• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : Étude de production (1 ère étude expérimentale) : méthodologie

1. Recueil des données

1.2. Protocole

1.2.2. Corpus

1.2.2.1.Critères de choix des mots utilisés dans les tâches de répétition et de dénomination

Les mots ont été choisis sur plusieurs critères : il s’agit d’une liste de mots mono- ou plurisyllabiques qui comportent tous une séquence-cible CV ou CVC initiale. Les sons de parole cibles sont la consonne initiale de mot et la voyelle de cette séquence initiale.

Le choix d’utiliser des mots plutôt que des logatomes ou des pseudo-mots est quant à lui motivé par notre problématique liée à la complexité lexicale. En effet, le choix de logatomes ou de pseudo-mots qui est un choix courant dans la littérature (voir par exemple les études sur les voyelles produites par des enfants CI de Bharadwaj et al. (2007), Löfqvist et al. (2010), Ryalls et al. (2003), Verhoeven et al. (2016)), a l’avantage de contrôler au maximum le contexte d’élicitation des segments (contexte consonantique pour les voyelles et contexte vocalique pour les consonnes), mais ne permet pas de prendre en compte la dimension lexicale de la parole produite. Cependant, nous souhaitions obtenir des productions sans modèle lors de la tâche de dénomination. Pour cette raison, nous avons choisi d’utiliser des mots plutôt que des logatomes ou des syllabes car nous souhaitions que les tâches soient faciles à comprendre par de jeunes enfants, et nous ne souhaitions pas leur imposer la tâche cognitive d’apprendre des pseudo-mots. Nous avons donc choisi des mots du français en contrôlant le contexte vocalique droit immédiat pour l’étude des consonnes et le contexte consonantique gauche immédiat pour l’étude des voyelles.

Notre choix de placer les sons et séquences-cibles dans des syllabes en position initiale de mot est quant à lui motivé par des phénomènes de renforcement des segments et des syllabes en position initiale de groupe accentuel. En effet, ces phénomènes ont des conséquences sur l’articulation des segments et donc sur les caractéristiques acoustiques de ceux-ci (voir notamment Fougeron & Keating (1997) pour une description du renforcement des consonnes en anglais, Keating et al. (2004) pour une étude comparée du renforcement des consonnes en anglais, français, coréen et taïwanais, ou Georgeton & Fougeron (2014) pour une description du renforcement des voyelles en français). Comme l’indiquent Fougeron & Keating (1997), il est nécessaire de contrôler la prosodie des productions enregistrées, pour réduire le plus possible toute variation segmentale liée à la prosodie :

« Our results underline a point made by a few other researchers: the importance of understanding, controlling, and reporting the prosody of speech materials in articulation experiments. For the individual experimenter, unsought variation in prosody is a potential confound both within and across speakers, as our own experiment shows. It can also make comparisons across studies difficult or impossible, as researchers have always known. »13

13 « Nos résultats soulignent un argument donné par quelques autres chercheurs : l’importance de comprendre, contrôler et décrire la prosodie des productions de parole dans des expériences sur l’articulation. Pour l’expérimentateur, une variation non désirée au niveau de la prosodie est un facteur confondant inter- et intra-locuteurs, comme notre propre expérience le montre. Les comparaisons entre études peuvent se révéler de ce fait difficiles ou impossibles, comme les chercheurs le savent. » (notre traduction)

L’homogénéité de la position des séquences CV cibles en position initiale de mot nous permet donc de contrôler une éventuelle variation articulatoire et donc acoustique liée à la position du son ou de la séquence CV dans le groupe accentuel (qui correspond à un mot sans article dans notre étude). L’étude pilote de Scarbel (2012) avait fait le choix d’analyser les caractéristiques acoustiques des voyelles en position initiale de mot, ce qui s’est avéré problématique, puisqu’un nombre important de voyelles n’étaient pas exploitables car elles étaient élidées, laryngalisées, dévoisées, ou même trop courtes pour pouvoir être analysées. Nous avons donc décidé, pour notre étude, d’étudier les voyelles en contexte /#b_/, de façon à éviter dans la mesure du possible ces phénomènes rendant les voyelles inexploitables : le voisement de la consonne se propage à la voyelle qui la suit et nous évitons ainsi les nombreux dévoisements de voyelles observés dans l’étude pilote de Scarbel (2012). Le choix d’un seul mode d’articulation pour cette consonne initiale nous permet de contrôler les effets éventuels de la coarticulation sur la production de la voyelle, puisque le contexte est identique pour toutes les voyelles. Ce choix est également motivé par le fait que cette consonne est labiale et non protruse, ce qui ne devrait affecter que légèrement la nature articulatoire et acoustique de la voyelle. Pour l’étude de la coarticulation, nous avons choisi cinq contextes vocaliques différents qui constituent une représentation équilibrée bien que réduite de l’espace vocalique du français.

Dans les paragraphes suivants (§1.2.2.2 à §1.2.2.4), nous allons détailler les deux tâches d’élicitation de mots (répétition et dénomination), qui ont été proposées aux deux groupes d’enfants (NH et CI) de façon identique, pour recueillir leurs productions de parole.

1.2.2.2.Choix des mots du corpus pour la tâche de répétition

Cette tâche de répétition comporte 65 mots du français, qui nous permettent d’étudier des productions de voyelles, de consonnes et de séquences syllabiques CV. Les consonnes initiales sont les occlusives /p, t, k, b, d, g/ et les fricatives /f, s, ʃ/, les voyelles sont les voyelles orales /i, e, ɛ, y, ø, œ, a, u, o, ɔ/ et nasales /ã, ɔ̃, ɛ̃/. Pour l’étude des consonnes, nous avons choisi des contextes vocaliques /#_i/ et /#_u/, pour l’étude des voyelles, nous avons choisi des contextes consonantiques /#b_/ et pour étudier la coarticulation CV, nous avons choisi des mots commençant par des séquences /bV/, /dV/ et /gV/, suivis des voyelles /i, e, u, o, a/.

1.2.2.3.Choix des mots du corpus pour la tâche de dénomination

Les mots présentés sont 35 mots mono- ou bisyllabiques comprenant une séquence CV ou CVC initiale. Les consonnes initiales sont les occlusives /p, t, k, b, d, g/ et les fricatives /f, s, ʃ/, les voyelles sont les voyelles orales /i, e, ɛ, y, ø, œ, a, u, o, ɔ/ et nasales /ã, ɔ̃, ɛ̃/. Pour l’étude des consonnes, nous avons choisi des contextes vocaliques /#_i/ et /#_u/, pour l’étude des voyelles, nous avons choisi des contextes consonantiques /#b_/ et pour étudier la coarticulation CV, nous avons choisi des mots commençant par des séquences /bV/, /dV/ et /gV/, avec les voyelles /i, e, u, o, a/.

1.2.2.4.Listes des mots du corpus pour la tâche de répétition et la tâche de dénomination

Les mots du corpus sont présentés dans les tables 4.4 (mots utilisés pour l’étude des consonnes), 4.5 (étude des voyelles) et 4.6 (étude de la coarticulation de séquences CV) ci-dessous. Les mots utilisés lors de la tâche de répétition sont les mots dits « simples » et « complexes », dont le choix

devait prendre en compte les contraintes liées à notre problématique ainsi que l’âge des enfants dont nous étudions les productions.

Le degré de complexité des mots du corpus est lié d’une part à la fréquence lexicale de ces mots, et d’autre part à des caractéristiques articulatoires des mots (longueur des mots, présence de clusters consonantiques). Les mots « simples » sont tous mono- ou bi-syllabiques, alors que les mots « complexes » sont tous bi- ou tri-syllabiques. La fréquence lexicale est obtenue à partir la base de données Manulex14 (Lété et al. (2004)) : nous avons choisi l’indice SFI (Standard Frequency Index)15 qui permet de rendre compte de la fréquence relative standardisée de mots figurant dans des manuels scolaires utilisés à l’école primaire. Nous avons choisi la fréquence des mots dans la base de données allant du CP au CM2, puisqu’il s’agit des niveaux scolaires des enfants participant à notre étude. Quatre mots n’apparaissent pas dans le corpus de livres scolaires de la base Manulex, nous n’avons donc pas pu en fournir la fréquence lexicale. Les fréquences lexicales des mots de notre corpus sont fournies en annexe 4. Un test t indique que les fréquences lexicales des mots simples et complexes de notre corpus, obtenues à partir de la base de données Manulex, sont significativement différentes : t(39,081)=2,6554, p<.05.

Plusieurs mots sont utilisés pour l’étude d’une consonne, d’une voyelle et d’une séquence CV. Ces mots sont présents dans chaque liste (Tables 4.4, 4.5 et 4.6) mais n’ont été présentés qu’une seule fois dans la tâche de répétition. Les mots du corpus utilisés pour la tâche de dénomination sont les listes de mots dits « simples ». Comme pour la tâche de répétition, certains mots sont utilisés pour plusieurs analyses acoustiques différentes mais ils ne sont produits qu’une seule fois par les enfants.

14 Base de données Manulex, Lété et al. (2004) : www.manulex.org, consultée le 26 mars 2016

15 Définition de l’indice SFI sur le site http://www.manulex.org/docs/fr/Manulex.pdf : « SFI : Standard Frequency Index : un indice de fréquence courant calculé à partir de U par transformation logarithmique. […] Un SFI de 90 signifie une rencontre (une occurrence) tous les 10 mots lus. Un SFI de 80 traduit une rencontre tous les 100 mots. Un SFI de 70, tous les 1000 mots, etc... Un SFI de 40 signifie une seule rencontre dans un million de mots. Le SFI est calculé à partir de U en utilisant la formule: SFI = 10*(log10 (U) +4) », avec U : Fréquence estimée d'Usage pour 1 million de mots.

Consonne Mots simples Mots complexes p pipe pistache p poupée poussière t ticket T-shirt t toupie tournesol k kiwi kimono k couteau couverture b bille bicyclette b bouton bourdon d dix dinosaure d doudou douze g guitare guirlande g goutte gourmand s sirop cygne s soupe sous-marin f filet ficelle f four fourchette ʃ chiffon chinois ʃ chou choucroute

Table 4.4 : mots utilisés lors de la tâche de répétition pour l’étude des consonnes classés par degré de complexité articulatoire

Voyelle Mots simples Mots complexes

a bateau balançoire

e bébé bétonneuse

ɛ bec berceau

i bille bicyclette

o bobo bocal

ɔ botte bol de soupe

u bouton bourdon

y bureau bûcheron

ø belette besace

œ bœuf beurre fondu

ã banc banquise

ɔ̃ bonbon bonbonne

ɛ̃ bain bungalow

Table 4.5 : mots utilisés lors de la tâche de répétition pour l’étude des voyelles classés par degré de complexité articulatoire

/bV/ /dV/ /gV/ bateau date gâteau bébé dessin guépard bouton doudou goutte bille dix guitare bobo dauphin gaufre

Table 4.6 : mots utilisés lors de la tâche de répétition pour l’étude de la coarticulation CV classés par lieu d’articulation de la consonne