• Aucun résultat trouvé

Chapitre I Les principes généralisés dans le monde bancaire

Chapitre 3. Le jugement des compétences commerciales

3. L’entretien de recrutement : une épreuve industrielle

L’entretien de recrutement est une épreuve qui comporte une dimension industrielle, parce qu’elle se fonde sur une démarche normalisée, parce qu’elle utilise un certain nombre d’outils et parce qu’elle cherche à évaluer des compétences recherchées par les recruteurs.

3.1. Une épreuve de normalisation

La normalisation de l’entretien est liée à la structure formalisée de l’entretien ; les questions, les thèmes et les sujets abordés suivent une trame préétablie. Très généralement, l’entretien de recrutement repose sur un modèle de questionnement récurrent des recruteurs. Il s’agit d’une série de questions suivant différentes étapes successives fondées sur des thématiques complémentaires. Elles se traduisent par « l’accueil » ; une phase de présentation brève du recruteur, de l’entreprise, puis par « l’examen du dossier » de candidature ; une phase de

présentation du candidat, ensuite par une étape de « discussion du curriculum vitae » avec le candidat ; la formation du candidat, son expérience professionnelle à travers des emplois, des stages, son niveau de langue, son niveau en informatique, suit une partie sur la « recherche d’emploi » : les raisons, la volonté, l’ambition d’intégrer l’entreprise, complétée par « la présentation de l’entreprise et du poste » ; le salaire, la possibilité d’une collaboration, puis des « questions ouvertes », liées à sa personnalité, ses loisirs, ses activités extra-professionnelles et pour finir, une «conclusion du recruteur » (Le Gall, 2000, p. 74). Outre l’usage de cette trame de questions, l’entretien de recrutement repose sur une série de techniques visant à optimiser les informations obtenues sur le candidat durant l’échange.

« Alors, on a quelques techniques en RH qui nous sont dictées, qu’on utilise : ce qu’il dit, rebondir sur ce qu’il nous a exposé » (Monsieur S., Banque G). Basés sur la reformulation, l’écoute active…, ces outils sont issus des méthodes employées en communication interpersonnelle et confèrent à l’entretien sa nature industrielle.

D’autres outils sont d’ailleurs mis en œuvre. Il s’agit des tests psychotechniques qui permettent d’évaluer le candidat : Sosie26

, PAPI27

, PerformanSe28

(voir Annexe 7) lors de l’entretien. Ils servent de support à des questions qui exploitent les résultats obtenus par les candidats à ces tests.

« Alors c’est d’une part dans l’entretien, avec un jeu de questions en plus, par rapport aux personnes et ce que j’ai demandé, on utilise des outils de tests de personnalité et ce que j’ai demandé, c’est qu’on ne laisse pas la main à l’outil et que quand j’ai déroulé mon entretien, que j’ai commencé à me faire une certaine idée de la personne, que là je prenne les résultats sur un tel, vous connaissez la ressource PERFORMANSE, ou pas comme outil ? » (Monsieur We., Banque H).

L’utilisation de ce type de tests s’inscrit dans une approche de rationalisation chère aux psychologues et aux psychotechniciens qui lui attribuent une validité certaine (Eymard-Duvernay-Marchal, 1996, Eymard-Duvernay, 2008). Ces outils sont mis en œuvre par des logiciels et permettent aux recruteurs d’évaluer les compétences des candidats.

« Nous utilisons un logiciel d’évaluation comportementale qui tourne autour de 70 questions où le candidat est placé en situation professionnelle et il lui est demandé dans 70 situations professionnelles de choisir la question ou la réponse, plutôt la réponse, qui correspond le plus à sa

26 Le test Sosie permet d’évaluer selon les travaux de Léonard V. Gordon et mesurent 9 traits de personnalité et 12 valeurs (Noci, 2003).

27 Ce sont des tests de personnalités basés sur des questionnaires dont l’objectif est d’identifier cinq traits principaux : l’extraversion, la conscience professionnelle, la stabilité émotionnelle, l’ouverture d’esprit, la convivialité. Le test PAPI est utilisé en moyenne par 10 % des recruteurs, c’est le plus utilisé en France actuellement (Azzopardi, 2005).

28 Le modèle performanSe est basé sur les 5 traits précédents et ajoute le degré de motivation d’un candidat et sa capacité à s’intégrer dans l’environnement (www.performanse.fr).

manière d’être, à sa manière de se comporter et en fait à travers ce questionnaire sont balayés un certain nombre de comportements professionnels » (Madame K., Banque D).

Le monde industriel est donc représenté par un ensemble d’outils, de techniques, de tests, de mesures, mis en œuvre durant l’entretien. L’usage de ces outils apporte donc des résultats à caractère factuel (des profils types), qui sont abordés dans l’entretien avec le candidat. Ils ont pour finalité de constituer un moyen de mesure fiable qui vise à limiter le plus possible la part de subjectivité du recruteur :

« Voilà donc ça c’est dans l’approche donc on est sensible à des critères de personnalité, est-ce que c’est quelque chose d’important dans notre approche et enfin on ajoute à ça un outil de recrutement un test de personnalité qui est basé sur le modèle théorique le modèle du PAPI, du SOSIE et lui il s’appelle PERFORMANSE et donc lui, c’est un test qu’on fait passer dans le premier entretien par ordinateur par informatique dix minutes de passation en moyenne, ça donne lieu à un compte-rendu écrit instantané qui est lu par le candidat et après il y a un échange avec le candidat sur le compte-rendu, voilà. Voilà dans les grandes lignes comment on fait » (Monsieur B., Banque C).

Cette normalisation dans le déroulement de l’entretien et les outils mis en œuvre confèrent donc à l’entretien sa nature industrielle. C’est aussi le cas de certaines informations qui font office de preuve dans l’épreuve et dont la nature est, elle aussi, industrielle.

3.2. Une épreuve basée sur des preuves industrielles

C’est le cas, par exemple, des repères-critères qui donnent à l’entretien sa dimension

industrielle. Ces éléments objectifs sont aussi qualifiés de contenu manifeste, car cela « concerne l’échange d’informations et l’appréciation "objective" (factuelle) du candidat par le recruteur, et du poste et de l’entreprise par le candidat » (Le Gall, 2000, p. 72). Ce sont des repères institutionnels : les diplômes, le niveau de formation, le classement des écoles. C’est par exemple tout ce qui concerne le niveau de formation des candidats : Bac+2, le type de formation, le nom des diplômes : BTS MUC (Management des Unités Commerciales) par exemple.

« Donc métier difficile pour des personnes qui sont en situation d’échec scolaire, les personnes qui sont en situation de difficulté scolaire sans diplôme, sans expérience le pari est risqué, c’est la raison pour laquelle nous fixons un niveau de formation initiale à BAC + 2 sans expérience ou à moins que BAC mais si la personne a de l’expérience » (Monsieur K., Banque D).

Il peut s’agir aussi d’informations émises par le marché : le nombre d’années d’expérience professionnelle, le niveau de salaire, … (Eymard-Duvernay, Marchal, 1996). « Les dispositifs de qualification induisent des opérations de mise en équivalence ; les individus sont rattachés à des groupes d’appartenance, des métiers, des diplômes, des grades. Chaque appartenance est

codifiée par des règles qui assurent un traitement égal pour tous. La relation emprunte la forme du jugement, au sens classique de ce terme : subsumer un cas particulier par une règle générale » (Eymard-Duvernay, Marchal, 1996, p. 45). Ce qui caractérise les qualifications, c’est qu’elles se fondent en fonction des institutions (les types d’école, d’universités…), des univers professionnels (les types de métiers : ingénieurs, commerciaux…), des classements, des réputations… Leur légitimité dépend de l’Éducation nationale, de l’État, des labels et normes internationales (classement Shanghai29

, Equis30

, AACSB31

…), des entreprises, des organismes professionnels qui délivrent ces titres, labels, visas, diplômes, grades, classement, etc.

En outre, dans l’entretien, sont abordées des informations reliées au monde industriel car elles font figure de mesures de normes. C’est le cas lorsque les recruteurs sont en quête de faits et d’informations objectives sur le profil des candidats. C’est l’exemple du nombre d’années d’expérience professionnelle, du nombre de stages réalisés, des années ou des mois d’apprentissage… L’expérience professionnelle est aussi objectivée par la forme des contrats ; CDD (Contrat à Durée Déterminée) ou CDI (Contrat à Durée Indéterminée) qui sont des repères et non des indices permettant d’illustrer factuellement le parcours des candidats. On retrouve dans la plupart des entretiens menés, cette quête des faits, dans une volonté de rationalisation de l’entretien de recrutement. Ainsi :

« On a une approche dans nos entretiens qui sont … qui est basée sur la recherche de faits dits significatifs. C’est à dire qu’on va essayer de poser beaucoup de questions qui tournent autour du

comment et non pas du pourquoi, parce que on a souvent quand on a été recruteur on a toujours tendance à se dire pourquoi vous avez fait ci, pourquoi vous avez fait ça et pourquoi et pourquoi, nous ce qui nous intéresse c’est d’essayer de chercher du factuel et donc d’avoir des questions sur le comment… comment vous préparez vos entretiens, comment vous organisez votre activité, comment, comment… et en demandant du comment on a souvent… normalement ça amène des faits et ça nous permet d’être plus objectifs dans notre approche même si ça reste du recrutement toujours subjectif mais on essaie un maximum de fonctionner comme ça » (Monsieur B., Banque C).

Bien entendu, la part de subjectivité ne peut être totalement éradiquée mais les recruteurs s’emploient, dans l’entretien de recrutement, à industrialiser l’épreuve.

29 Il s’agit du classement académique des universités mondiales par l’université de Jiao Tong de Shanghai ou classement Shanghai (Appellation commune du Academic ranking of World Universities) selon six critères comme les publications dans les revues scientifiques, les prix Nobels décernés aux étudiants, aux enseignants-chercheurs…

30 European Quality Improvement System, système d’accréditation spécialisé dans les écoles de commerce ou de management selon des critères incluant les publications dans les revues scientifiques, l’ouverture internationale…

31 The Association to Advance Collegiate Schools of Business, système d’accréditation des écoles de commerce et de gestion selon des critères proches de EQUIS.

3.3. Une épreuve de jugement de « compétences planifiées »

Lorsque l’entretien de recrutement s’appuie sur une grille d’évaluation-type, reposant sur une définition stabilisée des compétences, il s’inscrit dans une épreuve de type industriel. Cette grille prédéfinit les critères étant requis chez les candidats pour pouvoir prétendre à l’obtention d’un poste commercial. Elle est la même pour l’ensemble du groupe bancaire et est utilisée systématiquement par les recruteurs sur les profils commerciaux. « Alors à cette question les critères qui sont recherchés… donc nous on a déjà un outil commun dans notre recrutement en fait qui est une fiche de 4 pages » (Monsieur B., Banque C). C’est le cas notamment de la Banque C, qui utilise un modèle d’évaluation reposant sur sept critères préétablis, comme le montre cet extrait. « On a déterminé 7 compétences qu’on a déclinées… » (Monsieur B., Banque C). En effet, les sept compétences doivent être requises en grande partie (non pas en totalité car « sinon ça serait compliqué » (Monsieur B ., Banque C), par les candidats postulant au poste de commercial. Ces compétences sont déclinées sous forme de compétences transverses et regroupent ces différentes thématiques :

1. Le sens de la performance individuelle et collective : challenge, résultat, compétition…

2. Les capacités à communiquer : écoute, expression orale…

3. Les capacités à vendre : conviction, argumentation, négociation…

4. Les capacités à améliorer son quotidien : force de proposition, amélioration, optimisation…

5. Les capacités à anticiper : pro-action, projection, prévisions… 6. Les capacités à apprendre : adaptation, intégration, évolution… 7. Les capacités à s’organiser : rigueur, analyse, structuration…

L’ensemble de ces compétences ainsi agencées et organisées constitue un outil standardisé à utiliser par l’ensemble des recruteurs du groupe. De fait, ce type de procédure inscrit l’épreuve de l’entretien de recrutement dans un registre industriel. Cependant, il est une autre dimension à prendre en compte, car elle apparaît aussi bien dans l’enquête terrain que dans les modèles théoriques, il s’agit de l’intuition.