• Aucun résultat trouvé

LA TENTATION FASCISANTE

LA TRIBUNE VALAISANNE, OU LE CHANT DU CYGNE DE LA PRESSE D’EXTRÊME DROITE ANTISÉMITE

DANS LE VALAIS DES ANNÉES 1930

Dans un premier éditorial à la rhétorique alambiquée, Léopold Rey s’efforce d’expliquer à ses lecteurs que les combats de la Tribune valaisanne – Journal politique, d’in-

formations et agricole seront les mêmes que ceux du Cour- rier du Valais lorsqu’il en était le propriétaire et rédacteur

en chef. Se définissant avant tout comme un « journaliste indépendant », Léopold Rey souligne à quel point la défense de cette indépendance est, en Valais, « une colos- sale et coûteuse besogne » qui constitue cependant le fil rouge de son engagement, du Courrier à la Tribune : « Nous avons sauvé et sauverons encore ce bel emblême [sic] de l’indépendance que trop de nos journalistes ont abandonné à leurs ennemis ou à leurs propres amis sans ou presque sans combattre. »244 Cette indépendance si

243Tribune valaisanne, 6 janvier 1937. 244Ibidem.

« Genève se brouille avec le Japon, coupable de vouloir abat- tre le bolchévisme, puis elle laisse partir l’Allemagne et ouvre ses portes aux assassins qui ont trahi à Brest-Likowsk [sic] la cause des alliés par le jeu d’un traité dont l’abjection est unique dans les annales de l’humanité. A peine l’armée ita- lienne a-t-elle commencé ses opérations en Ethiopie, après de longs et publics préparatifs, que les cuirassés de la Home- Fleet, ceux-là même qui ont combattu au Jutland, accourent de l’Atlantique et du Pacifique et se groupent face à l’ancienne alliée. Ce sont des sanctions économiques dressées contre les anciens camarades combattants, contre les veuves et les orphelins de la grande guerre et cela pour l’impérissable gloire du dernier empereur négrichon. Dans l’immense pétaudière de Genève, les francs-maçons et les Juifs interna- tionaux ne servent pas la cause de la paix mais, grassement rétribués par les nations, ils préparent et tracent les plans des révolutions, de la lutte contre la chrétienté. Il faudrait une fois en finir avec cette ruinante [sic] Société des Négrichons. » (Courrier du Valais, 6 novembre 1936)

âprement revendiquée n’est pas un vain mot, du moins au point de vue maté- riel : Léopold Rey finance son journal uniquement à l’aide de fonds propres. Les montants générés par des rentrées publicitaires minimes (au regard du nombre fort réduit d’encarts relevés) sont totalement insuffisants à assurer l’existence d’un trihebdomadaire, et le tirage confidentiel du journal, au-des- sous du millier d’exemplaires durant toute sa période d’activité, ne peut pas non plus garantir les revenus indispen- sables à la simple survie du titre. Ce qui explique sans doute qu’après quatre mois de diffusion plus ou moins à perte, Léopold Rey (qui dit dès janvier « savoir à quel prix il a sauvé son idéal »245) est forcé de jeter l’éponge.

Défilé de carnaval, char de la SDN, Sion, 1935.

(Raymond Schmid, Bourgeoisie de Sion, Médiathèque Valais - Martigny)

(Tribune valaisanne, 8 janvier 1937)

Toujours est-il que ce sont cette indépen- dance et cette incorruptibilité si ferme- ment revendiquées qui formeront la constante sous-tendant l’engagement antisémite, antimaçonnique, antiparle- mentaire et antimarxiste de la Tribune : « En créant la Tribune valaisanne, ce n’est pas une page qui se tourne, c’est simple- ment la page présente qui s’écrit avec une encre limpide et propre »246, indique Léopold Rey dans son éditorial-pro- gramme. Rien ne l’arrête, lorsqu’il s’agit de mettre en exergue la probité dont il se réclame. Cette idée de probité se retrouve également dans le dernier numéro à paraître au mois de mai 1937 : « Nous avons toujours combattu pour une cause juste et sacrée ; […] nous savons que seule la besogne accomplie sous l’éten- dard de l’indépendance est utile au peu-

ple et à la nation. » Dans une langue toujours aussi créative, et en recourant à des structures syntaxiques labyrinthiques dans lesquelles il paraît se perdre lui-même, Léopold Rey ajoute que « ce n’est point par la quantité ainsi qu’une feuille volante que l’on distribue à tous vents que le journaliste accomplit une bonne besogne ; c’est au contraire par la qua- lité, c’est-à-dire par l’indépendance dont il jouit, par le cou- rage qui l’anime que le journaliste fait ce que l’on appelle de la belle ouvrage »247. Au-delà des incongruités structurelles du discours, le message est clair : Léopold Rey se considère comme le seul journaliste de tout le canton à ne pas avoir

été acheté « par de trop intéressés gros annonceurs »248. Au niveau du contenu politique, on retrouve à la Tribune les mêmes thématiques qu’au Courrier. La seule réelle diffé- rence tient au fait que le discours se radicalise encore, en particulier en ce qui concerne l’anticommunisme et, sur- tout, l’antisémitisme. Les théories conspirationnistes sont évoquées au minimum une fois par semaine, afin d’attirer l’attention d’un lectorat déjà convaincu sur l’imminence de l’avènement du « règne de l’Antéchrist »249. Sous le titre transparent « Parisalem », l’écrivain et journaliste français Lucien Pemjean250 (le contact avec Léopold Rey est établi

Le titre du journal change, mais les thèmes évoqués restent assurément les mêmes qu’au Courrier du Valais. (Tribune valaisanne, 12 mars 1937)

246Tribune valaisanne, 6 janvier 1937. 247Idem, 7 mai 1937.

248Ibidem.

249Tribune valaisanne, 8 janvier 1937.

250Issu du socialisme de tendance anarchiste, Pemjean (1861-1945) devient un proche d’Edouard Drumont au moment de l’affaire Dreyfus. Bien qu’âgé (il a plus de soixante-dix ans), il demeure actif sur

le plan littéraire et journalistique durant l’entre-deux-guerres, publiant notamment plusieurs pamphlets et articles marqués par un antisémitisme et un antimaçonnisme virulents. Compromis avec Vichy, il est emprisonné par les FFI à la fin de l’année 1944 pour faits de collaboration et décède en janvier de l’année suivante. Pour plus de détails, voir SCHOR2005, p. 33 et passim.

vraisemblablement une fois encore par le biais d’Oltramare) déverse dans un long article sa bile antisémite en des termes peu équivoques qu’on ne rencontrait pas (encore) au Courrier du Valais. Après s’être attaqué au cabinet Blum dans son entier, Lucien Pemjean embraye sur une description alarmiste de la situation de la France en général : « Voilà pour la tête de l’Etat Français. Jugez du tronc et des membres où pullule et grouille toute cette vermine de Palestine, sans compter la pouillerie des Loges maçonniques ! Car toutes nos institutions, toutes nos administrations, toutes nos carrières, et surtout tous nos postes de commande sont envahis par cette peste qui nous a peu à peu rongés et empoisonnés au point que nous sommes incapables non seulement de réagir contre elle, mais même de nous rendre compte que nous en sommes infectés. »251

Mais Léopold Rey n’est pour sa part pas en reste, lorsqu’il accuse le Confédéré d’être « anticlérical, pro-juif et pro- maçonnique » et la pourtant bien neutre

Feuille d’avis de voler, dès qu’elle en a

l’occasion, « au secours de la juiverie antichrétienne et accapareuse de toute l’industrie et de tout le commerce »252, ou lorsqu’il chante les louanges de la race aryenne, cette « race blanche in

excelsis, c’est-à-dire le type d’humanité le

plus parfait qui se soit encore manifesté sur cette terre »253.

Au dire de Léopold Rey, l’internationale juive trouverait des relais jusqu’en Valais, au Journal et feuille d’avis du Valais et de Sion. (Tribune valaisanne, 22 janvier 1937)

251 Tribune valaisanne, 18 janvier 1937. 252 Idem, 22 janvier 1937.

Le discours se poursuit sur ce ton jusqu’à la disparition du périodique, le 7 mai 1937. Léopold Rey annonce à ce moment-là que, « n’en déplaise à certains politiciens à la solde de la judéo-maçonnerie, la Tribune valaisanne conti- nuera à paraître »254. Le but est dans un premier temps de passer simplement d’une fréquence de parution trihebdo- madaire à un rythme bimensuel, et ce seulement pour la période estivale. Mais aucun des numéros prévus selon le nouveau plan d’édition ne verra le jour, et les rodomon- tades va-t-en-guerre flétrissant la « juiverie » et appelant à l’unité du peuple qui fleurissent dans les derniers exem- plaires de la Tribune valaisanne ne sont qu’un chant du cygne : le journal ne paraîtra plus, sans

que ses lecteurs n’en eussent jamais été avertis, et les voix de l’UNV et du fron- tisme à la valaisanne devront, pour se faire entendre, trouver d’autres moyens que ceux que leur offrait la presse.

LÉOPOLD REY ET LA QUESTION