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III- ­‐ Revue de littérature

1.   Analyse des arrêts Health Services et Fraser

1.4   Utilisation du droit international

Dans l'arrêt Health Services, la Cour suprême fonde en partie son analyse sur les accords internationaux auxquels le Canada est partie, d'abord afin de mettre au rancart son interprétation antérieure de la liberté d'association, puis pour cerner la portée du droit de négociation collective au sens de l'article 2d) de la Charte. La Cour souligne que dans le système fédéral canadien, il revient au Parlement fédéral et aux législatures provinciales d’incorporer les accords internationaux au droit interne, mais que l’examen des obligations internationales du Canada peut guider les tribunaux dans leur interprétation de la Charte. La Cour estime qu'il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne.60

58 FINLAYSON et MAIZE, précités note 45, pp. 8-10.

59 CAVALLUZZO, Paul, «The Fraser case : A Wrong Turn in a Fog of Judicial Deference» dans Faraday et al., eds,

Constitutional Labour Rights in Canada. Farm Workers and the Fraser Case, Irwin Law, 2012, pp. 155-189.

L'utilisation du droit international par la Cour suprême a fait l'objet de critiques de la part de certains auteurs et d'adhésion par d'autres.

La principale critique vient de Langille qui considère que l'exposé de la Cour sur le contenu des obligations internationales du Canada manque de rigueur. Il souligne que les motifs des juges ne font mention nulle part de la Convention de l’OIT no 98 sur la négociation collective et du fait que cette convention n’a pas été ratifiée par le Canada61. Langille poursuit en expliquant que le Comité de la liberté syndicale de l’OIT ne peut imposer d’obligations à des pays qui n’ont pas ratifié les conventions pertinentes, mais peut attirer l’attention sur les principes de liberté syndicale afin de suggérer au pays d’en faire la promotion. Par conséquent, en regard des obligations du Canada, celui-ci n’ayant pas ratifié la Convention no 98, le Comité ne peut faire de commentaires relatifs à des dispositions qui vont au-delà de la Convention no 87. De plus, aucune plainte ne peut être logée ni aucune commission d’enquête ne peut être mise sur pied pour examiner comment le Canada se conforme aux dispositions de la Convention no 98.

Lorsque les juges font appel à l’article de Gernigon et al.62 pour résumer « les principes pertinents du droit international»63 ou « le consensus obtenu à l’échelle internationale»64, ils ne mentionnent nulle part que cet article porte principalement sur la Convention no 98 qui n’a pas été ratifiée par le Canada. À ce sujet, Langille écrit :

«But C87 (Freedom of Association) is not the focus of the article by Gernigon, Odero and Guido. As one would expect from its title — “ILO Principles concerning Collective Bargaining” — the article is largely about C98 (Collective Bargaining), and in the critical passages relied upon by the Court, all about C98, which Canada has not ratified. Thus, the article does not provide a summary of Canada’s international law obligations. I cannot offer an explanation for this oversight.»65

Selon l’auteur, la principale difficulté liée au raccourci pris par les juges LeBel et McLachlin est le fait que leurs motifs énoncent que la liberté d’association englobe non seulement le droit à la négociation collective, mais également une obligation corrélative, faite à l’employeur, de négocier de bonne foi. Comme nous l'avons souligné plus haut, selon Langille, si on regarde de plus près les instruments internationaux et même

61 LANGILLE, précité note 57, pp. 378-385.

62 GERNIGON, Bernard, Alberto ODERO et Horacio GUIDO, «Les principes de l’OIT sur la négociation collective»,

(2000) 139 Revue internationale du travail 33, p. 55-57.

63 Par. 77 de l'arrêt Health Services. 64 Par. 78 de l'arrêt Health Services. 65 LANGILLE, précité note 57, p. 380.

l’article de Gernigon et al., on constate que ces derniers visent la négociation « volontaire » de conventions collectives :

«Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations de travailleurs d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi»66

Gernigon et al. précisent d'ailleurs qu’il ne peut être déduit des conventions de l’OIT sur la négociation collective qu’il existe une obligation formelle de négocier ou de conclure une convention collective. Au surplus, l’obligation de promouvoir la négociation collective exclurait toute mesure coercitive parce qu’une telle mesure altérerait le caractère volontaire de la négociation. Selon Langille, une obligation de négocier serait incompatible avec l’idée centrale de la Convention no 98, soit la négociation volontaire de conventions collectives67.

Ces remarques de Langille n'ont pas trouvé écho de la même façon chez d'autres auteurs. Verge salue plutôt le recours, à bon escient, aux sources internationales68. Toutefois, un peu comme Langille, il note qu'il ressort de l'interprétation de cet ensemble normatif que l'État peut obliger les partenaires sociaux à entrer en négociation au sujet de termes et conditions d'emploi, en vue de promouvoir l'utilisation et le développement de ces mécanismes de négociation collective, mais qu'aucune obligation ne s'impose au législateur de le faire. Cette discussion est approfondie dans un article plus récent, écrit avec le professeur Roux, dans lequel les auteurs exposent des contradictions persistantes entre le droit international et le droit interne du travail69. Ces contradictions sont également notées par Choko70, qui analyse en détail les décisions du Comité de liberté syndicale de l’OIT (CLS) pour conclure que le dialogue entre le Canada et l’OIT est entré dans une nouvelle ère après que la Cour suprême ait rendu la décision Health

Services. Selon l’auteure, dans son premier rapport suivant l’arrêt, la Commission

d’experts (CEACR) a noté avec intérêt la décision de la Cour et le CLS a fait de même dans son étude de suivi de la plainte dans un des cas lié à cette affaire. Elle ajoute que

66 Article 4 de la Convention de l’OIT no 98 (nous soulignons). 67 LANGILLE, précité note 54, p. 381.

68 VERGE, précité note 34, p. 395

69 ROUX, Dominic et P. VERGE, «L’affirmation des principes de la liberté syndicale, de la négociation collective et du

droit de grève selon le droit international et le droit du travail canadien : deux solitudes ?», Développements récents

en droit du travail (2011), Barreau du Québec, Yvon Blais, 2011, pp. 120-154.

70 CHOKO, Maude, «L’évolution du dialogue entre le Canada et l’OIT en matière de liberté d’association : vers une

protection constitutionnelle du droit de grève?» McGill Law Journal/Revue de droit de McGill, 2011, 56 :4, pp. 1113- 1185.

le ton des organes de surveillance de l’OIT est devenu plus conciliant malgré que la législation canadienne soit encore souvent non conforme aux principes de la liberté syndicale.

Adams71 répond expressément aux critiques de Langille. Il écrit que les obligations du Canada ne relèvent pas uniquement des conventions de l'OIT qu'il a ratifiées, mais également de la Constitution de l'OIT, dont le Canada est membre, ainsi que de deux pactes des Nations Unies: le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux

et culturels72 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques73. L'auteur explique que les responsabilités du Canada en vertu de ces traités incluent le respect du corpus de droit international qui s'est développé sur la négociation collective et, citant Macklem74, il ajoute que les organes compétents ont interprété la liberté d'association garantie par la Convention no 87 de l'OIT comme comprenant le droit de négociation collective.

Adams poursuit en se montrant en désaccord avec l'interprétation que fait Langille des mots «négociation volontaire de conventions collectives» dans le texte de la Convention no 98 de l'OIT. Il explique que le Comité d'experts de l'OIT considère que l'imposition de la négociation collective par voie législative répond aux normes internationales. Selon Adams, la reconnaissance du «droit» de négociation collective nécessite une obligation corollaire à ce droit, sans quoi les garanties contenues dans la convention de l'OIT no 98 n'auraient pas de sens75.

Dans son article consacré au dialogue entre le Canada et l’OIT sur les droits de négociation collective et de grève, Choko se range du côté d’Adams, estimant que par son appartenance à l’OIT, le Canada s’engage à respecter les principes et droits fondamentaux au travail, lesquels comprennent tant le droit à la négociation collective, entendu en tant que droit et non en tant que liberté, que le droit de grève76.

71 ADAMS, Roy, «The Supreme Court, Collective Bargaining and International Law: a Reply to Brian Langille», (2009)

14 Canadian Labour and Employment Law Journal, pp. 316-327 (aux pp. 317-327).

72Recueil des traités des Nations- Unies, vol. 993 (1976), p. 13.

73Recueil des traités des Nations Unies, vol. 999 (1976). Le Canada a ratifié le Pacte le 19 mai 1976 : (1976) R.T.

Can. N° 47.

74 MACKLEM, P. «The Right to Bargain Collectively in International Law: Workers' Right, Human Right, International

Right» dans P. Alston, ed., Labour Rights as Human Rights (Oxford Oxford University Press, 2005) 61, p. 73, cité à la note 27 du texte d'Adams, précité note 64.

75 ADAMS, précité note 71, p. 327.

76 Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, adoptée par la Conférence

internationale du Travail à sa 86ème Session, Genève, 18 juin 1998 (Annexe révisée le 15 juin 2010). Son article 2 se lit : «2. Déclare que l'ensemble des Membres, même lorsqu'ils n'ont pas ratifié les conventions en question, ont

Coutu, Fontaine et Marceau, pour leur part, concèdent à Langille que la Cour procède rapidement sans faire toutes les nuances requises77. Toutefois, ils sont moins sévères à l'égard du résultat de l'analyse, considérant que la Cour n'est absolument pas tenue de se limiter à l'examen du droit international formellement ratifié par le Canada, dans la mesure où les normes citées servent de sources persuasives d'interprétation de la

Charte canadienne des droits et libertés. Il ne s'agit pas d'une source impérative, mais

plutôt d'un moyen interprétatif dont le pouvoir de légitimation est très élevé.

La majorité des juges de la Cour suprême retient l'approche d'Adams, de Coutu et al. et de Choko, en répondant au juge Rothstein dans l'arrêt Fraser. Ils notent que des décisions du Comité de liberté syndicale et de la Commission d'experts de l'OIT confirment leur compréhension des normes internationales en regard du droit en vigueur au Canada78.

Cette partie du débat entre les juges minoritaires et majoritaires sera commentée par la suite. Ewing et Hendy se disent perplexes devant le fait que certains juges de la Cour aient pris au sérieux l’idée voulant que le Canada n’ait pas d’obligation en droit international en regard de la négociation collective79. Ils critiquent par ailleurs la réponse de la majorité, étant d’avis qu’elle aurait été plus convaincante si elle avait été plus directe; en effet, il suffisait selon eux de référer aux décisions du Comité de liberté syndicale (CLS) dans les cas visés dans Health Services et Fraser pour conclure que la législation nationale ne satisfaisait pas aux obligations du Canada80. À cet égard, Cavalluzzo se dit aussi étonné du fait que la Cour n’ait pas fait référence aux décisions du CLS dans l’affaire Fraser pour conclure que la LPEA satisfaisait à la protection du droit de négociation collective au sens entendu par le droit international81.

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