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Une mesure nécessaire pour organiser l’économie ou contrôler les pratiques des employeurs

CONJOINTE L’UTILISATION DES MODALITES DE RUPTURE DU CD

1 L’apparition de la mesure statistique sur les modalités de rupture du CD

1.1 Une mesure nécessaire pour organiser l’économie ou contrôler les pratiques des employeurs

La mesure statistique est d’abord apparue nécessaire au lendemain de la seconde guerre mondiale en vue d’organiser et d’assurer la meilleure utilisation possible des ressources en

main-d’œuvre dans le cadre du contrôle de l’emploi (1.1.1), avant d’être utilisée comme tentative de contrôle des pratiques des employeurs dans un contexte particulier

d’indemnisation chômage spécifique pour les licenciés pour motif économique (1.1.2). Cette

mesure statistique se concentre ainsi essentiellement sur les licenciements économiques, ce qui tient peut-être au fait que cette catégorie porte le plus d’enjeux sociaux, à l’instar du chômage (1.1.3).

1.1.1 Une volonté de dénombrement de l’ensemble des mouvements de main-d’œuvre

avec l’institution du « contrôle de l’emploi » en 1945

C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale, à travers la mise en place d’une législation

visant à contrôler les mouvements de main-d’œuvre, que s’élabore un dénombrement sur les

ruptures du CDI. L’ordonnance du 24 mai 1945 « relative au placement des travailleurs et au

contrôle de l’emploi » crée en effet une obligation d’autorisation préalable d’embauche et de licenciement pour tous les établissements industriels et commerciaux. Cette mesure statistique des embauches, licenciements et même démissions, est tournée vers un objectif précis : dans

un contexte économique particulier d’après-guerre, il apparaît nécessaire d’organiser au

main-d’œuvre de la nation » (Chetcuti, 1978, p. 29). Mais si l’aspect économique prédomine dans les justifications à la mise en place de cette ordonnance pour remédier à la

désorganisation de l’économie ou à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, des considérations

sociales sont également présentes visant à atténuer l’arbitraire ou l’inégalité de position dans les relations employeurs-salariés (Duprilot, 1975).

Si en théorie c’est bien l’ensemble des mouvements de main-d’œuvre, entrées et sorties, qui

est visé, en pratique, le contrôle administratif s’est restreint très rapidement aux seuls

licenciements économiques, individuels ou collectifs. Dès 1946, l’embauche ne fait en réalité plus l’objet d’aucun contrôle, alors que les licenciements dits « individuels » (LMP aujourd’hui) sont eux-aussi rapidement écartés16

. Quant au contrôle exercé sur les licenciements économiques, il est d’abord fondé sur la situation générale du marché du

travail, mais aussi sur celle de l’entreprise et de son intérêt à licencier (Chetcuti, 1978).

Pendant près de vingt-cinq ans, la législation reste inchangée alors même qu’elle est en réalité

peu appliquée et que le contexte économique a évolué d’une situation de pénurie à une phase

de forte croissance. C’est ensuite au cours de l’année 1970 que le contrôle administratif est réaffirmé par le biais de circulaires ministérielles (29 avril et 12 octobre). Il est alors clairement demandé à l’inspection du travail de vérifier la validité et l’importance des motifs économiques invoqués lors de licenciements collectifs (Balmary, 1998). Ces circulaires prennent également en compte les dispositions introduites par une loi de 1966 et par l’ANI sur

la sécurité de l’emploi de 1969 qui modifient, tous deux, les procédures d’information-

consultation des représentants du personnel (Duprilot, 1975). Ainsi, seuls les licenciements économiques collectifs semblent être l’objet d’un suivi administratif et donc d’un décompte statistique. Selon Bessy (1993), ce sont même uniquement les licenciements collectifs de plus de 20 salariés qui sont déclarés à l’administration du travail.

Finalement, dans tous les cas (avant ou après 1970), ce contrôle apparaît dans la réalité peu effectif ou véritable par manque de moyens donnés à l’autorité administrative (peu

d’informations sur la situation économique de l’entreprise par exemple) et par l’insuffisance

de sanctions suffisamment dissuasives en cas de non-respect de cette obligation par

l’employeur (Duprilot, 1975) S’il n’a pas pu permettre d’établir un dénombrement exhaustif

16 Les explications diffèrent selon les juristes : Duprilot (1975) avance le non-respect des déclarations de ce type

de licenciement par les employeurs, alors que Machelon (1975) estime que la jurisprudence du conseil d’Etat dès

1947 a borné le contrôle de l’administration du travail aux seuls projets de licenciement ayant des répercussions économiques.

de l’ensemble des mouvements de main-d’œuvre dans l’économie, ce contrôle administratif est à l’origine d’une première mesure des licenciements économiques collectifs. Mais son

usage reste néanmoins tourné vers un objectif de régulation du marché du travail, dans la

mesure où les statistiques ainsi produites ne semblent pas faire l’objet d’une analyse en tant

que telle qui porterait sur les caractéristiques des licenciements et/ou leur évolution.

La création d’une nouvelle autorisation administrative de licencier en 1975 va permettre de renouveler l’idée d’un contrôle des pratiques des employeurs et élargir le dénombrement des

ruptures à l’ensemble des licenciements économiques, individuels et collectifs.

1.1.2 L’autorisation administrative de 1975 : un objectif de contrôle des licenciements économiques pour en limiter le nombre et encadrer les pratiques des employeurs

L’autorisation administrative préalable à tout licenciement économique, individuel ou

collectif, instituée par la loi du 3 janvier 1975 peut apparaître comme un renouvellement du contrôle administratif précédent devant une situation devenue insatisfaisante (Duprilot, 1975). Mais un « renversement de perspective » semble s’être produit quant à la nature de ce

contrôle. L’intérêt de l’administration du travail ne se porte plus sur la situation générale du marché du travail et l’environnement économique de l’entreprise, mais dorénavant sur la

situation interne de cette dernière. L’administration doit ainsi vérifier la réalité du motif

économique invoqué par l’employeur, que ce motif soit d’ordre « conjoncturel » ou

« structurel » (fusion, concentration ou restructuration)17, à partir des données propres à

l’entreprise (Chetcuti, 1978).

Ce « nouveau » contrôle administratif semble également se différencier de la législation précédente du point de vue des objectifs qui lui sont donnés, notamment parce que le contexte économique est marqué par le premier choc pétrolier de 1973 et la crise qui s’en suit. Un premier objectif de la loi de 1975 est d’examiner si la décision de licenciement est inévitable

au vu des difficultés économiques de l’entreprise, et ainsi d’en limiter au maximum le

nombre. Lors des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi, les promoteurs de la loi18 placent ainsi ce dispositif dans une « politique de sauvegarde de l’emploi » (JO, 1974, p. 7746-7747) ou « de protection contre le chômage » (cf. Machelon, 1975). On trouve trace du second objectif assigné à cette loi à la lecture des débats législatifs de 1986 supprimant cette

17Pour les licenciements collectifs, le respect des procédures d’information-consultation et la portée des mesures

de reclassement envisagées doivent également être vérifiés.

18Il s’agit ici du rapporteur René Caille et du ministre du travail Michel Durafour, appartenant respectivement à

autorisation administrative de licencier. Il est lié au droit, donné aux salariés en 1974,

d’obtenir une indemnisation chômage spécifique lorsqu’ils sont licenciés pour un motif économique, l’allocation supplémentaire d’attente (ASA), qui leur permet le maintien de la

totalité de leur salaire antérieur pendant un an19. Il semble ainsi que l’objectif était moins de

contrôler le motif économique et la légitimité de la décision de l’employeur, que d’assurer un

contrôle sur la légitimité du recours à l’ASA. Le ministre des affaires sociales et de l’emploi

de l’époque, Ph. Séguin, déclare par exemple que l’une des fonctions de l’autorisation

administrative était de « contrôler pour tous les licenciements la réalité du motif économique invoqué par l'employeur afin d'éviter – les signataires de l 'accord du 14 octobre 1974 l'avaient expressément demandé – que l'allocation supplémentaire d'attente, d'un coût élevé pour l'Unedic, ne soit détournée de son but et ne fasse l'objet d'abus » (JO, 1986a, p. 7306). Il s’agit donc, avec cette autorisation administrative, d’encadrer les pratiques de licenciement des employeurs en questionnant la légitimité de leur décision.

Cependant, ce contrôle administratif, même s’il apparaît renforcé avec cette loi, se trouve

confronté aux mêmes problèmes que le dispositif précédent en termes de moyens matériels et

humains dont dispose l’administration du travail. De plus, le flou qui entoure la notion de

motif ou cause économique laisse une grande marge d’appréciation à l’inspecteur du travail car la loi ne doit empêcher que les licenciements « non indispensables » (Dupeyroux cité par Machelon, 1975) ou « non imposés par la situation économique » (Machelon, 1975). Enfin, ce dispositif n’a pas empêché les licenciements puisque 87 % d’entre eux étaient autorisés, mais il ralentissait les procédures (Séguin, 1987). Perçu quelques années plus tard comme un « frein à l’embauche » ou une « entrave [à] la création d’emplois » (JO, 1986b, p. 1457 et p.

1447), sa suppression pose la question du nombre d’emplois qui pourrait être créé en

conséquence. Au-delà de cet enjeu, la suppression de l’autorisation administrative de licencier

marque la fin d’un décompte le plus exhaustif possible des licenciements économiques. Seuls

les licenciements économiques collectifs, et notamment le plan social instauré par la loi de

1989, sont encore soumis à une obligation d’information auprès de l’administration du

travail20.

19

Créé par un accord national interprofessionnel le 14 octobre 1974. Cf. chapitre 3 pour plus de détails sur cette

mesure d’indemnisation.

20 Précisons toutefois qu’en plus du cas du plan social, s’ajoute celui du licenciement de représentants du

personnel ou d’autres salariés protégés (médecins du travail par exemple) qui nécessite l’autorisation de l’inspecteur du travail.

Si la loi de 1975 permet de fournir des instruments statistiques pour mieux caractériser les licenciements (cf. 1.2.1), les autres modalités de rupture du CDI, y compris les licenciements pour motif personnel, sont exclues de ce dénombrement. Cet intérêt pour les seuls licenciements économiques peut être expliqué, comme pour la construction de la mesure du

chômage, par les répercussions sociales qu’ils provoquent et les droits particuliers qu’ils

ouvrent pour les salariés.

1.1.3 L’intérêt d’une mesure porté au seul licenciement pour motif économique

Ces deux types de législation concernent principalement le licenciement pour motif économique. Elles ont permis, à travers leur objectif de contrôle, de mettre en place une mesure statistique de cette catégorie de licenciement. L’attention portée à cette seule modalité de rupture peut être expliquée, tout au moins en partie, par comparaison et analogie avec le processus de construction historique et sociale des catégories du chômage et du chômeur (cf. Topalov, 1994, et Salais et al., 1986). Ces deux ouvrages ont notamment montré que la

statistique du chômage est le fruit d’un long « processus historique de catégorisation des populations et de définition d’un problème social »21

(Topalov, 1994, p. 271). Ces analyses permettent d’apporter trois éléments de comparaison pour mieux comprendre pourquoi très

rapidement, comme nous l’avons vu, le contrôle de l’emploi de 1945 s’est restreint aux seuls

licenciements économiques collectifs.

Tout d’abord, ce choix peut s’expliquer, à l’instar du chômage, par les préoccupations des

pouvoirs publics pour des ruptures qui ont des répercussions économiques sur le marché du

travail et l’organisation de la main-d’œuvre. C’est vraisemblablement ce type de sorties

d’emploi qui va alimenter le chômage et accroître le nombre de chômeurs. Ces licenciements économiques apparaissent donc comme un problème économique et social qu’il faut gérer. Cependant, contrairement à ce qui a pu être analysé pour la catégorie de chômage dont la

définition semble avoir émergé de l’interaction de l’ensemble des acteurs de la société, il

apparaît, pour les licenciements économiques, que c’est plutôt l’Etat qui s’en est saisi dans une perspective avant tout « dirigiste » (Duprilot, 1975).

Le deuxième élément qui pourrait expliquer que l’intérêt se soit restreint au licenciement

économique renvoie au fait que ce type de licenciement résulte d’une décision de l’employeur. La sortie du salarié de l’entreprise n’est donc pas volontaire et les pouvoirs

21 Ce problème social renvoyait à la lutte contre la pauvreté et à la prise en charge d’une population « sans

publics ont alors une responsabilité dans leur prise en charge. On retrouve, là encore, une analogie avec le chômage dans la mesure où la reconnaissance de son caractère involontaire semble avoir joué un rôle dans la définition de cette catégorie et la prise en charge des chômeurs. Si l’on prend comme critère, dans le cas d’une rupture de la relation d’emploi, la « responsabilité » du salarié, il n’est alors pas surprenant que les licenciements pour motif personnel (qualifiés d’individuels avant la loi de 1973) ne rentrent pas dans le cadre du

contrôle de l’Etat. Ce type de licenciement se définit en effet comme une rupture à l’initiative de l’employeur, mais qui se fonde sur une faute ou une incapacité physique du salarié. La loi

fondatrice du licenciement de 1973 parlera d’ailleurs de fait « inhérent » ou non à la personne du salarié (cf. Encadré 1.1 p. 17). Dans cette logique, les pouvoirs publics vont ainsi

considérer que c’est au seul employeur de gérer les conséquences du comportement du

salarié, en le sanctionnant ou le licenciant.

Enfin, nous l’avons vu, avec l’autorisation administrative de 1975, l’objectif est aussi de

contrôler l’utilisation d’un type de licenciement qui ouvre des droits particuliers

d’indemnisation chômage pour les salariés. Le caractère involontaire de la perte d’emploi est un premier critère qui détermine l’obtention d’indemnités chômage, puis le motif économique apparaît comme un second critère qui permet l’attribution d’une indemnité spécifique d’un

montant supérieur aux autres situations. C’est donc sur ce motif économique que se concentre le contrôle administratif des pratiques des employeurs. On retrouve ici l’importance pour les pouvoirs publics de concentrer leur soutien, essentiellement financier, aux seuls salariés qui subissent les conséquences d’aléas industriels.

Ainsi, la nécessité d’un dénombrement des ruptures du CDI est apparue pour répondre à un objectif bien précis des pouvoirs publics : celui de contrôler les mouvements de main-d’œuvre

dans l’économie afin de réguler le marché du travail dans un contexte particulier d’après- guerre. Mais cet objectif de contrôle s’est poursuivi ensuite en se concentrant sur les seuls

licenciements économiques qui provoquent des répercussions sociales plus importantes que les autres types de rupture. Si ces législations ont permis de mettre en place un suivi des licenciements économiques, le dénombrement des ruptures de manière générale reste limité et

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