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III- ­‐ Revue de littérature

1.   Analyse des arrêts Health Services et Fraser

1.1   Revirement jurisprudentiel

Tous les auteurs recensés dans le cadre de la présente revue de littérature s'accordent pour dire que l'arrêt Health Services opère un revirement jurisprudentiel en regard de la position antérieure de la Cour suprême sur la liberté d'association.

Fudge33 qualifie ce revirement jurisprudentiel d'imprévu, d'autant plus que le litige à sa base a trait à la négociation collective dans le secteur de la santé, un contexte donc très chargé politiquement et dans lequel les récentes incursions judiciaires ont été très controversées.

33 FUDGE, Judy, «The Supreme Court of Canada and the Right to Bargain Collectively: the Implications of the Health

Services and Support case in Canada and Beyond», (2008) Industrial Law Journal, vol. 37, no 1, pp. 25-48 (aux pp.

Comme le note Verge34, la Cour suprême renverse sa position établie moins d'une vingtaine d'années auparavant, voulant que l'al. 2d) de la Charte, qui affirme la liberté d'association de chacun, ne protège pas la négociation collective. Selon Verge, affirmer maintenant que la liberté d'association comprend l'activité de négociation collective suppose la mise au rancart des principaux arguments mis de l'avant au soutien du raisonnement antérieur de la Cour. Cette partie du jugement est qualifiée par Verge d'analyse détaillée éminemment pertinente, parce que la faculté de négociation collective ne procède pas d'un droit légiféré contemporain, mais tire plutôt son origine dans l'histoire des relations de travail au Canada et ailleurs.

Morin35 qualifie le revirement jurisprudentiel de «heureux et courageux», mais est plus critique quant à la justification offerte par la Cour. Il note que les juges ne sont guère explicites sur les facteurs qui les incitèrent à en convenir lorsqu'ils écrivent:

«Nous concluons que les motifs avancés dans les arrêts précédents pour exclure les négociations collectives de la protection accordée par la Charte à la liberté d'association ne résistent pas à un examen fondé sur les principes pertinents et qu'ils devraient être écartés»36

Selon Morin, ces «principes» pertinents énoncés sont les mêmes avant comme après 1987, mais qu'il s'agit plutôt d'une lecture maintenant réaliste de la situation socio- politique.

Coutu, Fontaine et Marceau37 écrivent que l'arrêt Health Services consacre de façon remarquable un changement de paradigme amorcé en filigrane dans des arrêts antérieurs, notamment dans l'affaire Dunmore. Ils ajoutent38 que la Cour suprême estime de manière générale que le point de vue exprimé dans la trilogie par la majorité des juges repose sur une approche insensible à son contexte, contrairement à l'interprétation téléologique donnée à d'autres garanties reconnues par la Charte. Ce

34 VERGE, Pierre, «La Cour suprême, le «droit» à la négociation collective et le «droit» de grève», (2006) Revue du

Barreau, Tome 66, pp. 391-399 (aux pp. 391-392).

35 MORIN, Fernand, «Liberté d'association et rapports collectifs du travail», Développements récents en droit du

travail et en éducation (2007), Barreau du Québec, Yvon Blais, 2007, pp. 107-137 (à la p. 130).

36 Health Services, par. 22, cité dans Morin, p. 130.

37 COUTU, Michel, Laurence-Léa FONTAINE et Georges MARCEAU, «L'arrêt Health Services and Support de la

Cour suprême du Canada: la constitutionnalisation du régime québécois des relations industrielles?», Lex Electronica, vol. 13, no 2 (automne 2008), p. 11.

commentaire est également fait par Etherington39. La méthode formaliste, qui est rejetée par la Cour, revient à traiter sur un même pied, dans une indifférence totale aux enjeux sociaux et éthiques sous-jacents, une association de salariés ou un club de lecture. Selon la Cour suprême, ce faisant, on perd malheureusement de vue l'importance que présente la négociation collective - par le passé et à l'heure actuelle - pour l'exercice de la liberté d'association dans le cadre des relations du travail40.

Morin41 écrit pour sa part que la Cour suprême redresse son propre tir tout en précisant que cette nouvelle position de la Cour repose sur quatre prémisses:

a) premièrement, l’examen de la jurisprudence de la Cour sur l’article 2(d) révèle que les raisons invoquées par le passé pour expliquer que le droit à la liberté d’association qui ne s’étendaient pas à la négociation collective ne valent plus; b) deuxièmement, une interprétation de l’article 2(d) qui exclut la négociation

collective de son champ d’application ne se concilie pas avec le fait que le Canada a toujours reconnu l’importance de ce processus en matière de liberté d’association;

c) troisièmement, la négociation collective fait partie intégrante de la liberté d’association selon le droit international, qui peut inspirer l’interprétation des garanties reconnues par la Charte;

d) enfin, interpréter l’article 2(d) comme comprenant le droit de négociation collective s’intègre dans la logique, voire la défense, des autres droits, libertés et valeurs consacrés par la Charte.

Suite à une analyse de même nature, Etherington42 fait remarquer que la majorité de la Cour déclare également qu'elle était allée trop loin dans sa retenue sur les politiques relatives au travail («labour policy») en raison de son interprétation trop restrictive de la liberté d'association. En conséquence, quoiqu'elle soit toujours d'avis qu'il faut faire preuve de déférence envers le pouvoir législatif et ses choix de politiques, elle ne sera plus encline à une forme d'immunité lorsque les politiques elles-mêmes ne reflètent pas les valeurs de la Charte. D'où un changement de paradigme.

39 ETHERINGTON, Brian, «The B.C. Health Services and Support Decision - The Constitutionalization of a Right to

Bargain Collectively in Canada: Where Did it Come From and Where Will it Lead?», (2009) Comp. Labor Law & Pol'y

Journal, vol. 30, 715-749 (à la p. 716).

40 Health Services, par. 30. 41 MORIN, précité note 35, p. 118.

Enfin, Arthurs43 discute de la notion même de «constitutionnalisation» du droit de négociation collective. Il propose comme définition première du concept, le fait d'intégrer dans le droit positif une norme à laquelle aucune législature ni aucun tribunal ne peut déroger, une norme qui consacre un droit susceptible de mise en oeuvre.

Toutefois, selon Arthurs, l'importance d'attribuer une protection constitutionnelle aux droits des salariés n'est pas de les rendre susceptible d'être mis en oeuvre, mais plutôt de faire en sorte que, par leur mise en oeuvre, des changements sociaux et économiques significatifs et positifs surviendront nécessairement dans le système de relations industrielles. Nous y reviendrons, en lien avec les activités de militantisme judiciaire des organisations syndicales.

Dans l'arrêt Fraser, les juges majoritaires considèrent que l'arrêt Health Services n'a pas véritablement consacré un revirement jurisprudentiel. Ils présentent cette décision comme une application des principes dégagés dans Dunmore, voulant qu'un régime législatif qui rend impossible l’exercice véritable du droit de poursuivre des objectifs liés au travail entrave substantiellement les libertés énoncées dans la Charte44.

Les auteurs qui se sont penché sur la question après l’arrêt Fraser réitèrent que Health

Services a bel et bien marqué un tournant qui n’était pas une simple application des

règles préexistantes45. Toutefois, si on doit voir les arrêts Dunmore, Health Services et

Fraser dans un continuum, alors ce dernier constituerait, selon Fudge46, un frein au développement de la protection constitutionnelle du droit de négociation collective. La plupart des commentateurs sont d’avis que l’arrêt Fraser pose des limites à la protection constitutionnelle qui n’étaient pas envisagées après la décision Health Services. Ces commentaires sont présentés dans les prochaines sections.

43 ARTHURS, Harry, «Constitutionalizing the Right of Workers to Organize, Bargain and Strike: the Sight of One

Shoulder Shrugging», (2010) CLPE Research Paper Series, vol. 6, no 6, 26/2010, p. 11.

44 Aux par. 61 et 62 de l'arrêt Fraser.

45 Voir FINLAYSON, Josh et Andy MAIZE: « ‘I Will Not Give You a Penny More Than You Deserve’ : Ontario v. Fraser

and the (Uncertain) Right to Collectively Bargain in Canada», (2011) McGill Law journal/Revue de droit de McGill 57 :2, 351-374.

46 FUDGE, Judy, «Introduction : Farm Workers, Collective Bargaining Rights, and the Meaning of Constitutional

Protection» dans Faraday et al., eds, Constitutional Labour Rights in Canada. Farm Workers and the Fraser Case, Irwin Law, 2012, pp. 1-29.

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