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2.1 Les communautés de pratique

2.1.3 Usages de la théorie des communautés de pratique dans la littérature

Notre travail n’est pas le premier à utiliser la théorie des communautés de pratique en didactique des mathématiques et plus largement dans le domaine de l’enseignement. Dans cette section, nous présentons une synthèse de la littérature consultée qui utilise ou traite de cette théorie. Du point de vue méthodologique, nous avons notamment recherché des articles qui contenaient une référence à (Wenger, 1998) dans les revues Recherche en didactique des mathématiques, Educational Studies in Mathematics, Journal of Mathematics Teacher Education et Teachers and Teaching Education. La restriction à cette unique référence tient au fait que, selon l’auteur lui-même mais aussi d’autres auteurs, cet ouvrage constitue une évolution notable des travaux précédents de Wenger28. De plus, les publications citant (Wenger et al. 2002), autre ouvrage de référence concernant les CoP, sont plutôt rares. Pour chaque article, nous avons tout d’abord déterminé l’importance relative de la théorie des CoP dans l’article – en termes de nombre de références faites au travail de Wenger et en termes d’utilisation de la théorie – puis nous avons relevé les concepts explicitement utilisés 28En conséquence, nous n’avons pas retenu les nombreuses publications, dont certaines très récentes, qui se réfèrent

à J. Lave et E. Wenger (1991). Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Cambridge University Press, ouvrage que nous n’avons pas consulté.

quand nous en avons trouvés. Dans cette étude, nous avons ainsi consulté, de manière plus ou moins approfondie suivant les cas, plusieurs dizaines d’articles. Nous n’avons pas cherché ici à citer tous les travaux consultés mais seulement ceux qui nous ont paru illustrer le mieux la variété de la littérature consultée quant à l’utilisation de la théorie des communautés de pratique. Dans la même optique, nous avons aussi recherché d’autres publications de manière moins systématique et en avons cité certaines quand cela nous a paru utile.

Vue d’ensemble

La grande majorité des articles se réfère à (Wenger 1998), parfois accompagné d’autres réfé- rences, pour illustrer une perspective sociale de l’apprentissage et une idée, plus ou moins large selon les cas, de communauté liée par une pratique sur lesquelles les auteurs souhaitent s’appuyer (Crespo 2006 ; Bronner et al. 2005 ; Dubois et al. 2008 ; García et al. 2006 ; Trouche 2005) ou pour présenter ce qui nous paraît être des modes possibles de fonctionnement d’une CoP au stade de maturation ou de consolidation (Jaworski 2006). On trouve aussi des auteurs qui s’interrogent davantage sur l’existence ou non d’une CoP au sein de leur expérimentation tels (Sauter et al. 2008) dans un travail qui a aussi pour cadre une formation d’enseignants à la pratique de problèmes pour chercher. Il s’agit fréquemment dans ces articles de repenser le travail des chercheurs en didactique des mathématiques avec les formateurs ou les enseignants de mathématiques afin d’occasionner des changements de pratique. Il se pose alors la question d’éviter la perpétuation de certains aspects de cette pratique qui semblent peu propices aux apprentissages des élèves (Jaworski 2006 ; Jaworski 2003) et les auteurs misent sur l’intégration, plus ou moins explicite, ✭✭ d’experts ✮✮ ou ✭✭ outsiders ✮✮ – souvent des chercheurs – dans la communauté et sur l’incitation à la réflexion des formateurs et des enseignants (Jaworski 2006 ; Huang et Bao 2006). À l’inverse de la majorité des articles, certains auteurs citent Wenger en référence et présentent des expérimentations qui paraissent, plus fortement que les précédents exemples, influencées par son travail ou tout au moins menées dans la perspective qu’il défend, mais sans pour autant s’appuyer explicitement sur les ressorts développés par Wenger. C’est par exemple le cas de (Carroll 2005) dans lequel la centration sur la production d’artefacts peut être vue comme un appui évident sur la dualité participation/réification bien qu’elle ne soit pas présentée comme telle. À l’inverse, certains articles reprennent explicitement des concepts dévelop- pés dans (Wenger 1998) tels les concepts de participation et non participation (Salomon 2006), de frontières et d’identité (Boaler 1999), de participation et de réification (Gates 2006 ; Guin et Trouche 2008), de mode d’appartenance à des communautés (Jaworski 2006 ; Au 2002) mais sans toujours se situer pleinement dans le cadre ou la perspective de Wenger. Par ailleurs, plusieurs utilisations de la théorie se situent dans le cadre de communautés supportées par un dispositif en ligne (Goos et Bennison 2008 ; Guin et Trouche 2008 ; Sauter et al. 2008 ; Farooq et al. 2007 ; Weiss et al. à pa- raître), ce qui explique probablement que les réifications évoquées sont fréquemment des artefacts. On retrouve aussi régulièrement des références au triplet engagement mutuel, entreprise commune négociée par la CoP, répertoire partagécomme caractéristique des CoP (Daele et Charlier 2002) mais certains aspects importants ne sont parfois pas repris clairement comme, par exemple, la négo- ciation de l’entreprise commune par la CoP (Goos et Bennison 2008 ; Guin et Trouche 2008)29. Les articles consultés concernent assez rarement des communautés d’élèves. (Boaler 1999 ; Salomon 29Dans ce dernier travail, signalons que les auteurs exploitent un lien intéressant entre l’artefact vu à la fois comme

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2006) sont donc des exceptions et c’est davantage la formation, initiale ou continue, des ensei- gnants qui est au coeur des articles. Ceci peut être imputé en grande partie à notre méthodologie puisque deux des revues sélectionnées concernent explicitement la formation des enseignants. Ce- pendant, nous pouvons aussi l’imputer au fait que l’approche de Wenger conduit à repenser de façon conséquente le rôle de l’enseignant dans la classe. À cet égard, (Graven et Lerman 2003) présentent par exemple un review de (Wenger 1998) dans lequel ils s’attachent particulièrement à questionner la place même de l’enseignement qui, à leur yeux, est peu conséquente dans la théorie de Wenger30. Ils discutent ce point en citant notamment la question de Wenger ✭✭ Comment minimiser la place de l’enseignement afin de maximiser l’apprentissage ?31 ✮✮ (Wenger 2005, p. 289, chap. 12, Le design). Les auteurs concluent en particulier que :

[...] davantage de travail est nécessaire pour traduire la perspective de Wenger (1998) sur l’apprentissage (basée sur le contexte d’apprentissage sur le tas) à l’apprentissage dans des contextes plus formels où les enseignants (ou les facilitateurs, les coordina- teurs, etc.) ont un rôle central pour assurer que des apprentissages réussis s’opèrent effectivement et de plus en sont responsables32(Graven et Lerman 2003, p. 190).

Nous rejoignons les auteurs sur ce constat et il faut souligner qu’entre autres questions, celle du volontariat des membres d’une CoP – qui est un aspect largement laissé de côté dans les articles consultés – et celle de l’évaluation des apprentissages posent déjà des problèmes conséquents pour l’utilisation de la théorie de Wenger quand il s’agit de l’apprentissage des élèves dans les classes. Ce n’est pas tant qu’il y ait un obstacle absolu à l’utilisation de la théorie de Wenger dans l’en- seignement mais plutôt dans l’enseignement tel qu’il est généralement pratiqué dans les classes aujourd’hui. En effet, nous avons vu que Wenger évoque des moyens pour favoriser l’apprentissage – ce dont Graven et Lerman ne font pas mention dans leur article – mais le rôle de l’enseignant est à repenser profondément si on veut s’inscrire pleinement dans sa perspective33. Nous n’avons trouvé aucune recherche sur les apprentissages des élèves qui se situe pleinement dans celle-ci. En ce qui concerne la formation des enseignants, le travail de thèse que nous présentons ci-dessous est l’un des travaux de recherche qui s’appuie le plus sur la théorie et la perspective des CoP.

La recherche de Mellony Graven

Le contexte de la recherche menée par Graven (Graven 2005 ; Graven 2004 ; Graven 2002a ; Graven 2002b) est celui d’un changement de curriculum en Afrique du Sud34 et celui de la for-

30(Graven 2002b) traite aussi de cet aspect.

31La phrase originale est ✭✭ How can we minimize teaching so as to maximise learning? ✮✮ (Wenger 1998, p. 289,

chap 12, Epilogue: Design).

32Notre traduction de ✭✭ [. . . ] much work needs to be done in order to translate Wengers’s (1998) perspective on

learning (based in the context of learning on the job) to learning in more formal education contexts where teachers (or facilitators, co-ordinators, etc.) have a central role in insuring that sucessfull learning occurs and are furthermore held accountable for such learning ✮✮.

33À cet égard, nous notons que J. Rogalski partage une perspective sociale de l’apprentissage quand elle écrit : ✭✭ De

toutes ses interactions propres avec le monde sensible des choses matérielles et artificielles, et avec le monde social [...] le sujet humain, et l’enfant en particulier, apprend, oublie, se transforme [...] L’action de l’enseignant interagit avec ce développement, que l’on dit spontané parce qu’il n’est pas le résultat d’une activité didactique délibérée, ni le plus souvent consciente ✮✮ (Rogalski 2003, pp. 361-362). Nous n’avons pas cherché à approfondir le sujet mais l’entrée par le biais des environnements dynamiques qu’elle propose nous semble intéressante pour ✭✭ renouveler ✮✮ la manière de considérer le rôle de l’enseignant qui semble mis de côté par Wenger.

mation d’enseignants de mathématiques qui doivent devenir capables de diffuser les changements de programmes auprès de leurs collègues. D’une part, la plupart des enseignants n’ont pas la for- mation disciplinaire suffisante pour maîtriser l’ensemble des contenus mathématiques35 et, d’autre part, le nouveau curriculum insiste pour que l’on s’appuie sur les connaissances des élèves, ce qui est en déphasage par rapport aux pratiques existantes. Un dispositif de formation continue36 ap- pelé PLESME (Program for Leader Educators in Senior-phase Mathematics) a donc été mis en place sous la coordination de Graven. Il lui fallait notamment résoudre cinq dilemmes dans cette organisation (Graven 2005, pp. 211, 222, 227-228) :

– celui de la durée et de l’échelle du dispositif ; – celui du site de formation ;

– celui des personnes impliquées dans la formation ;

– celui du focus sur les mathématiques et/ou sur leur enseignement en lien avec la faible for- mation académique des enseignants ;

– celui de l’ethos. Il s’agissait ici de mettre en place un milieu positif en stimulant l’apprentis- sage à long terme des enseignants plutôt que de mettre l’accent sur le besoin d’un changement radical tout en respectant leur sentiment de ✭✭ propriété ✮✮ de leur processus d’apprentissage. Graven explique qu’elle a découvert la théorie de Wenger au cours de son étude et que ceci lui a permis de trouver le support théorique pour englober notamment les concepts de collégialité, de co- opération, d’accompagnement, de communauté professionnelle, pour se différencier de la tendance à vouloir ✭✭ corriger ✮✮ (fix it) les pratiques des enseignants (ibid., p. 224). Sa principale utilisation de la théorie de Wenger consiste en l’analyse du dispositif suivant les quatre composantes d’une théorie sociale de l’apprentissage selon Wenger : le sens, l’identité, la communauté et la pratique. Un des principaux résultats présentés est l’ajout de la confiance37comme cinquième composante. Elle insiste aussi sur le lien entre la pratique et l’identité qu’elle décrit dans l’importance pour la dizaine d’enseignants de son expérimentation de se sentir ✭✭ propriétaires ✮✮ de leur processus d’ap- prentissage et d’être considérés comme des professionnels. Elle n’utilise pas les autres concepts de la théorie ou bien alors de manière anecdotique38. C’est le cas, par exemple, du concept de trajec- toire à propos de l’histoire d’un enseignant au cours de l’expérimentation (Graven 2003, p. 32). Dans cet article, l’auteur retrace le parcours d’un enseignant durant l’expérimentation et l’analyse sous l’angle des différentes composantes : sens, identité, communauté, pratique et confiance. C’est aussi le cas avec le concept de réification qui est illustré avec l’histoire de l’élève nommé Karabo :

La réification de ✭✭ Karabo ✮✮, comme preuve de l’importance d’écouter les explications de l’apprenant, s’est produite après un atelier PLESME dans lequel une vidéo d’une classe a été montrée aux enseignants. Dans cette vidéo, un enfant nommé Karabo est arrivé avec une méthode très inhabituelle pour diviser de l’argent. Après que les en- seignants aient vu la vidéo, ils ont dû noter les travaux de différents enfants. Tous les enseignants étaient d’accord sur le fait que Karabo n’avait pas compris le problème et que tout son travail devait être noté comme faux. Le coordinateur a alors relancé la vidéo et a montré comment l’enseignant a demandé à Karabo d’expliquer sa mé- thode et comment, après avoir entendu les explications, il était clair que la méthode 35Niveau grade 12.

36Notre traduction de INSET (In Service Training).

37Notre traduction de Confidence en lien avec le sens donné par Graven dans son travail. 38Notre correspondance avec l’auteur a permis de confirmer ce constat.

2. CADRAGE THÉORIQUE

de résolution de Karabo était sophistiquée. Dans toutes les données, les enseignants se réfèrent à ✭✭ comme Karabo ✮✮ pour souligner l’importance de partir de ce que pense l’apprenant39(Graven 2002b, note 5, p. 200).

Dans sa recherche, Graven utilise donc, plus que d’autres publications que nous avons consultées, les outils proposés par Wenger. Cependant, ceux qui concernent le design sont, eux, peu évoqués et ce sont ceux-là que nous souhaitons mettre en avant dans notre étude.