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VII.  Le modèle d’analyse

3.   Invalidité des exclusions des régimes de représentation: proposition P2

3.4   Société des casinos du Québec c Cloutier

Par cette décision199, la Cour supérieure accueille la requête en révision judiciaire présentée par l’employeur Société des casinos du Québec à l’encontre d’une décision200 de la Commission des relations du travail (CRT). Comme dans l’affaire des travailleurs agricoles étudiée au point 3.3, une requête en accréditation avait été déposée par une association représentant des cadres exclus du champ d’application du Code du travail. L’association demandait à la CRT de déclarer inopérante l’exclusion des cadres et d’accorder l’accréditation suivant les règles applicables au Code. Le Procureur général et l’employeur ont présenté une requête en irrecevabilité pour défaut de compétence de la CRT, que celle-ci a rejetée sans se prononcer sur le fond du litige constitutionnel.

La Société des casinos a porté l’affaire en révision judiciaire et la Cour supérieure a accueilli la requête, au motif que la CRT n’avait pas compétence pour accorder la réparation demandée et qu’en conséquence, elle n’était pas valablement saisie du dossier. La décision de la Cour supérieure est pertinente à notre étude, parce que sa conclusion quant à l’absence de compétence de la CRT repose en fait sur des motifs qui relèvent du fond de la question en litige.

Il faut noter que la permission d’appeler de cette décision a été accordée à l’Association par la Cour d’appel.

3.4.1  Les  dispositions  législatives  en  cause  

Le Code du travail définit le «salarié» comme suit :

«1 (...) l) "salarié" : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas :

1. une personne qui, au jugement de la Commission, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l'employeur dans ses relations avec ses salariés;

198 Cour supérieure de Montréal, dossier 500-17-058367-106, en délibéré.

199 Société des casinos du Québec c. Cloutier (Association des cadres de la Société des casinos du Québec et

Société des casinos du Québec inc.), 2012 QCCS 112; Requête pour permission d’appeler accueillie : 2012 QCCA

599 (28-03-2012).

(…)»

L’exclusion qu’on retrouve au paragraphe 1 de l’alinéa l) de l’article 1 fait en sorte que les salariés membres de l’Association des cadres de la Société des casinos sont exclus du champ d’application du Code du travail parce qu’ils occupent des fonctions qui entrent dans cette définition.

Contrairement aux travailleurs agricoles qui sont des salariés mais dont l’association ne peut être accréditée, les cadres, gérants, surintendants, contremaîtres ou représentants de l’employeur ne bénéficient pas des protections du Code pour l’exercice de la liberté d’association. Ils sont exclus de tout régime législatif.

3.4.2  La  décision  de  la  Commission  des  relations  du  travail  sur  sa  propre  compétence  

Saisie de la requête en irrecevabilité portant sur sa compétence pour disposer du litige, la Commission a repris la jurisprudence de la Cour suprême sur la compétence des tribunaux administratifs en matière constitutionnelle pour décider que la requête en accréditation était recevable et qu’elle pouvait trancher les questions soulevées par l’Association. Cette dernière demandait à la CRT de déclarer que l'exclusion du statut de cadre prévue à l'article 1 l) par. 1 du Code lui était inopposable constitutionnellement et d’accréditer l’Association pour représenter les membres de l’unité décrite dans sa requête.

La CRT se fonde principalement sur les affaires Nouvelle-Écosse (W.C.B.) c. Martin201 et Okwuobi c. Lester B. Pearson School Board202 pour décider qu’un demandeur doit s’adresser au tribunal administratif chargé de l’interprétation et de l’application de la législation en cause et que si ce tribunal décide qu’il y a violation injustifiée de la Charte

canadienne, il peut refuser d’appliquer la disposition pour des motifs constitutionnels et

statuer sur la demande comme si elle n’était pas en vigueur.

3.4.3  La  décision  de  la  Cour  supérieure  sur  la  compétence  de  la  CRT  

La Cour supérieure s’est rangée derrière l’argument du Procureur général et de l’employeur voulant que la CRT ne pouvait pas avoir compétence sur le litige constitutionnel parce qu’elle n’avait pas compétence sur la réparation demandée et n’était pas valablement saisie du dossier.

201 [2003] 2 R.C.S. 504. 202 [2005] 1 R.C.S. 257.

Cet argument diffère quelque peu de ce qui avait été présenté à la CRT. Devant la Commission, l’employeur et le Procureur général avaient exposé un argument circulaire qui consistait essentiellement à prétendre que la CRT ne pouvait pas être compétente parce que les cadres étaient exclus du champ d’application du Code. Ce n’était qu’en accueillant la demande de déclaration d’inconstitutionnalité qu’elle pouvait devenir compétente. À notre avis, en présentant cet argument comme une question préliminaire, on faisait indirectement appel à la théorie la compétence initiale qui a été rejetée depuis longtemps par la Cour suprême203.

Le nouvel argument, présenté à la Cour supérieure, peut se résumer ainsi : selon l’arrêt

Cuddy Chicks, qui précède les affaires Martin et Okwuobi précitées, le tribunal

administratif qui s’apprête à étudier une question ayant trait à la Charte doit avoir compétence à l’égard de l’ensemble de la question qui lui est soumise, c’est-à-dire à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée. Or, la réparation recherchée par l’Association est l’accès à un régime particulier de relations de travail, soit le Code du travail du Québec, alors que la Cour suprême a clairement indiqué dans les arrêts Health Services et Fraser que l’article 2d) de la Charte ne garantit pas l’accès à un régime particulier.

La Cour supérieure a retenu les deux arguments pour décider que la CRT ne pouvait entendre l’affaire. La Cour supérieure décide que la CRT ne pouvait être valablement saisie du dossier puisqu’elle n’avait pas compétence sur la réparation demandée.

À notre avis, la Cour supérieure fait fi des enseignements de la Cour suprême dans les décisions Martin et Okwuobi, précitées, lorsqu’elle décide :

«36 Il y a dans ce dossier, des considérations particulières qui font en sorte que la question en cause est tellement importante qu'elle se doit d'être adressée à la Cour supérieure. Il semble tout à fait raisonnable de ne pas laisser à un tribunal administratif, le soin de décider d'appliquer à un nouveau groupe de travailleurs, soit les cadres de la Société des casinos du Québec, le régime particulier prévu par le Code du travail pour les salariés. Surtout qu'il a toujours été reconnu et accepté que l'Association des cadres ne répond pas à la définition de "salarié" au sens de 1 l) du Code du travail.

«43 N'ayant pas de compétence pour se prononcer sur des questions de droit touchant les cadres, demander à la CRT de se prononcer sur une

203 Syndicat des professeurs du collège de Lévis-Lauzon c. CEGEP de Lévis-Lauzon, 1985 CanLII 609 (CSC), [1985]

question constitutionnelle comme celle en cause, revient à lui demander de se prononcer de façon déclaratoire, ce qu'elle n'a pas le pouvoir de faire. Cette question doit être soumise au tribunal de droit commun soit la Cour supérieure.»204

On constate à la lecture de la décision que celle-ci repose essentiellement sur la conclusion de la Cour voulant que la demande de l’Association vise à obtenir accès au régime du Code :

«55 Dans la présente affaire, ce que l'Association demande, c'est d'être accréditée en vertu du Code du travail au même titre qu'un salarié suivant l'article 1 l) de cette loi. Cette demande implique de donner accès à un régime légal précis, soit celui mis en place dans le Code du travail. Il s'agit de la réparation demandée par l'Association.

56 Cela n'est pas permis. Cela va à l'encontre des enseignements de la

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