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LA TENTATION FASCISANTE

MARGINALE DE CONTESTATION DE L’HÉGÉMONIE CONSERVATRICE

Les deux principaux courants qui tentent de disputer au conservatisme son hégémonie au sein du canton sont la mouvance libérale-radicale, présente essentiellement dans les districts du Bas-Valais (et qui occupe environ un quart des sièges au Grand Conseil), et, de façon plus marginale, le socialisme177.

Défilé de carnaval, l’envers du char « Le commerce », Sion, 1931. (Raymond Schmid, Bourgeoisie de Sion, Médiathèque Valais - Martigny)

177Créé en 1919, le Parti socialiste valaisan atteint son plafond électoral pour la période durant la législature 1929-1933, où il décroche cinq

sièges au législatif cantonal, avant de quitter le Grand Conseil en 1941, à la suite de l’introduction du quorum. ARLETTAZ, ARLETTAZ2002, p. 649.

Les années 1930 voient pourtant apparaître dans le can- ton une contestation d’un autre type : le phénomène fron- tiste. Avant de tenter d’esquisser une définition de ce cou- rant politique en Valais, il convient de rappeler que c’est bien plus son originalité doctrinale (si l’on peut parler de « doctrine » à l’égard d’une mouvance aux limites mal définies et au programme flou) que son importance numérique qui justifie que l’on s’attarde sur le frontisme valaisan. Jamais, en effet, la tendance fascisante qui se des- sine aux marges du conservatisme valaisan ne va exprimer autre chose que la voix d’une fraction ultra-minoritaire. En termes d’effectifs, le Front valaisan ne dépasse pas le demi-millier de membres, ce qui le laisse loin derrière le parti socialiste, pourtant lui aussi minoritaire. Sur la scène politique valaisanne, le frontisme demeure donc au stade de groupuscule sans influence effective, ce qui ne l’em- pêche pas de faire entendre sa voix au sein de la presse cantonale.

Le Front valaisan, de tendance nettement fascisante, est créé en 1933, de même que son organe, Le Pilon. L’année suivante, le Front se transforme en une section cantonale de la Fédération fasciste suisse (FFS). L’Union nationale valaisanne (UNV) qui lui succède en 1936 (elle sera inté- grée au Mouvement national suisse dès 1940), se réclame d’un credo anticommuniste, antisémite, antiparlementaire et corporatiste. Le modèle de ces mouvements reste pour- tant l’Autriche autoritaire bien plus que l’Allemagne hitlé- rienne, la dimension catholique continuant à jouer un rôle prépondérant au sein de ce public issu en majorité des rangs du conservatisme classique.

A la différence de Fribourg ou du nord du Jura, où la puis- sance du parti conservateur ne laisse quasiment aucune place au bourgeonnement frontiste, le Valais, qui connaît pourtant une situation politique semblable d’écrasante domination catholique-conservatrice, est le berceau d’une

contestation de nature fascisante durable, bien que quanti- tativement limitée. Le Front valaisan (sous des noms qui changeront au cours de la période) reste actif sans interrup- tion de sa création en 1933 à sa tardive disparition en 1941178. Ainsi, même si elle ne mobilise qu’une frange rela- tivement réduite de l’opinion cantonale (entre trois et qua- tre cents membres en 1935, cinq cents en 1937179), la contestation frontiste du modèle conservateur demeure fermement ancrée en Valais, et ce jusqu’au plus fort du conflit mondial.

Le Front valaisan, dissidence née au sein de la majorité conservatrice, ne rompt pas avec les fondamentaux de la pensée catholique-conservatrice : défense de la famille et de la religion, anticommunisme. Il ne fait qu’y ajouter certains éléments que la presse conservatrice traditionnelle se plaira parfois à tourner en dérision : antimaçonnisme, antisémi- tisme (alors que le nombre de Juifs recensés dans le canton s’élève à dix-neuf en 1930), antiparlementarisme, suppres- sion des partis politiques, instauration d’un système corpo- ratiste mal défini, et « fédéralisme intégral ». Sous l’éti- quette de « fédéralisme », le Front valaisan prône en effet un retour pur et simple au système confédéral, à l’image de la Ligue vaudoise par exemple. La Constitution fédérale de 1848 et sans doute plus encore sa révision en 1874 sont perçues par ces milieux comme un obstacle à l’expression de la souveraineté cantonale, telle que celle-ci se définissait au temps du Pacte fédéral.

178 JOSEPH1977, p. 137. 179 Idem, p. 143 et p. 153. (Le Pilon, no 1, 1er

En fait, pris isolément, aucun de ces éléments ne choque- rait fondamentalement l’aile « dure » du conservatisme valaisan, qui sait se montrer à l’occasion antisémite, anti- maçonnique et antiparlementaire. C’est plutôt leur juxta- position anarchique au sein d’un programme opaque, hété- roclite et brouillon qui est la cible des éditorialistes catholiques-conservateurs. Finalement, l’opposition entre conservateurs purs et durs et frontistes repose, en Valais du moins, autant sur des questions d’oppositions personnelles que sur de réels désaccords idéologiques, puisque tous ces acteurs sont en définitive issus de la même famille poli- tique.

Issu du conservatisme classique, le frontisme valaisan ne trouve un véritable écho dans la presse catholique-conser- vatrice que dans le Courrier de Sion. Son propre mensuel,

Le Pilon, lancé à la fin 1933 mais financièrement invivable,

fait naufrage dès l’année suivante. L’appui du Courrier de

Sion disparaît cependant dès le milieu de l’année 1934, le

rédacteur en chef du quotidien, Adolphe Sauthier, n’accep- tant pas l’intégration du Front valaisan au sein de la FFS du colonel Arthur Fonjallaz. En 1935 pourtant, le Courrier de

Sion change de propriétaire, de ligne éditoriale et de nom

pour devenir le Courrier du Valais, à tendance fasciste bien plus marquée, sous la houlette de Léopold Rey. Le fascisme valaisan tient là son organe officieux (puis officiel dès 1936), avant que le flambeau ne soit transmis à la Tribune

valaisanne, au mois de janvier 1937.

Au-delà des changements d’étiquettes et de visages, il existe une claire continuité au sein du frontisme valaisan, que l’on peut résumer ainsi : le Front valaisan est créé en février 1933 et devient une section cantonale de la FFS en 1934. Avec la disparition de la FFS au niveau suisse en 1936, le mouvement se refonde en août de la même année sous l’étiquette UNV (Union nationale valaisanne) et tisse des liens avec le mouvement éponyme de Georges Oltramare à

Genève, alors que des « unions nationales » commencent à fleurir dans tous les cantons romands, à chaque fois en contact étroit avec la formation-mère genevoise : c’est l’or- ganisation des « unions nationales romandes ». Pour ce qui est du Valais, l’UNV ne fait que reprendre la place laissée vacante par le Front valaisan, et les militants de l’UNV sont ceux de l’ancien Front. Selon Roger Joseph, la continuité entre les deux mouvements est indiscutable : « Héritière et continuatrice d’un mouvement qui s’était ouvertement intitulé fasciste, l’UNV ne manifestait aucune réticence à se reconnaître fasciste. »180

A partir de 1936, on obtient donc la structure dualiste sui- vante au sein du fascisme valaisan : un mouvement bien organisé et implanté (l’UNV), quoiqu’aux effectifs limités, intégré à une structure romande, et son expression journa- listique (le Courrier du Valais, puis la Tribune valaisanne en 1937).

Quand l’Union nationale genevoise commence à montrer des signes d’affaiblissement en 1939, l’UNV cherche une alternative à la solution « union nationale ». La création en 1940 du Mouvement national suisse (MNS), branche romande du Nationale Bewegung der Schweiz (NBS), offre au fascisme valaisan la porte de sortie recherchée. L’UNV devient une section cantonale du MNS au printemps 1940, et ce jusqu’à la totale disparition du mouvement fasciste de la scène valaisanne en 1941.

L’orientation n’est cependant plus la même avec le MNS, plus favorable au IIIeReich que les structures qui l’avaient précédé. Cette orientation pro-allemande est sans doute à l’origine de l’arrêté fédéral du 19 novembre 1940 qui ordonne la dissolution du mouvement. Si, en Valais comme partout en Suisse, les fascistes sont tentés par la clandestinité après l’interdiction du mouvement, une opé- ration de police en juin 1941 décapite la section valai- sanne, forçant quelques militants à fuir en Italie, avant que

les autorités italiennes ne les expulsent vers l’Allemagne, où certains s’engageront dans la Waffen-SS181.

Durant toute la période 1933-1941, le fascisme valaisan s’exprime le plus clairement en Valais central (Sion, Conthey, Nendaz), parvenant au temps de l’UNV à élargir timidement son audience vers le Bas-Valais. Les princi- paux leaders du mouvement sont tous des Valaisans fran- cophones. Le Haut-Valais reste à l’écart de cette dérive fas- cisante, sans doute à cause de son paysage politique particulier et des rivalités exacerbées entre « noirs » catho- liques-conservateurs et « jaunes » chrétiens-sociaux, qui ne laissent quasiment aucune place au sein du conserva- tisme pour un tertium quid à vocation fasciste. La seule ten- tative d’ancrer une ligue fasciste à vocation réellement can- tonale (le Front national essaie entre 1935 et 1936 de créer une section valaisanne182) sera d’ailleurs vouée à l’échec.