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Chapitre I Les principes généralisés dans le monde bancaire

4. Les principes de généralités du renom dans la banque

La banque a déjà historiquement une image à la Janus, une image à double face, exprimant à la fois le vice et la vertu (De Blic, 2003, in : Lazarus, Gloukoviezoff, 2005). De nombreuses enquêtes portant sur la réputation des banques, montrent que, globalement, les institutions bancaires souffrent d’une image négative. En 1986, l’image s’améliore dans les enquêtes et rechute rapidement après le relèvement des prix des cartes de crédit et les chèques payants. Puis, elle remonte à nouveau fin 1988, pour enfin se stabiliser (Paviot, 1995). Pourtant, l’année 2008, touchée par la crise financière, sonne le glas d’une tendance positive assez stable. Néanmoins, l’image des banques auprès des consommateurs reste variable en fonction des banques. D’après une étude réalisée, le grand public classe, ou catégorise, les banques selon 4 groupes différents (Palma, 2005, p. 258) :

« - Les trois vieilles : BNP, Crédit Lyonnais, Société Générale.

- L’univers mutualiste : Crédit Mutuel et Banque Populaire, dont le caractère social permet d’échapper relativement à l’image négative de l’argent et les banques régionales, dont l’enracinement dans le terroir accentue l’idée de proximité.

- La Poste et les Caisses d’Épargne, relativement proches de l’image du groupe précédent.

- Les banques d’affaires, un monde à part très éloigné du vécu quotidien du grand public. » Cette classification illustre de façon synthétique l’image ambivalente des banques auprès du public, image à la fois positive mais aussi négative pour des raisons qui seront développées dans les parties qui suivent.

4.1. L’image vertueuse

Selon la classification ci-dessus, les banques mutualistes bénéficient d’une meilleure image que celles qui sont catégorisées comme banques d’affaires. La banque peut avoir auprès de certains clients, plutôt âgés, une image sérieuse, voire sacrée, « […] parce que pour eux la banque, c’est quelque chose encore de sacré » (Monsieur S., Banque G). Cette image positive se fonde sur une vision de la banque basée sur des éléments tels que la solidarité, le travail et l’épargne.

L’image positive des banques provient de leur engagement solidaire avec la population dont l’origine remonte à deux siècles. En effet, avec l’essor des banques de dépôts à la fin du 19e

siècle, se développent des caisses rurales, basées sur la solidarité entre paysans sur un mode coopératif, afin d’aider au financement de l’achat d’outils et de parer à des périodes peu fastes… Cet aspect d’aide aux personnes défavorisées se retrouve dans cet extrait :

« Je peux vous dire qu’on est un groupe issu du monde mutualiste qui est basé sur le Livret A, le service, le Comte Machin qui avait décidé d’accompagner les pauvres, leur permettre d’avoir de petites économies et que ça, ça nous colle à la peau et définitivement, c’est la Banque B. Pour autant, c’est pas une culture, c’est une histoire, ce qui est sûr si vous me demandez pourquoi un client viendrait à la Banque B plutôt qu’une autre banque et quelle est la culture (Longue pause), je pense qu’en tout cas et ça se traduit par les gens qui sont chez nous. On a des gens, plutôt humbles, plutôt bienveillants, plutôt tournés vers les autres et que ça fait une culture, c'est-à-dire que c’est une entreprise généreuse, c’est une entreprise accueillante… » (Monsieur T., Banque B.).

Or, le développement de banques mutualistes se poursuit et touche le milieu urbain avec la création des Banques Populaires, toujours basées sur l’entraide entre sociétaires selon un engagement moral fort envers les membres de la communauté. Cette évolution permet un encadrement économique et social de la population (Gueslin, 2002, in : Lazarus, Gloukoviezoff, 2005) et, ce, encore aujourd’hui, notamment dans les projets locaux ou régionaux. C’est le cas de la Banque H qui en Moselle a contribué à la construction d’un :

« […] Center Parc. On y est avec la Banque B, Smart, on y est avec la banque X, une entreprise, une entreprise sur deux est cliente de la banque, mais je vais pas commencer non plus avec des discours sur des entreprises citoyennes, mais ce que je peux dire, c’est quand on soutient un investissement, d’une entreprise, c’est le maintien de l’emploi, quelque part, une famille qui continue à vivre dans un village, une école qui est maintenue, une classe qui est maintenue, mais ça je le dis pas pour dire, attendez, je vais faire cocorico, simplement pour dire à nos clients, quand vous mettez votre argent chez nous, il reste dans la région et ça, c’est fondamental dans notre manière de vivre le métier, une manière qui est différente de vivre le métier plutôt que dans un autre établissement national ou international »

Le fondement des banques qui s’orientent dans cette démarche est, bien entendu, une démarche d’engagement moral : la solidarité, l’entre-aide, la coopération, le soutien, l’échange, le partage entre les individus. Les prêts engagés ne dépendent d’ailleurs pas seulement des aspects purement économiques des emprunteurs mais aussi de leur évaluation morale. Ainsi, à sa création le Crédit Mutuel est fortement lié au clergé et cette dimension morale est extrêmement présente dans les structures (Moulévrier, 2002, in : Lazarus, Gloukoviezoff, 2005).

Certaines banques se développent aussi dans une démarche mutualiste, d’aide et de coopération envers leurs sociétaires (Gueslin, 1982, 2002, in : Lazarus, Gloukoviezoff, 2005). Cela est particulièrement souligné dans la culture de la Banque H, « La troisième dimension aussi fondamentale chez nous, c’est le fait d’être une banque coopérative, et, à partir de là, on n’est pas dans une culture de résultats comme on peut l’être quand on a des actionnaires à qui il faut verser des dividendes. Une culture venue du dialogue et de l’échange avec les sociétaires, donc d’autres formes de pratiques du métier » (Monsieur We., Banque H).

Cette dimension morale de la banque, qui relève de son engagement, se retrouve dans un autre contexte bien particulier et propre à son produit : l’argent. Mais, il s’agit de l’argent gagné honnêtement par le travail, ainsi que de l’argent de l’épargne. Car, dans ces cas les banques servent à garder ou à faire fructifier cet argent connoté positivement et, en ce sens, cela contribue à leur image positive.

Le lien établi entre argent et travail offre donc une dimension morale à la banque. En effet, le travail contribue à moraliser l’argent gagné en toute honnêteté, un argent propre. En outre, l’argent moral permet au client d’« avoir l’air sérieux, apporter la preuve qu’on l’est, réaliser une transaction sérieuse » (Trépos, 2007). Ainsi, la banque qui fait fructifier l’argent gagné à la sueur de son front s’offre une image de légitimité vis-à-vis du public. Cette image positive des banques se fonde sur un aspect moral de l’argent gagné par le travail et se retrouve lorsque l’argent est lié à l’épargne. En effet, à l’école, sous la IIIe

République, l’enseignement prône comme vertu civique une forme d’ethos de l’argent, s’appuyant sur les vertus de l’épargne (De Blic, Lazarus, 2007), un argent qui n’est pas dépensé en futilités et met la famille à l’abri des coups durs. Cependant, tous ces aspects qui contribuent à façonner une image positive de la banque ne suffisent pas. Car, si cette dimension d’engagement moral, de travail et d’épargne joue un rôle positif, l’image de la banque est tout de même écornée et ce, pour des raisons qui sont développées dans la partie qui suit.

4.2. L’image négative

L’image associée aux banques et à l’activité bancaire en général est également parfois négative auprès du public. Cette appréciation négative prend source dans la perception d’une activité perçue comme trop souvent mercantile et touchée par des scandales financiers historiques et récents.

L’argent en général, matière première du produit bancaire, est à l’origine de cette vision négative du monde bancaire. En effet, historiquement l’argent est condamné d’un point de vue religieux dans le christianisme prônant comme valeur, la pauvreté, l’humilité (De Blic, Lazarus, 2007, p. 14). En outre, l’argent est considéré dans le monde chrétien, comme « quelque chose d’impur », ce que l’on retrouve aussi dans l’islam, mais non dans la religion protestante (Palma, 2005). Pourtant, cette image mercantile négative ne trouve pas uniquement son origine dans la tradition religieuse. Elle provient aussi d’une rupture avec une situation historique. Car, dans la tradition mutualiste de certaines banques, les services étaient gratuits. Or, cette gratuité pouvait sembler naturelle et pérenne. De même, historiquement, l’encadrement fort des pouvoirs publics, la présence et le rôle de l’état dans les institutions bancaires, jusqu’à une période récente, assimilait la banque à une sorte de service public. Ces changements, passant notamment par une démarche commerciale opérée depuis quelques trois décennies, contribuent à brouiller les pistes auprès des particuliers et à donner une image négative de la banque. En effet, « […] les consommateurs estiment que la gratuité des services bancaires est normale. De leur côté les banquiers souhaitent faire entendre le fait que la banque est « un commerce comme les autres » (Gloukoviezoff, Lazarus, 2005, p. 7). L’ensemble de ces évolutions historiques peut dérouter le consommateur et dégrader l’image qu’il a de la banque, mais les scandales financiers sont aussi un élément de compréhension du phénomène.

Les scandales financiers passés et actuels expliquent aussi l’image négative prêtée aux banques. Dès la fin du 19e siècle, des scandales financiers comme celui de Panama en 1892, véhiculent une image entachée de suspicion (De Blic, 2005). Les faillites comme celle de l’Union Générale en 1882 renforcent cette image déplorable des banques. À cette même époque, les écrivains et/ou journalistes s’inspirent de ces chocs financiers comme on le voit dans « Bel-Ami » (1885) de Maupassant et dans « Les Rougon-Macquart » de Zola avec « L’Argent » (1891). Les auteurs décrivent avec acidité une société dans laquelle

certains individus sans foi ni loi n’ont pour motivation que l’argent, l’enrichissement personnel et ce, aux dépens de valeurs humaines et humanistes.

Entaché de scandales suite aux faillites et banqueroutes, lié par nature à l’argent, empreint de cupidité et de matérialisme, le monde bancaire va à l’encontre des valeurs sociétales, notamment véhiculées par la religion catholique. Les banques cherchent alors à montrer que leur activité est une activité comme une autre, en cherchant à la dédramatiser par le biais de campagnes de communication. Ces campagnes se traduisent parfois en échec cuisant. C’est l’exemple de la Banque G qui, en 1973, clame un slogan choc, visant à banaliser la démarche marchande de la banque par : « Votre argent nous intéresse », l’effet produit est à l’inverse de celui attendu : le slogan crée un véritable scandale (Cusin, 2002, in Lazarus, Gloukoviezoff, 2005, Paviot G., 1995).

La banque, le banquier, l’ensemble du secteur continuent d’être touchés par cette déconsidération, surtout depuis la dernière crise de 2008. Les banques sont accusées de tous les maux et notamment d’avoir contribué à cette crise sans précédent. Les faillites des institutions bancaires américaines comme Lehman Brothers20

alimentent cette image, renforcée en France lors de l’affaire Kerviel21

, le trader qui contribua à un déficit record de la Société Générale.D’ailleurs, cette incapacité à valoriser leur image, ou plus simplement à la défendre par l’usage de moyens de communication, est regrettée clairement par un interviewé qui considère que « […] les banquiers sont de très mauvais communicants, vous en avez vu beaucoup réagir aux déclarations, que ce soient des pouvoirs publics, des hommes politiques et autres qui ont trainé les banquiers dans la boue, pour expliquer alors que les origines de la crise on y est absolument pour rien … » (Monsieur We., Banque H).

Beaucoup de facteurs tendent donc à expliquer l’image négative engendrée par les banques auprès du grand public et expliquent pourquoi les banques cherchent à changer la situation par des campagnes de communication véhiculant une image différente, plus valorisante. Cette conscience de la situation qu’ont la plupart des professionnels interrogés fait apparaître les

principes généralisés du renom existant dans la culture bancaire. Cependant, ces principes ne se suffisent pas à eux-mêmes et s’articulent avec les autres mondes domestiques et industriels

déjà explorés dans cette étude et permettant de comprendre la culture, les valeurs et mécanismes du secteur bancaire. En revanche, ces mondes ne se juxtaposent, ils fonctionnent selon certains agencements qu’il convient de qualifier de compromis.

20 Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers, banque américaine fait faillite (http ://www.le figaro.fr).

21 Du nom de l’ancien Trader de la Société Générale, Jérôme Kerviel, poursuivi pour une perte de 5 milliards d’euros, début 2008 (http ://www.lemonde.fr).