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Des définitions juridiques fragiles et perméables malgré le rôle de la jurisprudence qui précise et encadre les pratiques

MOTIFS DU LICENCIEMENT

1 Cadre analytique des déterminants du recours aux deux motifs du licenciement

1.1 Des définitions juridiques fragiles et perméables malgré le rôle de la jurisprudence qui précise et encadre les pratiques

La loi considérée comme fondatrice pour le droit du licenciement est celle du 13 juillet 1973

qui instaure l’obligation d’une cause réelle et sérieuse pour licencier de manière individuelle et quel que soit le motif (à l’époque était distingué le motif économique du motif personnel ou

disciplinaire). Cette loi a également institué une procédure spécifique et obligatoire (règles de fond et de forme à respecter). Pour justifier d’un licenciement, quel qu’en soit le motif,

l’employeur doit donc d’abord s’appuyer sur une cause réelle et sérieuse. Le licenciement

peut ensuite avoir plusieurs origines : un motif personnel ou un motif économique. Cette distinction apparaît assez nette dans le droit, mais elle reste théorique car « la loi ne peut tout

prévoir, et ne le doit pas, sous peine de figer l’évolution des règles » (Portalis cité par

Lascoumes et Serverin, 1986, p. 131). Les précisions de la jurisprudence55 sur la cause réelle

et sérieuse du licenciement, mais également l’évolution de son utilisation par les employeurs,

ont eu tendance à rendre plus fragile et perméable les définitions des deux catégories juridiques du licenciement. Dans le cas du LMP, cela est bien illustré par le développement des causes non fautives du licenciement ou par les pratiques des clauses contractuelles (1.1.1). La définition juridique du motif économique du licenciement donne également lieu à une jurisprudence continue en fonction de son utilisation par les employeurs (1.1.2).

1.1.1 Un jeu constant d’aller-retour entre précision de la jurisprudence et pratiques des employeurs en matière de licenciement pour motif personnel

Le licenciement pour motif personnel s’appuie sur un fait inhérent à la personne du salarié, à

l’opposé du licenciement économique où la cause est extérieure à l’individu. Il doit être

« motivé » et « justifié par une cause réelle et sérieuse » (L. 1232-1). Ce principe de la cause

réelle et sérieuse n’est pas davantage précisé par la loi56

, mais il l’a été progressivement par la jurisprudence, d’abord dans les années 1973-1985 à la suite de la loi, puis à partir des années 1990, notamment en réaction au développement de certaines causes non fautives ou à

l’utilisation de clauses contractuelles par les employeurs (cf. ci-dessous). Selon la jurisprudence, l’énonciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement doit, de manière

55Il existe toutefois d’autres sources de précision des règles de droit que la seule jurisprudence. Les conventions

collectives, accords d’entreprise ou encore accords de méthode, sont également là pour préciser le sens des termes de la loi et l’ajuster aux particularités de certains contextes productifs.

56 Même si au cours des débats parlementaires, des précisions sont émises de la part de certains parlementaires,

et notamment du ministre du travail de l’époque (G. Gorse), sur la définition de la réalité et du sérieux de la

générale, être fondée sur des élémentsobjectifs, et la mesure prise par l’employeur ne doit pas être disproportionnée par rapport au fait considéré.

On distingue ensuite les causes fautives (simple, grave ou lourde) du licenciement, des causes non fautives mais qui entraînent une gêne importante au fonctionnement de l’entreprise (insuffisance professionnelle, insuffisance de résultats, inaptitude physique, absences répétées, etc.). C’est le développement, vraisemblablement dans les années 1990, de ce type de causes non fautives de licenciement (Pignoni et Zouary, 2003) qui semble avoir conduit à un autre mouvement de jurisprudence sur le principe de la cause réelle et sérieuse. En effet, au cours des années 1990,certains arrêts jurisprudentiels57 ont pu modifier la manière de recourir à ces motifs personnels. Par exemple, l’invocation d’une perte de confiance ou d’une

mésentente de l’employeur avec un salarié, n’est plus un motif en soi de licenciement depuis

un arrêt de la cour de cassation en 1990 (cf. arrêt Mme Fertray en 1990). L’employeur doit dorénavant fonder le licenciement sur des faits objectifs qui démontrent la perte de confiance

et empêchent la continuation de l’activité professionnelle. En effet, si le qualificatif

« objectif » caractérise le caractère réel et sérieux de la cause du LMP dès les premières jurisprudences, la cour de Cassation n’exigeait pas toujours les éléments permettant d’en attester l’existence (Pélissier et al., 2012).

Un autre type de pratiques, constitué par les clauses contractuelles, a également été encadré par la jurisprudence à la fin des années 1990 et au début des années 2000. L’inscription de clauses dans le contrat de travail du salarié lors de son embauche peut en effet être vue comme un moyen de faciliter le licenciement futur du salarié. Mais face au développement de

l’utilisation de clauses qui donnaient lieu à une préqualification d’un motif de licenciement, la jurisprudence a souhaité limiter ces pratiques (Bessy, 2008). Le cas de l’insuffisance de

résultats est révélateur de ce type de pratiques contractuelles. Désormais (arrêt du 14

novembre 2000), une clause de réalisation d’objectifs ne constitue pas, à elle seule, une cause réelle et sérieuse de licenciement. En effet, l’employeur doit pouvoir montrer que cette non-

réalisation des objectifs ou de mauvais résultats est due à une insuffisance professionnelle ou à une faute imputable au salarié. De plus, les objectifs définis au contrat doivent être

objectivement atteignables et compatibles avec l’état de la conjoncture économique.

57 Pour plus de précisions sur les arrêts jurisprudentiels évoqués dans cette partie, le lecteur pourra se reporter au

Précis Dalloz 2012 (26ème édition) sur le Droit du travail écrit par J. Pélissier, G. Auzéro et E. Dockès, pp. 468- 478.

Cette jurisprudence semble ainsi avoir rendu plus exigeante l’invocation des causes non fautives et personnelles permettant de licencier un salarié, et avoir encadré l’utilisation des clauses contractuelles. Cela montre que la définition du LMP semble constamment précisée et

renouvelée sous l’effet de l’usage que font les employeurs de ce type de licenciement.

1.1.2 Des « difficultés économiques » à l’origine du licenciement pour motif économique

Concernant le motif économique du licenciement, la règle de droit semble également laisser

une large place à l’interprétation par la jurisprudence. En effet, le droit définit de la manière

suivante un LME : « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » (L. 1233-3). Les termes « difficultés économiques » ou « mutations technologiques » par leur imprécision, et l’usage de l’adverbe « notamment », ont pu donner lieu à une jurisprudence conséquente. La plus connue et sujette à controverses est celle qui a rendu possible le licenciement pour motif économique afin de

sauvegarder la compétitivité de l’entreprise (cf. le fameux arrêt « Pages jaunes » du 11 janvier

200658). De manière générale, la réalité des difficultés économiques invoquées pour justifier la suppression ou la transformation d’un emploi est laissée à l’appréciation des juges.

Ce qui distingue le LME du LMP renvoie également à l’existence de procédures spécifiques selon que le licenciement est individuel ou collectif et selon la taille de l’entreprise. Lorsqu’il est collectif mais touche moins de 10 salariés en l’espace de 30 jours, les institutions

représentatives du personnel (IRP) doivent être informées et consultées à propos du projet de licenciement. Tandis que si le projet concerne au moins 10 salariés sur une période de 30

jours et que l’entreprise a au moins 50 salariés, un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) doit

être mis en place « pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre » (L. 1233-61) et sur

lequel le comité d’entreprise doit être consulté. Le PSE doit ensuite être notifié à l’administration du travail qui vérifie la régularité de la procédure. Si le caractère collectif du

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Selon la Cour de cassation, « la réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement

si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle

appartient, et que répond à ce critère la réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques

à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement ».

LME est souvent mis en avant lorsqu’on évoque ce type de licenciement, il faut toutefois

prêter attention au fait que la plupart des licenciements économiques sont individuels comme

nous l’avions montré dans le chapitre 1 (partie 2.3.1 ; cf. également Ray, 2010, qui considère que moins d’1/4 des LME sont prononcés dans le cadre d’un PSE). La séparation entre des

LME collectifs et des LMP individuels, qui peut être présente dans les représentations sociales du licenciement, ne paraît donc pas très pertinente.

Finalement, la législation entourant l’utilisation du motif économique du licenciement s’est étendue à d’autres modalités juridiques de rupture. Devant les pratiques de « départs volontaires » développées dans le cadre de restructurations par les entreprises dès les années 1980, certaines règles applicables aux LME, notamment celles relatives aux procédures

collectives, viennent aussi encadrer les ruptures à l’amiable pour motif économique (nous reviendrons plus précisément sur ces pratiques dans le chapitre 3). L’existence légale de

plusieurs modalités juridiques de rupture pour motif économique peut, là encore, rendre perméable la définition de la catégorie statistique du LME.

De la distinction juridique entre les deux types du licenciement, il semble d’abord ressortir

l’hypothèse générale de l’existence de deux modèles explicatifs différents pour chacun des

deux motifs du licenciement : le LME serait plus corrélé à l’activité économique de

l’entreprise ; alors que le LMP serait plus associé à des faits liés aux comportements des

salariés. Cependant, dans les faits, on peut considérer que cette séparation n’est pas si radicale car le droit ne décrit pas des comportements mais seulement des cadres qui entourent les pratiques, et la jurisprudence agit constamment de son côté pour préciser certaines règles ou limiter des pratiques qui se sont développées en dehors de l’intention initiale de la loi.

Toutefois, si l’on s’en tient aux termes de la loi, le seul déterminant du licenciement qui

renvoie à l’entreprise est relatif à sa situation économique et concerne d’abord le LME. Il

paraît donc nécessaire maintenant de chercher à préciser le rôle des indicateurs caractérisant la situation économique et financière des entreprises dans la décision de licencier.

1.2 L’influence des performances économiques et financières sur la décision de

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