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VII.  Le modèle d’analyse

3.   Invalidité des exclusions des régimes de représentation: proposition P2

3.1   Confédération des syndicats nationaux c Québec (Procureur général)

3.1.3   La décision de la Cour sur l’atteinte au droit à l’égalité

Il est intéressant de noter que la Cour supérieure était saisie dans cette affaire de la question de savoir si les lois 7 et 8 établissaient une distinction entre les salariées qu’elles visent et les autres salariés, laquelle serait contraire au droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte. Dans l’affaire Health Services, la Cour suprême avait décidé que le fait que les travailleuses affectées par les dispositions contestées étaient en grande majorité des femmes n’était pas un critère pertinent pour y voir une atteinte au droit à l’égalité. Or ici la Cour supérieure conclut au contraire. La juge Grenier a été d’avis qu’en privant les RSG et les RI/RTF de l'accès à des institutions sociales fondamentales, les lois avaient pour effet de les traiter injustement, de les dévaloriser et de les marginaliser au sein de la société canadienne. Selon la Cour, ces mesures portaient atteinte à la dignité humaine et imposaient aux RSG et RI/RTF un traitement discriminatoire incompatible avec l'objet du par. 15(1) de la Charte :

«[388] De ce qui précède, le Tribunal conclut que les Lois 7 et 8 créent une distinction fondée sur un motif énuméré (sexe) et analogue (travail de care à domicile exécuté majoritairement par des femmes), et que cette distinction a pour effet de perpétuer un préjugé défavorable à l'égard des personnes qui exécutent ce travail, par l'application d'un stéréotype voulant que ce type de travail ne soit pas du vrai travail.»

Ce constat de la Cour supérieure rejoint en quelque sorte l’analyse de la vulnérabilité des travailleurs et de l’obligation positive de l’État de leur assurer une protection des droits fondamentaux, tel que discuté dans l’arrêt Dunmore. En effet, pour conclure à l’atteinte au droit à l’égalité, la Cour devait constater une discrimination qui implique un désavantage préexistant et la perpétuation du préjudice lié à ce désavantage.

Le raisonnement de la Cour trouve écho dans les motifs de la juge Deschamps dans

Fraser, lorsqu’elle critique l’approche qu’on retrouve dans l’arrêt Dunmore où on établit

une distinction entre droits positifs et droits négatifs et qu’on base l’obligation d’intervention de l’État sur la preuve d’une vulnérabilité économique. La juge Deschamps est d’avis qu’une analyse fondée sur le droit à l’égalité et les motifs analogues est préférable170. Toutefois, dans l’arrêt Fraser, aucun des juges ne retient l’argument fondé sur l’article 15, notamment parce que le préjudice qu’entraîne le régime incomplet de négociation collective n’est pas prouvé au vu du dossier.

3.1.4  La  justification  dans  une  société  libre  et  démocratique  

Sur la question de la justification dans une société libre et démocratique171, la Cour supérieure décide que l’adoption des lois 7 et 8 ne satisfait à aucun des critères de l’arrêt Oakes et qu’en conséquence, le Procureur général n’a pas su démontrer une justification au sens de l’article 1 de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte

québécoise.

3.1.5    L’utilisation  du  droit  international  

Dans cette affaire, les centrales syndicales avaient déposé des plaintes auprès de l’OIT172. Le Comité de la liberté syndicale avait retenu les plaintes et fait des recommandations, en abordant quatre aspects du dossier:

170 Fraser, précité, aux paragraphes 313 et suivants. 171 Aux paragraphes 400 et suivants de la décision.

172 Plaintes contre le Canada concernant la province de Québec présentées par : Cas no 2314, la Confédération des

1) le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix :

«Le comité doit donc rappeler à nouveau au gouvernement que les seules exclusions possibles prévues par la convention no 87 concernent les forces armées et la police, et souligner une fois de plus que cette exclusion doit être définie de façon restrictive. […]. Les travailleurs visés par les présentes plaintes devraient donc pouvoir bénéficier, comme les autres travailleurs du Québec, des dispositions du Code du travail, ou jouir de droits véritablement équivalents»

2) l'annulation des accréditations obtenues :

«(…) il s'agit dans les faits d'une annulation par voie législative d'accréditations existantes, ce qui est contraire aux principes de la liberté syndicale»

3) la représentativité des regroupements prévus par chacune des deux lois :

«Le comité note que les lois en question prévoient certes des critères précis et objectifs de représentativité, mais observe toutefois que, s'agissant de travailleurs isolés et dispersés sur un vaste territoire, les seuils prévus (20 pour cent du nombre total de ressources ou 30 pour cent du nombre total d'usagers en ce qui concerne les ressources intermédiaires; 350 personnes responsables d'un service de garde en milieu familial) sont élevés au point de risquer d'entraver, voire empêcher, la constitution d'associations ou d'organismes représentatifs. (Voir Recueil, op. cit., par. 2534-250. (…) Toutefois, cela laisse entier le point essentiel, soit que ces travailleurs ne sont pas légalement considérés comme des salariés au sens du code et ne peuvent jouir de tous les droits et protections qui y sont établis»

4) la détermination des conditions de travail :

«(…) ce mécanisme [de consultation] ne constitue pas un véritable processus de négociation collective au sens des principes de la liberté syndicale et, en tout état de cause, offre beaucoup moins de droits et de garanties que le régime général des rapports collectifs du travail établi par le code. Le comité note aussi qu'en raison de l'exclusion du Code du travail, les travailleurs concernés ne peuvent pas bénéficier du mécanisme prévu aux articles 93.1 à 93.9 du code, dont l'objet est de faciliter l'adoption d'une première convention collective, dispositions précisément importantes pour des travailleurs vulnérables, faisant face à des difficultés d'organisation et de négociation.»

Fait à noter, les recommandations du CLS demandaient aux tribunaux nationaux chargés de l’examen de la contestation des lois 7 et 8 de tenir compte des principes de la liberté syndicale et demandait aux parties de le tenir informé des procédures et de lui faire parvenir une copie des jugements une fois rendus173.

syndicats démocratiques (CSD), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) Rapport No. 340, Cas No(s) 2314, 2333, Vol. LXXXIX, 2006, Série B, no 1.

Après avoir rappelé les principes en matière d’utilisation du droit international, la Cour supérieure note :

«[313] En s'inspirant des décisions rendues par le CLS qui, en l'instance, constituent une source persuasive pour l'interprétation de la portée de la Charte[213], force est de conclure que pour cette instance internationale, le mécanisme mis en place par les Lois 7 et 8 ne constitue pas un véritable processus de négociation collective au sens des principes de la liberté syndicale.»

Le recours au droit international a donc permis à la Cour supérieure d’asseoir son constat relatif à l’absence d’un véritable processus de négociation collective, alors que la jurisprudence canadienne n’offrait pas d’appui en ce sens.

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