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Après avoir présenté les deux cadres théoriques principaux de notre étude, nous présentons ici des concepts empruntés au champ de l’évaluation de l’ergonomie des environnement informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) que nous voulons utiliser plus largement pour évaluer l’ergo- nomie des ressources proposées aux enseignants (Georget à paraître ; Georget 2006). Nous basons notre présentation sur (Tricot et al. 2003) qui présente une synthèse de trois concepts utilisés dans l’évaluation des EIAH et de leurs inter-relations, l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité56. Cette synthèse semble se situer dans une perspective constructiviste de l’apprentissage mais rien cepen- dant ne semble s’opposer à leur utilisation dans une perspective sociale. Nous mettons aussi en exergue la dimension adaptabilité que les auteurs présentent comme l’un des critères d’évaluation de l’utilisabilité.

2.4.1 Utilité, utilisabilité et adaptabilité, acceptabilité

À propos de l’utilité, Tricot écrit que :

L’évaluation de l’utilité relève du domaine général de la pédagogie, des didactiques, et plus généralement de l’évaluation telle qu’elle est habituellement conçue en ensei- gnement et en formation. Il s’agit d’évaluer s’il y a bien adéquation entre l’objectif d’apprentissage défini par l’enseignant (ou le concepteur) et l’atteinte de cet objectif (ibid., p. 393).

L’évaluation de l’utilité d’un EIAH, et plus largement d’une ressource, consiste donc à évaluer son adéquation par rapport aux souhaits des auteurs ou au cahier des charges. En proposant des ressources à des enseignants, nous nous positionnons en tant qu’auteur. En tant que membre d’une CoP, il s’agit aussi de mettre régulièrement en discussion cette utilité en rapport avec l’entreprise commune afin que les membres de la CoP puissent donner leur avis, proposer des modifications ou des ressources nouvelles.

Tricot décrit ensuite l’utilisabilité d’un EIAH ainsi :

impulser (Robert 2005b) dans une formation de formateurs, ce qui renforce notre conviction de compatibilité entre les deux approches.

56Pour une discussion sur les différentes définitions de l’utilisabilité et sur son intérêt dans le cadre des EIAH, on

[elle] désigne la possibilité d’utiliser l’EIAH : sa maniabilité. L’utilisabilité d’un EIAH se joue au niveau de son interface (sa cohérence, sa lisibilité, la façon dont elle repré- sente les actions possibles, etc.), de sa navigation (la cohérence, la simplicité, l’exhaus- tivité des déplacements possibles, etc.) et de sa cohérence avec l’objectif et le scénario didactiques. Elle est aussi fonction de l’adéquation entre les objectifs du concepteur et ceux de l’utilisateur(Tricot et al. 2003, p. 393).

En nous plaçant dans la perspective de Wenger, il est plus difficile de parler de ✭✭ scénario didac- tique ✮✮, car c’est la CoP elle-même qui organise son activité et celle-ci est difficilement prévisible. Cependant, l’intérêt du concept demeure et il s’agit d’évaluer les possibilités de manipuler l’ou- til ou la ressource par des individus. Concernant une ressource à destination des enseignants, on peut par exemple considérer le temps nécessaire pour que l’enseignant la consulte et puisse éva- luer son intérêt pour sa pratique. L’évaluation de l’utilisabilité comprend aussi un critère qui nous semble particulièrement important pour l’étude des ressources à destination des enseignants, celui de l’adaptabilité. Dans le contexte des sites Web, il peut se définir ainsi : ✭✭ l’adaptabilité d’un système concerne sa capacité à réagir selon le contexte, et selon les besoins et préférences des uti- lisateurs. Deux sous-critères participent au critère Adaptabilité : Flexibilité et Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur ✮✮ (Bastien et al. 1998). Les auteurs précisent que :

Le critère Flexibilité concerne les moyens mis à la disposition des utilisateurs pour per- sonnaliser l’interface afin de rendre compte de leurs stratégies ou habitudes de travail et des exigences de la tâche. Le critère Flexibilité correspond aussi aux différentes pos- sibilités qu’ont les utilisateurs pour atteindre un objectif donné. Il s’agit, en d’autres termes, de la capacité de l’interface à s’adapter à des actions variées des utilisateurs. [...] Le critère Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur concerne les moyens mis en oeuvre pour respecter le niveau d’expérience de l’utilisateur(ibid.).

En lien avec l’hypothèse de cohérence des pratiques, il faut permettre à l’enseignant d’utiliser les ressources et donc de les adapter à sa propre pratique et de les personnaliser. L’usage des tech- nologies informatiques pour proposer des ressources semble bien adapté à cela. Par exemple, il est possible de ne faire apparaître qu’une ressource réduite dans un premier temps, de proposer des développements dans un second temps, de permettre la création d’un document composite à partir d’autres pré-existants. Encore faut-il qu’un artefact facilite cette composition. De plus, un ensei- gnant, dès lors qu’il utilisera plusieurs fois une ressource pourra souhaiter, par exemple, marquer les problèmes déjà faits, ajouter diverses remarques ou notes le concernant, ajouter le ou les énoncés du problème qu’il a utilisés dans sa classe, ajouter ses propres problèmes, partager certaines de ses notes avec d’autres enseignants, etc. L’enseignant peut-il savoir si tel ou tel problème est fréquem- ment choisi par les autres ? Peut-il s’informer facilement des modifications ou ajouts apportés par tel ou tel ? Peut-il les ajouter à son propre espace de travail afin de les utiliser aisément ? L’ensei- gnant peut-il créer aisément des documents imprimés pour lui57et pour ses élèves ? Pour résumer, la ressource peut-elle s’adapter à l’enseignant et à sa pratique, peut-elle s’intégrer aisément dans sa pratique ?

Enfin, Tricot définit l’acceptabilité :

57Ce peuvent être des fiches pour se faciliter la tâche pendant la séance, des mémos, les solutions du problèmes sous

2. CADRAGE THÉORIQUE

Nous définissons l’acceptabilité d’un EIAH comme la valeur de la représentation men- tale (attitudes, opinions, etc. plus ou moins positives) à propos d’un EIAH, de son utilité et de son utilisabilité. Cette représentation mentale peut être individuelle ou col- lective. La valeur de cette représentation conditionnerait la décision d’utilisation de l’EIAH. L’acceptabilité peut être sensible à des facteurs très divers comme la culture et les valeurs des utilisateurs, leurs affects, leur motivation, l’organisation sociales et les pratiques dans lesquelles s’insère plus ou moins bien l’EIAH (Tricot et al. 2003, p. 393).

L’évaluation de l’acceptabilité consiste en quelque sorte à étudier si un individu utilisateur trouve un intérêt dans un EIAH ou une ressource du point de vue de son utilité et de son utili- sabilité. En particulier, la légitimité sociale des auteurs des artefacts peut contribuer à l’influencer.

2.4.2 Discussion

Les quatre concepts d’utilité, d’utilisabilité, d’adaptabilité et d’acceptabilité, courants dès qu’il s’agit de nouvelles technologies, sont des compléments utiles aux cadres des communautés de pratique (Wenger 1998) et à celui de la double approche (Robert et Rogalski 2002). En effet, ils semblent intéressants à convoquer quand il s’agit de l’étude de manuels, de livres du maître, d’in- tructions officielles, et plus généralement de ressources auxquelles les enseignants peuvent accéder dans le cadre de leur pratique, nous les utiliserons donc dans les chapitres suivants dans cette op- tique58. Dans notre travail, nous étendons l’usage des concepts de l’ergonomie des EIAH (Georget à paraître ; Georget 2006) à l’ensemble des ressources destinées aux enseignants, sous forme papier ou numérique. On en trouvera d’autres utilisations en didactique des mathématiques dans le cadre de ressources numériques dans (Aldon 2008 ; Weiss et al. à paraître).

(Tricot et al. 2003) questionne les relations qui existent entre les différentes dimensions utilité, utilisabilité et acceptabilité. Ces relations peuvent être des relations de dépendance et d’indépen- dance. Montrons le avec un exemple adapté à notre recherche. Une ressource peut être acceptée par des enseignants car perçue comme utile. Elle devient alors effectivement utile, remplissant ainsi les objectifs de ses concepteurs. Néanmoins, il est aussi possible qu’elle soit acceptée sans être utile. C’est le cas, par exemple, si l’information présentée dans la ressource est mal interprétée par les enseignants ou bien si elle n’est pas pertinente pour l’utilisation prévue par les concepteurs. Une ressource peut aussi être utile et ne pas être acceptée par les enseignants. C’est le cas, par exemple, si la pratique qu’elle préconise est trop éloignée des pratiques existantes ou bien si l’information est difficilement interprétable, ce qui conduit au rejet de la ressource. L’étude ergonomique peut notamment s’appuyer sur la description des tâches (Rogalski 2003) pour évaluer si une ressource est adaptée aux enseignants à qui elle est destinée. Pour que les enseignants utilisent des ressources, il faut qu’elles soient adaptées à leur usage. Pour faciliter la transformation d’objectifs d’appren- tissage des élèves en propositions de séances concrètes (Robert 2001, p. 63), il faut donc que les ressources, dans leur forme et leur contenu, le permettent. À cet égard, nous pensons qu’il faut qu’elles élargissent l’espace de liberté des enseignants (Robert et Rogalski 2002).

Selon Tricot, l’utilisation des concepts présentés peut intervenir dans deux types d’évaluation : l’évaluation par inspection et l’évaluation empirique.

58En dehors des analyses didactiques classiques, il y a d’autres façon de traiter les ressources utilisées par les ensei-

L’évaluation par inspection est réalisée par un ✭✭ expert ✮✮, qui applique de façon plus ou moins explicite des critères d’évaluation. Par exemple, un ergonome va réaliser une évaluation par inspection de l’utilisabilité d’un site Web présentant des cartes géographiques, un spécialiste de didactique des mathématiques va réaliser l’évaluation d’un Tuteur Intelligent pour l’enseignement des mathématiques au CP. L’évaluation empirique, quant à elle, consiste à interpréter les performances des usagers, à qui l’on prescrit une tâche, et plus généralement à interpréter leurs comportements, attitudes, opinions(Tricot et al. 2003, p. 392).

Ils ajoutent ensuite que :

Nous admettons que ces deux types d’évaluations sont strictement distincts et com- plémentaires. L’évaluation par inspection permet de repérer rapidement les erreurs grossières et de diagnostiquer ✭✭ pourquoi ✮✮ tel ou tel aspect de l’EIAH est défaillant. L’évaluation empirique permet de voir moins rapidement l’ensemble des erreurs mi- neures et majeures, et de diagnostiquer ce qui ne va pas dans l’EIAH, sans nécessaire- ment en expliquer les raisons(ibid., p. 392).

En didactique des mathématiques, l’évaluation par inspection (resp. empirique) des ressources présente donc des similitudes avec leur analyse a priori (resp. a posteriori)59. Quand il s’agit de proposer des ressources aux enseignants, que ce soit sous forme papier ou numérique, deux ex- trêmes sont possibles : les concevoir à l’aide d’outils de décisions, seuls et sans les utilisateurs ou avec des experts du domaine. En choisissant de suivre la perspective de Wenger, nous avons choisi en quelque sorte une voie médiane, une sorte de ✭✭ conception dans l’usage ✮✮ (Folcher à paraître), où les deux types d’évaluation sont étroitement liées. Des ressources, considérées comme objets frontières, peuvent être proposées par le coordinateur, ou par d’autres membres, et l’activité de la CoP permet ensuite d’envisager les deux types d’évaluation, qu’elles soient formalisées ou non. Le concepteur de la ressource mène en premier lieu une évaluation par inspection avant de la proposer. L’ensemble des membres participent, notamment lors des activités collectives, à l’évaluation em- pirique en évoquant leur pratique relative aux ressources proposées. Le rôle d’accompagnateur du coordinateur suppose alors une attention particulière quant à l’évaluation empirique puisqu’il devra tenir compte des remarques faites pour qu’elles prennent corps dans des ressources modifiées. Il de- vra le faire en tenant aussi compte de la complémentarité participation/réification, des dimensions du design et de son rôle de courtier. Par exemple, une évaluation par inspection sous la forme d’une analyse didactique a priori peut révéler la complexité de mise en oeuvre d’un problème dans une classe mais il semble non pertinent au stade d’incubation d’une CoP d’enseignants peu rodés à ce genre de pratique de proposer une ressource qui soit trop complète ou trop précise. La réification risque d’être trop importante et d’empêcher la participation des enseignants. Il est préférable de laisser une plus grande place à la négociation au sein de la CoP. Dans notre étude, ceci a, a priori, l’intérêt de permettre d’apprendre des enseignants eux-mêmes quelles sont les informations qu’ils jugent utiles pour leur pratique de problèmes dans leur classe.

En conclusion et suite à la présentation que nous avons faites de certains concepts de l’évaluation de l’ergonomie des EIAH, nous pensons avoir préfiguré l’intérêt de ces concepts pour notre étude sur des aspects auxquels nous devrons être attentifs dans nos choix méthodologiques, que ce soit

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✭✭ Analyse a priori signifie qu’elle “n’est pas dépendante des faits d’expérience”, elle a un “sens causal” et non prédictif. “Ce qui est reproductible, c’est l’analyse a priori !” ✮✮ (Margolinas 1992, p. 131).

2. CADRAGE THÉORIQUE

dans nos analyses ou dans la coordination de la CoP. Les principales questions que nous devrons traiter dans nos analyses relèvent notamment d’une évaluation empirique : le dispositif est-il utile, utilisable et acceptable pour les enseignants pour favoriser leur pratique de problèmes de recherche dans leur classe ? En particulier, permet-il effectivement la pratique d’activités de recherche et de débats par les élèves ?