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Le licenciement dans le cadre de stratégies de gestion de la main d’œuvre

MOTIFS DU LICENCIEMENT

1 Cadre analytique des déterminants du recours aux deux motifs du licenciement

1.3 Le licenciement dans le cadre de stratégies de gestion de la main d’œuvre

Si en pratique tous les licenciements, sans distinction de motif, relèvent de la gestion des ressources humaines, on pourrait supposer que le recours au motif économique du licenciement soit expliqué essentiellement par des décisions relatives à la gestion de l’activité

économique de l’entreprise, de sorte que les liens avec les autres décisions de GRH soient

moins forts que pour un LMP. Mais en étudiant plus précisément la décision de licencier dans une logique de GRH, il ressort en réalité des imbrications entre les modalités de gestion de la main-d’œuvre et les licenciements pris dans leur ensemble (1.3.1). Plus précisément, deux politiques de GRH peuvent être distinguées selon les objectifs des entreprises : une politique de fidélisation de la main-d’œuvre impliquant un faible turn-over et une faible utilisation des licenciements ; ou une politique de flexibilisation entraînant au contraire une forte utilisation

de l’ensemble des modalités de sortie des entreprises. En outre, dans les deux cas, les

modalités de GRH peuvent être utilisées dans une logique de substitution par les entreprises (1.3.2).

1.3.1 Les deux motifs du licenciement envisagés dans une logique de GRH

D’un point de vue strictement juridique, le licenciement pour motif personnel est invoqué

pour un fait inhérent au salarié, on peut donc penser a priori qu’il revêt un caractère

strictement individuel. Mais en réalité, le LMP s’insère également dans une logique de gestion

de la main-d’œuvre plus collective, détaché d’un comportement uniquement individuel et

organisé au sein de l’entreprise (Pichon, 2007 et 2008). Pichon (2007 ; 2008) évoque ainsi des

LMP « coercitifs », c’est-à-dire correspondant aux différents cas de causes non disciplinaires

du licenciement pour motif personnel, mais s’inscrivant dans un contexte où la norme

salariale devient plus exigeante, plus coercitive et plus discriminante. Par conséquent, le LMP ne devrait pas être analysé de manière isolée comme une modalité de rupture intrinsèquement individuelle et mis en opposition à des LME comportant, eux, une dimension uniquement collective. En réalité, le LMP comporte lui aussi une dimension collective, alors que le LME est plus souvent individuel qu’on ne le pense (cf. chapitre 1). Ces deux types de licenciement devraient ainsi être étudiés dans une logique de GRH, entendue comme un ensemble de

modalités d’embauche (CDD, CDI) et de sortie (licenciements, démissions, départs à la

retraite, fins de CDD, etc.) mises à disposition des entreprises pour gérer leur main-d’œuvre. Comme Pichon (2007) le résume bien à propos de la gestion flexible des entreprises : « il en résulte une stratégie qui concerne à la fois les flux entrants avec les recrutements et la

répartition des statuts d’emploi (CDI, CDD, intérim, etc.), mais aussi les flux sortants avec les

licenciements. Ces derniers reposent alors sur une gestion des ressources humaines, constituée de remaniements continus des emplois, articulés à des modalités de coercition (prescription et contrôle), de sanction (avertissement et licenciement) et de discrimination (Qui embaucher ? Qui garder ? Qui déplacer et qui licencier ?) » (p. 129). De manière générale, les entreprises peuvent ainsi adopter des stratégies de gestion de la main-d’œuvre, répondant à des objectifs définis par les entreprises, de flexibilité ou au contraire de fidélisation de la main-d’œuvre. 1.3.2 L’influence des politiques de GRH sur le recours au licenciement selon les

objectifs des entreprises

Peu de travaux existent sur les liens entre les politiques des entreprises en matière de gestion des ressources humaines et les modalités de sortie des salariés. Sur les politiques spécifiques de rémunération des salariés, Duhautois et al. (2011) montrent qu’une politique de rémunération généreuse a des conséquences sur la mobilité volontaire des salariés dans ces entreprises : les taux de démissions y sont plus faibles. Cependant, leur étude reste centrée sur

les départs volontaires des salariés et ne s’intéresse pas aux modalités de rupture utilisées par

les employeurs, comme les licenciements. Dans la même perspective, Leonard et Van Audenrode (1996) concluent qu’une politique d’établissement favorisant et accélérant les carrières salariales est associée à des taux de LMP et de démission plus faibles. Ainsi, dans ces entreprises, une politique salariale avec un objectif de stabilisation de la main-d’œuvre (faible turn-over) s’accompagne de faibles mobilités volontaires des salariés (démissions), mais aussi de faibles mobilités décidées par les employeurs (licenciements). Les stratégies des entreprises en matière de gestion de la main-d’œuvre peuvent également être influencées par des contraintes externes. Par exemple, Deakin et Rebérioux (2009) considèrent le rôle de la pression des marchés financiers. Les auteurs estiment que les entreprises soumises à la valeur actionnariale pourraient avoir une plus forte rotation de leur main-d’œuvre à travers deux canaux : des restructurations périodiques (licenciements collectifs) et le recours aux CDD65. Ces exemples peuvent renvoyer aux théories de la segmentation qui s’intéressent aux stratégies des entreprises en matière de gestion de la main-d’œuvre (Doeringer et Piore, 1971). Deux catégories d’entreprises peuvent alors être distinguées selon l’objectif qui sous- tend leur politique de gestion de la main-d’œuvre : un objectif de fidélisation des travailleurs

65 Les auteurs précisent que les études empiriques montrent qu’en France, les entreprises soumises à la pression

des marchés financiers, c’est-à-dire les entreprises cotées, vont avoir tendance à recourir davantage à l’intérim et

la sous-traitance. Ainsi, une logique de non-fidélisation de la main-d’œuvre serait à l’œuvre mais toucherait

qui serait le marqueur d’un marché du travail interne ; et un objectif de flexibilisation, caractéristique du marché externe. De cette perspective théorique, nous pouvons déduire des spécificités en termes de rotation de la main-d’œuvre et d’utilisation des modalités d’entrée et de sortie par les entreprises. La logique de fidélisation entraînerait ainsi un faible turn-over reposant sur une utilisation a minima des licenciements et des contrats temporaires, ainsi que sur une présence faible des démissions. Au contraire, la logique de flexibilisation de la main-

d’œuvre s’appuierait, elle, sur l’ensemble des modalités d’embauche et de sortie existantes, c’est-à-dire autant des départs volontaires de la part des salariés que des sorties à l’initiative de l’employeur, comme les licenciements, mais aussi des embauches en CDD ou missions d’intérim.

Afin de mettre à l’épreuve empirique l’existence de ces deux logiques qui sous-tendent les pratiques de gestion de la main-d’œuvre, nous avons réalisé une analyse statistique à partir de la base de données des EMMO-DMMO utilisée dans le chapitre 1. Nous avons ainsi créé deux

catégories d’établissements selon qu’ils ont connu ou non, au cours de l’année, à la fois au

moins une démission et un licenciement. La Figure 2.1 ci-dessous montre ainsi que les établissements qui ne connaissent ni licenciement ni démission au cours d’une année sont également ceux qui sont caractérisés par des taux d’entrée en CDD et de rotation plus faibles

(le taux agrégé d’entrée en CDD est calculé comme le nombre total d’entrées en CDD rapporté à l’effectif salarié moyen des établissements, alors que le taux agrégé de rotation se définit comme la moyenne des taux d’entrée et de sortie). Au contraire, ceux dont la rotation

de la main-d’œuvre en CDI s’effectue à la fois par des démissions et des licenciements ont un

taux d’entrée en CDD et un taux de rotation plus élevés que l’ensemble des établissements. L’utilisation des licenciements coïnciderait donc avec la présence de démissions, mais aussi

avec un recours plus important aux CDD ; alors que lorsque l’entreprise n’effectue pas de

Figure 2.1 : Taux agrégé de rotation ou d’entrée en CDD selon la présence conjointe de

démissions et de licenciements dans l’année (2001-2010)

Taux agrégé de rotation Taux agrégé d’entrée en CDD

Source : calculs de l’auteur à partir des EMMO-DMMO, Dares.

Champ : établissements de 10 salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Si les entreprises peuvent utiliser des stratégies de gestion de la main-d’œuvre selon des

objectifs qu’elles se fixent (fidélisation ou flexibilité), elles peuvent pour un niveau de

rotation donné, autrement dit quel que soit le type de politique générale de GRH, composer avec l’ensemble des modalités d’entrée et de sortie des entreprises. Etudiant les relations entre le recours aux CDD des entreprises et les autres modalités d’ajustement de la main-d’œuvre, Sauze (2003) fait apparaître, par exemple, une logique de substitution entre les fins de CDD et les démissions. Sur la période 1990-1995 et à un niveau agrégé, l’augmentation des fins de CDD aurait ainsi compensé la diminution des démissions. Sur une période plus courte (1990- 1993), cette baisse des démissions aurait également été compensée par une hausse des licenciements économiques. Cette substitution entre démissions et licenciements économiques intervient ici dans un contexte de fort ralentissement de l’activité économique, ces deux

modalités de gestion de l’emploi étant les plus sensibles à la conjoncture économique (cf. chapitre 1). C’est d’ailleurs ce que montre Noël (1995) sur plus longue période (1977-1994) :

à partir des inscriptions à l’ANPE, il met en évidence un effet de substitution entre licenciements économiques et démissions. Il conclut à l’existence d’une boucle

d’amplification : des suppressions d’emplois entraînent une hausse du chômage, qui entraîne

une baisse des démissions, ce qui augmente en retour les licenciements pour compenser le manque de salariés volontaires au départ sur des postes supprimés. Enfin, Le Minez et Maurin

(2004) mettent en évidence un autre effet de substitution : le recours aux CDD irait de pair avec une utilisation plus faible des LME.

La décision de licenciement n’est donc pas seulement liée à la définition juridique distinguant

les deux motifs, ni seulement expliquée par un ajustement à l’environnement économique,

mais elle s’intègre aussi dans des politiques de gestion de la main-d’œuvre s’appuyant sur des

objectifs définis par les entreprises. Dans le prolongement de cette littérature, le recours au LMP, et dans une moindre mesure au LME, pourrait donc être corrélé à un ensemble de variables caractérisant les politiques de gestion de la main-d’œuvre des entreprises.

D’un côté, à partir des politiques de GRH mises en place par les entreprises, on pourrait formuler deux types d’hypothèses. Dans un objectif de flexibilisation, un usage fréquent du LMP pourrait être interprété comme le signe d’un moindre désir de retenir les salariés, il irait

alors de pair avec un recours aux CDD important, et/ou de plus fréquentes démissions. Dans un objectif de fidélisation de la main-d’œuvre, un indicateur d’une politique de rémunération généreuse de la main-d’œuvre pourrait entraîner un recours plus faible au LMP.

D’un autre côté, des relations de substitution peuvent aussi apparaître entre les modalités d’entrée et de sortie des entreprises. Dans ce cas, si une entreprise utilise principalement un

volant de main-d’œuvre temporaire (CDD ou intérim) et/ou connaît de nombreux départs volontaires de la part des salariés, alors elle pourrait avoir un moindre usage du LMP pour obtenir le niveau de rotation de la main-d’œuvre recherché. Cette logique de substitution entre

les modalités de rupture peut aussi s’exercer dans une entreprise qui connaît des LME, de sorte qu’on peut attendre une corrélation négative entre le LME et les autres modalités de

rupture par lesquelles l’employeur ajuste son volume d’emploi. En outre, cette relation de substitution entre démissions et LME pourrait être d’autant plus visible pendant des phases de fortes fluctuations de la conjoncture économique (crise par exemple).

La confrontation de ces différentes perspectives disciplinaires apparaît au fondement de la construction de nos hypothèses. Ainsi, si une première séparation est définie par le droit entre

les deux motifs du licenciement, nous avons pu voir qu’elle est fragile et de plus en plus perméable sous l’effet des pratiques des employeurs et de l’évolution des modes d’organisation et de management des entreprises. Par exemple, ce n’est pas seulement le

les liens qu’entretient cette modalité de sortie avec les autres modes d’entrée et de sortie des entreprises. A l’opposé, le LMP peut aussi être impacté par les conditions économiques des entreprises, même si l’on peut supposer que cet impact sera de plus faible ampleur.

A partir de ces premières intuitions, nous tentons maintenant de formuler de manière plus précise les hypothèses qui sont testées sur une base de données construite à partir de

l’appariement de deux sources statistiques.

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