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Mais le dénombrement des ruptures reste difficile à réaliser

CONJOINTE L’UTILISATION DES MODALITES DE RUPTURE DU CD

1 L’apparition de la mesure statistique sur les modalités de rupture du CD

1.2 Mais le dénombrement des ruptures reste difficile à réaliser

Même si les contrôles de l’emploi puis des licenciements économiques ont ouvert la possibilité d’une mesure sur les ruptures du CDI, l’intérêt d’une analyse statistique n’est apparu qu’au début des années 1980 avec notamment l’exploitation de la déclaration des mouvements de main d’œuvre mise en place dans le cadre de la loi de 1975 (1.2.1).

Cependant, les informations statistiques qui vont se développer sur les ruptures du CDI ne semblent pas être capable de permettre un dénombrement exhaustif de celles-ci (1.2.2). Finalement, si la mesure des ruptures du CDI s’est d’abord mise en place sur les

licenciements économiques, il apparaît aujourd’hui que c’est pour ce type de licenciement que l’opération de dénombrement est devenue le plus difficile, du fait par exemple du

développement de modalités de rupture spécifiques liées aux dispositifs d’accompagnement des restructurations économiques (1.2.3).

1.2.1 Les dénombrements des ruptures du CDI : des sources statistiques différentes

Si l’administration du travail dispose de données sur les licenciements économiques en raison du contrôle qu’elle effectue, il semble pour autant que ce dénombrement ne donne pas

nécessairement lieu à une exploitation statistique en tant que telle. Comme le note Penissat (2006) à propos des statistiques du ministère du travail au tout début du 20ème siècle, « ces

statistiques ne sont pas tant des moyens d’appréhender un phénomène social, par exemple les

conditions de travail, qu’un moyen de mesurer l’activité des inspecteurs du travail (nombre de procès-verbaux, de sanctions…) » (p. 8). Dans le cas des licenciements, les données sont publiées dans les « bulletins mensuels du ministère du travail » ou dans les « bilans de

l’emploi » annuels. Mais il semble difficile de trouver trace de documents commentant ou

analysant ces données. Chetcuti (1978), par exemple, présente quelques chiffres des licenciements économiques réalisés après le vote de la loi de 1975 (260 186 en 1975, 212 100 en 1976 et 142 974 au cours du 1er semestre 1977). L’auteur évoque également quelques caractéristiques de ces licenciements, selon leur caractère individuel ou collectif, selon la

taille de l’établissement dans lequel ils sont effectués, ou encore selon qu’ils aient un

caractère conjoncturel ou structurel, sans préciser néanmoins les statistiques exactes de

chacune d’entre elles. Bessy (1993), quant à lui, choisit pour son étude d’utiliser la statistique

administrative liée à la loi sur le contrôle de l’emploi de 1945. Il précise néanmoins que ces statistiques portent seulement sur les licenciements collectifs de plus de vingt personnes et sur la période 1964-1975.

Au-delà des seuls licenciements économiques, plusieurs sources statistiques sur les ruptures

du CDI de manière générale voient le jour à partir de 1975. La loi instituant l’autorisation

administrative des licenciements économiques introduit en effet la déclaration mensuelle des mouvements de main-d’œuvre (DMMO), obligatoire pour tous les établissements de 50 salariés et plus22. Même si la DMMO semble d’abord conçue « comme un moyen de contrôler

l’application de la législation en matière d’embauche après licenciements économiques »

(Podevin, 1984, p. 49), elle peut permettre un décompte de l’ensemble des modalités de rupture dans les grands établissements. Cependant, la nature des motifs de sortie d’emploi

n’apparaît qu’en 1983 (cf. Depardieu et Laulhé, 1985) et ce n’est qu’à partir de 1985 que son

exploitation statistique est réalisée de manière exhaustive, c’est-à-dire sur l’ensemble des

régions françaises. Avant cette date, seules des exploitations sur les taux d’entrées et de sorties des établissements d’au moins 200 salariés sont réalisées par les directions

départementales (Audibert, 1981). De plus, si quelques études existent par ailleurs, elles ne portent que sur des sujets précis (qualification des embauches, insertion des jeunes) et régions particulières (Podevin, 1984).

D’autres statistiques sont également disponibles, mais elles ne sont pas exhaustives en raison de la nature de leur source. C’est le cas par exemple des statistiques de l’ANPE qui reposent sur les déclarations des seuls individus s’inscrivant au chômage. Mais la répartition de ces

inscriptions selon les circonstances d’entrées des demandeurs d’emploi n’est disponible qu’à partir de 1976 (cf. Partrat, 1979). Des informations peuvent également être collectées à partir

des enquêtes sur l’emploi, mais là encore elles s’appuient sur les seules déclarations des

individus interrogés et sont liées à la définition retenue du chômage. Par conséquent, ces chiffres, qu’ils soient en niveau absolu ou en pourcentage, paraissent sous-estimés (cf. Salais, 1974).

Ainsi, la quantification et l’analyse statistiques des ruptures du CDI se sont mises en place

progressivement à partir de 1975. L’exhaustivité de l’information ne porte néanmoins que sur les seuls licenciements économiques. Après 1986 et la suppression de l’autorisation

administrative de licencier, le dénombrement en niveau des licenciements économiques et plus généralement des ruptures du CDI semble encore plus problématique.

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Pour les établissements de moins de 50 salariés, il faudra attendre 1988 que soit créée l’enquête trimestrielle des mouvements de main-d’œuvre (EMMO), puis 1996 pour une fusion de cette enquête avec les DMMO.

1.2.2 Un dénombrement en niveau non exhaustif

De l’analyse statistique des DMMO, source la plus exhaustive sur les ruptures du CDI après 1986, puis des EMMO-DMMO à partir de 1996, la Dares ne fournit jamais, dans ses publications, de statistique en niveau sur ces modalités de rupture, mais seulement des taux établis à un niveau agrégé (rapportant le nombre de ces ruptures à l’effectif salarié moyen, cf. 2.1.1). En réalité, les seules informations en niveau que l’on peut obtenir sur ces ruptures

proviennent des inscriptions des demandeurs d’emploi à l’assurance chômage à travers la déclaration individuelle du motif d’entrée. Le Tableau 1.1 ci-dessous présente le nombre annuel d’inscrits à Pôle emploi selon le motif d’entrée après une rupture du CDI entre 1990 et 2012. Une rupture de série existe dans ces statistiques puisqu’entre 1990 et 1995 ces chiffres se basent sur les demandes d’emploi enregistrées (DEE) en catégorie 1, alors qu’à partir de

1996, ils reposent sur la statistique mensuelle du marché du travail (STMT) et les inscriptions

des demandeurs d’emploi de catégorie A à C. Ainsi, en 2012, 500 100 salariés se sont inscrits

à Pôle emploi après un licenciement pour motif personnel (« Autres licenciements ») et 153 100 après un licenciement économique.

Cependant, ce dénombrement des ruptures du CDI à partir de cette source statistique est

confronté à plusieurs problèmes. Tout d’abord, ces chiffres ne sont pas exhaustifs car l’un des

principaux inconvénients de cette source est que tous les salariés ne s’inscrivent pas à

l’assurance chômage après avoir quitté leur entreprise. Ils peuvent en effet avoir déjà retrouvé un emploi, ou ne pas pouvoir bénéficier de l’indemnisation chômage comme c’est le cas d’une grande partie des demandeurs d’emploi ayant démissionné ou de ceux qui n’ont pu

ouvrir leurs droits (les jeunes par exemple)23. Par conséquent, le nombre de démissions est nettement sous-estimé dans les entrées à Pôle emploi. Cela peut être également le cas pour le nombre de licenciements quel que soit le motif, mais certainement dans une moindre mesure puisque ces ruptures sont davantage subies que les démissions.

De plus, cette source statistique dépend des déclarations des demandeurs d’emploi qui viennent s’inscrire au chômage. Elle se trouve ainsi dépendante de la connaissance des individus sur la modalité de rupture à l’origine de leur perte d’emploi et des inévitables « non-

23Ajoutons que les comportements d’inscription au chômage peuvent également être sensibles aux modifications

des règles définissant les différentes catégories de demandeurs d’emploi, en raison notamment du caractère

réponses ». La montée du motif d’entrée « Autres cas » peut être révélateur de ce problème de déclaration individuelle, comme nous y reviendrons plus loin (cf. 1.3.3).

Tableau 1.1 : Répartition en niveau des motifs d’entrée à Pôle emploi après une rupture du CDI (1990-2012)

En nombre (milliers)

ANNEE Démissions Licenciements

économiques Autres licenciements 1990 268,6 434,5 359,9 1991 275,2 473,6 392,2 1992 261,7 534,3 405,8 1993 213,5 598,4 386,1 1994 182,8 487,7 350,4 1995 181,4 331,8 351,1 1996 189,5 449,7 370,6 1997 207,0 443,4 419,0 1998 219,6 361,1 435,9 1999 245,4 329,6 473,2 2000 281,4 292,0 499,8 2001 322,3 286,4 555,8 2002 325,6 362,3 629,2 2003 318,0 365,7 674,9 2004 295,0 347,5 675,9 2005 281,9 293,1 699,4 2006 271,4 229,9 708,4 2007 268,6 198,0 699,6 2008 265,7 186,6 692,4 2009 226,2 266,8 644,3 2010 199,3 183,6 531,3 2011 193,1 160,0 509,4 2012 180,6 153,1 500,1

Source : entre 1990 et 1995, DEE, ANPE, Dares ; entre 1996 et 2012, STMT – Pôle emploi, Dares.

Champ : entre 1990 et 1995, demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE en catégorie 1 ;

entre 1996 et 2012, demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, B et C.

Note : la catégorie « autres licenciements » présente dans les motifs d’entrée correspond aux licenciements pour motif personnel.

Enfin, la précision du dénombrement peut être questionnée si l’on compare les inscriptions pour licenciement économique entre les trois épisodes de crise qui sont présents sur la période 1990-2012. L’ampleur du nombre de LME diffère en effet sensiblement entre la crise de 2008 et les crises de 1973 et 1993 : en 1975, avec -1,1 % de croissance du PIB24, on comptait 260 186 licenciés économiques selon l’administration du travail (cf. Chetcuti, 1978 et 1.2.1) ;

en 1993 (-0,7 %), les licenciés économiques inscrits à l’ANPE étaient 598 400 ; alors qu’en 2009, année la plus forte en termes de récession (-3,1 %), on dénombrait 266 800 licenciés économiques inscrits à Pôle emploi. Ces différences d’amplitude peuvent paraître surprenantes et nous donnent le sentiment que le dénombrement de ce motif de rupture dans les inscriptions à Pôle emploi peut être problématique. Deux exemples, que l’on va discuter dans la suite de cette section, soutiennent l’hypothèse que le dénombrement des licenciements économiques est confronté à certaines limites25. L’une d’entre elles tient à la création des

dispositifs publics d’accompagnement des restructurations dès le milieu des années 1980 puis

dans les années 200026. Ces derniers dispositifs vont notamment rendre plus difficile le chiffrage des licenciements économiques dans les entrées à Pôle emploi.

1.2.3 La difficile quantification du licenciement économique avec le développement des

dispositifs d’accompagnement des restructurations

Le développement des dispositifs publics d’accompagnement des restructurations peut poser

deux types de problème dans le décompte statistique des licenciements économiques. D’une

part, l’entrée du salarié dans ces dispositifs entraîne juridiquement la rupture d’un commun accord et non plus un licenciement économique, ce qui peut modifier les déclarations autant des employeurs lors des déclarations administratives des mouvements de main-d’œuvre (EMMO-DMMO), que des salariés lors de leur inscription à l’assurance chômage. D’autre part,

l’inscription à Pôle emploi peut poser d’autant plus de problèmes que le bénéficiaire de l’un

de ces dispositifs est classé en catégorie D, « stagiaires de la formation professionnelle ». Or, ce sont seulement pour les catégories A, B et C que les flux d’entrées selon le motif nous sont présentés. Cependant, une partie des salariés entrés dans ces dispositifs se trouvent quand même à un moment donné comptabilisée dans la catégorie « licenciements économiques » : à la fin du dispositif (leur durée est en moyenne de 12 mois) et s’ils n’ont pas retrouvé

d’emploi.

25 Abordant ce problème de sous-estimation des licenciements économiques à partir des inscrits à l’ANPE,

Serverin et Valentin (2009) tentent un dénombrement plus exhaustif pour l’année 2006. En plus des entrées à l’ANPE, les auteures comptabilisent ainsi les retraites du Fonds national de l’emploi, les dispositifs

d’accompagnement des restructurations et les départs à la retraite à l’initiative de l’employeur conclus dans le

cadre d’une restructuration. La prise en compte de ces autres ruptures augmente de 50 % le nombre initial d’entrées à l’ANPE pour licenciement économique.

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Dès 1985 est créé le congé de conversion, suivie en 1986 de la convention de conversion. D’autres dispositifs sont ensuite créés dans les années 2000 sur ces deux modèles : le congé de reclassement en 2002 et le congé de

mobilité en 2006 ; la convention de reclassement personnalisé (CRP) en 2005, le contrat de transition professionnelle (CTP) en 2006 et enfin le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), fusionnant les deux

Plus concrètement, c’est à partir du Fichier Historique Statistique (FHS) exhaustif de la Dares que l’on peut distinguer les licenciements économiques « seuls » des licenciements économiques réalisés dans le cadre de l’un des dispositifs publics d’accompagnement des

restructurations (CRP, CTP ou CSP). En comparaison avec le dénombrement des licenciements économiques évoqué précédemment (cf. Tableau 1.1), le nombre présenté dans le Tableau 1.2 ci-dessous apparaît sensiblement différent : par exemple, en 2012, on dénombrait 153 100 entrées pour licenciements économiques selon la statistique mensuelle du marché du travail (STMT, cf. Tableau 1.1), alors que le FHS en comptait 184 301 au total, et 75 536 sans les CRP, CTP et CSP. Cette différence s’explique vraisemblablement par les entrées différées dans la STMT des sortants de ces dispositifs qui n’ont pas retrouvé d’emploi.

Si l’on s’intéresse plus précisément à la distinction entre les deux types d’entrées pour

licenciements économiques (cf. Tableau 1.2), on remarque que pour l’année 2012, aux 75 536 entrées pour licenciements économiques, il faut rajouter 180 765 entrées pour CRP, CTP et CSP, ce qui donne un total de 184 301 licenciés économiques. Le fait de rajouter les entrées

dans les dispositifs d’accompagnement des restructurations a donc plus que doublé le nombre

initial de licenciés économiques. Autrement dit, en 2012, la CSP (fusion des CRP et CTP à partir de 2011) représente près de 59% de l’ensemble des licenciés économiques.

Tableau 1.2 : Nombre de licenciés économiques, y compris CRP, CTP et CSP

Inscriptions à Pôle emploi, en flux

ANNEE CRP, CTP et CSP Licenciés économiques hors CRP, CTP et CSP Ensemble des licenciés économiques Part des CRP, CTP et CSP parmi l'ensemble des licenciés économiques 2006 52 593 145 882 198 475 26,5 2007 49 276 124 426 173 702 28,4 2008 65 236 122 948 188 184 34,7 2009 139 871 162 741 302 612 46,2 2010 107 832 112 608 220 440 48,9 2011 93 939 83 735 177 674 52,9 2012 108 765 75 536 184 301 59,0

Source : Pôle emploi, Dares, Fichier Historique Statistique (exhaustif). Fichier de la Dares des « Séries nationales corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrables sur les dispositifs publics d'accompagnement des licenciés économiques », 1er trimestre 2012. La CRP étant apparue en 2005, les premières statistiques de cette source portent sur l’année 2006.

Champ : France métropolitaine.

Note : la série de l'ensemble des licenciés économiques présentée ici, issue du FHS, diffère de celle présentée dans la publication mensuelle « Demandeurs d’emploi inscrits et offres collectées » par Pôle emploi, issue de la STMT (cf. Tableau 1.1).

La mise en œuvre du dénombrement des ruptures du CDI reste problématique dans la mesure où il est difficile d’obtenir des statistiques en niveau de chaque modalité de rupture. Finalement, aujourd’hui, seul l’usage de la rupture conventionnelle peut être appréhendé de manière exhaustive puisqu’elle est soumise à une homologation de l’administration du travail.

La difficulté de dénombrement n’est pas seulement due à un problème de source statistique, mais aussi par exemple, dans le cas des licenciements économiques, à l’apparition de dispositifs publics qui rend plus complexe leur dénombrement. Est-ce à penser au bout du

compte qu’une juste mesure des ruptures n’est pas possible ?

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