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VII.  Le modèle d’analyse

5.   L’interprétation des dispositions des régimes de représentation en droit privé : propositions P4 et P5

5.2   L’affaire Laporte c Institut Philippe-­‐Pinel de Montréal

La première décision citant l’arrêt Health Services a été rendue par la Cour supérieure avant l’affaire Wal-Mart et a été confirmée par un juge de la Cour d’appel siégeant seul sur une requête pour permission d’appel. Il s’agit de l’affaire Laporte c. Institut Philippe-

Pinel de Montréal257. La Cour supérieure était saisie d’une demande de révision judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission des relations du travail qui avait rejeté une demande en vertu de l’article 15 du Code. La CRT écrit en introduction :

«En septembre 2008, Line Laporte demande un renouvellement de la libération syndicale qu’elle a obtenue en 2005, pour une durée équivalente, soit une période de trois ans. L’employeur, l’Institut Philippe- Pinel de Montréal, accepte le principe d’une libération de trois ans. Par contre, le nom de Line Laporte sera placé sur la liste de rappel, si la libération se continue après une année. Elle se trouvera donc à perdre son poste à temps plein à l’Institut. Le 8 octobre, elle dépose une plainte en

vertu des articles 15 et suivants du Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (le Code).»

Madame Laporte considérait qu’elle était victime d’un congédiement déguisé en raison de ses activités syndicales. La CRT a décidé que la décision de l’Institut ne constituait pas des représailles en raison de l’exercice, par la plaignante, d’un droit lui résultant du

Code car l’employeur avait réussi à repousser la présomption en démontrant qu’il avait

une autre cause pour refuser d’octroyer la libération.

La plaignante a argumenté que s’agissant de l’exercice de droits fondamentaux, ses activités syndicales devaient en quelque sorte être accommodées ; l’employeur devait donc démontrer un inconvénient majeur (ou une contrainte excessive) pour justifier sa décision. Dans ses motifs, la CRT ne cite pas l’affaire Health Services, mais répond à l’argumentation syndicale en ces termes :

«[30] La Commission ne peut donc partager la prétention syndicale. Les parties ont négocié de bonne foi des modalités pour atteindre un équilibre entre la nécessité pour les salariés de fournir leur prestation de travail et le respect de leur droit de s’associer et de participer aux activités de leur syndicat. Poussée à l’extrême, la prétention syndicale pourrait mener au résultat absurde d’empêcher, en pratique, un employeur de refuser quelque demande de libération syndicale que ce soit ou d’y poser une quelconque limitation puisqu’il s’agirait alors d’enfreindre des droits garantis par les chartes des droits. Dans cette optique, on pourrait même se demander pourquoi le syndicat a accepté de transiger sur ses droits fondamentaux dans la convention.»

En révision judiciaire, madame Laporte invoque comme premier argument que la décision de l’employeur constitue de l’ingérence et une entrave au droit de négociation collective protégé par la Charte et que la décision de la CRT doit être révisée pour cette raison. La Cour supérieure ne retient pas cette prétention :

[35] Le Tribunal ne partage pas son interprétation quant à la portée élargie de cet arrêt. Bien que la Cour suprême affirme que le droit de négociation fait partie du droit d’association protégé par les Chartes, nulle part dans l’arrêt ne trouve-t-on, comme Laporte l’affirme, que …le droit de participer à la vie syndicale par voie de libération syndicale fait partie du droit d’association[22].

[36] Dans ses Commentaires à ce sujet, le procureur de l’Institut tire les conclusions suivantes quant à la portée de cet arrêt :

• …l’arrêt Health Services n'impose pas aux employeurs de nouvelles obligations en matière de relations de travail.

• Le processus de négociation collective est protégé, mais non le résultat de ce processus

• En d’autres termes, cela veut dire que la liberté d’association ne garantit pas les résultats d’une négociation collective, mais garantit plutôt que cette négociation ait effectivement lieu.

• La liberté de négociation protège uniquement contre les entraves substantielles à l’activité associative

[37] À la lumière des considérants précités, quant à (1) la portée du droit à la liberté d’association; et (2) l’enseignement de l’arrêt dans Health

Services, il conclut ainsi à la page 5 de ses Commentaires : - Conclusion relative aux points 1 et 2

Pour tous ces motifs, nous sommes d’avis que l’arrêt Health Services, bien qu’introduisant le droit à la négociation collective comme faisant partie de la liberté d’association, n’est pas transposable au litige opposant les parties.

De même, nous sommes d’avis qu’il ne s’agit pas d’un litige dans lequel une violation de la liberté d’association, outre le droit à la négociation collective, a été démontrée. En effet, à la lumière des décisions ci-haut citées, aucun cas pour lequel un tribunal a statué qu’il y avait contravention à la liberté d’association ne s’apparente à la situation factuelle du présent dossier.

[38] Le Tribunal partage son analyse et ses conclusions.

La Cour n’examine pas si le fait de refuser des libérations syndicales dans le contexte de cette affaire constitue une entrave substantielle au droit de négociation collective. Elle adopte cependant un raisonnement qui s’apparente à celui de la Cour suprême dans l’arrêt Wal-Mart, qui a été rendu quelques semaines plus tard.

Saisi de la requête pour permission d’appeler, le juge Morissette de la Cour d’appel apporte une légère nuance aux motifs de la Cour supérieure, tout en refusant la permission et en confirmant généralement l’approche suivie par la Cour supérieure:

«[2] Il est loin d'être certain, à mon avis, que les paragraphes 34 et 35 de ce jugement, paragraphes qui concernent la portée de l'arrêt Health

Services and Support c. Colombie-Britannique[1], ont nécessairement le sens que leur prête la requérante, c'est-à-dire que le droit de participer à la vie syndicale par voie de libération ne peut en aucune circonstance constituer une attribut de la liberté d'association protégée par l'article 2 de

la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 3 de la Charte des

droits et libertés de la personne du Québec.

[3] Cela dit, même si cette lecture du jugement sur ce point était justifiée, il demeure que le passage en question est un obiter dictum, et que la réfutation spécifique de l'argument fondé sur la liberté d'association est celle formulée en l'espèce par la Commission des relations du travail au paragraphe 30 de sa décision.

[4] Cette réfutation implique que l'intimé, en l'occurrence, a établi l'existence d'une cause autre que l'exercice d'un droit en vertu du Code du travail pour restreindre dans le cas de la requérante la durée totale de ses libérations syndicales. Une telle interprétation des articles 15 et 17 du Code du travail me paraît conforme à l'énoncé du juge Binnie dans l'arrêt

Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc.[2], lorsque, en exprimant les motifs de la majorité de la Cour suprême du Canada, il écrit au paragraphe 56 : « [i]l est impossible que la Constitution exige que chacune des dispositions du Code [du travail] […] soit interprétée en faveur du syndicat et des salariés. »

À la lecture de ces décisions, il n’est pas clair si le refus de libérer la plaignante entravait de quelque façon le processus de négociation collective, ce qui aurait pu permettre une analyse mieux arrimée sur l’affaire Health Services. Quoiqu’il en soit, la Cour d’appel souscrit entièrement aux motifs de la Cour suprême dans Wal-Mart voulant que la constitutionnalisation du droit de négociation collective ne devrait pas modifier l’interprétation des dispositions du Code du travail.

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