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7. DISCUSSION

7.6. M ISE EN PERSPECTIVE ET LIENS ENTRE LES FACTEURS

Cette recherche nous a permis de nous questionner, dans le cadre d’un service éducatif itinérant romand, sur les perceptions, utilisations et co-constructions qui se mettent en place autour de la tablette tactile, entre parents et pédagogue, pour un usage avec de jeunes enfants à besoins éducatifs particuliers en éducation précoce spécialisée. Nous tenterons donc, dans ce sous-chapitre, d’expliquer en quoi ce questionnement méritait d’être porté, les conclusions qu’il amène ainsi que les problèmes et les potentielles solutions liées à ces conclusions. En effet, si la tablette s’avère pertinente dans les prises en charge, des difficultés se font encore ressentir et son utilisation nécessiterait encore quelques soutiens supplémentaires.

Afin d’apporter davantage de relief à la littérature et à nos résultats, nous nous appuierons sur une recherche très similaire à la nôtre et menée durant la même période au SEI de Verdeil. Elle a en revanche été effectuée auprès de 28 pédagogues provenant des quatre régions du canton de Vaud, par la Déléguée Informatique de la Fondation de Verdeil (Medina, 2019). Ses résultats nous permettront d’avoir une vue d’ensemble des positions de l’équipe, y compris des pédagogues qui ne l’utilisent pas.

Discussion Rappelons pour commencer que tout comme la littérature, notre corpus a mis en lumière d’intéressantes possibilités de la tablette pour le développement des jeunes enfants, et notamment à besoins éducatifs particuliers. Ainsi, à condition de respecter les prescriptions délivrées par la recherche, cet outil peut s’avérer tout à fait pertinent parmi les moyens utilisés en SEI pour atteindre les objectifs figurant dans les projets éducatifs individualisés.

Afin de mettre en œuvre ces projets éducatifs, les pédagogues en SEI poursuivent les principes de l’approche centrée famille. Cela implique pour le professionnel de mettre en place deux sortes de pratiques : relationnelles et participatives (Rouse, 2012, cité par Tamborino Lopes, 2017, p.9). La seconde pratique, considérée comme déterminante d’une pratique centrée sur la famille, demande que les parents soient invités à jouer un rôle actif dans les décisions et l’atteinte des objectifs construits pour l’enfant. Ceci inclut que le pédagogue partage de manière transparente avec les parents, les informations dont il dispose et qui peuvent servir les objectifs visés (Espe-Sherwindt, 2008, p. 137). La tablette peut ainsi être mise au service des apprentissages des enfants, que ce soit de manière directe durant les séances ou en partageant avec les parents les informations pertinentes pour l’utiliser au mieux avec leur enfant, selon les réalités familiales.

Or, notre étude ainsi que celle de Medina (2019) nous montrent certaines difficultés de part et d’autre dans l’application de ces principes. Dans notre étude, les constats concernant les parents étaient les suivants : aucun ne participait à la prise de décisions, une seule à la mise en application, et dans deux familles les utilisations étaient en inadéquation avec les prescriptions de la littérature. Concernant les pédagogues, il semble qu’il soit très compliqué pour elles d’aborder les questions de prévention avec les familles, dissuadant ainsi même les professionnelles qui ont une perception positive des potentialités de l’outil de l’utiliser ou de l’utiliser dans la co-construction. La pédagogue 1 (l. 667-669) mentionnait en ce sens le sentiment de ne pas être légitime pour porter ce message aux parents, à cause de la rapidité d’évolution de ces outils et des recommandations qui y sont liées. Medina (2019, p. 48) a recensé les causes de non-utilisation ou de réticences au sein des équipes du SEI. Ainsi, sur les 28 pédagogues interrogées, 3 jugent la tablette inutile aux apprentissages, 2 n’ont pas envie de l’utiliser, et 2 n’ont pas le temps de prendre en main les applications proposées. La chercheuse relève finalement que certaines d’entre elles n’osent pas l’utiliser « de peur de renforcer des pratiques peu recommandées pour les enfants » (p. 46).

Pourtant, contrairement aux pédiatres, les pédagogues ont la chance de pouvoir observer l’enfant à son domicile, dans son milieu. Elles ont ainsi, potentiellement, l’occasion de jouer un grand rôle auprès des familles, dans cette optique de modélisation :

« leur rôle de guidance, d’accompagnement réside justement dans la démonstration du bon usage de ces outils […] si certaines familles ont des difficultés à gérer et ne réalisent pas les implications d’une surexposition aux écrans, et les pédagogues qui les accompagnent ne savent pas ou tournent le dos à ces outils, qui leur expliquera ? » (Medina, 2019, p. 46-47).

L’auteure soulève ainsi un point crucial : « si elles ne savent pas ». Or, nous pensons que cette notion est étroitement liée avec la deuxième partie « tournent le dos à ces outils ». En effet, nous estimons qu’au vu des nombreux avantages sur les apprentissages que la tablette propose, si toutes les pédagogues savaient, il ne s’en trouverait certainement guère pour leur tourner le dos de manière systématique. Dans tous les cas, au sens de la citation ci-dessus, il semblerait pertinent que toutes les pédagogues, même celles qui ne

Discussion peu de choses afin que cet outil, qui plus-est dont toute l’équipe est déjà équipée dans le cas de Verdeil, puisse faire bénéficier pleinement les enfants de son potentiel.

Vous nous avez probablement vus venir : nous voulons ici recenser, de manière plus concrète, le besoin de soutien identifié tant bien par la littérature que par les pédagogues elles-mêmes. Afin de pouvoir prévenir les familles et tirer parti de leur outil, les pédagogues doivent pouvoir prendre conscience des usages qui sont prescrits par la littérature (« ce qu’il ne faut pas faire »), ainsi que les potentialités qui existent et pour quels apprentissages (« ce que l’on peut en faire »). C’est également ce que souligne Medina lorsqu’elle écrit (2019, p. 48) : « l’axe de prévention et de formation pour donner de nouvelles pistes d’accompagnement demeure indispensable ».

À cette fin, trois types de soutiens nous semblent nécessaires. Premièrement, des formations devraient être mises en place, de manière théorique afin de délier les résistances (Coen, 2007, p. 7), puis de manière pratique et individualisée afin de compléter et actualiser régulièrement les connaissances (dont 12 pédagogues estiment manquer) (Medina, 2019, p. 49) et finalement par des échanges réguliers entre collègues, permettant d’exemplifier et d’enrichir les pratiques (Leclère & al., 2007).

Deuxièmement, il faudrait disposer d’une PressMITIC (Personne-Ressource médias, images et technologies) qui pourrait assurer un suivi à l’interne mais également organiser et régulièrement mettre à jour les formations destinées aux pédagogues :

« Il est indispensable de former des personnes-ressources, reconnues et sensibilisées aux problématiques des élèves BEP. Une formation spécialisée de personne ressource MITIC (PRessMITIC), comme celle donnée dans le canton de Vaud en 2010 et 2012, peut offrir un soutien adéquat. » (Fisler, 2017, p. 31).

Et troisièmement, la quasi-totalité des pédagogues (22/28) souhaiterait avoir à disposition un flyer adapté au contexte SEI, qu’ils pourraient partager avec les parents (Medina, 2019, p. 49). En effet, les pédagogues que nous avons interrogées estiment que les flyers dont elles disposent actuellement ne sont pas adaptées à leurs besoins et que les parents qui sont le plus concernés ne les lisent pas ou n’en tiennent pas compte.

Ceci nous amène aux bénéfices que ces différents soutiens pourraient amener aux pratiques des pédagogues.

Nous l’avons expliqué, ces mises en place auraient pour objectif de former les pédagogues aux aspects préventifs ainsi qu’au niveau des utilisations possibles de l’outil. Concernant l’apport d’aspects préventifs dans les familles, cela aiderait à n’en pas douter les 22 pédagogues ayant besoin d’un flyer, les 12 pédagogues qui estimaient avoir besoin de connaissances supplémentaires ainsi que les 12 pédagogues ayant besoin de définir en équipe le message à apporter dans les familles (Medina, 2019, p. 49).

Concernant les pratiques des pédagogues, ces formations permettraient de diminuer considérablement le temps que chacune doit investir individuellement pour explorer l’outil. De plus, la conscience des avantages de la tablette pour les apprentissages, ainsi que la connaissance des manières de l’utiliser pour y parvenir, leur permettrait d’une part de reconnaitre les familles dans lesquelles son utilisation s’avère pertinente, puis d’insérer ces usages dans les familles, par la modélisation et le dialogue. Il semble en effet très probable que ces soutiens augmenteraient leur sentiment de légitimité envers les parents, leur permettant d’aborder plus facilement les aspects préventifs dans les familles, puis de proposer des solutions alternatives aux usages non adéquats repérés. En effet, nous estimons qu’il est important d’amener un message préventif dans les

Discussion qu’il est plus facile pour les familles de changer leurs habitudes si le message permet de transformer leurs pratiques plutôt que de devoir éliminer ces outils. Nous pensons là à des conseils simples, tels que désinstaller YouTube au profit d’applications éducatives adaptées à l’enfant (avec l’aide du pédagogue), rester auprès de l’enfant lorsqu’il utilise la tablette ou, si cela ne correspond pas aux possibilités de la famille, utiliser l’accès guidé afin de garantir une limite de temps raisonnable.

À l’image de la dyade 2, il nous semble à présent évident qu’il existe un fort lien entre les possibilités de co-construction parents-professionnel, et le degré de connaissances de chacun à propos de l’outil. Cela lien pourrait s’exprimer ainsi : le professionnel bien formé se sent légitime de « former » à son tour le parent ; ainsi, tous deux peuvent construire et appliquer, ensemble, un projet fondé sur des connaissances communes afin d’atteindre ensemble leur grand objectif commun : permettre à l’enfant de développer au mieux ses compétences.

En ce sens, le SEI de Verdeil construit actuellement des formations à l’intention de ses pédagogues, ainsi que des « capsules vidéo » et un flyer traduit en différentes langues, permettant de transmettre plus facilement les messages de prévention aux familles. De plus, des rencontres entre parents et pédagogues, animées par la directrice d’Action Innocence35, sont prévues au cours de cette année scolaire 2019-2020 (Medina, 2019).

Il sera intéressant de se tenir informés des résultats de ces différentes démarches, très intéressantes.

Et maintenant… au tour des autres SEI ?

35 Action innocence est un organisation visant à promouvoir une pratique sécurisée d’internet pour les enfants

Conclusion et perspectives