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CHAPITRE 3 : production de parole et intelligibilité de la parole des enfants porteurs d’implants

1. Caractéristiques segmentales de la parole d’enfants porteurs d’implants cochléaires

1.2. Consonnes

1.2.2. Etudes perceptives : inventaires de consonnes produites par les enfants porteurs d’implants

1.2.3.2. Fricatives

A la différence des occlusives, il existe un nombre plus conséquent d’études acoustiques sur la production des fricatives.

Bharadwaj et al. (2006) proposent une description de /s/ et /ʃ/ avec implant activé et désactivé par quatre adultes et quatre enfants de 7 à 10;9 ans, locuteurs de l’anglais américain, tous porteurs d’implants cochléaires. Les productions de huit répétitions consécutives du mot « see » et de huit répétitions consécutives du mot « she » ont été enregistrées dans deux conditions : avec implant activé, puis désactivé. Les analyses acoustiques incluent centre de gravité, variance, skewness et kurtosis10 des fricatives produites par tous les locuteurs dans les deux conditions. Nous nous intéresserons dans ce chapitre aux seuls résultats des productions des enfants. Les résultats indiquent que les centres de gravité ne sont pas significativement différents entre les deux conditions pour les deux fricatives, sauf pour les productions de /ʃ/ d’un seul enfant (C1). La variance n’est pas significativement différente entre les deux conditions, sauf pour les productions de /ʃ/ et /s/ d’un seul enfant (C4 qui n’est pas le même enfant dont les centres de gravité étaient significativement différents d’une condition à l’autre). Les résultats de skewness de /ʃ/ chez l’enfant C1 sont également les seuls à être significativement différents d’une condition à l’autre. La condition n’a pas d’effet significatif sur la kurtosis des productions des deux consonnes par les quatre enfants. Les résultats du groupe des enfants CI indiquent des valeurs similaires aux valeurs de la littérature pour les moments spectraux. Par contre, ils indiquent une variance pour /ʃ/ plus grande chez les enfants que chez les adultes, ce qui montre une variabilité plus grande dans leurs productions de fricatives.

Une étude longitudinale de Mildner & Liker (2008), qui fait suite à l’étude de Liker et al. (2007), présente l’évolution de deux fricatives du croate, /s/ et /ʃ/, enregistrés dans une tâche de répétition de chiffres et de mots contenant ces deux sons, par un groupe d’enfants contrôles NH et un groupe d’enfants porteurs d’implants CI dont on étudie les productions sur une période de 46 mois. La figure 3.13 ci-dessous présente les résultats de cette étude. Mildner & Liker (2008) s’intéressent dans cette étude à la bande de fréquence du bruit de la fricative (centre de gravité et variance). Ils notent une différence significative entre /s/ et /ʃ/ chez les enfants NH, ce qui témoigne d’une séparation claire entre les productions des deux consonnes. Lors de la première session d’enregistrement, les fricatives produites par les enfants CI ont toutes une fréquence similaire à celle de la fricative /s/ du groupe contrôle. Chez les enfants CI, /s/ a une variance également similaire à celle de /s/ du groupe NH, mais /ʃ/ a une variance beaucoup plus grande que celle du /s/ des groupes NH et CI de cette première session. Lors de la première session d’enregistrement, les deux fricatives /s/ et /ʃ/ sont donc produites de façon similaire (centre de

10 Les termes « skewness » et « kurtosis » sont généralement traduits en français respectivement par « coefficient de dissymétrie » et « coefficient d’aplatissement » mais nous préférons utiliser les termes anglais par souci de concision.

gravité et variance) par les enfants CI, avec des caractéristiques proches du /s/ produit par les enfants NH.

Figure 3.13 : centre de gravité des consonnes /s/ et /ʃ/ du groupe contrôle NH et des quatre sessions d’enregistrement des enfants CI dans l’étude de Mildner & Liker (2008)

Lors des deuxième et troisième sessions d’enregistrement, le centre de gravité des deux consonnes a tendance à diminuer, mais la variance est grande pour les deux consonnes lors des deux sessions d’enregistrement, ce qui traduit une grande variabilité dans la production de ces deux consonnes. Les caractéristiques (centre de gravité et écart-type) des deux fricatives /s/ et /ʃ/ produites par les enfants CI, vont s’approcher progressivement de celles du /ʃ/ produit par les enfants NH lors des deuxième et troisième sessions. Enfin, lors de la quatrième session d’enregistrement, une tendance nouvelle est observée : les enfants CI produisent des fricatives dont le centre de gravité est plus élevé que celui de /s/ produit par les enfants NH. Mildner & Liker (2008) constatent, lors de cette session, une différence significative entre les centres de gravité de /s/ et /ʃ/, ainsi qu’une variance faible pour ces deux consonnes. Ils en déduisent qu’à partir de 34 mois, la différence entre /s/ et /ʃ/ commence à se stabiliser puisque les deux catégories de fricatives sont clairement distinctes (avec des centres de gravité et écarts-types significativement différents) et les deux catégories commencent à émerger, même si elles sont produites dans des zones de fréquence plus hautes que celles des enfants contrôle NH de l’étude. L’étude de Uchanski & Geers (2003) sur la production de consonnes chez des enfants CI et NH s’intéresse, outre à la réalisation du voisement dont les résultats ont été présentés ci-dessus, aux réalisations des deux fricatives /s/ et /ʃ/. Les auteurs de cette étude s’intéressent à trois moments spectraux (centre de gravité, skewness et kurtosis), convertis en Bark et dont les résultats sont présentés dans la figure 3.14 ci-dessous. Dans cette étude, les enfants répètent des phrases en imitant la production d’un expérimentateur accompagnée d’anglais signé et d’une transcription orthographique.

Figure 3.14 : centre de gravité (haut), skewness (bas, gauche) et kurtosis (bas, droite) des consonnes /s/ et /ʃ/ chez les trois groupes d’enfants (TC : enfants sourds CI, communication signée et orale, Oral : enfants sourds CI, communication orale, NH : groupe contrôle, enfants normo-entendants) dans l’étude de Uchanski & Geers (2003)

Les résultats obtenus dans le cadre de cette étude chez les enfants CI sont comparés à ceux d’enfants NH dont les productions ont été enregistrées selon la même procédure. Des jugements de la production des deux fricatives sont également calculés : les enfants CI obtiennent des résultats bien meilleurs (84% de productions correctes) pour /ʃ/, que pour /s/ (36%) et les enfants n’utilisant que l’oral obtiennent des résultats bien meilleurs également (61% de fricatives correctement produites) que les enfants utilisant une communication orale et signée (37%). Par ailleurs, les analyses acoustiques des trois moments spectraux pour ces deux fricatives indiquent une même tendance pour la majorité des enfants CI : le centre de gravité des deux fricatives a des valeurs similaires à celui des enfants NH (le centre de gravité de /s/ est plus élevé que celui de /ʃ/) chez 71% des enfants CI, le deuxième moment spectral (skewness) a la même orientation que celui des enfants NH chez 81% des enfants CI, et le troisième moment spectral (kurtosis) a la même orientation que celui des enfants NH chez 62% des enfants CI. Uchanski et

Geers (2003) notent en outre que les résultats de ces analyses acoustiques sont meilleurs pour les enfants n’utilisant que l’oral que pour les enfants utilisant une communication orale et signée. Cette étude de Uchanski & Geers (2003) a été réalisée auprès d’enfants CI et NH appariés en âge chronologique, et tous avaient entre huit et neuf ans lors des enregistrements. Une étude de Todd et al. (2011) propose une comparaison des productions des deux fricatives /s/ et /ʃ/ chez des enfants CI, et chez des enfants NH appariés soit en âge chronologique, soit en âge auditif. Tous les enfants CI de l’étude utilisent l’implant depuis au moins quatre ans et l’objectif de Todd et al. (2011) est de comprendre si ces enfants CI ont réussi à combler le retard lié à un accès tardif à l’oral par rapport à des enfants NH du même âge ou si leurs productions de fricatives sont comparables à des enfants NH ayant la même durée d’expérience de l’oral. La figure 3.15 ci-dessous présente les résultats de l’étude de Todd et al. (2011). Dans cette étude, 39 enfants CI de quatre à neuf ans (âge chronologique) et 43 enfants NH appariés en âge chronologique ou en âge auditif.

Figure 3.15 : centre de gravité des consonnes /s/ et /ʃ/ chez les deux groupes d’enfants CI et NH en appariés en âge chronologique (gauche) et en âge auditif dans l’étude de Todd et al. (2011)

Les productions de fricatives sont enregistrées lors d’une tâche de répétition de mots d’après un modèle audio adulte et une image. Les fricatives /s/ et /ʃ/ sont toutes en position initiale de mot, et sont suivies de /i, ɑ, u/. Les consonnes sont ensuite transcrites et seuls les sons jugés corrects sont utilisés dans les analyses (les distorsions, substitutions et suppressions de fricatives sont exclues des analyses). Un score correspondant aux productions jugées correctes est calculé pour chaque fricative et chaque groupe : pour tous les enfants, les résultats sont meilleurs pour /ʃ/ que pour /s/, et les auteurs n’observent pas d’effet de groupe (CI, NH appariés en âge chronologique et NH appariés en âge auditif). Pour l’ensemble des enfants, Todd et al. (2011) notent une différence significative entre les pics spectraux des deux fricatives (le pic spectral de /s/ est plus élevé que celui de /ʃ/). Lorsqu’ils comparent les productions des enfants CI avec celles des enfants NH appariés en âge chronologique, ils observent que le pic spectral de /s/ des enfants CI est plus bas que celui des enfants NH, alors que pour /ʃ/, les deux groupes ont des pics spectraux comparables. Lorsqu’ils comparent les enfants CI aux enfants NH appariés en âge auditif, ils constatent que pour les deux fricatives les pics spectraux des enfants CI sont plus bas que ceux des enfants NH. Il ressort de cette étude que les enfants CI produisent des fricatives

dont le pic spectral est plus comparable à celles d’enfants NH appariés en âge auditif qu’à celles d’enfants NH appariés en âge chronologique.

Les résultats de l’étude de Mildner & Liker (2008) semblaient indiquer que dans un premier temps, les centres de gravités des fricatives /s/ et /ʃ/ avaient tendance à être plus bas chez les enfants CI que chez les enfants NH, puis que dans un deuxième temps ils étaient au contraire plus élevés chez les enfants CI, vers la fin de l’étude (46 mois après implantation). Les résultats de Todd et al. (2011) montrent au contraire que les fricatives produites par les enfants CI sont soit similaires, soit plus basses que les enfants NH, qu’ils soient appariés en âge chronologique ou en âge auditif.

1.2.4.Conclusion

Cette revue de littérature sur les productions de consonnes par les enfants sourds, porteurs d’implants cochléaires ou d’aides auditives traditionnelles a permis de mettre en évidence la diversité des populations étudiées ainsi que des méthodologies de recueil et d’analyses de données. Les études perceptives et les études acoustiques sont complémentaires et permettent de mieux comprendre les trajectoires de développement phonologique des enfants sourds appareillés. Les inventaires de consonnes et les types d’erreurs perçues montrent que ces trajectoires ne sont pas linéaires et que certaines caractéristiques des consonnes sont plus difficilement acquises par les enfants. Ces observations subjectives sont la plupart du temps confirmées par les études acoustiques, même si on constate des résultats assez variables d’une étude à l’autre.

Il ressort des études acoustiques sur la production de consonnes, que pour les occlusives, la réalisation du voisement peut être problématique chez les enfants CI et HA alors que pour les fricatives, la distinction entre alvéolaires et post-alvéolaires est difficile chez ces deux groupes d’enfants. Comme pour les études sur les voyelles, il n’existe, à notre connaissance, aucune étude sur la production des consonnes par des enfants CI francophones.