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Une utilisation de la rupture conventionnelle qui se rapproche du modèle explicatif du recours au licenciement économique

Encadré 2.1 : Présentation des deux sources de données : les E MMO D MMO et les EAE

5 Quel modèle explicatif de recours pour la rupture conventionnelle ?

5.2 Une utilisation de la rupture conventionnelle qui se rapproche du modèle explicatif du recours au licenciement économique

L’estimation simultanée de quatre probits modélisant chacun le recours à une des modalités

de rupture du CDI (LME, LMP, démission, RC) peut nous permettre de repérer à quel type de rupture, parmi les trois déjà existantes, la RC se rapproche le plus. Le Tableau 2.7 p. 128

présente ainsi les résultats du probit quadrivarié. Première remarque que l’on peut noter : tous

les coefficients de corrélation ρ entre les résidus des quatre équations sont significatifs. Cela indique que les décisions de recourir à chacune de ces modalités de rupture sont interdépendantes les unes par rapport aux autres. Le coefficient de corrélation le plus fort est

celui qui relie la probabilité d’utiliser le LMP avec celle d’avoir au moins une démission.

On peut constater ensuite que, par rapport au modèle probit bivarié estimant les probabilités de licencier pour motif personnel ou pour motif économique en 2008-2009, les résultats du probit quadrivarié concernant ces deux mêmes probabilités ne changent que peu. En effet, seule la variable de masse salariale par tête (en log) devient significative sur le recours au

LMP (l’effet reste négatif).

Si l’on se focalise sur l’utilisation de la RC, il apparaît d’abord que la probabilité de son

p. 128). Par exemple, plus le ratio RCAI/CA est élevé en 2008, moins la probabilité de recourir à la RC en 2009 est grande. Au contraire, avoir un taux de croissance du RCAI/CA ou un taux de croissance du CA négatif en 2008 augmente cette même probabilité en 2009. Cela signifierait que le recours à la RC est plus fréquent dans des entreprises avec des performances économiques faibles, voire mauvaises. Ces résultats sont à rapprocher de ceux concernant le lien du recours au LME avec les variables économiques. Comme pour la RC,

lorsque le taux de croissance du RCAI/CA ou du CA est négatif, la probabilité d’utiliser le

LME est plus forte. Le lien est également significatif pour le recours au LMP seulement dans le cas où le taux de croissance du CA est négatif. En se basant sur les tests de coefficients des régressions (cf. Annexe 2.18 p. 306), on peut faire ressortir un ordre d’importance des effets des variables économiques sur les quatre modalités de rupture. Par exemple, alors que le fait

d’avoir un taux de croissance du CA négatif augmente la probabilité de recourir à chacune des modalités de rupture, l’effet le plus fort concerne le recours au LME, puis à la RC, et enfin au

LMP, alors qu’il n’est pas significatif pour la démission.

Ensuite, l’impact de la masse salariale par tête (en log) sur la probabilité de recourir à la RC

est positif, alors qu’il est négatif sur la probabilité d’utiliser le LMP ou d’avoir une démission.

Cette opposition est nette (cf. les tests des coefficients en Annexe 2.18 p. 306) et rappelle

celle qu’on observait dans le modèle du probit bivarié estimant les probabilités de recourir au LMP ou au LME. D’un côté, l’impact de la masse salariale par tête relève d’une logique économique pour la décision de conclure une RC, et de l’autre, il renvoie plutôt à une logique de maintien des salariés dans l’entreprise pour le recours au LMP ou la présence de démissions. En revanche, la nature de l’impact de la part des dépenses salariales dans le CA est différente. Si on ne relève pas d’effet significatif de cette variable sur le recours au LMP

ou au LME, elle a un effet positif sur le fait d’avoir une démission en 2009 et au contraire

négatif sur le recours à la RC. C’est donc une relation inverse qui apparaît ici par rapport au lien entre la masse salariale par tête et les probabilités d’avoir une démission ou une RC. Ce

résultat, difficilement interprétable, est d’autant plus surprenant que dans le modèle précédent

(probit bivarié), l’impact de ces deux variables sur le recours aux deux types de licenciement

allait toujours dans le même sens. Dans tous les cas, au regard de cette variable, la RC se distingue nettement des autres modalités de rupture (cf. les tests des coefficients en Annexe 2.18 p. 306).

Tableau 2.7 : Estimation de la probabilité de licencier pour motif personnel, pour motif économique, d’avoir une démission ou de conclure une rupture conventionnelle

Source : EMMO-DMMO et EAE, bases biennales, calculs de l’auteur.

Champ : entreprises de 10 salariés et plus du secteur marchand hors agriculture. *** : significativité à 1 % ; ** : significativité à 5 % ; * : significativité à 10 %.

Lecture : pour la base 2008/2009, avoir un ratio RCAI/CA d’autant plus important en 2008 augmente, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’avoir une démission en 2009, alors que cela diminue

la probabilité d’avoir une RC en 2009.

Licenciement pour motif personnel Licenciement pour motif économique Démission RC 0,8189*** -1,6389*** 1,1849*** -2,0656*** (0,1553) (0,1724) (0,1736) (0,1616) -0,0004 -0,0006 0,0013* -0,0012* (0,0006) (0,0006) (0,0007) (0,0007)

Taux de croissance du ratio RCAI/CA

-0,0368 0,2234*** -0,0453 0,0797**

(0,0338) (0,0386) (0,0379) (0,0332)

Positif et inférieur à 50% ref ref ref ref

0,0120 0,1847*** -0,0198 0,0239

(0,0362) (0,0412) (0,0405) (0,0355)

Taux de croissance du CA

0,0627* 0,4802*** 0,0281 0,1840***

(0,0349) (0,0434) (0,0394) (0,0350)

Positif et inférieur à 10% ref ref ref ref

-0,0598 0,1101* 0,1024* 0,0677 (0,0506) (0,0636) (0,0586) (0,0510) 0,0262*** 0,0160*** 0,0193*** 0,0123*** (0,0044) (0,0029) (0,0050) (0,0029) -0,0835** 0,0533 -0,1349*** 0,2943*** (0,0371) (0,0406) (0,0419) (0,0381) 0,0005 0,0002 0,0017** -0,0018** (0,0007) (0,0006) (0,0008) (0,0007)

Répartition des mouvements hors transferts et hors CDD par PCS (t-1)

-0,0024*** 0,0022*** 0,0030*** 0,0044*** (0,0007) (0,0007) (0,0007) (0,0007) -0,0010 0,0019** 0,0012 0,0035*** (0,0007) (0,0008) (0,0007) (0,0007) -0,0002 -0,0023*** 0,0040*** -0,0006 (0,0006) (0,0007) (0,0007) (0,0006)

Ouvriers ref ref ref ref

Répartition des mouvements hors transferts et hors CDD par age (t-1)

0,0057*** -0,0051*** 0,0091*** 0,0034***

(0,0008) (0,0009) (0,0008) (0,0008)

0,0070*** 0,0010 0,0055*** 0,0031***

(0,0008) (0,0009) (0,0008) (0,0008)

50 ans et plus ref ref ref ref

Secteur d'activité (t)

-0,2417*** 0,2475*** -0,4727*** 0,0781**

(0,0355) (0,0384) (0,0393) (0,0347)

-0,0011 -0,4671*** -0,0051 -0,1019*

(0,0550) (0,0743) (0,0616) (0,0552)

Commerce ref ref ref ref

-0,0354 0,0958* -0,0648 0,1024** (0,0486) (0,0531) (0,0573) (0,0478) Taille d'effectifs (t) -1,1851*** 0,2140*** -1,0407*** -0,3908*** (0,0639) (0,0699) (0,0657) (0,0704) -0,6516*** -0,0356 -0,6184*** -0,2389*** (0,0276) (0,0305) (0,0311) (0,0270)

100 salariés et plus ref ref ref ref

-0,0006* -0,0008* 0,0008* -0,0014*** (0,0004) (0,0005) (0,0004) (0,0004) -0,0039 -0,0183* -0,0060 0,0219** (0,0094) (0,0106) (0,0098) (0,0095) Nombre d'observations Valeurs manquantes Négatif Positif et supérieur à 10% 2008-2009 Constante RCAI/CA (t-1) Négatif Positif et supérieur à 50% 50-99 salariés Pouvoir de marché (t-1)

Masse salariale par tête en log (t-1)

Cadres Professions intermédiaires Employés Jeunes 30-49 ans Industrie Construction Autre Tertiaire 10-49 salariés

Part des dépenses salariales dans le CA (t-1)

10957 0,0582***

(0,0199)

351

Taux d'entrée en CDD (t-1) Taux de départs en retraite (t-1) Rho : lmp et lme 0,1293*** 0,2725*** 0,0383* Rho : lmp et RC Rho : lme et RC Rho : demission et RC Rho : lmp et demission Rho : lme et demission

(0,0216) (0,0173) 0,1524*** 0,1225*** (0,0178) (0,0193) (0,0187)

Concernant le lien de ces quatre modalités de rupture avec les deux autres modalités de gestion de la main-d’œuvre, quelques résultats peuvent être discutés. Tout d’abord, comme

pour le recours au LMP ou au LME, plus le taux d’entrée en CDD en 2008 est important, moins la probabilité d’utiliser la RC est grande. Ce lien négatif se distingue de celui obtenu

pour la démission qui apparaît positif. Ainsi, sur la seule période 2008-2009, une logique de

substitution ressort entre l’utilisation du CDD et le recours au licenciement ou à la RC, alors qu’une logique de complémentarité serait à l’œuvre entre l’utilisation du CDD et la présence

de démission. Cela peut renvoyer à une politique de gestion de la main-d’œuvre reposant sur une main-d’œuvre flexible (CDD) et sur des départs volontaires de la part des salariés. Dans

ce cas, les ruptures décidées par l’employeur (licenciement), ou dont il faut avoir au moins

son accord et qui nécessitent une procédure particulière (RC), seraient moins fréquentes.

D’autre part, le lien entre le taux de départ en retraite et la RC semble spécifique puisqu’il est positif dans ce cas, alors qu’avec les autres modalités de rupture, licenciement et démission, il

apparaît négatif mais pas toujours significatif. Ce lien positif pourrait suggérer un usage plus important de la RC dans des entreprises qui ont une politique de départ accru des salariés âgés

et dans le sens d’un rajeunissement de la pyramide des âges.

Enfin, les spécificités sectorielles de la RC rapprochent cette modalité de rupture avec le LME : par rapport au commerce, être dans le secteur industriel ou dans le tertiaire marchand

hors commerce augmente les probabilités d’avoir un LME ou une RC, alors qu’être dans la

construction diminue de manière significative ces deux probabilités.

Ainsi, l’estimation simultanée à partir d’une même spécification des probabilités de licencier pour motif personnel, pour motif économique, d’avoir une démission ou encore une rupture

conventionnelle, nous a permis de dégager les spécificités propres à chaque rupture, mais également de repérer à quelle modalité de rupture du CDI déjà existantes la RC se rapproche le plus. Les résultats nous ont montré que, par un certain nombre de caractéristiques et liens semblables, la RC semble se rapprocher davantage du LME, tandis qu’elle se distingue nettement de la démission.

Conclusion

La distinction entre le licenciement pour motif personnel et le licenciement pour motif économique est définie par la loi fondatrice de 1973, mais elle reste une distinction juridique.

La jurisprudence n’a ensuite cessé de préciser ces règles juridiques et surtout de limiter

certaines pratiques qui se sont développées au cours des années 1990. Cela montre dès le départ que les deux catégories du licenciement peuvent être perméables, y compris en droit. Les perspectives économiques, gestionnaires et sociologiques que nous avons mobilisées vont également dans ce sens. Ainsi, si les indicateurs résumant la situation économique et

financière d’une entreprise peuvent apparaître comme le premier déterminant de la décision

de recourir au LME, elles ont également une influence, même si de moindre ampleur, sur

l’utilisation du LMP par le biais des politiques de management par objectif. De manière

inverse, la logique GRH avec les différentes politiques mises en place par les entreprises

semblent définir une utilisation particulière des modalités d’embauche (CDD, CDI) et de

sortie des entreprises (licenciements, démissions, départs à la retraite, RC) et peuvent par conséquent expliquer un recours plus important ou au contraire plus faible aux licenciements. Le caractère individuel du LMP incite à penser que ces indicateurs de GRH influencent en particulier ce motif du licenciement, mais nous avons montré que, là aussi, ces variables peuvent avoir un impact sur le recours au LME.

C’est à partir d’un travail de construction d’une base de données appariée entre deux sources

statistiques que nous avons ensuite testé l’influence de la politique de gestion de la main-

d’œuvre et des indicateurs de performances économiques des entreprises sur l’utilisation des deux motifs du licenciement. L’analyse économétrique menée sur cette base de données (à l’aide de probits bivariés, puis de probits à effets aléatoires) nous a permis de confirmer certaines de nos hypothèses. Le recours au licenciement économique apparaît ainsi d’autant

plus important que les performances économiques des entreprises sont faibles ou en baisse. Si

l’état de ces performances agit également sur la décision de licencier pour motif personnel,

cette influence est toujours moins forte par rapport à celle du licenciement économique. En

revanche, la relation qu’entretient chaque type de licenciement avec les autres modalités de

gestion de la main-d’œuvre semble plus complexe. Deux logiques différentes de gestion de la main-d’œuvre ressortent des modèles estimés. D’un côté, la relation négative, bien que faible, entre le taux de CDD et les recours au LMP et au LME suggère une logique de compensation

les taux d’entrée en CDD les plus forts connaissent des ajustements sur les CDI via les

licenciements plus faibles. D’un autre côté, le lien positif entre le taux de démission et les recours au LMP et au LME renvoie au contraire à une logique de non-fidélisation ou de

flexibilité dans l’utilisation de la main-d’œuvre : les entreprises jouent ainsi sur plusieurs

modalités de rupture du CDI qui apparaissent comme complémentaires. En revanche, une

distinction nette apparaît concernant l’influence d’une politique salariale généreuse sur le

recours aux deux types de licenciement : elle est positive sur l’utilisation du LMP (logique de motivation des salariés) et négative sur celle du LME (logique d’économie sur le coût de la main-d’œuvre). Enfin, un dernier modèle économétrique a permis de révéler l’usage particulier de la rupture conventionnelle par les employeurs. Son utilisation semble proche du modèle de recours au LME, notamment au regard de l’influence des indicateurs économiques,

alors qu’elle s’éloigne assez nettement du modèle de recours à la démission.

Ainsi, l’identification de modèles de rupture du CDI correspondant à chacune des modalités juridiques n’est pas aisée car les facteurs de recours à chacune d’entre elles ne sont pas nettement distincts. Au vu des résultats obtenus ici, il semble finalement que c’est surtout le

niveau d’intensité différent de l’influence de chaque groupe de facteurs explicatifs qui permet

de réaliser une distinction entre les recours au licenciement économique, au LMP ou encore à la RC.

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