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Chapitre I Les principes généralisés dans le monde bancaire

1. Les valeurs prônées par les banques

Les institutions bancaires, prônent un certain nombre de valeurs qu’elles affichent sur leurs sites internet, ou qu’elles véhiculent par leur communication publicitaire à travers leur slogan. Les informations transmises par ces valeurs reflètent l’image que souhaitent donner les institutions bancaires d’elles-mêmes mais révèlent également certains de leurs mécanismes et de leurs fonctionnements internes.

1.1. L’analyse des slogans

La communication publicitaire des banques contribue à façonner leur image auprès du public. Par conséquent, son analyse est intéressante du point de vue des informations qu’elle apporte.

En effet, les messages transmis notamment par l’intermédiaire des slogans10

apportent un éclairage sur l’évolution de ce secteur et les valeurs qui y prédominent. Ainsi, pour reprendre les éléments d’une étude menée par Paviot (1995), les années 70 sont dans ce domaine marquées par la volonté des banques de se faire connaître. Dans les années 80, la stratégie communicationnelle vise à cibler les jeunes par des produits spécifiques, des actions de sponsoring. Les banques cherchent à rénover leur image et modernisent leurs logos. Les années 90, sont marquées par une rupture du style de la communication et s’orientent vers des valeurs plus humaines, une offre de produits et services plus personnalisée. Or, chercher dans notre étude à recenser certains de ces slogans a pour but d’identifier les valeurs véhiculées par les banques et de les rapporter à des principes généralisés issus des « Économies de la grandeur », à savoir ce qui prévaut, ce qui est important dans le domaine bancaire. Les slogans jouent ainsi un rôle de « guide », au sens de Boltanski et Thévenot, (1991, p. 188). Plus précisément, l’étude du vocabulaire utilisé dans les slogans permet une analyse lexicale qui fait apparaître des valeurs émises par les banques. Ces valeurs communicationnelles seront ainsi confrontées à celles émises sur le terrain par le discours des enquêtés et permettront ainsi de corroborer (ou non), de dessiner et de répertorier de manière plus complète les mondes, les principes généralisés en vigueur dans le secteur bancaire. Les slogans des banques concernées sont cités dans leur intégralité et des codes couleurs sont affectés aux mondes représentés. Les couleurs sont choisies arbitrairement (aucune symbolique ne leur est rattachée) et visent à rendre plus lisible l’analyse des slogans. Elles surlignent donc certains mots, qui paraissent signifier, créer le lien, la congruence entre le

monde et le vocabulaire.

Le rouge pour le monde domestique.

Le bleu pour le monde industriel. Le vert pour le monde inspiré.

Le bordeaux pour le monde marchand.

Le violet pour le monde civique L’orange pour le monde de l’opinion

10 « Le mot français est emprunté à l’anglais « slogan » dès 1842 […] il prend le sens de cri de guerre […] et le mot est réemprunté en 1930 dans son sens publicitaire » (Palma, 2005, p. 255-256).

Pour cette analyse, s’agissant de slogans connus, nous avons modifié les codes affectés aux différentes banques (Partie 1, Chapitre 1) pour éviter des rapprochements et préserver ainsi l’anonymat des établissements enquêtés.

* Banque 1 :

Avant 2005, « Le bon sens près de chez vous » : Ce slogan fait référence à des notions de proximité et de confiance en cours dans le monde domestique. « Ce concept exprime la proximité géographique (banque proche du domicile) et psychologique (réseau chaleureux). Il a même été agrémenté de témoignages clients du type : « Je suis à la banque 1, parce que mon père y était » afin de capitaliser sur le rôle de la famille (Paviot G., 1995, p. 95).

De 2005 à 2011 : « Une relation durable, ça change la vie » : La relation durable met l’accent sur la fidélisation client recherchée par les banques et basée sur la confiance, valeur fortement présente dans la cité domestique.

Depuis 2011, le slogan est « La banque qui écoute, qui comprend, qui agit » : La notion, de relation, d’empathie, de confiance fait référence encore au monde domestique. Quant à la notion d’action, elle se réfère plutôt au monde industriel.

* Banque 2 :

« La banque à qui parler » : Derrière ces mots, se trouve la notion de confiance basée sur la relation client qui se réfère au monde domestique. Par ce slogan, créé en 1988 et toujours d’actualité, la Banque 2 affirme ainsi sa tradition mutualiste (Paviot, 1995).

En 2011, à la télévision le slogan est : « Une banque qui appartient à ses clients, ça change tout » : La notion de proximité apparaît, en faisant tomber toute barrière par la volonté d’égalité entre le client et l’institution. Cette démarche se rattache à la cité domestique.

* Banque 3 :

« La banque d’un monde qui change, la banque d’un monde qui bouge » « Parlons d’avenir » : Les notions de futur et d’action se rattachent à des principes généralisés industriels.

* Banque 4 :

« Nous ne sommes pas populaires sans raison » « Banque et populaire à la fois » : La notion de proximité est illustrée par le mot « populaire » dans le sens où la volonté est forte de briser les barrières et d’abolir les distances entre l’institution bancaire et son client. Cette stratégie

est soulignée par un oxymore entre les mots « banque » (institution élitiste) et « populaire ». L’oxymore souligne aussi d’autant mieux la prédominance du domestique (populaire) sur ce qui naturellement relèverait du monde marchand (banque).

* Banque 5 :

« Et, si une banque vous aidait à vivre mieux. L’imagination dans le bon sens » : On retrouve la référence au monde domestique au travers du vivre mieux, « pour rendre la société plus agréable » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 214). C’est le monde inspiré que l’on retrouve dans ce slogan avec le mot « imagination » faisant référence à une forme de créativité positive. À la télévision, le slogan de 2011 est : « La banque nouvelle définition ». Dans ce registre, c’est plutôt le monde industriel qui est représenté par l’idée d’une nouvelle donne, d’un changement, d’un nouveau futur.

* Banque 6 :

« Parce que le monde bouge » : Le slogan fait référence au changement, à l’évolution de l’environnement et au besoin de s’adapter aux mutations. On y trouve aussi la notion d’action à mener, avec en même temps, sous-entendu, le besoin d’une certaine maîtrise, d’un certain contrôle sur l’avenir et le futur afin de limiter les risques. L’ensemble de ces paramètres fait références à des principes généralisés propres au monde industriel.

* Banque 7 :

« Entreprendre est un challenge quotidien, vous satisfaire doit l’être aussi ». Le slogan reprend certains principes généralisés en vigueur dans le monde industriel et énoncés clairement par le vocabulaire « entreprendre » et « challenge ». La cité domestique est représentée par les termes de « vous satisfaire » impliquant par le « vous », le client et « satisfaire », la notion de service. La totalité de ce slogan relève donc, par l’association de deux mondes au sein d’une même phrase, d’un compromis domestique/industriel illustrant les valeurs en vigueur dans cette banque.

* Banque 8 :

« Demandez plus à votre argent » : L’analyse des mots fait apparaître une nette référence à la cité industrielle avec « Demandez plus » qui s’inscrit clairement dans une démarche d’optimisation de résultats, de productivité propre à ce monde. Quant au mot « argent », il

correspond à la cité marchande par essence. Les valeurs émises par cette institution financière sont donc liées à un compromis marchand/industriel.

Ainsi, l’étude des slogans émis dans le cadre de la communication institutionnelle des banques permet d’approcher certaines valeurs présentes qui reflètent les principes généralisés

de ces institutions. Il apparaît donc, toutes banques confondues, que ressortent très majoritairement des principes supérieurs communs relevant de deux mondes : le monde domestique et le monde industriel. En effet, dans les slogans, la cité domestique trouve ses points d’ancrage dans les notions prédominantes de proximité, d’écoute et de confiance. Quant à la seconde, la cité industrielle, elle apparaît à travers les notions d’action, de changement, de futur et de résultats. Mais cette analyse fait très peu apparaître le monde marchand, pourtant fortement lié à la notion de l’argent. Cette tendance résulterait d’une sorte de réticence à s’exprimer sur ce thème encore tabou dans notre culture. Dès lors, la réticence est encore plus forte lorsqu’il s’agit de valoriser publiquement l’image des institutions bancaires par les slogans. Cet aspect sur la difficulté des banques à assumer la démarche mercantile de leur activité sera d’ailleurs développé ultérieurement et plus en détails dans la partie portant sur l’image négative des banques. Toujours est-il que, pour compléter la mise en œuvre des principes généralisés dans le secteur bancaire, l’étude des chartes institutionnelles apparaît aussi comme un élément complémentaire à l’analyse des slogans.

1.2. L’analyse des chartes institutionnelles

Les chartes institutionnelles des institutions bancaires peuvent aussi servir de « guide » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 188) pour la compréhension et l’élaboration des principes supérieurs communs bancaires. En effet, elles se basent sur un ensemble de valeurs qui fondent le socle des principes qui prévalent au sein des banques. Leur analyse, comme pour celles des slogans, permet donc d’identifier les principes généralisés mesurant et définissant ce qui est juste au sein de chacune des institutions bancaires.

À la banque D, il existe ainsi une charte institutionnelle appelée RESPECT. Cet acronyme regroupe un certain nombre de valeurs revendiquées par la banque. Elles sont déclinées comme suit et il est intéressant de les rattacher aux mondes identifiés par Boltanski et Thévenot (1991):

- R comme reconnaissance : c’est-à-dire le développement des collaborateurs par la gestion des carrières et la mobilité interne (mondes civique et industriel).

- E comme égalité : il s’agit donc de favoriser la diversité par la charte de parentalité, le plan banlieue, l’alternance, l’intégration du handicap (monde civique).

- S comme sécurité : c’est la volonté de se prémunir des risques grâce à la prise en compte de règles proposées par le CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) et par la sécurisation des placements à l’étranger, par exemple (mondes industriel et civique).

- P comme participation : il s’agit d’instaurer la concertation et le dialogue au sein du groupe pour la prévention des risques psychosociaux (monde civique).

- E comme équité : c’est-à-dire instaurer la notion d’éthique et de responsabilité dans la politique de rémunération des cadres dirigeants (monde civique).

- C comme cohérence : c’est-à-dire la conformité avec les valeurs en termes d’investissements respectueux de la vie, d’achats responsables (développement durable) et de handicap (mondes industriel et civique).

- T comme territoire : il s’agit de mener des actions locales pour défendre des valeurs globales : pérennisation et valorisation du patrimoine architectural, culturel et naturel des régions (mondes civique et domestique).

L’ensemble de la charte de la banque D se réfère majoritairement à des principes supérieurs communs du monde civique. D’une part parce qu’une charte, par essence, correspond à une volonté générale, à une « prééminence des collectifs » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 231) propre à la cité civique. D’autre part, parce que cette charte s’inscrit dans une quête pour « la cause du juste » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 239), voire dans « une mobilisation autour d’une cause » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 240) que sont la sécurité, l’éthique, la prévention, le développement durable, ... Néanmoins, il apparaît tout de même dans la charte une dimension domestique traduite par la notion de territorialité faisant référence à la proximité, au tissu local sur des plans à la fois économiques, culturels et environnementaux.

À la banque G, les valeurs sont « Réactivité, Créativité, Engagement, Ambition» (Monsieur B., Banque G). Elles sont explicitées plus précisément par la banque elle-même comme suit11

:

- La « Réactivité » passe par le fait d’être :

• Rapide dans l’évaluation des situations et des évolutions comme dans l’identification des opportunités et des risques.

• Efficace dans la prise de décision et dans l’action.

- La « Créativité » c’est :

• Promouvoir les initiatives et les idées nouvelles. • Distinguer leurs auteurs.

- L’« Engagement » se traduit par le fait de :

• S’impliquer au service des clients et la réussite collective. • Être exemplaire dans ses comportements.

- L’« Ambition » passe par :

• Le goût du challenge et du leadership.

• La volonté de gagner en équipe une compétition dont l’arbitre est le « client ».

Ces valeurs rapportées aux principes généralisés des « Économies de la grandeur », pourraient appartenir à plusieurs mondes. Ainsi, la « réactivité » tend à s’inscrire dans un

monde industriel par rapport à la notion d’action, de prise de décision. La « créativité » correspondrait naturellement au monde inspiré et l’« engagement », par définition, au monde civique. Quant à l’« ambition », elle est une valeur très claire du monde marchand, d’autant plus qu’elle est illustrée par des mots sans équivoque propre à cette cité, que sont « challenge » et « compétition » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 244). Ces valeurs constituent par ailleurs les principes de management en cours dans l’institution et « reflètent une vision, un état d’esprit, une inspiration et une manière d’être. Il est donc important que tous les seniors managers s’engagent à les défendre et à en faire la promotion » (F.L., Responsable

Ressources Humaines Groupe banque G, mai 2011)12

.

À la Banque C : Les valeurs sont énoncées lors d’une interview. Elles sont au nombre de quatre et sont les suivantes : « Proximité », « Primauté du client », « Professionnalisme » et « Déontologie » (Madame G., Banque C). La « proximité » s’inscrit tout-à-fait dans les principes généralisés correspondant à la nature domestique. Il en est de même pour ce qui est de la « primauté du client » qui est davantage abordé sous l’angle du service, de la relation

client plutôt que sous l’angle mercantile de la vente au client. Le « professionnalisme » est une valeur qui prend toute sa dimension dans le monde industriel. Quant à la « déontologie », elle s’inscrit par définition dans un principe supérieur commun civique, dans une démarche de respect des droits et de « dignité » des personnes (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 233).

À la Banque H, les valeurs déclinées sont celles faisant référence à une « banque à compétences multiples », « un acteur majeur en Lorraine », un « réseau d’exploitation proche de ses clients ». Ces éléments nous permettent d’identifier les principes généralisés auxquels ces valeurs se réfèrent. Ainsi, le monde industriel est fortement représenté par les mots « compétences multiples » qui illustrent le caractère professionnel et la capacité d’expertise de l’institution. Le monde domestique est représenté par la notion de territorialité évoquée par le nom de la région « Lorraine » et la proximité avec les clients. On peut encore souligner l’existence d’un compromis domestique/industriel par l’association des termes « réseau d’exploitation », fortement connotés au monde industriel à ceux de « proche de ses clients », relevant clairement de la nature domestique.

Dans la Banque B, les valeurs affirmées sont celles liées à l’engagement à travers le mécénat et le sponsoring découlant, entre autres, de son histoire mutualiste. En outre, cette banque a créé sa propre fondation pour la solidarité et le mot d’ordre est « agir pour la diversité ». De manière générale, les démarches de mécénat et de sponsoring s’inscrivent par nature dans un compromis civique et de renom. Quant aux valeurs prônées dans le cadre de la fondation, telles que la solidarité et la diversité, elles se déploient plutôt dans le monde civique, mais il semble que le monde du renom pourrait aussi y trouver sa place. Il est difficile de tenir une position tranchée sur cet aspect car le risque est de tomber dans une forme de cynisme tendant à douter du désintéressement total de certaines démarches ou alors dans une forme de naïveté tendant à croire à une totale philanthropie. Peut-être qu’une part de la réalité se trouve entre ces deux positions.

À la Banque A, les valeurs présentées sont : « Solidarité », « Proximité », « Egalité » et « Responsabilité sociale ». La « solidarité », l’« Egalité », la « Responsabilité sociale » appartiennent plutôt à des principes généralisés civiques. La « Proximité » très fortement présente dans le monde bancaire en général, s’affiche clairement comme une valeur du monde domestique. Il est à noter que, dans le cadre des interviews menées auprès des professionnels de la banque A, très peu de thèmes concernant les valeurs se rapportaient au monde civique.

En revanche, le monde domestique est très largement représenté dans les témoignages recueillis.

L’analyse des chartes institutionnelles et des valeurs affichées par les banques permet d’identifier les principes supérieurs communs qui sont déployés au sein de chaque institution. Ce que l’étude tend à montrer c’est la présence importante du monde domestique, puis du

monde industriel. Il est aussi à noter deux particularités. La première est la quasi absence des

principes généralisés marchands, dont nous développerons les raisons dans la partie suivante. La seconde particularité est la présence forte de la cité civique, par le déploiement de valeurs se référant à l’éthique, la déontologie, le respect d’autrui, l’aide aux autres, le développement durable, le mécénat, la diversité ... Pourtant, il est à noter que très peu de ces aspects sont ressortis lors des interviews alors même que la plupart des interviewés abordaient le thème des valeurs au sein de leur institution. En fait, l’analyse du corpus fait ressortir des valeurs fortement ancrées dans le monde domestique et industriel, d’autres cités, comme la cité marchande et la cité de renom, sont aussi représentées dans les discours mais dans une moindre mesure. Il convient donc de développer les différents principes supérieurs communs

déployés dans le monde bancaire et d’en expliquer les fondements.