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CHAPITRE 3 : production de parole et intelligibilité de la parole des enfants porteurs d’implants

2. Intelligibilité de la parole d’enfants porteurs d’implants cochléaires : évaluation et facteurs

2.2. Résultats des études d’intelligibilité

2.2.2. Corrélats acoustiques de l’intelligibilité

La table 3.4 ci-dessous présente les corrélations testées entre certaines caractéristiques acoustiques et l’intelligibilité de la parole d’enfants porteurs d’implants cochléaires. Les corrélats les plus fréquemment testés sont liées à la production des voyelles : F1, F2, taille de l’espace vocalique. Une étude (Van Lierde et al. (2005)) s’intéresse également aux productions de consonnes. Des caractéristiques suprasegmentales sont également testées : F0, débit et pauses, nasalité, qualité de voix.

Auteurs Date Voyelle (F1) Voyelle (F2) Taille de l'espace vocalique

Qualité

de voix Nasalité Débit/ pauses

Fréquence fondamentale

(F0)

Chuang et al. 2012 oui oui

Horga et Liker 2006 oui oui oui

Löhle et al. 1999 oui

Löfqvist et al. 2009 non non non

Perrin et al. 1999 oui oui

Poissant et al. 2006 oui oui oui

Van Lierde et al. 2005 ? non

Table 3.4 : effets des caractéristiques acoustiques des productions de parole sur l’intelligibilité (classement par ordre alphabétique du premier auteur). Oui : effet sur l’intelligibilité, non : aucun effet sur l’intelligibilité.

2.2.2.1.Caractéristiques segmentales

Le second formant (F2) est la mesure la plus fréquemment utilisée pour caractériser la production des voyelles dans les études présentées dans la table 3.4 : les études de Chuang et al. (2012), Horga et Liker (2006) et Poissant et al. (2006), montrent une corrélation entre F2 et intelligibilité de la parole, alors que l’étude de Löfqvist et al. (2009) ne permet pas d’établir cette corrélation. Les mesures réalisées dans le cadre de ces études sont cependant différentes, et les conditions d’élicitation de parole sont également différentes, ce qui peut expliquer les résultats contradictoires obtenus par les différents auteurs.

Poissant et al. (2006) calculent un ratio F1:F2 : celui-ci est plus élevé lorsque l’implant est désactivé pour trois enfants et plus bas pour trois enfants. Les résultats des analyses perceptives par transcription sont meilleurs pour cinq des six enfants lorsque l’implant est activé et les jugements d’intelligibilité sont également meilleurs pour cinq enfants sur six lorsque l’implant est activé. Les résultats de cette étude montrent chez tous les enfants une différence entre les deux conditions d’utilisation de l’implant, mais les résultats des analyses acoustiques et perceptives sont trop hétérogènes pour pouvoir être exploités par les auteurs. Le groupe d’enfants est également relativement petit et hétérogène, et le nombre de productions collectées et analysées est également trop faible pour pouvoir établir clairement des corrélations entre caractéristiques acoustiques de ces productions et intelligibilité des enfants.

Les résultats des analyses acoustiques de l’étude de Horga et Liker (2006) indiquent que les enfants sourds profonds HA ont un espace F1-F2 plus réduit que les enfants CI et NH et l’étude d’intelligibilité des voyelles suit ce même schéma : les enfants CI et NH ont une meilleure intelligibilité que les enfants HA, sauf pour la voyelle /a/, pour laquelle les enfants HA et NH ont une meilleure intelligibilité que les enfants CI.

L’étude de Chuang et al. (2012) confirme les résultats des études de Horga et Liker (2006) et de Poissant et al. (2006), puisqu’elle met en évidence un espace vocalique plus petit chez les enfants CI lorsque les voyelles sont tenues, mais une taille d’espace vocalique similaire à celle des enfants NH lorsque les voyelles sont élicitées dans des phrases porteuses. L’étendue de F2 est plus petite chez les enfants CI, ce qui indique une réduction sur l’axe horizontal. Chuang et al. (2012) montrent une corrélation entre l’étendue de F2 entre /i/ et /u/ (voyelles tenues) et l’intelligibilité. Ils notent également une bonne intelligibilité des enfants CI, même si celle-ci reste moins bonne que celle des enfants NH.

Dans l’étude de Löfqvist et al. (2010), les résultats de l’analyse acoustique indiquent que l’espace vocalique est plus petit chez les adolescents CI que chez les adolescents NH. Les auteurs utilisent

deux méthodes différentes de calcul de la taille de l’espace vocalique. Ils mettent en évidence l’absence de corrélation significative ente la taille de l’espace vocalique et intelligibilité, contrairement aux études de Bradlow et al. (1996) et Horga et Liker (2006). Ils notent en outre une différence significative entre les deux groupes pour l’étendue de F1 mais pas de F2. Par ailleurs, les tests d’identification de voyelles de l’étude de Löfqvist et al. (2009) indiquent qu’il y a une confusion plus grande entre les voyelles testées chez les adolescents CI que chez les NH, avec une différence significative entre les deux groupes : la confusion entre voyelles lors du test d’identification de voyelles est plus grande si la taille de l’espace vocalique est plus petite et si les voyelles sont plus proches les unes des autres. L’une des limites de l’étude de Löfqvist et al. (2010) est qu’elle ne prend en compte que les voyelles dans les analyses acoustiques réalisées, et qu’aucun autre aspect de la production de parole n’est envisagé pour expliquer des problèmes d’intelligibilité.

Dans l’étude de Perrin et al. (1999), l’analyse objective montre que les enfants NH ont des formants plus hauts que les valeurs normales de référence (établies lors d’une étude précédente par les mêmes auteurs auprès de 20 enfants, appariés en âge et en sexe avec les enfants CI et NH de l’étude de Perrin et al., 1999), alors que les enfants CI ont des formants plus bas que ces mêmes valeurs. Les auteurs ont utilisé des valeurs « normales » de référence pour normaliser les valeurs acoustiques mais ces valeurs ne sont peut-être pas adaptées dans ce cas, et ne réduisent peut-être pas toute la variation liée notamment à l’âge des enfants. L’étude est une étude pilote, avec un nombre très réduit d’enfants, dont les âges et la durée d’utilisation de l’implant sont très hétérogènes. Les données de production sont également insuffisantes (une seule phrase lue) pour pouvoir établir avec certitude où se situent les difficultés rencontrées par les enfants CI et les différences avec le groupe d’enfants NH.

Van Lierde et al. (2005) mettent en évidence une intelligibilité plus grande des enfants CI par rapport aux enfants HA, ce qui est partiellement en contradiction avec les résultats de Miyamoto et al. (1997) et Svirsky (2000) : dans ces deux études, l’intelligibilité des enfants CI avant implantation est similaire à celle des enfants HA qui ont le niveau d’audition le plus bas, leur intelligibilité augmentant de façon constante à partir de l’implantation. Cependant, dans l’étude de Miyamoto et al. (1997), même après sept ans et demi d’utilisation de l’implant, l’intelligibilité des enfants CI n’a toujours pas atteint le niveau des enfants HA qui ont le niveau d’audition le plus élevé de l’étude, alors que pour Van Lierde et al. (2005), plusieurs années après implantation (3;4 ans en moyenne), l’intelligibilité des enfants CI atteint un niveau plus élevé que celle des enfants HA. Par ailleurs, les analyses objectives et perceptives de l’étude de Van Lierde et al. (2005) montrent que les difficultés des deux groupes sont localisées sur les productions de consonnes, plutôt que sur les voyelles, même si les enfants CI ont un inventaire de consonnes plus étendu que les enfants HA. Van Lierde et al. (2005) soulèvent également la difficulté de cibler les raisons et les facteurs qui conduisent à une plus grande intelligibilité des enfants CI par rapport aux enfants HA. Les problèmes rencontrés dans la production de certains sons (par exemple les consonnes) ne sont pas les mêmes : substitution d’une autre consonne par les enfants HA, et éloignement de la consonne-cible d’un seul trait (voisement, mode ou lieu d’articulation) pour les enfants CI. Pour Van Lierde et al. (2005), les omissions et substitutions de certains segments (voyelles et consonnes) par les enfants sont la cause la plus importante de perte d’intelligibilité, alors que si la différence par rapport à la cible est localisée sur un seul trait phonétique (ce qui correspond à des distorsions), les enfants ont une intelligibilité plus grande.

Les auteurs en concluent que les problèmes d’intelligibilité sont plus grands chez les enfants HA que chez les enfants CI, ce qui est probablement lié à un nombre plus important de problèmes rencontrés à la fois aux niveaux phonétiques et phonologiques.

Cette étude a par ailleurs quelques limites, notamment en ce qui concerne les groupes d’enfants qui sont assez hétérogènes, de par la taille de chaque groupe et les âges des enfants. On peut noter également que Van Lierde et al. (2005) n’essayent pas d’établir des corrélations entre caractéristiques de la parole et intelligibilité, mais envisagent l’intelligibilité comme l’un des éléments de la parole des enfants porteurs d’implants cochléaires qu’ils étudient. Les auteurs présentent donc des résultats d’intelligibilité mais n’expliquent pas ce qui provoque un déficit d’intelligibilité chez les enfants CI.

Si la grande majorité des études d’intelligibilité chez les enfants CI s’intéressent aux productions de voyelles, l’étude de Horga et Liker (2006) s’intéresse également aux productions de consonnes : dans les analyses de durées d’occlusion et de VOT, les enfants CI obtiennent des résultats similaires aux enfants HA, et moins bons que les enfants NH. Les enfants CI ont des résultats moins bons que les enfants NH en ce qui concerne la différence de voisement entre /t/ et /d/. Cette différence entre enfants CI, HA et NH se traduit également par une intelligibilité moins bonne des enfants CI et HA par rapport aux enfants NH. Horga et Liker (2006) proposent cette analyse à partir d’une comparaison de caractéristiques acoustiques de la production de parole et de l’intelligibilité (à partir d’un test d’identification de voyelles) sans tester la corrélation entre ces deux aspects de la parole des enfants CI.

2.2.2.2.Caractéristiques suprasegmentales et qualité de voix

Perrin et al. (1999) s’intéressent à des caractéristiques suprasegmentales de la production de parole. Ils trouvent que : la durée de la phrase est plus longue chez les enfants CI que chez les enfants NH ; l’intensité perçue est la mesure subjective qui varie le plus, sauf pour l’un des enfants CI ; les pauses sont plus nombreuses et plus longues pour les enfants CI, sauf pour deux d’entre eux, pour lesquels ces résultats sont comparables aux enfants NH ; les voix des enfants CI sont jugées moins agréables sauf la voix d’un des enfants. Les auteurs en concluent que les évaluations subjectives de caractéristiques de voix ne permettent que de dégager des tendances mais pas d’effet fort de l’implant sur l’intelligibilité et les caractéristiques étudiées. L’évaluation objective ne donne pas de différences très marquées, sauf pour la durée de production de la phrase, qui est nettement plus longue pour les enfants CI, ce qui serait une indication que les enfants CI parlent plus lentement que les enfants NH. Chuang et al. (2012) s’intéressent également au débit de parole (qui inclut les pauses), qui est significativement plus lent chez les enfants CI (plus de pauses et pauses plus longues), alors que le débit d’articulation (qui n’inclut pas les pauses) n’est pas significativement différent entre les deux groupes. Chuang et al. (2012) en concluent que les enfants CI ont une stratégie de segmentation des groupes de mots différente de celle des enfants NH, mais cette différence ne semble pas avoir d’effet sur l’intelligibilité. L’étude de Van Lierde et al. (2005) s’intéresse à la nasalité. Les résultats montrent que la nasalité est moins forte chez les enfants CI que chez les enfants HA, dans les mesures objectives, mais ne se traduit pas par une différence au niveau perceptif.

Löhle et al. (1999) étudient à la fois les effets de caractéristiques individuelles des enfants (trois groupes d’enfants CI selon l’âge d’implantation et quatre groupes d’enfants HA) et les effets du rythme et de l’intonation sur l’intelligibilité. Le groupe des enfants ayant reçu l’implant le plus tôt

a une prosodie jugée naturelle après l’implantation, le groupe des enfants ayant les âges d’implantation intermédiaires est jugé comme ayant une F0 monotone mais une structure rythmique adéquate, alors que les enfants dont l’âge lors de l’implantation était le plus tardif ont une F0 monotone et ne sont pas capables de structurer rythmiquement leur parole. Dans cette étude, Löhle et al. (1999) n’établissent pas clairement le lien entre prosodie et intelligibilité, mais plutôt entre utilisation adéquate de la prosodie et âge d’implantation d’une part et intelligibilité et âge d’implantation d’autre part. Ainsi ils mettent en évidence l’effet de l’âge d’implantation sur l’utilisation de la prosodie et les conséquences de cette utilisation plus ou moins correcte sur l’intelligibilité de la parole des enfants CI.

2.3. Conclusion

L’ensemble des études présentées a montré qu’il existe des corrélats quantifiables de l’intelligibilité : caractéristiques des enfants et de leur utilisation de l’implant d’une part et caractéristiques de la production de parole d’autre part. L’étude de Bradlow et al. (1996) prend en compte ces deux types de corrélats et montre que l’intelligibilité est corrélée à la fois avec les caractéristiques des locuteurs typiques (adultes) et la taille de leur espace vocalique. Les résultats chez les enfants porteurs d’implants cochléaires sont beaucoup moins clairs et on constate une grande variété de résultats contradictoires dans les études présentées : l’intelligibilité est corrélée à la durée d’utilisation de l’implant dans toutes les études mais à certaines caractéristiques des locuteurs comme l’âge chronologique et l’âge d’implantation dans quelques études seulement. De même, l’intelligibilité n’est pas systématiquement corrélée aux caractéristiques acoustiques de la production de la parole, à l’exception du débit de parole et de la fréquence fondamentale qui ne sont analysées que dans deux études, ce qui ne permet pas de généralisation.

Comme pour les études sur la production de parole, cette revue de littérature a montré qu’il existe de grandes disparités entre les études sur l’intelligibilité de la parole. Ces disparités sont liées entre autres aux méthodes de jugements, aux populations d’enfants dont on juge l’intelligibilité. Notre étude expérimentale sur l’intelligibilité de la parole devra donc prendre en compte ces facteurs et nous proposerons une revue détaillée des différentes méthodologies utilisées par ces études pour justifier nos choix expérimentaux. Cette revue méthodologique sera proposée en détail dans le chapitre 6, ci-après.