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La décision de la Cour sur l’atteinte à la liberté d’association

VII.  Le modèle d’analyse

3.   Invalidité des exclusions des régimes de représentation: proposition P2

3.1   Confédération des syndicats nationaux c Québec (Procureur général)

3.1.2     La décision de la Cour sur l’atteinte à la liberté d’association

Selon la Cour supérieure, les lois 7 et 8 portent atteinte à la liberté d’association et cette atteinte est substantielle au sens de l’arrêt Health Services sans être justifiée dans une société libre et démocratique. Elle pose la question en ces termes :

«[224] En retirant aux demanderesses le statut de salarié qui leur avait été conféré par les instances compétentes en pareille matière, ces lois violent- elles le droit procédural de négociation collective en entravant de manière significative la tenue de véritables négociations collectives?»

Face à l’argument du Procureur général du Québec voulant qu’il soit toujours possible pour les salariées visées de se regrouper au sein d'associations formées en dehors du régime légal prévu au Code du travail, la Cour note que cette position est incompatible avec les arrêts Dunmore et Health Services notamment parce que la Loi a également eu pour effet d’annuler des accréditation en vigueur, de mettre un terme à toute négociation collective entamée et d’annuler toute convention collective qui aurait pu avoir été conclue.

La Cour note également que le retrait du statut de salarié a pour effet de placer les travailleuses visées en situation de vulnérabilité, ne pouvant pas non plus bénéficier des protections contenues aux lois comme la Loi sur les normes du travail163, la Loi sur l’équité salariale164, ou la Loi sur les accidents de travail et les maladies

professionnelles165.

La juge Grenier écrit :

«[271] Or, la notion de protection sociale implique le droit à des conditions minimales décentes de travail jusqu'au droit à une représentation collective réelle. C'est le statut de salarié qui, dans notre société, donne accès à la protection sociale. Un syndicat dont les membres n'ont pas ce statut est un syndicat nécessairement boiteux. Il se présente à la table de négociation les mains vides.

[272] Compte tenu de l'histoire de notre régime de rapports collectifs de travail et des traditions qui en sont issues, les Lois 7 et 8 conduisent à la négation de pratiques courantes en matière d'exercice du droit syndical. Les demanderesses avaient acquis le droit de négocier collectivement leurs conditions de travail selon un régime précis : celui du Code du travail. Le statut de salarié dont les privent les lois modificatives avait été acquis grâce à la syndicalisation. L'ingérence législative vient donc compromettre l'intégrité fondamentale du processus de négociation collective qui comprend plus que l'étape de la négociation proprement dite et qui englobe celle qui la précède, lui est indispensable et est en quelque sorte sa raison d'être.

[273] En effet, pourquoi se syndiquer si on ne peut prétendre au statut de salarié? Il s'agirait d'un non-sens. Un processus – et c'est le processus qui est protégé en vertu de l'al. 2d) – comprend un ensemble de phénomènes qui, habituellement, se déroule dans un ordre particulier, une suite ordonnée d'opérations qui aboutissent à un résultat[184].

163 L.R.Q., c. N-1.1. 164 L.R.Q., c. E-12.001. 165 L.R.Q., c. A-3.001.

[274] Tout comme dans l'arrêt Health Services, précité, force est de conclure que les sujets visés par les lois modificatives revêtent une importance capitale pour les syndicats et pour leurs membres : 1) la perte du statut de salarié; 2) la perte de la protection sociale qui découle des lois qui exigent que l'on soit salarié pour tirer profit des avantages qu'elles procurent; 3) la perte des accréditations acquises et de toutes les demandes d'accréditation pendantes devant la CRT; 4) la perte de conventions collectives en voie de négociation ou de conventions collectives appliquées.»

Quant à l’argument voulant que les travailleuses revendiquent l’accès à un régime particulier, la Cour l’écarte en constatant qu’elles contestent plutôt le fait que l'État leur a fait perdre la clef d'accès au processus de négociation collective, entravant ainsi de façon substantielle leur capacité d'exercer l'activité associative liée à la négociation collective. Dans cette affaire, l’exclusion du Code n’était pas compensée par un régime de négociation spécifique, mais les lois 7 et 8 prévoyaient un mécanisme de consultation. La Cour n’y voit pas un régime suffisant pour être qualifié de processus de négociation collective.

Les dispositions en question166 prévoient que le gouvernement peut conclure une entente avec un ou plusieurs organismes représentatifs des salariées visées. Dans le cas des RI/RTF, cette entente détermine alors les conditions générales d’exercice des activités de l’ensemble des travailleuses de même que l’encadrement normatif des conditions de vie des usagers dont elles prennent charge et pour prévoir diverses mesures et modalités relatives à la rétribution des services offerts. Dans le cas des responsables des services de garde, l’entente porte sur l’exercice de la garde en milieu familial, son financement, la mise sur pied et le maintien de programmes et de services répondant aux besoins de l’ensemble des personnes responsables d’un service de garde en milieu familial.

La juge Grenier aborde l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême pour déterminer que les principes abordés dans l’arrêt IPFPC de 1990167 devaient être revus à la lumière du droit de négociation collective reconnu dans l’arrêt Health Services168. Ceci l’amène à conclure que :

«[284] Dans l'arrêt Institut professionnel[187], comme en l'espèce, le

166 Article 3 de la Loi 7; article 2 de la Loi 8. 167 [1990] 2 R.C.S., discuté au chapitre I, point 2. 168 Aux paragraphes 281 et s.

gouvernement avait décidé de ne reconnaître que les associations de son choix, dans ce cas celles constituées en personne morale par une loi spécifique qui les autorisait à négocier collectivement. Dans le cas présent, le gouvernement reconnaît celles qui ne revendiquent pas le statut de salarié.

[285] Tout comme dans l'arrêt Institut professionnel, les Lois 7 et 8 permettent au gouvernement de contrôler tous les aspects du processus de négociation collective. Il ne faut pas l'oublier, le gouvernement agit ici à titre de payeur des services rendus par les RSG et les RI/RTF aux parents et aux CPE. (…)

[286] Dans le cas présent, comme dans l'arrêt IPFPC[189], le gouvernement s'est réservé le droit de décider avec quelles associations il entend discuter, s'il choisit d'ainsi faire, et l'entente qui en découlera, le cas échéant, liera les RI/RTF ainsi que les RSG, qu'elles soient membres ou non de l'association qui l'aura conclue. En quelque sorte, les Lois 7 et 8 privent les RSG et RI/RTF du droit de choisir l'association qui les représentera pour les fins de négociation de leurs conditions de travail. [287] Comme le faisait remarquer le professeur Bora Laskin, plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada, la négociation collective est un processus par lequel les travailleurs expriment leur opinion, par l'entreprise de représentants de leur choix, et non de représentants choisis, nommés ou autorisés par les employeurs(190] (nos soulignements). [288] Dans l'arrêt IPFPC, précité, le juge Cory soulignait qu'un syndicat ne peut exister que s'il lui est permis de négocier collectivement[191]. À quoi sert de former un syndicat si le but recherché est de discuter de la pluie et du beau temps?

[289] En résumé, les Lois 7 et 8 limitent la formation de syndicats en dépouillant de son sens la fonction même de ces associations dont le but ultime est de négocier des conditions de travail équitables pour leurs membres. Dire que leur existence n'est pas remise en question par les lois modificatives équivaut à dire que tant et aussi longtemps que leurs membres conservent la possibilité de se réunir pour discuter de choses et d'autres, les syndicats existent. Mais peut-on exister sans avoir une réalité? En d'autres mots, sans la possibilité de négocier aux noms de leurs membres, les syndicats ont une vie purement végétative, sans fondement véritable.» (références omises)

De plus, la Cour tient compte du contexte de l’adoption des lois 7 et 8 et retient que tant au moment de la présentation des projets de loi que lors de leur adoption, le gouvernement poursuivait l'objectif de mettre un terme à des campagnes de

syndicalisation et de reconnaissance du statut de salarié ainsi qu'au processus judiciaire entrepris par les centrales syndicales impliquées169.

Elle conclut en ces termes à la violation de l’article 2d) :

«[314] Bref, en faisant fi des instruments internationaux et de la décision du Comité de la liberté syndicale, en ne reconnaissant que les associations qui ne revendiquent pas le statut de salarié, en choisissant de mettre en place un système de reconnaissance purement discrétionnaire qui n'offre aucune garantie de neutralité et d'objectivité, qui ne prévoit aucune protection contre l'ingérence du gouvernement et qui n'incorpore aucune obligation pour celui-ci de négocier les conditions de travail ni ne sanctionne le refus de négocier ou les pratiques déloyales liées à la négociation, ces lois empêchent les RSG, les RI/RTF et leur syndicat d'exercer leur liberté syndicale et violent l'al. 2d) de la Charte et l'art. 3 de la Charte québécoise. Ce contrôle total constitue une ingérence sur les questions importantes de la négociation et sur l'existence même du syndicat. Cette atteinte au droit d'association garantie par l'al. 2d) est substantielle au sens de l'arrêt Health Services, précité.»

Cette conclusion, ajoute la Cour, est suffisante et il n’est pas nécessaire d’étudier si les salariées visées constituent un groupe vulnérable comme les travailleurs agricoles dans l’arrêt Dunmore.

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