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Les principes de généralités industrielles dans la banque

Chapitre I Les principes généralisés dans le monde bancaire

3. Les principes de généralités industrielles dans la banque

La cité domestique ne semble pas seule à être représentée dans le secteur bancaire. En effet, son activité repose en grande partie sur l’argent qui, par essence, semble être relié au monde marchand. Mais l’argent en tant que produit, en tant que bien, relève d’une nature

industrielle, d’autant que le but est de vendre, ce qui crée le produit (comme dans toute activité de service) dans une démarche d’efficacité et une fixation d’objectifs quantitatifs, chiffrés et concrets. Les éléments qui peuvent permettre d’associer la banque aux principes généralisésindustriels sont, d’une part, la modernisation des pratiques bancaires, d’autre part, l’industrialisation du service bancaire et enfin, l’optimisation des moyens mis en œuvre pour améliorer le service. Ces différents points sont ainsi développés afin d’approfondir ce qui peut les relier au monde industriel.

3.1. La modernisation des pratiques bancaires

La modernisation des banques, véritable mutation dans les pratiques bancaires, se traduit par plusieurs éléments tels que la dématérialisation de l’argent, l’innovation de services et la diversification des produits. Dans cet extrait, un interviewé souligne cette évolution spectaculaire et selon lui unique : « On est en train de reconstruire notre identité. Ce qu’on vit, tout ce qui s’est passé pendant 10 ans dans cette entreprise, c’est hallucinant. Je ne pense pas qu’il y ait en France des entreprises encore vivantes et de taille importante qui aient vécu les mutations qu’a vécues la Banque B. C’est hallucinant !! » (Monsieur T., Banque B). Cette mutation prend la forme d’une projection dans l’avenir et passe entre autres par la dématérialisation de l’argent et la mise en place de nouveaux services.

La dématérialisation de l’argent est marquée par la prédominance, depuis 2003, des paiements et transactions par carte bancaire sur les autres moyens scripturaux (chèques), fiduciaires (billets) et divisionnaires (pièces). Le bilan de cette situation est que désormais, la monnaie est électronique, elle est dématérialisée (De Blic, Lazarus, 2007). Les agences bancaires elles-mêmes sont dématérialisées en prenant une forme virtuelle.

« C’est quelque part une révolution, aujourd’hui on a ouvert une agence totalement virtuelle c’est-à-dire qui n’existe nulle part physiquement, pour contrer un petit peu les Boursorama etc., qui font de la banque sur internet aujourd’hui et notre banque a ouvert une « agence-net » où il y a des collaborateurs qui sont sur Paris mais qui ne rencontrent pas physiquement les clients mais qui travaillent par internet et par téléphone. Et, aujourd’hui cette agence a un succès phénoménal, … »

La banque en ligne se développe, « bientôt, le terme " multicanal" sera une métonymie de la "modernité bancaire" : la banque à distance, les "stratégies multicanal" le "click and mortar15

"

sont présentés dans les années 1990 et plus encore pendant les années 2000, comme des nouveautés radicales » (Lazarus, 2012, p. 52). Cet extraordinaire tournant marque l’ère de la modernité et de la nouveauté pour les banques qui se retrouvent dans les services proposés. La nouveauté des services bancaires porte sur la diversification vers des produits, qui à l’origine, ne sont pas propres aux banques. « On est plutôt depuis le début des années 70, plutôt en pointe sur beaucoup de choses, hein heu, là je parle de la bancassurance, de la téléphonie mobile, … » (Monsieur H., Banque A). Il s’agit aussi plus précisément de « l’assurance de voiture, celle de la maison, une gamme de voyages, l’alarme à domicile » (Brun, 2001, p. 7). Certaines agences, comme c’est le cas à la Banque A, sont même pionnières dans le secteur de la vente de téléphonie mobile et en font une activité phare de leur développement :

« Vous êtes dans la Mecque de la téléphonie à la Banque A aujourd’hui. Vous avez vu un petit peu, on est très branché sur la téléphonie, on a un savoir-faire, aujourd’hui, de l’intégralité de l’équipe et le fait que tout le monde produise, on a aujourd’hui des performances commerciales qui sont bien au- delà du secteur ou de la région puisqu’on a été pour la 3e année consécutive la meilleure Caisse au niveau de toute la France. Bon il y a très peu de sociétés aujourd’hui comme SFR ou Bouygues sur Saint-Avold qui font 300 ou 400 abonnements par an. Ce qu’on est en train de faire aujourd’hui, c’est que chacun, chaque salarié a pris ce 3e métier du Groupe, la téléphonie chacun a pris ça à cœur et contrairement à d’autres agences à d’autres directeurs qui sont pas du tout impliqués dans ce domaine-là, nous, on en a fait notre cheval de bataille plutôt que de l’assurance, ou on se bat pour les crédits où on ne gagne pas d’argent, on a essayé de trouver d’autres pistes, la téléphonie c’est une piste »

(Monsieur Be., Banque A).

D’autres aspects que la modernisation du service bancaire l’assimilent au monde industriel, il s’agit de l’industrialisation du service proposé.

15 « Cette expression importée des États-Unis désigne le fait de cliquer pour les opérations, mais de se rendre en un lieu physique matériel (mortar signifie « béton ») pour traiter des affaires plus complexes » (Lazarus, 2012, p. 52).

3.2. L’industrialisation du service bancaire

Depuis la décennie 90, les banques suivent une tendance au réaménagement de leurs agences en ayant recours aux automates qui effectuent des tâches habituellement réalisées par des personnes à l’accueil ou au guichet.

« C’est le concept classique, avec le guichet tel qu’on le connaissait dans 90 % de nos agences il y a quelques années, où là on fait toutes les opérations pour eux quelque part, puisqu’on va rédiger le chèque de retrait, le bordereau de versement, on va leur faire la remise de chèques et puis aujourd’hui on est en train d’évoluer dans la banque libre-service, avec des systèmes d’automates qui vous font tout, qui permettent de déposer rapidement, retirer de l’argent, déposer des chèques, prendre des rouleaux de monnaie pour les automates les plus évolués, … » (Monsieur S., Banque G).

De manière beaucoup plus générale, les banques opèrent des changements, des mutations, reposant sur des « infrastructures technologiques très lourdes qui lui donnent effectivement l’aspect d’une "industrie de service" si couramment décrite » (Courpasson, 1995) et qu’illustrent entre autres ces automates, précédemment cités, comparables à de véritables machines-outils.

La comparaison industrielle trouve encore un point d’appui avec la standardisation des pratiques bancaires, comme c’est le cas notamment avec certains clients dépassant leur seuil de découvert. Ceux-ci reçoivent un courrier (et auraient d’ailleurs préféré un appel) les exhortant à rembourser la somme due même sur de très faibles montants, parce qu’un traitement informatique et standardisé lance la procédure de rappel une fois un seuil autorisé dépassé, même de peu. Une des conséquences de telles pratiques est la perception d’une

« violence symbolique » (Brunet et al., 2004 ; Gloukoviezoff, 2004, in : Lazarus, Gloukoviezoff, 2005); sentiment ressenti par les clients lorsqu’ils ont à souffrir de procédures hyper–standardisées des banques qui ne tiennent pas compte de leur cas personnel et particulier. Déjà en 1978, selon une étude, malgré des efforts de modernisation d’agence, d’employés plus accueillants « une bonne partie du public semble subir les banques au lieu d’entretenir avec elles des relations normales de client à fournisseur » (Bellanger 1978, in : Paviot, 1995, p. 101). Par ailleurs, le recours de plus en en plus fort à des outils, méthodes et stratégies marketing par les banques accentue l’image mercantile, de commerce d’argent que peuvent en avoir certains clients. Cette perception négative se traduit chez les clients par une vision de la banque « comme une "caverne d’Ali Baba" où s’entasse le fruit d’une industrie coupable » (Zollinger, 1992, p. 119).

De manière générale, il s’opère actuellement dans le contact avec le client un glissement des pratiques domestiques liées à la proximité vers des pratiques industrielles. C’est le cas notamment de la connaissance client et de la segmentation client. Alors que les anciennes pratiques s’attachent à le connaître sous un angle plus « privé », plus personnel ; vie familiale, situation personnelle..., la connaissance client s’attache aujourd’hui à une connaissance basée sur des critères plus financiers. « La critériologie d’analyse du client se modifie et s’instrumentalise […]. Et le changement dans la pratique finit par modifier la règle de contact par la transformation des valeurs et des symboles qu’elle sous-tend : la proximité, l’intimité, le "terrain" » (Courpasson, 1995, p. 221). Cette standardisation dans le rapport avec le client, orientée dans un but de productivité a pour effet de créer une tension entre un monde domestique et un monde industriel certes, mais engendre aussi une tension avec le monde marchand. La finalité de la standardisation étant en effet d’améliorer les performances financières des banques.

Le monde bancaire est de plus en plus soumis à des contrôles et à des procédures strictes à respecter, notamment depuis la création de l’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers)16

. Le rôle de l’AMF est « de veiller à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers, à l’information des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers » (site AMF : http ://www.amf-France.org). Pour ce faire, elle contrôle et vérifie la mise en applications de normes et de règles propres au bon fonctionnement des marchés financiers. Par ailleurs, cette autorité décerne un agrément « …, ce qu’on appelle la certification AMF, donc certification d’Autorité des Marchés Financiers qui démarre là et qui nous fait aussi l’obligation de nous assurer que les personnes sont titulaires de cette certification. Si elles ne le sont pas, nous avons l’obligation de leur faire passer cette certification moyennant une formation » (Monsieur K., Banque D). Cette certification obligatoire depuis le 22 mars 2010 concerne les personnes exerçant certaines fonctions17

au sein de la banque, comme la fonction commerciale. Elle est décernée par la

16 Créée par la loi n° 2003-706 de sécurité financière du 1er août 2003, l’Autorité des Marchés Financiers est issue de la fusion de la Commission des Opérations de Bourse (COB), du Conseil des Marchés Financiers (CMF) et du Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Ce rapprochement a pour objectif de renforcer l’efficacité et la visibilité de la régulation de la place financière française. (site AMF : http ://www.amf-France.org).

17 Les personnes concernées exercent la fonction de : vendeur, gérant, responsable de la compensation d’instruments financiers, responsable du post marché, négociateur, responsable de la conformité pour les services d’investissement (RCSI), responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI), analyste financier doté d’une carte professionnelle, compensateur d’instruments financiers et les personnes physiques agissant pour le compte d’un PSI, dans l’une des fonctions précitées (par exemple CIF, démarcheurs). Ces fonctions sont définies par le règlement général de l’AMF. (Service de communication de l’AMF, site : http://www.amf-France.org).

validation d’un examen portant sur des connaissances minimales règlementaires18

et techniques19

du secteur financier. Cette validation repose sur l’intégration de plus en plus forte de normes dans le secteur bancaire, ce qui lui confère une fois de plus un lien avec les principes généralisés industriels.

3.3. L’optimisation des moyens de servuction

Les Français sont très bancarisés, voire multi bancarisés et par conséquent très bien équipés en termes de produits bancaires. Cette « course au guichet » amorcée depuis les années 1860, s’est donc épuisée avec la saturation du marché (Gloukoviezoff, Lazarus, 2005, p. 7). La France enregistre un taux de 99 % (87 % ayant plus de 15 ans), de personnes bancarisées en 2001, alors que le taux moyen européen la même année est de 71 % et de 78 % aux États-Unis (De Blic, Lazarus, 2007). « […] à l’époque on se bancarisait quand on commençait à travailler, aujourd’hui on est bancarisé dès la naissance, donc on rencontre nos clients lorsqu’ils ont 15 ans… » (Monsieur S., Banque G). Aujourd’hui donc, le développement des banques ne repose plus sur une démarche concurrentielle consistant à la course à la bancarisation mais se fonde sur l’optimisation des moyens mis en œuvre dans le service. Les avantages concurrentiels des banques s’appuient aujourd’hui sur des services personnalisés proposés au client, afin de se différencier des autres institutions financières présentes sur le marché. « La compétition entre les banques repose sur une adéquation de plus en plus fine entre le produit et la caractéristique client auquel il s’adresse » (Courpasson, 1995, p. 139). Il s’agit pour les banques de bien identifier les besoins de leur client, parce que « […] leur attente, c’est qu’on s’intéresse à eux, les fréquences, comme je viens de le dire sont différentes par rapport à la génération d’avant, c’est écouter leurs besoins et surtout qu’on leur donne le produit adapté et surtout qu’on ne leur vende pas le truc dont ils n’ont pas besoin quelque part, donc

18Le cadre institutionnel et réglementaire français européen et international (le secret bancaire, les taux directeurs…), la déontologie, la conformité et l’organisation déontologique des établissements (principes de bonnes conduites, traitement des réclamations clients…), la règlementation pour la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (cadre juridique, sanctions…), la réglementation abus de marché (délit d’initié, sanctions administratives et pénales…), le démarchage bancaire et financier, la vente à distance et le conseil du client (vente à distance, publicité communicationnelle et promotionnelle), la relation avec… et information des clients (connaissance, évaluation et classification du client…).

19Les instruments financiers et les risques (instruments financiers, risques et rendement), la gestion collective/la gestion pour compte de tiers (acteurs du métier de la gestion pour compte de tiers…), le fonctionnement et l’organisation des marchés (lieux et modes d’exécution des ordres, transparence pré et post négociation…), le post marché, back-office (acteurs nationaux et internationaux, la gestion du passif…), les émissions et opérations sur titres (marché primaire, offres publiques…), les bases comptables et financières

je pense que, si on en vient aux qualités [requises] c’est savoir cerner le bon produit donc eux, ce qu’ils veulent c’est avoir une réponse à leur attente… » (Monsieur S., Banque G).

La répartition du temps de travail consacré aux tâches à la fois commerciales (prospection, rendez-vous clients, vente…) et administratives (réunions hebdomadaires, gestion des dossiers de crédits, des comptes clients…) a connu une réorganisation dans le monde bancaire. Ainsi, les institutions financières cherchent depuis les années 70 à adopter des stratégies de libération de temps consacré à la vente pour leurs commerciaux. Aujourd’hui ce phénomène est encore plus marqué. La finalité de cette optimisation du temps de travail est bien entendu liée à la performance commerciale qui est devenue une priorité au sein des banques depuis les années 70. Vendre correspond à la création de valeur ajoutée, ce qui n’est pas le cas quand l’activité est orientée à autre chose même si elle est nécessaire, comme c’est le cas des tâches administratives (Roux, 2009). Une fois encore, il apparaît une tension entre les mondes industriels et marchands parce que les réorganisations des banques, liées à des

principes généralisés industriels : la modernisation, l’industrialisation et l’optimisation des moyens ont pour effet de développer la performance commerciale, autrement dit de fournir de plus en plus de produits bancaires aux clients.

3.4. L’inventaire des généralités industrielles

Comme précédemment, concernant les généralités domestiques, il convient de réaliser l’inventaire lexical illustrant le lien avec le monde industriel tel qu’il est évoqué dans le secteur bancaire par ses valeurs, sa culture, ses mécanismes à travers les entretiens menés (Thévenot. 1989, p. 165).

Les êtres du monde industriel sont dotés d’une efficacité contribuant au bon fonctionnement de l’organisation dans une unité temporelle « qui prolonge le présent dans un futur, ouvrant ainsi la possibilité d’une prévision. […] Demain est ce qui importe » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 254). Les banques, dans un monde en pleine mutation, cherchent à suivre le mouvement d’une modernisation qui s’exprime par les nouvelles technologies : internet, automates, téléphonie et un regard vers l’avenir plein de projets. Cette modernisation se traduit aussi par une industrialisation des pratiques bancaires qui s’illustre par l’emploi de plus en marqué de normes, process, certifications, règlementations, paramètres, labels qualité... dans le but d’une optimisation de ces mêmes pratiques par la mise en place d’une

expertise permettant des mesures de la performance : objectifs, prévisions, résultats…

Dans le monde industriel les qualités de ce qui importe sont reliées aux qualités de tout ce qui traduit la modernisation : neuf, jeune, mouvant, virtuel ; l’industrialisation : répété, spécialisé, calculé et l’optimisation des processus mis en œuvre, performant, efficace, productif, proactif…

Les relations engagent les personnes et les choses du monde industriel selon certains modes de fonctionnement qui permettent la modernisation, illustrée par tout ce qui permet

d’anticiper, d’être en pointeL’industrialisation est favorisée par des moyens dont la finalité est de maîtriser, utiliser (outils), mettre en œuvre… dans le but d’une optimisation en vue d’améliorer les procédures. Toute cette lexicologie exprimée par les interviewés illustre donc des principes généralisés industriels, mais l’étude du corpus montre qu’il existe aussiun autre registre : le monde du renom, certes moins représentatif, mais qui mérite néanmoins d’être traité car il correspond à une réalité du monde bancaire.