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6. RÉSULTATS

6.3. U SAGES DE LA TABLETTE

6.3.2. Usages conseillés

Ce point vise à exposer les conseils que les parents et les professionnels ont reçus ou donneraient. Pour la maman 1, les éléments essentiels et déterminants du début des changements pour son fils, ont été d’enlever YouTube de la tablette et de remplacer, sur conseil du CHUV, ces moments par des occupations continuelles afin qu’il n’ait pas le temps d’y penser :

- Maman 1 : J’ai enlevé le YouTube.

- Chercheur : Et ça, ça a réglé les problèmes ?

- Maman 1 : Ouais ouais, maintenant, à partir de juin, il est complètement changé » (MaVer1, l.31-33)

C’est en effet à son entrée à la crèche que les difficultés de l’enfant ont été décelées. L’enfant a alors été pris en charge par l’Unité de Développement du CHUV, puis la pédagogue 1 a commencé à intervenir, ainsi qu’une logopédiste. L’enfant se développe actuellement beaucoup mieux, mais elle garde un goût amer de son expérience.

La pédagogue, bien qu’elle n’ait pas eu contact avec beaucoup de campagnes de sensibilisation aux écrans pour les tout-petits, nous montre néanmoins un dépliant informatisé reçu récemment comportant quelques conseils : « Ils parlent sous forme de quatre pas pour mieux avancer34 pis c’est « pas d’écrans le matin, pas d’écrans durant les repas, pas d’écrans avant de s’endormir, pas d’écrans dans la chambre de l’enfant » » (PéVer1, l.126-128).

Dans la famille 1, elle a conseillé à la maman de choisir des applications éducatives uniquement et de régler l’accès guidé pour que son fils ne puisse en utiliser qu’une seule à la fois et pour une durée limitée, par exemple 10 minutes. Elle a également conseillé d’annoncer à l’enfant la durée permise et de le prévenir un petit peu avant la fin pour qu’il puisse anticiper. Elle estime qu’il est primordial d’installer un cadre avec l’enfant avant que la tablette puisse devenir éducative. Elle a également conseillé à la maman 1 de garder la tablette comme récompense uniquement. Malgré ces précautions, elle déconseille cependant la tablette dans certains cas : « d’autres enfants où il y a trop d’excitation, peut-être que c’est pas le bon outil » (PéVer1, l.243). De manière générale, malgré sa réticence envers l’outil, elle conseille :

34 Il s’agit de la campagne de prévention de Sabine Duflo que nous avons mentionnée dans le cadre théorique :

Résultats

« malgré tout ce qu’on veut c’est dans l’air du temps et ça va être là quoi, de plus en plus, donc je pense qu’on a intérêt de s’y intéresser, ne serait-ce que pour l’apprivoiser et pis après la présenter aux enfants de manière responsable. » (PéVer1, l.54-56).

La pédagogue 1 témoigne finalement de réelles difficultés lorsqu’il il s’agit d’apporter les éléments prévention dans les familles. Premièrement : quand ? En effet, au moment où le comportement jugé inadéquat survient, intervenir déstabiliserait le parent dans son autorité, ou alors intervenir directement semble plus important. Mais à la fin de la séance, cela semble trop tard. Et deuxièmement : quoi et comment

? en effet, comme le souligne la pédagogue 1, il n’y a pas de consensus sur la manière adéquate de l’utiliser et ces préoccupations restent relativement récentes et en évolution : « en vingt-cinq ans, ça a TELLEMENT changé, qu’en fait on n’a pas eu le temps de suivre, et je pense qu’il y a un gros gap entre ce que nous on se sent légitimement en droit de dire aux parents comme message. » (PéVer1, l. 677-679). Elle explique notamment que la tablette est un outil personnel et qu’il est dès lors délicat d’émettre des opinions à ce sujet sans que cela semble stigmatisant ou culpabilisant. De plus, l’utilisation qui en est faite relève souvent des habitudes familiales et il est dès lors difficile d’y amener un changement :

« un parent même s’il le prend pas comme un jugement c’est quand même quelque chose qu’il fait qu’on lui suggère de réduire […] mais comment faire comprendre ça aux parents quand eux-mêmes ont eu la télé allumée toute leur jeunesse ? » (PéVer1, l.148-149 et 692-693).

Un paradoxe s’installe ensuite : dans les familles qui sembleraient en avoir besoin, les prospectus semblent n’être d’aucune utilité. Les prospectus préventifs semblent en réalité davantage servir d’appui aux pédagogues afin de dégager différents thèmes pour ouvrir le dialogue avec les parents :

« je me voyais pas arriver avec un prospectus parce que je savais bien que ce prospectus il allait disparaitre pis qu’elles s’y réfèreraient jamais en fait. Que c’était pas ce biais-là qui leur parlerait le plus, donc j’ai beaucoup fait en verbalisant, en donnant des exemples, en proposant des petites choses... » (PéVer1, l. 308-311)

La maman 2, quant aux conseils reçus, indique : « moi je connaissais ce concept de 3-6-9-12, donc pas d’écrans avant trois ans » (MaVer2, l.165). Elle observe pourtant que le SEI l’a introduit plus précocement chez elle et se questionne sur la pertinence de cette introduction, d’autant plus avec les enfants en difficulté :

« je me demande si par rapport à ce concept de pas d’écrans avant trois ans c’est vraiment judicieux, avec des enfants en difficulté, de leur présenter la tablette aussi rapidement […] Enfin, moi je suis assez stricte, et cadrante, à dire ok, c’est maîtrisé, on fait cinq minutes etc. mais je me demande si dans toutes les familles c’est le même principe qui est appliqué et si au contraire il faudrait pas plutôt avoir tendance à présenter d’autant plus tard aux enfants en difficulté pour pas que les familles se disent « ok ben, la tablette c’est facile pour lui… ». c’est plus dans cette démarche-là, de se dire ben « est-ce que c’est judicieux de la part du SEI de présenter aussi tôt la tablette aux familles ? Voilà […] après je sais pas peut-être que la pédagogue en fonction des familles elle le présente pas aussi hein, je suis pas allée aussi loin dans le raisonnement. » (MaVer2, l. 167-176 et 182-184)

Résultats La pédagogue 2 explique en effet qu’elle n’utilise pas la tablette dans toutes les familles, et d’autant moins si la famille l’utilise déjà beaucoup, sauf s’il s’agit de modéliser certains comportements : permettre aux parents de voir qu’il est possible de cadrer et que cela se passe bien en réalité. Les conseils que la pédagogue a en tête sont ceux de Tisseron mais la nouvelle version :

« le 3-6-9-12. On applique déjà. Ça a été modifié hein, c’était pas d’écrans avant trois ans, maintenant c’est pas de tablette non accompagnée avant trois ans donc c’est différent […] dans le sens de : pas faire long, de toujours être avec l’enfant sur la tablette jamais laisser l’enfant seul sur la tablette… et pis surtout, c’est des outils que nous on utilise pour communiquer avec les parents. c’est aussi montrer que oui, on peut aussi faire cinq minutes de tablette et pis l’enlever. » (PéVer2, l.238-244).

La pédagogue 2 rencontre cependant également des difficultés face à ces aspects préventifs. Premièrement, la question de la culpabilisation des familles se pose également pour elle. Elle note aussi que les éléments apportés sont davantage entendus dans les familles qui y sont déjà sensibles et intéressées. Les familles qui sembleraient en avoir le plus besoin ne s’y intéressent pas ou même les rejettent parfois ; elle raconte :

« y’a eu une maman qui m’a dit « oui mais je vais pas regarder parce que je sais que ce que je fais c’est mal ! donc je veux pas voir les conséquences, je veux pas le savoir ». Bon, c’est très honnête hein, mais du coup ils regardent pas […] ceux qui se questionnent déjà bien, c’est ceux qui vont les lire. Malheureusement (rires) […] y’a une conscience quelque part mais… de là à changer c’est un autre pas.» (PéVer2, l.421-430)

Une dernière difficulté se présente à la pédagogue 3. Bien qu’elle distingue nettement une utilisation accompagnée d’un utilisation solitaire, et une utilisation d’applications éducatives, d’une utilisation non-interactive, il est en revanche plus difficile de le faire comprendre aux parents :

« c’est à nous de bien expliquer et tout ça, je pense que des familles qui comprennent bien y’a pas de souci, ils vont comprendre, mais des fois avec certaines familles soit qui parlent pas le français ou des fois eux-mêmes comprennent pas trop bien les choses, des fois c’est difficile de porter cette espèce de double-message comme ça, elle dit qu’il faut pas mais elle l’amène. » (l. 112-116).

Pour la maman 3, il n’y a aucun danger à l’utilisation d’une tablette par un enfant. Elle n’a donc pas de conseil en particulier. Elle explique cependant qu’il y a des moments où elle ne veut pas que son fils l’utilise, comme pour dormir, alors elle lui dit non et elle la reprend : « when I want him to sleep or I want him to play […] I say no, so I collect it I say no, no, no, you cannot play it now, later you play. » (MaVer3, l.59-61).

La pédagogue 3 quant à elle ne semble pas accorder un grand crédit aux campagnes de prévention en tant que telles :

« Bon ben y’a la fameuse heu... la fameuse règle […] qui disait mais à ce moment-là c’était rien avant trois ans pis après 3-6-6-9 etc, après je sais que y’a des grosses polémiques par rapport à ça donc heu... pfff... » (l. 7-9).

En effet, il n’y a pas pour elle de pertinence aux limites d’âge, tout dépend de la manière dont elle est utilisée

Résultats l’enfant, commente ce qui se passe et reformule si besoin est. Elle ne l’utilise jamais comme récompense, et plus les enfants sont petits, moins ils auront accès à l’outil eux-mêmes. Lorsqu’elle autorise les enfants à manipuler la tablette, elle utilise toujours l’accès guidé jusqu’à ce que l’enfant ait compris et accepté les règles d’utilisation : le temps est limité et on n’utilise qu’une application à la fois. Finalement, bien que la tablette propose des renforcements, elle insiste pour que l’adulte félicite également toujours l’enfant.

La pédagogue 3 n’apporte cependant pas d’emblée de message de prévention dans les familles, elle juge plus pertinent d’en parler avec les parents lorsque ceux-ci commencent à se poser des questions. Une exception est cependant faite si elle observe de manière directe une utilisation qu’elle estime inappropriée. Elle passe à ce moment-là par des questionnements visant à réfléchir avec les parents sur l’utilisation ou le comportement observés :

« heu... je questionne. Ça m’est arrivé. Tout à coup, s’ils regardent un truc qui est vraiment pas heu... ouais, que je trouve vraiment pas adapté, je vais dire « houlala, vous avez vu ce qu’il est en train de regarder là ? » et pis, voilà, je vais quand même, en parler ouais... » (PéVer3, l.266-268)

La pédagogue 3 rencontre aussi des difficultés dans la transmission du message de prévention. Pour commencer, les conseils de la littérature changent régulièrement. De plus, certains parents ne veulent pas en entendre parler. Finalement, comme nous l’avons vu, elle estime qu’il est difficile d’essayer de limiter l’utilisation d’un enfant lorsque les parents n’y parviennent pas pour leur propre utilisation.