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Association des réalisateurs et SCFP-­‐675 c Procureur général du Canada

VII.  Le modèle d’analyse

4.   Invalidité des restrictions au contenu des négociations et des mesures imposant des conditions de travail : proposition P3

4.2   Les contestations de la Loi sur le contrôle des dépenses de 2009

4.2.3   Association des réalisateurs et SCFP-­‐675 c Procureur général du Canada

Dans cette affaire qui réunit deux contestations distinctes250, deux groupes d’employés de Radio-Canada – les réalisateurs et les employés de l’administration – avaient négocié des augmentations de salaire supérieures aux termes de la LCD pour certaines années d’application de la loi et leurs conventions collectives arrivaient à échéance pendant la période de contrôle. Ils voyaient donc des clauses de leurs conventions en vigueur annulées, et il leur était interdit de négocier les salaires pour les premières années d’application de leur contrat de travail subséquent.

Il faut préciser que la Société Radio-Canada (SRC) est une société d’État qui a le pouvoir d'embaucher du personnel, de déterminer leurs conditions d'emploi et de négocier elle-même les conventions collectives de ses employés. Le Conseil du Trésor ne participe ni à l’établissement du mandat de négociation ni au processus de négociation ; les relations de travail sont régies par le Code canadien du travail.

La SRC est visée par la LCD parce qu’elle est assujettie à la «réserve de rémunération», mécanisme comptable utilisé par le Secrétariat du Conseil du Trésor afin de s'assurer qu'il dispose de fonds suffisants pour financer les organismes dont les frais de personnel ont augmenté, dans les limites établies par le gouvernement. De fait, près de 60% des revenus de la SRC proviennent du financement gouvernemental.

La preuve présentée à la Cour supérieure a révélé que ni la SRC ni les syndicats demandeurs n’avaient été avisés que la LCD s’appliquerait à leur égard. Ainsi, aucune consultation ni aucune négociation n’a précédé l’adoption de la loi. Par ailleurs, il a également été démontré que la négociation des conventions collectives en vigueur pour les groupes visés avait eu lieu avant l’allocation budgétaire du Conseil du trésor, laquelle ne tient pas compte des augmentations réelles, mais bien de celles déterminées dans le cadre de la «réserve de rémunération». En d’autres termes, le fait de déterminer ou non les augmentations de salaire par voie législative n’avait aucun effet sur ces allocations budgétaires.

Dans un tel contexte, la Cour supérieure du Québec, sous la plume de la juge Matteau, a considéré que la LCD constituait une ingérence substantielle dans le processus de négociation et qu’elle n’était pas justifiée dans une société libre et démocratique.

D’abord, la juge Matteau répond à l’argument du Procureur général de la même façon que ses homologues de Colombie-Britannique et de la Cour fédérale quant au resserrement du critère de l’atteinte substantielle. Tout comme dans les deux affaires précitées aux points 4.2.1 et 4.2.2, le gouvernement prétendait que le fardeau de la partie qui plaide une atteinte à l’article 2 d) de la Charte est désormais beaucoup plus exigeant en ce qu’il requiert la démonstration que la loi ou la mesure gouvernementale contestée rend « impossible » l’action collective visant la réalisation d’objectifs liés au travail. La Cour écrit qu’elle ne partage pas cette interprétation :

« [72] D’abord, dans l’arrêt Fraser, la Cour ne fait que réitérer ce qu’elle enseignait dans l’arrêt Health Services, savoir que c’est lorsqu’il y a entrave substantielle de la part de l’État qu’il y a alors impossibilité d’exercer un véritable processus de négociation garanti par l’article 2 d) de la Charte.

(…)

[74] La Cour confirme par ailleurs à nouveau les principes qui président à l’interprétation de l’article 2 d) de la Charte et dont elle faisait état dans l’arrêt Health Services. Elle conclut en effet que l’arrêt Health Services « (…) prend appui dans les décisions antérieures, qu’il est comparable avec les valeurs canadiennes, qu’il respecte les engagements internationaux du Canada et qu’il s’inscrit dans la foulée de l’interprétation

téléologique et généreuse des autres garanties constitutionnelles, en sorte qu’il n’y a pas lieu selon nous de l’écarter.»

(…)

[77] L’utilisation du terme « impossible » doit ainsi être interprété dans son contexte, à telle enseigne qu’une entrave sera jugée inconstitutionnelle si elle rend impossible une négociation collective véritable, effective et de bonne foi, des notions clairement établies par la Cour suprême dans les arrêts Health Services et Fraser.»

Elle constate ensuite que les articles de loi contestés, parce qu’ils invalident des dispositions des conventions collectives existantes, ébranlent la validité du processus de négociation antérieur qui a servi d’assise à la conclusion des conventions. De même, parce que la Loi interdit la négociation future de toute forme de rémunération différente de celles énoncées, elle constitue une ingérence dans la négociation car il ne saurait se créer un véritable dialogue sur des conditions qui ne peuvent être intégrées dans une convention collective. Face à ce constat, la Cour tient compte du fait que les syndicats touchés n’ont pas été consultés, ni même avisés, qu’ils seraient englobés dans la législation s’appliquant à la fonction publique.

La Cour examine par la suite le caractère substantiel de l’ingérence pour décider si elle constitue une atteinte à la liberté d’association. Elle conclut au caractère fondamental de la rémunération comme condition de travail et de son importance dans le processus de négociation collective. Ainsi, en l’absence de toute consultation, on ne peut illustrer de meilleure façon la négation du droit garanti par l’article 2d), soit le droit à un processus de consultation et de négociation mené de bonne foi251.

Enfin, quant à la justification dans une société libre et démocratique, la juge Matteau accepte que le législateur avait un objectif réel et urgent de mitiger une importante récession et stabiliser l’économie. Toutefois, elle considère qu’il n’y a pas de lien rationnel entre le contrôle des dépenses du gouvernement et le contrôle des salaires à la SRC, puisque le rôle du gouvernement à l’égard de la SRC consiste à lui transférer des fonds pour son fonctionnement général et qu’il appartient alors à la société d’État de décider la façon dont elle entend utiliser ces fonds. En conséquence, la Loi n’a aucun impact sur les finances publiques.

Enfin, quant à l’atteinte minimale, la Cour supérieure considère qu’il était facile de consulter les syndicats visés et qu’en omettant de le faire, le gouvernement avait adopté une attitude surprenante et contraire au critère de l’arrêt Oakes. Puisque les dispositions de la Loi appliquées à la SRC n’entraînaient aucun effet bénéfique, mais avait des

répercussions importantes sur les employés visés, il n’y avait pas non plus de proportionnalité entre l’objectif et les mesures adoptées. En conséquence, les articles touchant aux négociations collectives sont déclarés inopérants et invalides lorsque conjugués avec l’inclusion de la SRC dans le champ d’application défini à l’annexe de la Loi.

Il est intéressant de noter que dans ses motifs, la Cour ne fait pas la distinction entre l’intention du gouvernement, les actes du gouvernement, et l’intention du législateur. À notre avis, cette confusion des genres est aussi présente dans l’arrêt Health Services et est exacerbée par la présence ici d’un gouvernement minoritaire dont les objectifs ne sont pas nécessairement ceux de la Chambre des communes. Cette confusion entre le législatif et l’administratif pose un problème analytique particulier dans les situations où l’État est l’employeur des salariés visés par une mesure législative contraire à l’al. 2d).

Quoique certains principes du droit international aient été portés à l’attention de la Cour, celle-ci n’en fait pas mention dans sa décision.

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