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CHAPITRE 4 : Étude de production (1 ère étude expérimentale) : méthodologie

2. Analyses acoustiques

2.2. Consonnes : VOT, moments spectraux

2.3.1. Définition de l’équation de locus dans la littérature

Plusieurs études ont étudié le rôle de la transition du deuxième formant (F2) dans la production des consonnes occlusives dans des séquences CV ou VCV. Delattre et al. (1955) ont proposé une représentation schématique des transitions de F1 et F2 : ils ont défini la notion de « locus », qui leur permet de caractériser la production des consonnes occlusives et de proposer une modélisation de la transition consonne-voyelle pour chaque lieu d’articulation. La figure 4.16 ci-dessous présente les transitions des premier et deuxième formants (F1 et F2) pour trois lieux d’articulation d’occlusives (bilabilales, alvéolaires et vélaires) dans l’étude de Delattre et al. (1955).

Figure 4.16 : représentation de stimuli synthétiques utilisés pour une expérience de reconnaissance de consonnes (bilabiales, alvéolaires et vélaires) par la transition du F2, tirée de Delattre et al. 1955

Pour les occlusives, Delattre et al. (1955) mettent en évidence que la transition du deuxième formant est un reflet des gestes articulatoires mis en œuvre lors de la production d’une consonne suivie d’une voyelle. Ils montrent par ailleurs que la transition du F1 ne joue aucun rôle dans la reconnaissance de la consonne, à la différence du F2 qui a son origine dans un « locus », défini comme une fréquence extrapolée dans le burst de l’occlusive, caractéristique de chaque lieu d’articulation de cette occlusive mais également d’autres types de consonnes de même lieu d’articulation :

« The second-formant loci we found here are appropriate not only for b, d and g, but, more broadly for the three places of production (bilabial, alveolar and velar) that these stop consonants represent. »29

Ces travaux sur les transitions consonne-voyelle sont poursuivis par Lindblom (1963), à travers une étude sur la réduction vocalique dans des productions de séquences CV. Dans cette étude,

29 « Les loci du deuxième formant que nous avons trouvés ici correspondent non seulement à b, d et g mais, plus largement, aux trois lieux de production (bilabial, alvéolaire et vélaire) que ces occlusives représentent. » (notre traduction)

Lindblom (1963) s’intéresse à l’effet de la centralisation des voyelles et de la coarticulation CV sur le phénomène de réduction vocalique et aux propriétés dynamiques de l’articulation de voyelles, de durées différentes et de contextes consonantiques différents. Alors que Delattre et al. (1955) utilisaient la transition CV pour caractériser la production de consonnes, Lindblom (1963) considère cette même transition CV pour caractériser la production de la voyelle. Les résultats de cette étude indiquent que les F1 et F2 de la cible de la voyelle (qui correspond au point le plus bas des formants de la voyelle) sont indépendants du contexte consonantique et de la durée de la voyelle.

L’équation de locus permet de caractériser acoustiquement la transition du F2 dans une séquence CV. Les équations de locus peuvent être définies de la façon suivante : « Locus equations are linear regressions of the onset of F2 transitions on their offsets measured in the vowel nucleus »30, c’est-à-dire une régression linéaire entre le F2 mesuré au début de la transition CV et le F2 mesuré au milieu du noyau vocalique (qui correspond à la cible vocalique définie par Lindblom (1963)).

L’étude de Fowler (1994) met en évidence des pentes différentes selon les lieux d’articulation des occlusives, qui sont représentées sur la figure 4.17 ci-dessous, pour les trois lieux d’articulation (bilabiales, alvéolaires et vélaires).

Figure 4.17 : équations de locus chez des adultes pour /b/ (gauche), /d/ (centre) et /g/ (droite), valeurs moyennes du groupe dans des séquences CV, avec huit voyelles différentes dans l’étude de Fowler (1994)

Cependant, l’utilisation de l’équation de locus pour décrire les consonnes est nuancée par Fowler (1994) : en effet, si l’équation de locus permet de distinguer les lieux d’articulation des occlusives entre elles, elle n’est pas suffisante pour identifier la consonne, à la fois par son mode et son lieu d’articulation et l’étude de Fowler (1994) met en évidence que le mode d’articulation a un effet sur l’équation de locus, dans laquelle le lieu est masqué par le mode d’articulation.

Ce résultat diffère de ceux de l’étude de Sussman & Shore (1999), qui proposent une comparaison des pentes d’équation de locus pour un seul lieu d’articulation (alvéolaire), mais cinq modes d’articulation différents (occlusives voisées et voisées, fricatives voisées et non-voisées et nasales) : les résultats de cette étude indiquent que les transitions de F2 sont similaires pour les séquences occlusives-voyelles et fricatives-voyelles, pour le même lieu d’articulation. Par ailleurs, si l’étude de Fowler (1994) indique que les pentes d’équation de locus varient en fonction du lieu d’articulation, elle montre également une tendance différente pour les vélaires selon le contexte vocalique : la voyelle antérieure ou postérieure a un effet sur la pente de l’équation de locus des vélaires, qui est plus basse sous l’influence des voyelles antérieures et plus

30 « Les équations de locus sont des régressions linéaires du début des transitions de F2 en fonction de leurs cibles, mesurées sur le noyau vocalique. » (notre traduction)

élevée sous l’influence des voyelles postérieures. Ce résultat est présenté dans la figure 4.18, ci-dessous.

Figure 4.18 : comparaison des pentes (« Slope ») des équations de locus, en fonction de l’antériorité de la voyelle (« front » ou « back »), figure tirée de Fowler (1994)

Enfin, l’équation de locus est également utilisée pour quantifier le degré de coarticulation de séquences CV. La figure 4.19, tirée de Sussman & Shore (1999) présente le principe général de cette caractérisation du degré de coarticulation par l’équation de locus : une pente proche de 0 correspond au degré de coarticulation minimum, alors qu’une pente proche de 1 correspond au degré de coarticulation maximum. En d’autres termes, si la pente est proche de 0, la valeur de F2 mesurée au début de la voyelle reste constante, et ne subit aucune influence de la voyelle alors que si la pente est proche de 1, la valeur de F2 mesurée au début de la voyelle varie en fonction de la voyelle cible.

Figure 4.19 : schéma présentant le principe général de l’équation de locus, tiré de Sussman & Shore (1999)

Les résultats de l’étude de Löfqvist (1999) qui s’intéresse aux liens entre caractéristiques articulatoires et acoustiques (équation de locus) de la coarticulation indiquent que la pente de l’équation de locus est un bon prédicteur du lieu d’articulation mais pas du degré de coarticulation. En effet, la pente de l’équation de locus des alvéolaires, par exemple, est très différente de celle des vélaires (la pente de l’équation de locus pour les vélaires est beaucoup plus grande que celle des alvéolaires), alors que les mesures articulatoires ne montrent pas de différence d’amplitude des mouvements de la langue lors de la phase d’occlusion, pour ces deux lieux d’articulation.

Les études présentées dans ce paragraphe ont permis de proposer une définition de l’équation de locus et de son utilisation pour caractériser les influences entre consonnes et voyelles dans des séquences CV. L’équation de locus est utilisée par plusieurs auteurs pour étudier la coarticulation dans différentes conditions de production de parole : Krull (1989) compare la coarticulation dans

des productions de mots tirés d’un corpus de parole spontanée et des mêmes mots produits en isolation et Duez (1992) compare des productions de parole spontanée et de parole lue. Krull (1989) met en évidence un degré de coarticulation plus grand en parole spontanée (où les segments s’enchainent plus rapidement), et une diminution de l’excursion du F2 entre locus et nucleus lorsque le débit de parole augmente (ce qui correspond à une diminution de la durée de la voyelle). Cette étude montre également un effet de l’accent de mot sur le degré de coarticulation. Duez (1992) s’intéresse aux effets du style de parole, de la proéminence syntaxique et de la nouveauté du mot sur la pente de l’équation de locus. Les résultats obtenus dans cette étude indiquent des pentes d’équation de locus plus marquées en parole spontanée qu’en parole lue, ainsi qu’un effet de la proéminence syntaxique dans le discours spontané (les loci et nuclei sont plus proches dans les syllabes non-proéminentes que dans les syllabes proéminentes), ce qui est comparable aux résultats de Lindblom (1963) sur la réduction vocalique. Enfin, les mots connus sont produits avec des pentes plus fortes que les mots nouveaux et les mots lus.

A travers quelques études présentées dans ce paragraphe, nous avons proposé une définition de l’équation de locus et de son utilisation pour caractériser le lieu d’articulation des consonnes occlusives et du degré de coarticulation dans des séquences CV. Le paragraphe suivant est consacré à une présentation de quelques études développementales qui utilisent l’équation de locus pour étudier l’évolution de la production de consonne et de la coarticulation CV par les enfants.