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VII.  Le modèle d’analyse

5.   L’interprétation des dispositions des régimes de représentation en droit privé : propositions P4 et P5

5.1   L’arrêt Plourde c Wal-­‐Mart

Il s’agit ici d’un litige portant sur les protections contre les représailles pour activités syndicales contenues aux articles 14 à 17 du Code du travail. La compagnie Wal-Mart Canada avait fermé le premier de ses magasins syndiqué en Amérique du nord et ce, dans les jours suivant une demande d’arbitrage de première convention formulée par le syndicat. Parmi les 190 employés congédiés à cette occasion, monsieur Plourde avait intenté un recours contestant la décision de Wal-Mart, soutenant avoir perdu son emploi en raison de ses activités syndicales.

La Commission des relations du travail avait rejeté sa plainte, estimant que malgré l’établissement de la présomption de l’article 17 en sa faveur, l’employeur avait démontré que la fermeture du magasin était réelle et définitive ce qui, suivant la jurisprudence en vertu du Code du travail, constituait une cause juste et suffisante de congédiement. Monsieur Plourde soutenait qu’il fallait s’écarter de cette jurisprudence traditionnelle en invoquant la liberté d’association.

La Cour supérieure a rejeté la demande de révision judiciaire de monsieur Plourde et la Cour d’appel a refusé la permission d’appel. La Cour suprême a pour sa part accueilli la demande d’autorisation, mais pour rejeter la révision judiciaire au fond. Trois juges sur neuf sont dissidents.

La majorité des juges de la Cour suprême a considéré que la plainte de congédiement pour activités syndicales n’était pas le recours approprié pour se plaindre du comportement antisyndical de Wal-Mart. La majorité est d’avis que dans le contexte des articles 15 à 17 C.t., le tribunal doit se prononcer sur les raisons du congédiement, alors que l’application des articles 12 à 14, portant sur l’ingérence dans la représentation syndicale, permet de mettre en cause la stratégie antisyndicale d’un employeur. Elle ajoute que la Cour suprême a reconnu dans un arrêt antérieur256 qu’aucune loi québécoise n’oblige un employeur à poursuivre ses activités et que ce dernier peut fermer un établissement pour des motifs condamnables socialement. Ainsi, lorsqu’un établissement n’existe plus, un salarié ne peut se prévaloir du mécanisme procédural et de la présomption établis par les articles 15 à 17 C.t. parce que la réintégration prévue dans le cadre de ce recours présuppose l’existence d’un lieu de travail dans lequel la réintégration est possible.

Monsieur Plourde invoquait que la jurisprudence portant sur le «droit» de l’employeur de fermer son entreprise devait être nuancée vu la constitutionnalisation du droit de négociation collective. La Cour répond à cet argument de façon lapidaire :

[55] L’appelant et les intervenants qui l’appuient soutiennent qu’il y a lieu de reconsidérer la jurisprudence susmentionnée compte tenu de l’arrêt que notre Cour a rendu dans Health Services. Dans ce pourvoi, notre Cour a reconnu que la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne comprend le droit procédural de négocier collectivement. Les juges majoritaires ont énoncé le principe constitutionnel suivant :

Ainsi défini, le droit de négociation collective demeure un droit à portée restreinte. Premièrement, […] il concerne un processus, il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques. Deuxièmement, il confère le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail ou une méthode particulière de négociation. Comme le fait remarquer P. A. Gall, on ne saurait prédire avec certitude si le modèle actuel des relations du travail sera celui qui s’imposera dans 50 ou même 20 ans . . . [Je souligne; par. 91.]

[56] L’argument de l’appelant élargit la portée du raisonnement exposé dans Health Services bien au‑delà de ses limites naturelles. Dans cette affaire, l’État était non seulement le législateur, mais également l’employeur, alors qu’en l’espèce l’employeur est une société privée. L’article 3 du Code protège le droit d’association des salariés du Québec. D’autres dispositions mettent en œuvre cette garantie générale. Le législateur a établi un équilibre entre les droits des salariés et les droits de la direction d’une manière qui respecte la liberté d’association. L’appelant et les intervenants n’ont invoqué l’inconstitutionnalité d’aucune disposition du Code ni soutenu que le Code en entier porterait atteinte à la liberté d’association. L’appelant prétend que le Code devrait être interprété de façon à refléter les « valeurs consacrées par la Charte », mais le Code entier est l’expression concrète et le mécanisme législatif de mise en œuvre de la liberté d’association en milieu de travail au Québec. Le Code doit être considéré dans son ensemble. Il est impossible que la Constitution exige que chacune des dispositions du Code (y compris l’art. 17) soit interprétée en faveur du syndicat et des salariés.

[57] Il faut éviter non seulement de rompre l’équilibre que le législateur a établi dans le Code, pris dans son ensemble, mais aussi d’accorder à une partie (les salariés) un avantage disproportionné parce que les salariés négocient par l’entremise de leur syndicat (et peuvent en conséquence invoquer la liberté d’association) alors que les employeurs, dans la plupart des cas, négocient individuellement.

Ces courtes observations auront sans doute l’effet de stériliser tout effort visant à reconnaître en droit privé le caractère fondamental du droit à la négociation collective en tant que processus démocratique.

Quoique la Cour mentionne au passage l’article 3 de la Charte québécoise, elle ne se penche aucunement sur les implications de cette protection de la liberté d’association en droit privé, comme si la Charte québécoise n’était que le reflet provincial des garanties constitutionnelles canadiennes. Or, si la liberté d’association comprend le droit de négociation collective (même à titre de «droit dérivé»), Wal-Mart ne violait-elle pas l’article 3 en fermant un établissement de son entreprise pour faire échec à l’exercice de ce droit par ses salariés ? La question méritait d’être ainsi posée et répondue. Or, la Cour escamote cette discussion.

La majorité occulte également les principes de base quant à la hiérarchie des sources de droit en écrivant que la loi ne saurait être interprétée à la lumière de la garantie constitutionnelle.

Dès lors, les prémisses de nos propositions de recherche P4 et P5 sont affaiblies et nous pouvons entrevoir que la constitutionnalisation du droit de négociation collective n’aura pas ou peu d’impact en droit privé.

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