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Chapitre II Le traitement des données empiriques

2. Des approches convergentes pour identifier l’objet

Comme il a été démontré, les travaux de Michelat et de Reinert vont bien au-delà d’un simple relevé d’occurrences verbales, de comptabilité de mots. En fait, elles ne se satisfont pas d’une démarche purement chiffrée, détachée de tout contexte et ne tenant compte que du lexique et

5 Parmi les ouvrages classiques, voir Ducrot O., Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972 ; Ducrot O. et al., Les Mots du discours, Paris, Minuit, 1980.

considérant les mots comme ayant un seul sens. Au contraire, elles intègrent à certains degrés que « la notion même de répétition doit être construite et ne pas être considérée comme allant de soi, ni comme un critère de mesure réifié par l’outil informatique » (Bourdesseul, 2006, p. 85). Les deux approches peuvent trouver des points communs parce que dans les deux cas, elles ne considèrent pas la répétition comme se suffisant à elle-même pour donner du sens au corpus, notamment parce qu’elles accordent de l’importance aux associations verbales et au « caché révélateur ».

2.1. Les associations verbales

Le principe des associations verbales consiste à répéter un même lexique de mots. C’est le cas notamment de la « résonnance » qui s’appuie sur l’utilisation de mots connotés de manière identique afin de toucher au mieux le champ sémantique exprimé par les interviewés. Cette notion porte, en fonction des auteurs, des libellés différents mais la signification reste globalement la même. Ainsi, on trouve les termes de « résonnance » chez Reinert (2003), ou de « raisonnement affectif » (Michelat, 1975, p. 240). Ce dernier développe une approche identique à celle de Reinert reposant sur la prise en compte de champs sémantiques comme thèmes significatifs du corpus.

Mais parfois aussi, selon le principe des associations verbales, la répétition ne reprend pas forcément les mots de façon identique puisque « le mot n’est pas seul à résonner » (Bourdesseul, 2006, p. 86). En effet, on l’a vu, la répétition peut prendre d’autres formes comme l’allitération (répétition de mêmes sons) ou l’isotopie (répétition de mêmes sens) (Reinert, 2003). Le principe des associations verbales permet donc une étude du corpus qui peut être encore approfondie par la prise en compte de la notion de « caché révélateur ».

2.2. Le « caché révélateur »

Il s’agit en fait d’une approche « re-présentationiste » qui permet de passer de l’étape de la parole superficielle, ou encore appelée « le contenu manifeste »6

, à celle des pensées plus profondes, autrement appelées « contenu latent », afin de toucher une forme de réalité « représentée ». Pour ce faire, l’étude doit être circonscrite à des réseaux de mots qui correspondent à une hypothèse thématique fixée par avance et qui sera corroborée ou non par

6 « Contenu manifeste » et « contenu latent » Michelat, 1975 citant Laplanche J., Pontalis JB., Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, Paris, 1968, p. 241, et sq.

les mots, la syntaxe, le mode argumentaire sur l’ensemble du corpus appelé le locuteur collectif (Reinert, 2003). Les résultats ainsi obtenus permettent d’aboutir à un schéma unique, le plus simple possible : « […] ; il fait apparaître en tout cas la partie du système culturel rattachée au thème de l’exploration » (Michelat, 1975). Ce système culturel commun au locuteur collectif qui transparaît dans le corpus, constitue ce que Reinert (2003) appelle l’« habitus linguistique » (Bourdesseul, 2006, p. 83, in : Demazière et al., 2006) et Michelat les « raisonnements affectifs » (Michelat, 1975, p. 240). Car ce que construisent individuellement et librement les enquêtés peut être mis en concordance avec l’ensemble du corpus, du locuteur collectif et révèlerait ainsi des déterminants sociaux.

2.3. Les points de divergence

Cependant, il existe un point de divergence entre ces deux analyses. Point que ne souligne pas Reinert mais qui est mis en avant par Michelat ; l’importance du détail dans l’analyse du discours. Effectivement, selon ce dernier, un élément apparu une seule fois dans un discours et/ou dans l’ensemble du corpus peut être amené à être analysé et à faire apparaître une information apportant un nouveau thème ou un angle différent à un thème déjà existant. « On peut même dire, comme dans la théorie de l’information, que plus faible est la probabilité d’occurrence d’un thème, plus grande est la quantité d’informations qu’il apporte » (Michelat, 1975, p. 238). C’est en effet le cas, dans notre étude, du handicap ou des origines étrangères des candidats au recrutement ; ces éléments, cités une seule fois par un interviewé, apportent un éclairage complémentaire à la discrimination sur l’apparence, au-delà même de la tenue vestimentaire et corporelle.

« Très concrètement, heu ça peut être une personne dans le concret, heu, d’une personne qui aurait d’autres origines que des origines européennes, hein, heu ça peut être ça, ça peut être la corpulence de la personne, en fait ça peut être tout ce qu’on peut imaginer et c’est des choses que dans ce cas-là je considère qu’à certains moments en fait s’il faut en parler, ça peut être à moi de de prendre, heu de prendre disons les devants pour rassurer disons la personne » (Monsieur A., Banque G).

On peut souligner que ces thématiques liées aux origines étrangères, au poids des candidats abordées dans cet extrait font déjà l’objet de nombreux travaux sociologiques portant sur la discrimination. Ces derniers menés par le l’Observatoire des discriminations ont déjà exploré les rapports entre le handicap ou l’origine étrangère des candidats et la discrimination au moment du recrutement (Amadieu, 2002). C’est ce que nous rappelons dans notre introduction. C’est pourquoi ces éléments n’ont donc pas été approfondis dans notre travail pour éviter toute redondance avec des résultats issus d’études précédemment menées et afin d’explorer de nouveaux angles de recherche.