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L’influence des performances économiques et financières sur la décision de licencier

MOTIFS DU LICENCIEMENT

1 Cadre analytique des déterminants du recours aux deux motifs du licenciement

1.2 L’influence des performances économiques et financières sur la décision de licencier

Si le lien le plus évident entre la situation économique de l’entreprise et ses décisions de licenciement concerne les pratiques de réduction d’effectifs, autrement dit d’abord le licenciement économique (1.2.1), nous montrons que le contexte économique peut également

expliquer une partie de l’utilisation du LMP, et de son évolution sur les deux dernières

décennies, à travers le développement de pratiques de management par objectif dans les entreprises (1.2.2).

1.2.1 Suppressions d’emploi et performances des entreprises : quelle relation de causalité et quels indicateurs pertinents ?

La littérature gestionnaire et économique s’est intéressée aux liens entre les performances économiques et financières des entreprises et leurs pratiques de réduction d’effectifs ou de suppression d’emplois. Même si la nature de ces réductions d’effectifs (modalités de rupture utilisées : PSE, licenciements économiques, départs négociés ou volontaires) n’est pas étudiée en soi, ni toujours précisée, cette littérature nous apporte des éléments de cadrage indispensables pour deux raisons. Elle permet, d’une part, de saisir les indicateurs utilisés pour caractériser les performances des entreprises et, d’autre part, de mettre en évidence

l’intensité des liens entre ces indicateurs et les politiques de réduction des effectifs. Deux types d’analyses sont effectués : soit une étude des déterminants économiques et financiers

des réductions d’effectifs, soit au contraire, un examen des effets des réductions d’effectifs sur les performances des entreprises.

Sur données françaises (échantillon restreint de 90 entreprises sélectionnées à partir de la base de données comptables et financières Dafsa-Pro), Sentis (1998) montre de manière descriptive que les entreprises qui réduisent leurs effectifs de plus de 10 % sur la période 1992-1994 sont caractérisées par des performances financières plus faibles que la médiane des entreprises du secteur auquel elles appartiennent (indicateurs de rentabilité économique et de productivité du travail59). Les résultats des régressions logistiques montrent cependant que ces réductions

d’effectifs ne s’expliqueraient pas forcément par une dégradation de la situation financière des

entreprises. A l’inverse, ces résultats ne semblent pas non plus montrer clairement une amélioration des performances financières qui aurait été provoquée par des réductions

d’effectifs (effet positif à court terme sur la productivité et la rentabilité économique l’année

suivant les suppressions d’emplois, mais aucun effet sur la rentabilité des capitaux). Plus récemment, Reynaud (2012), à partir d’un modèle logit sur un échantillon de plus de 13 000

entreprises, dégage le résultat selon lequel la probabilité de réduire les effectifs en 1996 est

plus forte dans les entreprises ayant des difficultés économiques (baisse du chiffre d’affaires)

59 La rentabilité économique est calculée ici comme le rapport entre la valeur ajoutée et la valeur de marché de la

firme, alors que la productivité du travail est mesurée par le logarithme du rapport entre la valeur ajoutée et

et financières60l’année précédente. En revanche, à partir d’estimations en doubles différences

(à partir d’une comparaison entre entreprises cotées et non cotées), l’auteur ne trouve pas d’évidence empirique à l’hypothèse que les restructurations amélioreraient les performances

financières (à travers le ROE notamment).

Enfin, à titre de synthèse, Allouche et al. (2008) ont procédé à une méta-analyse de la littérature étudiant ce lien entre restructurations et performances économiques, financières et boursières des entreprises à partir de 52 publications académiques61. Les auteurs montrent,

d’une part, à partir de méta-régressions, que les entreprises qui se restructurent en réalisant des suppressions d’emplois ont des performances inférieures aux autres entreprises l’année de

la restructuration62. D’autre part, ce n’est qu’à moyen-long terme (après deux ans) que ces entreprises améliorent leurs performances. Cette évolution est alors analysée par les auteurs comme un phénomène de rattrapage pour revenir à une situation « normale » de performance.

De manière plus qualitative (entretiens et expériences sur le terrain), Beaujolin-Bellet (1999) étudie la décision de réduction des effectifs. Elle met notamment en évidence le développement de la logique financière de court-terme dans la prise de décision. Cette logique

tend à s’appuyer sur quelques indicateurs clés dont l’évolution est étudiée par les directions

des entreprises, ainsi que par les actionnaires, tout au long de l’année : le chiffre d’affaires (CA), le résultat net, le résultat exceptionnel, le rapport entre le résultat net et le CA, le rapport entre la masse salariale et le CA, un ratio de productivité et enfin la part de marché63.

Les décisions de licenciements apparaissent alors comme consécutives à l’évolution de ces ratios (soit évolution en baisse, soit baisse du niveau de l’indicateur en-dessous d’un certain seuil). L’auteur montre ainsi que dans cette logique financière, l’emploi est avant tout vu

comme une charge et un coût fixe, et non également comme une source de valeur ajoutée.

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Cette probabilité est notamment plus forte lorsque l’entreprise a un faible ROE (« return on equity » : résultat net rapporté aux capitaux propres), une plus forte dette de long terme et une plus forte insolvabilité (ratio de couverture des intérêts : intérêts sur chiffre d’affaires).

61 Les auteurs procèdent à trois méta-analyses distinctes : une sur la question du niveau des performances des

entreprises qui se restructurent, une autre sur l’effet des restructurations sur l’évolution des performances des

entreprises, et enfin une dernière sur la réaction des marchés financiers aux annonces de restructurations. Seules les deux premières méta-analyses nous intéressent précisément ici.

62Selon les études, la comparaison s’effectue par rapport à un groupe d’entreprises « stables » ou une moyenne

sectorielle.

63 Dans une logique de satisfaction des intérêts des actionnaires, les dirigeants d’entreprise peuvent agir sur

certains indicateurs ou leurs composants, qui deviennent alors des outils de création de valeur pour l’actionnaire. Par exemple, à propos de l’indicateur de « Economic Value Added », Perraudin et al. (2008) montrent dans ce sens que comme les dirigeants n’ont aucune influence sur le coût du capital, ils vont agir sur la maximisation du

S’il est plutôt bien établi que les entreprises qui procèdent à des suppressions d’emplois se

trouvent dans une situation économique dégradée par rapport à celles qui n’en effectuent pas, les effets de ces réductions d’effectifs sur les performances ultérieures paraissent moins évidents64. En outre, une multitude d’indicateurs caractérisant les performances économiques et financières des entreprises est utilisée, mais il apparaît quand même que quelques indicateurs clés semblent systématiquement mobilisés, comme le niveau et l’évolution du CA ou ceux du résultat net.

L’état des performances économiques et financières des entreprises influence ainsi très

certainement la décision de supprimer des emplois, décision qui devrait se traduire ensuite par des licenciements économiques ; mais cet état peut également agir, même si plus faiblement et indirectement, sur la décision de licencier pour motif personnel.

1.2.2 Performances économiques et licenciement pour motif personnel : des frontières plus floues ?

Dans un contexte d’individualisation de la relation de travail (cf. Bessy, 2008), les pratiques

de gestion de la main-d’œuvre se modifient et tendent à développer des dispositifs de management par objectif, à partir des années 1990. Ces dispositifs peuvent s’appuyer par

exemple sur des clauses d’objectifs ou de résultats présents dans le contrat de travail, ou

encore sur les entretiens individuels réguliers d’appréciation ou d’évaluation des salariés. Ces nouvelles pratiques rendent alors plus floue et perméable la frontière entre les performances

des entreprises et celles des salariés. C’est ce qu’avaient d’ailleurs suggéré Askenazy et al.

(2002) à propos des nouvelles pratiques organisationnelles dans les entreprises, basées sur

l’innovation et les nouvelles technologies. Cette évolution des pratiques semble avoir en retour des conséquences sur l’utilisation par les employeurs des modalités de licenciement.

Pignoni et Zouary (2003) notent ainsi que les causes non fautives de licenciement pour motif personnel sont en augmentation depuis le début des années 1990, notamment pour

insuffisance professionnelle. Les auteurs émettent l’hypothèse d’un lien entre cette hausse des

LMP pour insuffisance professionnelle et la diffusion des formes de management par objectif car celles-ci permettent de mieux informer et légitimer la cause réelle et sérieuse du LMP. Ce

phénomène est d’autant plus vrai chez les cadres. Palpacuer et al. (2005) constatent en effet

également ce développement des LMP pour non-atteinte des résultats, surtout chez les cadres

à partir des années 1990. L’hypothèse d’un lien entre la hausse du LMP et les exigences des

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De plus, il semble que les suppressions d’emplois seront d’autant plus bénéfiques si elles s’inscrivent dans un projet industriel cohérent (Noël, 2004).

nouvelles formes de management est également avancée par Kerbouc’h (2001). L’auteur va plus loin en considérant que ces pratiques de management tendent à ne prendre en compte que la seule responsabilité du salarié dans la non-atteinte des objectifs, alors même que celle de

l’entreprise et de son environnement économique joue un rôle. Comme il l’explique :

« l’insuffisance de résultats est à la frontière du motif économique du licenciement et il arrive que des difficultés non inhérentes à la personne du salarié (état du marché, situation économique du secteur) puissent l’expliquer [la non-atteinte des objectifs] » (p. 10). Les cas de LMP liés à la performance du salarié peuvent donc aussi apparaître dépendants de la situation économique des entreprises.

Néanmoins, l’importance de l’utilisation de ces types de LMP est peut-être à relativiser

aujourd’hui devant l’évolution de la jurisprudence, qui semble exiger dorénavant une

justification plus rigoureuse de la cause d’insuffisance professionnelle ou d’insuffisance de résultats (cf. 1.1.1).

L’influence la plus prévisible de la situation économique des entreprises se porte ainsi sur la décision d’utiliser le licenciement pour motif économique et celle-ci sera logiquement

négative. Quelques indicateurs clés caractérisant cette situation semblent être ressortis de la littérature : il s’agit par exemple du chiffre d’affaire, du ratio résultat net sur CA, de la productivité du travail, ou encore du rapport entre le résultat net et les capitaux propres. Cependant, à travers notamment le développement des dispositifs de management par

objectif, il n’est pas exclu que le recours au LMP soit lui aussi influencé par des indicateurs caractérisant la situation économique de l’entreprise, là aussi de manière négative. Mais ce type de management étant plutôt ciblé sur une partie des salariés, l’influence devrait être

moindre que pour les LME.

Si les entreprises peuvent ajuster le niveau de leur main-d’œuvre suite à un changement de

l’environnement économique qui se traduit par une baisse de leur rentabilité, elles peuvent

également mettre en place des politiques spécifiques de gestion de la main-d’œuvre pour répondre par exemple à un changement de l’environnement technologique ou organisationnel. Ces politiques de GRH peuvent alors expliquer autant la décision de recourir au licenciement,

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