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CHAPITRE 4 : Étude de production (1 ère étude expérimentale) : méthodologie

1. Recueil des données

1.2. Protocole

1.2.1. Tâches

1.2.1.1.Motivation du choix des tâches

Notre problématique a motivé le choix des corpus que nous avons constitués et de la méthode que nous avons utilisée pour les constituer. Dans un chapitre consacré à la constitution de corpus oraux dans le cadre d’études en phonétique et phonologie, Delais-Roussarie & Yoo (2014) proposent une distinction entre « données construites » (« experimental data ») et « données brutes ou produites naturellement » (« raw or naturally produced data ») :

« The distinction made between experimental data and raw data relies not only on the way the data have been collected - experimental data being produced according to a clear experimental protocol, and raw data in a very natural communicative setting -but also on the basis of the criteria that underlie their selection. In the case of experimental data, the criteria used to design the corpus and gather the data are internal, and almost always linked to the linguistic facts under investigation. By contrast, in larger corpora, the criteria used to gather data are mostly external and independent of any specific research question. »12

12 « La distinction faite entre données construites et données brutes tient non seulement à la façon dont les données ont été collectées – les données construites sont produites selon un protocole expérimental clair et les données brutes dans une situation de communication très naturelle – mais également à la base des critères qui motivent leur sélection. Dans le cas des données construites, les critères utilisés pour élaborer le corpus et collecter les données sont internes, et presque toujours liés aux faits linguistiques étudiés. En revanche, dans le cas de gros corpus, les critères utilisés pour collecter les données sont le plus souvent externes et indépendants de toute question de recherche. » (notre traduction)

Le premier type de données dites « construites » résulte d’un protocole strictement défini qui permet de réaliser des enregistrements comparables pour tous les locuteurs d’une étude, puisque dans ce cadre, chaque locuteur est soumis aux mêmes tâches et aux mêmes conditions d’enregistrement, alors que le deuxième type de données, dites « brutes ou produites naturellement », a l’avantage de s’approcher le plus possible de la production naturelle de la parole par le locuteur. Nous avons fait le choix d’enregistrer des données « construites » : les trois tâches (répétition, dénomination et narration) que nous avons utilisées nous permettent d’une part d’enregistrer des productions comparables chez tous les enfants et d’enregistrer des sons de parole sélectionnés pour rendre compte de plusieurs contrastes phonologiques du français, mais également d’enregistrer des productions assimilables à des productions de parole semi-spontanée, que nous allons ensuite utiliser pour notre étude d’intelligibilité de la parole des enfants sourds, porteurs d’implant cochléaire (voir chapitre 5, ci-après).

Cette étude de production a pour but d’étudier les productions des enfants porteurs d’implant cochléaire plusieurs années après implantation, pour comprendre 1) s’il reste des différences significatives entre les groupes CI et NH, plusieurs années après l’implantation des enfants CI, 2) comment les enfants utilisent le retour auditif pour produire des sons de parole 3) si la complexité du mot (nous considérons que les mots sont complexes s’ils présentent une complexité articulatoire résultant de leur longueur ou de la présence de clusters consonantiques) joue un rôle dans la production de ces mêmes sons de parole et 4) quels facteurs influencent l’intelligibilité de la parole des enfants. Dans cette optique, nous avons choisi d’enregistrer des mots contenant la plupart des sons du français (voyelles et consonnes) dans deux tâches (répétition des mots d’après un modèle audio adulte et dénomination des mêmes mots sans modèle) pour tenter de répondre à la première question, d’enregistrer des mots de deux niveaux de complexité articulatoire dans la seule tâche de répétition d’après un modèle audio adulte pour répondre à la deuxième question et d’enregistrer des productions de parole semi-spontanée, que nous soumettons ensuite au jugement d’auditeurs francophones, pour répondre à la troisième question.

Nous avons fait le choix de ne pas placer les mots dans des phrases porteuses mais de les enregistrer en isolation pour que la tâche soit la moins contraignante et répétitive possible pour des enfants assez jeunes. En effet, utiliser une même phrase porteuse nous semblait compliquer une tâche qui se devait avant tout d’être simple et rapide à effectuer pour éviter une lassitude et un arrêt prématuré de la tâche par l’enfant. Nous pouvons cependant a posteriori regretter justement d’avoir élaboré un protocole dont les tâches sont trop simples et ne permettent pas de mettre en évidence des différences très marquées entre les productions de mots isolés chez les deux groupes d’enfants.

1.2.1.2.Répétition

La première tâche est une tâche de répétition de mots, en isolation. Pour cette tâche de répétition, l’enfant était placé devant un ordinateur portable, sur lequel était présenté oralement un mot pré-enregistré accompagné d’une image qui l’illustrait et qu’il devait répéter. Les images que nous avons utilisées sont des photos ou des dessins qui représentent les objets ou personnes qui illustrent les mots du corpus, trouvés sur internet (à partir d’une recherche sur Google) et libres de droits. Chaque mot est présenté deux fois, en ordre aléatoire, avec une pause après la première série de 65 mots.

La tâche de répétition nous permet entre autres d’étudier l’effet de la complexité du mot sur la réalisation de consonnes et voyelles, nous avons donc deux listes de mots, classés par degré de complexité (mots simples et complexes) qui vont nous permettre de comparer la réalisation de segments dans des mots simples et des mots complexes. En outre, nous avons choisi de ne pas étudier l’effet de la complexité du mot sur la réalisation de la coarticulation, nous n’avons donc pas sélectionné de mots dits « complexes » pour en étudier la coarticulation.

1.2.1.3.Dénomination

Tout comme la tâche de répétition, la tâche de dénomination est une tâche d’élicitation de mots en isolation à partir d’images, mais cette fois, sans modèle audio. Les mots utilisés pour cette tâche ont tous été utilisés lors de la tâche de répétition, avec les mêmes images. La tâche de dénomination est réalisée immédiatement après la tâche de répétition qui lui sert donc d’entrainement. La comparaison des mots produits lors de la tâche de répétition et de la tâche de dénomination nous permet d’étudier l’effet de l’input auditif immédiat sur la réalisation des segments et de la coarticulation. Cette tâche est réalisée à partir des 35 mots de la liste des mots dits « simples » de la tâche de répétition.

Comme pour la tâche de répétition, l’enfant est placé devant un ordinateur portable, sur lequel l’image correspondant au mot-cible lui est présentée, mais cette fois sans modèle audio. Chaque mot est présenté deux fois, en ordre aléatoire, avec une pause après la première série de 35 mots. Nous souhaitons étudier l’effet de l’input auditif immédiat sur la réalisation segmentale ainsi que sur la réalisation de la coarticulation. Dans cette optique, nous utiliserons la seule liste de mots simples dans la tâche de répétition et la tâche de dénomination, pour étudier la réalisation des segments.

1.2.1.4.Narration

La troisième tâche de notre étude expérimentale de production est une tâche de narration. Notre but étant de recueillir des échantillons de parole représentatifs des productions habituelles des enfants, destinés à être utilisés pour construire les stimuli de notre étude sur l’intelligibilité de la parole, nous avons choisi de leur proposer de visionner un dessin animé (« Hatch Up Your Troubles », Hanna & Barbera (1949)), et de leur demander de raconter à l’expérimentatrice présente tout ce qu’ils avaient vu dans ce dessin animé. Plusieurs raisons ont motivé le choix de cette tâche. En effet, enregistrer la parole d’enfants présente plusieurs difficultés exposées par Rose (2014), ce qui nécessite un protocole expérimental particulier, lié au type d’analyses à réaliser. Notre choix d’une tâche de narration permet de collecter des données de parole semi-spontanée, similaires et comparables chez l’ensemble des enfants puisque la production de parole est guidée. L’intérêt est que le lexique employé va être similaire d’un enfant à l’autre, ce qui permet de recueillir des énoncés représentatifs de la production de parole par chaque enfant, mais cette tâche ne permet pas de rendre compte de toute l’étendue des productions des enfants en situation de production de parole naturelle et habituelle.

Le dessin animé était divisé en huit séquences d’une vingtaine de secondes chacune. Après chaque séquence visionnée par l’enfant, celui-ci devait raconter à l’expérimentatrice ce qu’il venait de voir, et elle lui pouvait également lui poser des questions pour l’encourager à donner le plus de détails possible.