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LA TENTATION FASCISANTE

L’ALLIANCE AVEC L’UNION NATIONALE FRIBOURGEOISE

Les deux derniers numéros du Pilon (no4 et no5) sont mar- qués par un important changement : le journal est édité conjointement à Fribourg et à Sion. Le Front valaisan s’allie pour l’occasion à l’Union nationale fribourgeoise (UNF), groupuscule créé en 1933 par le DrRobert Bise et n’ayant eu « qu’une existence effacée et un programme fort vague »205

202 Le Pilon, no3, février 1934.

203 Ibidem.

204 Ibidem.

avant d’être remplacé en 1936 par le Cercle fédéraliste, un « groupe d’étude à tendance maurrassienne » porté par les figures de François Beaud et du journaliste Paul de Sury206. L’éditorial du no4 est consacré à un manifeste de l’UNF, de tonalité tout autre que celui du Front valaisan dans le no1. Tout d’abord, aucune orientation antisémite ou antimaçon- nique n’est perceptible, et le discours, moins agressif, plus pondéré, se fait plus argumentatif que polémique. Ensuite, le marxisme comme le fascisme et le nazisme sont repous- sés, mais cette fois non sur la base de principes antisémites plus ou moins assumés, mais au nom de principes chré- tiens et humanistes (ou présentés comme tels). Enfin, on retrouve la volonté décentralisatrice et (con-)fédéraliste de même que l’orientation corporatiste déjà présentes chez les frontistes valaisans. Si les buts poursuivis sont sensible- ment les mêmes, la dimension antisémite fait clairement défaut (du moins dans ce manifeste), ce qui permet à l’UNF de rejeter le modèle hitlérien plus clairement que ne le font les frontistes valaisans, attirés malgré eux par l’antisémi- tisme revendiqué et mis en œuvre par les nazis. De fait, il est intéressant de constater que la fameuse rubrique « Les fidèles du Talmud » disparaît du no 4, de même que presque toute allusion antisémite207. De là à croire que les frontistes valaisans ont dû mettre un peu d’eau dans leur vin pour être au diapason de leurs nouveaux alliés fribour- geois, il n’y a qu’un pas…

Pour percevoir plus clairement la différence réelle de ton entre le discours frontiste valaisan et celui de l’UNF, le meil- leur moyen est de comparer les positions respectives des deux mouvements face au modèle national-socialiste alle- mand. On a déjà tenté de faire ressortir ci-dessus les grandes lignes de la position ambiguë et contradictoire du Front valaisan sur ce point : le seul élément positif du

nazisme est son antisémitisme avéré, qui n’empêche toute- fois pas Hitler d’être non seulement un ennemi de la reli- gion catholique, mais bien un jouet de la « Juiverie » elle- même. A l’UNF, la position face au IIIeReich est plus claire : elle est mise en parallèle avec la position face au modèle soviétique, dans une optique de rejet sans concession des extrêmes, au profit d’un corporatisme avant tout chrétien.

« La liberté et l’autonomie de la personne humaine dans ce qu’elle a d’essentiel » : sortie de son contexte, cette phrase pourrait étonner dans un manifeste frontiste. La dimension profondément catholique des mouvements fascisants valai- sans et fribourgeois l’explique pourtant. Les qualificatifs « corporatiste » et « nationaliste » sont assumés, celui de « totalitaire » rejeté. Une ligne de démarcation, floue dans les trois premiers numéros, nette dans les deux derniers (grâce peut-être à l’apport fribourgeois) se dessine entre frontisme (suisse romand et catholique) et fascisme (étranger) :

206FOURADOULAS2007, pp. 128, 137-141. 207On retrouve « seulement » deux allusions antisémites sur l’ensemble du numéro, ce qui tranche nettement par rapport aux exemplaires précédents.

« Notre mouvement […] s’insurge contre la conception libé- rale et marxiste de l’économie de l’Etat. Il repousse la concep- tion fasciste et hitlérienne d’un Etat totalitaire. […] Notre mouvement rejette le marxisme parce qu’il nie la nation au profit d’un internationalisme utopique, parce qu’il affirme que la lutte des classes est une fatalité historique, parce qu’il préconise la dictature d’une classe (le prolétariat), parce qu’il supprime la propriété privée et parce qu’il pousse au paroxisme [sic] la folie de notre siècle, la folie matérialiste. Nous répu- dions l’Etat totalitaire, tel que le conçoivent Mussolini et Hitler, parce qu’il tend à supprimer la liberté et l’autonomie de la personne humaine dans ce qu’elle a d’essentiel, parce qu’il implique un nivellement inquiétant et malsain et une centra- lisation excessive. » (Le Pilon, no4, mars 1934)

« [L’]ordre corporatif dans un Etat national n’a rien de com- mun avec l’Etat totalitaire, qui absorbe les individus, comme les familles, comme les professions. »208 Il est à noter que cette réorientation politique du journal le rapprocherait finalement assez fortement du conservatisme catholique tra- ditionnel, si le maintien de la tendance populiste et antiéta- tiste, de même que la réaffirmation dans le no5 de la ligne antisémite pure et dure, ne garantissaient pas la poursuite de la lutte engagée contre les élites conservatrices valaisannes et leur « régime vermoulu et corrompu »209.

L’opposition intransigeante au régime en place se fait sentir également dans le cinquième et dernier numéro du Pilon, numéro où les commentaires de la votation populaire du 11 mars 1934 (loi sur la protection de l’ordre public) occu- pent la majeure partie de la surface éditoriale. Le refus de cette loi par le peuple suisse est interprété naturellement par les frontistes comme un signe supplémentaire de « la rupture entre le pays légal et le pays réel » et du besoin de renouer avec les « véritables traditions helvétiques, qui sont fédéralistes, chrétiennes et corporatives », quitte à « sortir du cadre de la Constitution démocratique »210.

La place laissée à la politique internationale est, quant à elle, quasi nulle dans ce dernier numéro de l’organe fron- tiste. Cependant, l’appel à la constitution d’un Etat corpo- ratiste et (avant tout) chrétien laisse bien sentir que les positions face au Reich n’ont pas évolué : par son athéisme, l’hitlérisme ne peut inspirer aucune sympathie au mouve- ment frontiste et nationaliste valaisan, qui fait passer avant tout la défense de la religion catholique et de la patrie, deux objets que la montée en puissance de l’Allemagne nazie ne peut au contraire que menacer.

Seul un antisémitisme viscéral rapproche finalement les frontistes valaisans des nationaux-socialistes allemands. Pourtant, nombreux sont les partis, les mouvements ou les Le judéo-bolchevisme selon le Courrier de Sion d’Adolphe Sauthier.

(Courrier de Sion, 13 octobre 1933)

208 Le Pilon, no4, mars 1934.

209 Ibidem.

simples individus qui, dans les années 1930, partagent cette opinion211(certains journaux conservateurs valaisans ont d’ailleurs précédé Le Pilon sur cette voie), à tel point qu’il est impossible de tenter de rapprocher frontisme valaisan et nazisme allemand sur la base d’un si faible indice.

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