictoire avec Hitler suffirait à ramener ce dernier à la réalité et à lui faire abandonner la politique mise en œuvre depuis 1933. FEST2009, pp. 252-275.

(20)

engage un tout autre processus, puisqu’il entérine formel-lement la fin de toute participation des catholiques au jeu politique.

La Patrie et le Courrier sont de leur côté bien plus critiques

que le Nouvelliste valaisan, qui ne voit que les effets positifs du concordat pour les catholiques allemands en tant que communauté, et que le Journal et feuille d’avis du Valais et de

Sion, qui ne voit dans le traité que le moyen pour

l’Alle-magne d’une réconciliation nationale et d’une participa-tion active du centre catholique au nouveau régime. Les deux journaux relèvent tout particulièrement un point qui semble échapper à Charles Haegler et à Alexandre Ghika : l’une des significations du concordat est la disparition for-melle et définitive du Zentrum en tant qu’entité politique (même si son rôle effectif, depuis le vote de la loi des pleins pouvoirs, se réduit comme peau de chagrin). La Patrie

valaisanne semble pourtant se faire assez facilement à l’idée

de cette disparition du parti du centre : « Appliqué avec bonne foi, le concordat assure ainsi à l’Eglise catholique une situation qu’elle n’avait pas alors que le parti du Centre jouait un rôle important dans la politique allemande. Sa disparition s’explique d’ailleurs, un parti politique n’ayant de rôle effectif que dans un pays parlementaire où divers partis se partagent le pouvoir. Dans un Etat comme l’Alle-magne hitlérienne, la notion même de parti est superflue. Le Centre a été nécessaire et utile dans l’Allemagne d’avant 1933. Son histoire est belle et héroïque. Autres temps, autres nécessités. »51

Un attachement tout relatif au parlementarisme permet visi-blement à La Patrie de Charles Allet de ne pas verser trop de larmes sur la dépouille du défunt Zentrum, cette disparition étant compensée par un concordat qui, si sa lettre est respec-tée, garantit les droits et libertés de l’Eglise catholique allemande, à condition toutefois que celle-ci renonce, comme le relève le Courrier de Sion, à « s’occuper de politique

et de partis »52. Le Courrier de Sion reste d’ailleurs plus dubi-tatif que La Patrie quant à la nouvelle situation qui voit le bras politique du catholicisme allemand disparaître de la scène publique en vertu de l’article 32 du concordat nou-vellement signé (que Sauthier cite d’ailleurs in extenso).

Pour Adolphe Sauthier, « ce qui résiste à tout dans l’Eglise », c’est « la doctrine et le dogme religieux », et non « son influence politique ». L’article 32 vise d’ailleurs un but précis, et le rédacteur du Courrier de Sion n’est pas sans l’avoir compris. A l’été 1933, au moment où le Zentrum disparaît, son président est un prélat catholique et le parti représente véritablement le prolongement politique de la puissance de l’Eglise catholique allemande : « Alors dirigé

En raison des actuelles circonstances particulières de l’Alle-magne et en considération des garanties créées par les

dis-positions du présent Concordat, d’une législation qui sau-vegarde les droits et les libertés de l’Eglise catholique dans

le Reich et dans ses Etats, le Saint-Siège édictera des

disposi-tions excluant pour les ecclésiastiques et religieux l’appar-tenance aux partis politiques et leur activité à cet égard.

Cela signifie en bon français que le gouvernement de Hitler garantit les droits et les libertés de l’Eglise catholique, mais en retour le Saint-Siège défendra au clergé de s’occuper de poli-tique et de partis. Il y a là de quoi ameuter les esprits surchauf-fés soit dans le parti hitlérien où certains fanatiques désire-raient anéantir le catholicisme, soit parmi les membres de l’ancien parti du Centre qui se sont toujours considérés comme les piliers et les mainteneurs de la religion. A ces der-niers, auxquels on avait appris l’art de la politique et les avan-tages à en tirer pour le prestige de la religion, il peut paraître dur de ne pas entrevoir d’autre issue que la disparition de la scène politique. Ils devront s’incliner et méditer sur la fragilité des puissances humaines. (Courrier de Sion, 28 juillet 1933)

51La Patrie valaisanne, 25 juillet 1933. 52Courrier de Sion, 28 juillet 1933.

Références

Documents relatifs

On s'interrogera sur la manière et sur les conditions dont les films allemands ont été reçus et analysés entre 1921 – date de la première projection d'un film allemand en France 15

Pour simuler le transport de nitrates dans l’eau souterraine de la partie Sud de la plaine de Chemora et suivre l’évolution de cette pollution dans le temps et

1- Fill the blanks with synonyms of the underlined items as used in the contexts. Write each item in the space provided. a) Pele was an extremely talented Brazilian footballer: ……….

Fill in the blank with the appropriate demonstrative pronoun: celui, celle, ceux, celles, cela. Tammy : Les admiratrices (female admirers) de Tex sont nombreuses, ________ de Corey

Dans cette première partie, nous exposerons sous forme de graphiques les variations individuelles (de chacun des 13 yeux) pour la pression intraoculaire et l'ouverture de

Pour reprendre deux des grandes orientations sémantiques mises au jour par Antoine Prost, ces vers sont à la fois patriotiques, ne serait-ce que parce que le mot patrie est à la

Lorsque le bilan porte sur les émissions et sur les absorptions anthropiques de gaz à effet de serre, on mesure l’empreinte en gaz à effet de serre (abrégée en empreinte GES) et

(Charles Allet).. «SIE HABEN DIE RECHNUNG OHNE DEN WIRT GEMACHT!»138 Les arguments économiques représentent à eux seuls plus de 40% des idées émises à propos de cette