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8.1. Éléments de réponse à notre question de recherche

La présente recherche a été guidée par les questions de recherche suivantes :

Quelles sont les perceptions, utilisations et co-constructions qui se mettent en place autour de la tablette tactile, entre parents et pédagogues, pour un usage avec de jeunes enfants à besoins éducatifs particuliers en éducation précoce spécialisée ?

1. Quels sont les facteurs qui impactent les perceptions de l’utilisation de la tablette tactile avec un jeune enfant à besoins éducatifs particuliers ?

2. Quelles sont les perceptions des risques, limites et avantages de l’utilisation de la tablette avec un jeune enfant à besoins éducatifs particuliers ?

3. Quel rôle la tablette occupe-t-elle parmi les moyens d’atteindre les objectifs fixés dans le projet éducatif individualisé de l’enfant et quels sont les soutiens disponibles pour encourager un tel usage ?

4. Le projet éducatif individualisé incluant la tablette tactile est-il co-construit entre les parents et le pédagogue ?

En premier lieu, notre revue de littérature nous a permis de comprendre qu’il existe différentes manières d’utiliser la tablette avec un enfant, ce qui déterminera le caractère éducatif ou au contraire négatif de l’outil pour celui-ci. Les principaux conseils nous indiquent qu’un adulte devrait toujours accompagner l’enfant et commenter l’activité en cours, en utilisant des contenus interactifs comme des applications qui requièrent de la réflexion, pour de courtes durées à adapter en fonction de l’âge et des besoins de l’enfant. Certains moments de la journée sont également à éviter, comme les repas et l’heure avant d’aller au lit. Dans la mesure du possible également, il est conseillé de mettre l’appareil en mode Avion. De cette manière, la tablette peut permettre de développer les processus cognitifs, les connaissances générales, la communication, l’autonomie, la maturité affective et même la socialisation.

Cependant, la littérature n’a pas pu nous indiquer les perceptions des parents et des pédagogues sur l’utilisation de cet outil avec de jeunes enfants, ni sur l’utilisation qui en réellement est faite par les parents et les pédagogues avec l’enfant, ou sur la collaboration qui se met en place entre les parents et le professionnel autour de la création d’un projet éducatif incluant cet outil. Grâce à des entretiens réalisés auprès de trois dyades de parents et de pédagogues en éducation précoce spécialisée d’un service éducatif itinérant de Suisse romande, nous avons pu mettre en lumière d’intéressantes pistes de réponse à nos questions de recherche.

Nous avons ainsi découvert que même chez une population qui utilise l’outil, tant pour les pédagogues que pour les parents, les perceptions sont très mitigées. Cependant, les utilisations ne semblent pas toujours en accord avec ces perceptions. Des perceptions très négatives vont parfois de pair avec des utilisations excessives, tout comme des perceptions très positives peuvent aller de pair avec des utilisations modérées.

Le second constat indique que les pédagogues l’utilisent en majorité pour des objectifs éducatifs alors que dans deux cas sur trois, les parents l’utilisent de manière non conseillée et pour des objectifs récréatifs.

Conclusion et perspectives Ceci nous amène au dernier constat : les échanges autour de cet outil, la co-construction ainsi que la mise en œuvre conjointe des objectifs pédagogiques incluant la tablette sont pour l’heure inachevés. Il semblerait qu’aborder les aspects de prévention avec les parents occasionne une certaine gêne pour les professionnels.

Ainsi, ce travail nous a permis d’envisager certaines pistes pratiques, dont nous rendons compte ci-dessous.

8.2. Perspectives pratiques et recommandations

Premièrement, plutôt que de déconseiller l’utilisation de la tablette, il serait intéressant d’informer les familles qu’il existe certaines utilisations dangereuses, mais aussi d’autres bénéfiques et expliquer lesquelles.

De plus, lorsqu’il n’est pas possible pour le parent de rester à côté de l’enfant, certains moyens existent pour réguler tout de même son utilisation, comme l’accès guidé qui permet, pour une durée définie par l’adulte, de désactiver la fonction tactile de la totalité ou d’une partie de l’écran et des boutons de la tablette de manière très simple (pour un mode d’emploi, voir Annexe 5). Ceci évite par exemple que l’enfant puisse sortir de l’application que l’adulte a choisie ou de dépasser le temps octroyé, car la tablette se verrouille automatiquement à la fin du chronomètre.

Nous souhaiterions à ce point partager quelques informations intéressantes, que nous avons pu recueillir auprès de la référente informatique du SEI de Verdeil, concernant la manière de choisir les applications. Pour ce qui est de la manière de chercher, il lui arrive simplement d’écrire dans la barre de recherche le type d’application dont elle aurait besoin, en lien avec l’apprentissage visé. Elle recueille également parfois des informations sur des groupes de réseaux sociaux, ou par le bouche-à-oreilles de parents et de connaissances.

Il lui arrive également d’en voir sur des publicités. Ses critères de qualité quant à eux sont que l’application ne présente pas de publicités, que la version soit complète (pas de version d’essai), que le visuel soit plaisant mais pas surchargé et finalement que le scénario soit approprié à de jeunes enfants.

Une seconde piste pratique, deuxièmement, est basée sur les témoignages des pédagogues ainsi que la littérature, qui nous amènent à conclure qu’il serait profitable d’instaurer une formation lors de la remise d’une tablette à un pédagogue. Soulignons au passage l’importance, mentionnée par les pédagogues, de posséder une tablette personnelle : au départ, chaque région possédait seulement une tablette, à emprunter, mais ce système ne fonctionnait pas : « ça donnait envie, mais... heu, voilà, c’était pas possible de faire quelque chose de suivi » (PéVer3, l.9-10). Pour ce qui est de la formation, différentes formes sont évidemment possibles, nous en présentons une brièvement ici, pensée de manière générale lors de l’introduction des tablettes dans un service éducatif itinérant, et basée sur nos résultats ainsi que sur notre littérature (Brown & Englehardt, 2017 ; Coen, 2007 ; Kopcha, 2012 ; Leclère & al., 2007 Venkatesh & al., 2003 ; Wang & al., 2004).

Nous pourrions imaginer, à chaque début d’année, qu’une formation obligatoire de base sur les aspects techniques et pédagogiques serait dispensée aux nouveaux collaborateurs et aux pédagogues n’en ayant pas encore bénéficié. Cette formation, appuyée par un support écrit, comporterait des éléments simples mais indispensables à l’utilisation de l’outil avec un enfant, sur IOS ainsi que sur Androïd : installer, ranger et déplacer des applications, utiliser l’accès guidé, aborder les questions de prévention, expliquer comment l’utiliser de manière à stimuler les apprentissages et lesquels. Par la suite, lors des rencontres d’équipe, un temps pourrait être pris occasionnellement mais formellement afin d’échanger entre collègues, sous la supervision de la PressMITIC, des nouveautés mais aussi des pratiques intéressantes que certaines souhaiteraient partager ainsi que discuter des problèmes rencontrés. Un stockage partagé de ces idées pourrait être imaginé entre les membres de l’équipe. La responsable resterait également individuellement à disposition des pédagogues, mais ces questionnements et leur réponse pourraient également figurer dans le

Conclusion et perspectives dossier partagé sous forme de « Questions fréquentes » par exemple. De plus, un flyer spécialement conçu serait créé, adapté aux besoins spécifiques du contexte SEI.

Ces observations nous amènent à différentes conclusions pratiques. Premièrement, il est possible de suggérer aux parents qui sont conscients des dangers mais qui ne souhaitent pas modifier leurs habitudes, qu’il existe des astuces simples, afin que la tablette ait un meilleur impact sur leur enfant. Nous pensons ici à l’accès guidé, ou à l’utilisation d’applications éducatives et interactives, plutôt que de regarder passivement des vidéos. Il est également possible d’informer les parents qui n’en sont pas conscients, qu’il n’est pas nécessaire de prohiber la tablette mais seulement certaines de ses utilisations, et qu’elle peut au contraire encourager le développement de leur enfant si certaines règles sont respectées. Finalement, il semble possible d’informer et de soutenir efficacement les pédagogues quant aux enjeux et possibilités que représente la tablette pour les enfants. De cette façon, chacune pourrait prendre position de manière assurée, argumentée et éclairée sur ce sujet, pour elle-même mais également avec les parents.

8.3. Réflexions sur la recherche et perspectives futures

Débutons notre réflexion par un bref retour critique sur notre étude. D’un point de vue méthodologique d’abord, car une triangulation des données était prévue mais n’a pas abouti. Il s’agissait de soumettre un questionnaire aux pédagogues n’utilisant pas ou peu les tablettes dans leur pratique afin d’en connaitre les motivations. Par le biais de la collaboration avec la référente informatique de Verdeil, nous avons appris que dans le cadre du projet pilote en cours dans leur service, un questionnaire rejoignant les thèmes de la présente étude était déjà en cours de conception. Ils ont cependant accepté d’y intégrer certaines de nos questions. Leur questionnaire a ensuite été rempli par toutes les pédagogues du service. Cependant, les résultats de ces questionnaires n’ont finalement pas pu être délivrés pour des raisons de confidentialité des données obtenues. Une partie de ces données nous ont finalement, in extremis, été disponibles dans l’article de Medina, paru en décembre 2019.

Ensuite, certains objectifs que nous avions annoncés n’ont pas pu trouver de réponse. En effet, certains éléments que nous considérions comme évidents ne l’ont finalement pas été. Par exemple, nous partions du principe que l’utilisation de la tablette serait forcément éducative pour tous les participants puisqu’elle était utilisée dans un contexte éducatif, mais cela n’a pas été le cas. Ce sont néanmoins également d’intéressantes informations.

De même, nous souhaitions au départ décrire les relations triadiques autour de la tablette : au moyen de quelles applications elle pouvait être réalisée, selon quelles modalités cette relation à 3 s’établit. Cependant, nous nous sommes là aussi heurtés aux réalités de notre terrain, dans lequel ces relations semblent tout simplement ne pas exister. La forme la plus proche que nous avons pu observer consistait en une relation entre l’enfant et la pédagogue, observée et encouragée par la maman. Cette question n’a donc pas trouvé de réponse, si ce n’est que même dans une dyade où les deux partenaires partagent une même vision, ce type de co-utilisation ne semble pas avoir lieu.

De plus, malgré l’établissement de critères de sélection précis, certains imprévus sont survenus quant aux propriétés de notre population. Cela a par exemple été le cas pour la maman 3, avec qui nous avons finalement dû parler en anglais, ou les mamans 1 et 3 qui ne participaient pas réellement aux séances. À nouveau, cela a pu nous apporter des éléments de réponse en ce sens que les parents ne participent pas davantage aux séances si la tablette est utilisée. De plus, notre étude a porté sur « seulement » trois types de besoins éducatifs particuliers. Or, non seulement tous les enfants sont différents, mais également tous les

Conclusion et perspectives cas rencontrés en SEI sont extrêmement singuliers. Il n’est pas impossible que les conclusions auraient été différentes si notre étude s’était portée sur d’autres enfants du SEI ou même sur des troubles plus spécifiques comme les déficits visuels.

Finalement, la rapidité de l’évolution numérique se ressent également sur notre étude : il est fort probable que les tous résultats mis en lumière dans cette étude ne seraient pas les mêmes aujourd'hui. Il s’est écoulé une année entre la récolte des données et l’aboutissement de notre rapport et nous savons que certains changements ont déjà opéré ou doivent l’être prochainement. Par exemple, la restriction des applications prévue a certainement déjà été mise en application. Les réflexions des pédagogues ne seraient certainement pas toutes les mêmes aujourd'hui, avec 20 applications à disposition au lieu de 120. De plus, la formation qui était envisagée a peut-être été mise sur pied avec un retour intéressant. Certaines applications conseillées sont être devenues obsolètes depuis, ou le mode d’emploi de l’accès guidé placé en Annexe 5 sera peut-être différent d’ici quelques mois. Cette réalité est pourtant celle du terrain et il n’est pas possible d’y pallier.

Sur un plan plus large des perspectives pratiques, notre recherche nous amène à penser qu’il serait utile que tous les professionnels travaillant avec des enfants soient, plus que sensibilisés, formés aux aspects soulevés.

En effet, bien que cette recherche soit ciblée dans le domaine spécialisé, les précautions et la plupart des opportunités sont transposables pour tous les enfants. Il pourrait être intéressant d’effectuer une recherche à plus large échelle, auprès de parents tout-venants et de différentes professions de l’enfance afin de connaitre leur degré de connaissances à ce sujet ; notamment, concernant les professionnels, afin de savoir si ces aspects sont enseignés dans leurs cursus d’études. Il semblerait par exemple que ces aspects ne fassent pas partie du cursus de pédiatrie. Pourtant, la consommation inadéquate d’écrans est désormais un questionnement de santé publique notoire, que nombre d’entre eux doivent aborder avec les familles (Assathiany & al., 2018).

Afin de conclure ce travail, je souhaiterais témoigner du cheminement que cette recherche m’a permis d’effectuer. J’étais, au départ, farouchement opposée à toute utilisation d’écrans avec les enfants. Or, je ne savais pas qu’il existait différentes utilisations de cet outil, ni même que des utilisations pédagogiques étaient possibles. Je constate à présent plusieurs facteurs explicatifs de cette ignorance. D’une part, le fait de voir sans cesse des campagnes n’indiquant que les risques et ce qu’il ne faut pas faire m’a amenée à la conclusion que c’était un outil à éloigner des enfants. D’autre part, j’ai été éduquée sans écrans et je n’étais aucunement informée sur le sujet, ni par ma formation ni autrement, des bénéfices possibles de cet outil ni de la manière de l’utiliser efficacement avec un enfant.

Au cours de ce travail, j’ai appris beaucoup et mon opinion a considérablement évolué. Je suis à présent convaincue que la tablette peut revêtir des avantages considérables et je me sens en mesure d’amorcer une utilisation en ce sens dans le cadre de mon travail au SEI. À la fin de ce parcours, je me sens en mesure d’appréhender les différentes opinions et les controverses au sujet de cet outil et me sens également à même d’apporter mes arguments et mes interprétations à certains des phénomènes liés à l’utilisation de la tablette avec les enfants. Il me semble finalement probable qu’une partie des personnes opposées à l’utilisation de la tablette ou l’utilisant de manière inadéquate avec un enfant soient simplement dans la même situation que je l’ai été avant d’effectuer cette recherche. Ainsi, je constate par moi-même que les réticences et résistances, mais également les positionnements extrêmes de manière générale peuvent être dus uniquement à un manque de connaissances, ce qui est fort dommageable d’une part, mais d’autre part très simple à faire évoluer. Ainsi, ce travail permettra-t-il peut-être également à d’autres personnes, d’ouvrir d’autres horizons afin de tirer parti de cette technologie qui semble, somme tout, croissante, dans l’air du

Bibliographie