• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : Étude de production (1 ère étude expérimentale) : méthodologie

2. Analyses acoustiques

2.2. Consonnes : VOT, moments spectraux

2.3.2. Utilisation de la pente de l’équation de locus dans des études développementales

développementales

S’il semble admis par la plupart des auteurs que la pente de l’équation de locus permet de distinguer les occlusives entre elles, les liens entre cette pente et le degré de coarticulation semblent plus controversés et donnent lieu à des analyses différentes selon les auteurs. Cependant, et en gardant à l’esprit cette controverse, il nous semble important d’intégrer une analyse des transitions entre consonne et voyelle à notre étude sur la parole d’enfants sourds, porteurs d’implant cochléaire. Dans ce paragraphe, nous allons proposer un aperçu de quelques études développementales, qui s’intéressent aux transitions de F2 ou qui utilisent l’équation de locus pour décrire l’évolution de séquences CV par de jeunes enfants, pour justifier ce choix. La première étude développementale qui utilise la transition du F2 pour décrire des trajectoires de coarticulation chez l’enfant est celle de Turnbaugh et al. (1985). Dans cette étude, les productions de consonnes par trois groupes de locuteurs sont comparées dans une tâche de répétition de séquences C1VC2 : trois enfants de trois ans, trois enfants de cinq ans et trois adultes. Les séquences C1VC2 sont symétriques (C1 et C2 sont identiques dans chaque séquence), et les consonnes sont /b/, /d/ ou /g/, avec les voyelles /i/ ou /u/. Les auteurs s’intéressent au F2 mesuré au début de la transition, et une moyenne est calculée pour chaque locuteur et chaque contexte CVC. Un degré de coarticulation en pourcentage est ensuite calculé à partir de ces mesures de F2. Les résultats de cette étude de Turnbaugh et al. (1985) indiquent un degré de coarticulation systématiquement plus faible pour les alvéolaires chez les trois groupes. Chez les enfants de trois ans, le degré de coarticulation des labiales est moins fort que celui des vélaires, alors qu’il sont similaires chez les enfants de cinq ans, et celui des vélaires est moins fort que celui des labiales chez les adultes. Les auteurs de cette étude notent par ailleurs que ces résultats ne

sont pas significativement différents entre les trois groupes. Ils en déduisent que les enfants acquièrent relativement tôt des patrons de coarticulation similaires à ceux des adultes.

Ces résultats contrastent avec ceux de Nittrouer (1993) : dans cette étude de la coarticulation, des productions de séquences schwa-consonne-voyelle dans des phrases porteuses sont enregistrées chez des enfants de trois, cinq et sept ans. Des mesures de durée (du schwa, de l’occlusion de la consonnes, du VOT, de la voyelle) et de fréquences de formants (F1 et F2) à plusieurs instants (30 ms avant l’établissement du voisement, dans les trois premières périodes voisées à partir du début du voisement, puis dans les dix périodes centrales de la voyelle) sont réalisées. Lors de la première mesure (30 ms avant l’établissement du voisement), les résultats sur le F2 indiquent que les enfants ont un F2 plus haut que les adultes, que celui-ci varie selon la qualité de la voyelle, et qu’il y a un effet de la consonne sur la hauteur du F2. A cet instant, Nittrouer (1993) note également que le F2 de /k/ subit une influence plus forte de la voyelle que le F2 de /t/, et que le F2 de /k/ est plus bas que celui de /t/, la différence étant significative pour tous les groupes. Pour la deuxième mesure de F2 (dans des trois premières périodes voisées à partir du début du voisement), le F2 subit des effets de l’âge, de la consonne et de la voyelle. Enfin, pour la troisième mesure (correspondant aux dix périodes centrales de la voyelle), le F2 subit un effet de l’âge, et de la voyelle. De ces mesures de F2, mais également des mesures de durées, Nittrouer (1993) déduit que le développement de la production et de la coordination des gestes articulatoires n’est pas uniforme, et que l’enchainement des gestes linguaux par les enfants subit des contraintes du contexte segmental plus fortes que les adultes.

Sussman et al. (1999) utilisent quant à eux l’équation de locus pour décrire l’évolution de la coarticulation chez un enfant de 7 à 40 mois, dans une étude longitudinale : ils mesurent le F2 au début de la transition CV et au centre de la voyelle, dans des séquences CV du babillage canonique aux premiers énoncés de cet enfant. La figure 4.20 ci-dessous présente l’évolution des pentes des équations de locus ainsi obtenues, sur toute la durée de cette étude. Pour les bilabiales, Sussman et al. (1999) notent une augmentation forte de la pente de l’équation de locus vers la fin de la première année, puis une augmentation plus modérée au cours de la deuxième année, et une stabilité au cours de la troisième année. Pour les alvéolaires, ils notent une forte diminution de la pente de l’équation de locus dans la première année, puis des pentes stabilisées à un niveau inférieur à celui des adultes dans la deuxième et la troisième année. Pour les vélaires, ils notent beaucoup de fluctuations des pentes d’équation de locus dans le babillage canonique, puis une stabilisation à partir de l’âge de 18 mois.

Figure 4.20 : évolution de 7 à 40 mois de la pente des équations de locus des bilabiales (en haut à gauche), des alvéolaires (en haut à droite) et vélaires (bas) dans l’étude de Sussman et al. (1999)

Les résultats de Sussman et al. (1999) indiquent des pentes plus faibles pour les alvéolaires, suivies des vélaires, puis des bilabiales chez l’adulte, et une tendance légèrement différente chez l’enfant vers la fin de l’étude, avec une pente à peine plus forte pour les vélaires que pour les alvéolaires à l’âge de 40 mois. On note que l’évolution des trois pentes n’est pas linéaire mais en dents de scie, ce qui indique un processus très variable dans les premières années de vie.

Gibson & Ohde (2007) proposent également une étude de la coarticulation dans les premières productions de six filles et six garçons, âgés de 17 à 22 mois, sur une période de six semaines. Des productions de séquences CV sont analysées, et des pentes d’équation de locus sont calculés pour les trois lieux d’articulation (bilabiales, alvéolaires et vélaires) à partir de mesures de F2 au début de la transition formantique et au centre de la voyelle. Les résultats de cette étude indiquent une différence significative entre les pentes des équations de locus : les alvéolaires ont les pentes les plus faibles, suivies des bilabiales, puis des vélaires. Ces résultats sont similaires à ceux de l’étude de Sussman et al. (1999), dans laquelle les vélaires avaient des pentes plus faibles que les bilabiales chez l’adulte et mais plus fortes chez l’enfant à la fin de l’étude longitudinale. Ces deux études portaient sur des productions en anglais.

Une étude de Noiray et al. (2013) propose une comparaison articulatoire et acoustique de la coarticulation chez des enfants de quatre et cinq ans et des adultes francophones. L’équation de locus est utilisée pour quantifier le degré de coarticulation selon le lieu d’articulation (bilabial, alvéolaire et vélaire). Les résultats de cette étude indiquent un lien entre données articulatoires et acoustiques : les adultes et les enfants ont des réalisations similaires de la coarticulation (les alvéolaires ont le degré de coarticulation le plus faible, suivies des vélaires, puis des labiales) mais les auteurs notent une grande variabilité inter-sujets à l’intérieur de chaque groupe. Les données articulatoires et acoustiques indiquent que la synergie entre dos de la langue et apex semble avoir été acquise par les enfants dès quatre-cinq ans, mais la grande variabilité des groupes pourrait

indiquer que cette synergie des gestes articulatoires n’est peut-être pas encore stabilisée chez ces enfants. En raison des liens entre données articulatoires et acoustiques, Noiray et al. (2013) indiquent que l’équation de locus peut être utilisée pour évaluer la présence de synergies des gestes moteurs chez l’enfant.

Cet aperçu de quelques études sur la coarticulation nous a permis de comprendre l’importance de la transition du deuxième formant dans l’identification des consonnes dans des séquences CV. Par ailleurs, si la plupart des auteurs s’accordent à dire que la pente de l’équation de locus est un bon indicateur du lieu d’articulation, il semble qu’il n’y ait pas de consensus quant à son utilisation pour quantifier le degré de coarticulation. Cependant, un nombre d’études conséquent indique une corrélation entre caractéristiques articulatoires de la coarticulation occlusive-voyelle et équations de locus. Nous proposons donc d’utiliser l’équation de locus pour comparer la réalisation de cette transition comme indicateur du lieu d’articulation et de la coarticulation chez les deux groupes d’enfants de notre étude de production de parole. Dans le paragraphe suivant, nous allons détailler notre méthode de calcul de la pente de l’équation de locus.