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La présente étude s’intéresse à l’utilisation de la tablette tactile dans un contexte d’éducation précoce spécialisée. Le contexte bien spécifique de ce questionnement a été choisi pour plusieurs raisons : d’une part, les particularités que présente cet outil par rapport au matériel habituellement utilisé par les pédagogues ; d’autre part, le contexte singulier de l’éducation précoce spécialisée par rapport aux contextes décrits dans notre cadre théorique. Nous expliquons ci-dessous ces particularités et les questionnements que ces aspects suscitent.

4.1. Particularités de l’outil « tablette » pour le jeune enfant

À la vue d’une tablette à portée d’un jeune enfant, différentes perceptions surgissent au sein de la population (Brown & Englehardt, 2017 ; Chmiliar, 2014 ; Cumming & Strnadovà, 2016 ; Erdogan & al., 2019 ; Kopcha, 2012 ; Leclère & al., 2007 ; Mathen & al., 2015). Contrairement à des cubes de bois, cela suscite de houleux débats, même entre les auteurs (Harlé & Desmurget, 2012 ; Tisseron, 2013). La revue de littérature n’ayant pu y apporter de réponse, nous souhaiterions savoir comment se positionnent les parents ainsi que les pédagogues en éducation précoce spécialisée, et quels sont les facteurs qui impactent le plus leur intention d’utilisation. Cette particularité est importante en cela que les éventuelles divergences de perceptions entre les parents et le pédagogue pourraient avoir un impact sur la collaboration qui peut se mettre en place autour d’un tel outil, et donc sur l’efficacité éducative de cette intervention. La question des différentes perceptions présentes dans notre population et de leur impact sur la co-construction du projet éducatif individualisé semble donc être un des facteurs importants à investiguer.

De plus, parmi les activités apportées par les pédagogues, la tablette pourrait bien occuper une place à part.

En un seul objet, une multitude d’activités sont possibles et, outre ses possibles fonctions occupationnelles, différents types d’apprentissages peuvent être visés (Bach & al., 2015 ; Chmiliar, 2016 ; Cumming &

Strnadovà, 2016 ; Evans, 2016 ; Vatalaro & al., 2015), sans oublier les avantages spécifiques aux enfants à besoins éducatifs particuliers qui ont été mis en lumière (Chmiliar, 2014 ; Murdock, Ganz & Crittendon, 2013 ; Thompson, 2015). L’utilisation pédagogique de cet outil restant relativement récente, il serait ainsi intéressant de savoir quelle place occupe cet outil parmi les activités proposées : parmi la multitude d’applications disponibles sur la tablette, nous souhaiterions savoir lesquelles sont choisies et pourquoi, à quelle fréquence et sur quelle durée.

Nous l’avons vu, la tablette génère davantage de motivation mais également plus de craintes de la part des adultes, et en fonction de son utilisation elle est capable d’aider tout comme de freiner les apprentissages (Bach & al., 2015 ; Chmiliar, 2014 ; Chmiliar, 2016 ; Cumming & Strnadovà, 2016). Ainsi, à nouveau comparée à des cubes de bois, l’atteinte d’une utilisation de la tablette qui soit éducative nécessite un apprentissage préalable de la part de l’adulte, que ce soit le pédagogue ou les parents. Or, dès lors que le professionnel introduit cet outil dans une famille, il pourrait lui incomber d’introduire certains éléments de prévention aux parents. Cependant, d’une part les différents auteurs ne prodiguent pas les mêmes conseils (voir Harlé &

Desmurget, 2012 ; Tisseron, 2013), ce qui n’est pas pour aider les professionnels à y voir clair ; d’autre part, l’utilisation qui en est faite durant la semaine relève en partie de la sphère privée et touche aux valeurs et aux habitudes de la famille, ce qui peut rendre le sujet très délicat à aborder. De plus, nous avons vu que tous les principes du partenariat ne sont pas encore atteints (Tamborino Lopes, 2017), il serait donc intéressant de voir ce qu’il en est pour cet outil en particulier. Face à cet outil nécessitant des précautions, nous souhaiterions savoir si la tablette est le sujet d’échanges entre parents et pédagogues et si oui, lesquels.

Problématique et questions de recherche 4.2. Particularités du contexte SEI

Par rapport aux contextes les plus courants de notre revue de littérature, l’éducation précoce spécialisée peut présenter plusieurs particularités : il s’agit en effet d’interventions régulières, avec des enfants à besoins éducatifs particuliers, se situant avant l’âge scolaire, dans le milieu de vie de l’enfant et inscrites dans une volonté de partenariat avec les parents. De plus, le SEI de Verdeil présente quant à lui un contexte particulièrement intéressant pour investiguer le thème de l’utilisation des tablettes, puisqu’il fournit cet outil comme objet éducatif à chaque pédagogue. Or, l’éducation précoce spécialisée intervient auprès de très jeunes enfants, à qui la littérature déconseille de donner accès à ces outils (Harlé & Desmurget, 2012 ; Tisseron, 2013). Cependant, la recherche a également pu attribuer à cet outil des avantages spécifiques aux jeunes enfants à besoins éducatifs particuliers (Chmiliar, 2014). Face à la récente insertion de cet outil à Verdeil, il serait intéressant de comprendre les motivations de cette insertion, les objectifs pour lesquels la tablette est actuellement utilisée dans les familles et ce qui est mis en place conjointement autour de cet outil.

Une autre piste de réflexion touche finalement l’éducation précoce spécialisée. En effet, la littérature met en évidence une certaine méconnaissance des modalités d’utilisation pédagogique de la tablette de la part tant des parents que des professionnels et un besoin de formation face à cela (Mathen & al., 2015). Du côté des professionnels, en tant que nouveauté dans le monde de l’éducation, il serait intéressant de savoir quelles sont leurs possibilités de s’approprier cet outil. En effet, aucune branche du cursus de formation des pédagogues en éducation précoce spécialisée ne traite spécifiquement de ce sujet. Comment les professionnels ont-ils alors été formés à son utilisation dans un but pédagogique ? La question se pose également du côté des parents, qui peuvent recevoir quelques précautions à prendre de la part de leur pédiatre ou par les médias par exemple ; cependant, bénéficient-ils également d’informations et de conseils encourageant les usages constructifs ?

Car nous l’avons vu, la maitrise d’un outil numérique pour une utilisation personnelle ne garantit pas des compétences pour un objectif éducatif, il faudrait donc avoir reçu une formation ou des informations suffisantes à cette utilisation spécifique (Rey & Coen, 2012 ; Wang & al., 2004). Nous avons vu en effet qu’un manque de connaissances dans ce type d’utilisation décourage fortement le recours à ces outils. Forts de ces constats, il semble légitime de se demander si parents et pédagogues manipulent la tablette avec autant d’aisance que les autres activités destinées à l’enfant. Ces questionnements viseront ainsi à comprendre quelles sont les ressources disponibles et les besoins de chacun.

4.3. Questions de recherche

Ainsi, l’analyse de notre revue de littérature, au regard des contextes conjoints de notre terrain spécifique et de cet outil particulier qu’est la tablette tactile, nous permet d’identifier d’intéressants questionnements, réunis en une question de recherche, elle-même subdivisée en trois sous-questions complémentaires :

Quelles sont les perceptions, utilisations et co-constructions qui se mettent en place autour de la tablette tactile, entre parents et pédagogues, pour un usage avec de jeunes enfants à besoins

éducatifs particuliers en éducation précoce spécialisée ?

1. Quels sont les facteurs qui impactent les perceptions de l’utilisation de la tablette tactile avec un jeune enfant à besoins éducatifs particuliers ?

2. Quelles sont les perceptions des risques, limites et avantages de l’utilisation de la tablette avec

Problématique et questions de recherche 3. Quel rôle la tablette occupe-t-elle parmi les moyens d’atteindre les objectifs fixés dans le projet

éducatif individualisé de l’enfant et quels sont les soutiens disponibles pour encourager un tel usage ?

4. Le projet éducatif individualisé incluant la tablette tactile est-il co-construit entre les parents et le pédagogue ?

Au cours du cadre théorique, nous avons pu mettre en lumière certaines pistes intéressantes, mais ne pouvant toutefois répondre à nos questionnements. En effet, la plupart des recherches relevées dans le cadre théorique prenaient place dans d’autres contextes ou poursuivaient des questionnements différents du nôtre. Elles ont pour la plupart été réalisées dans un environnement scolaire, et donc avec des enfants plus grands et dans une relation quasiment inexistante entre le professionnel et les parents. De même, beaucoup de recherches intéressantes ont été réalisées avec des jeunes enfants mais tout-venants, ce qui exclut le besoin d’un professionnel spécialisé. En outre, très peu de recherches se sont intéressées aux parents : leurs perceptions de cet outil pour leur enfant, leurs modalités d’utilisation avec celui-ci. Et finalement, nous n’avons trouvé aucune recherche explorant le thème de la collaboration entre parents et professionnel autour de l’utilisation de cet outil avec un enfant, quel que soit l’âge ou le contexte. Ainsi, les recherches prenaient lieu à chaque fois soit entre le chercheur et l’enfant, soit entre le parent et l’enfant, soit avec l’enfant tout seul, mais jamais dans une relation triadique à domicile.

Et pourtant, la tablette est désormais bel et bien introduite lors des séances et nous ne pouvons nier sa présence dans la vie des enfants. De plus, puisque la recherche indique clairement que le jeune enfant doit être accompagné d’un adulte dans sa pratique (Harlé & Desmurget, 2012 ; Tisseron, 2013) et que lors des séances, les parents et le professionnel sont supposés travailler ensemble (Espe-Sherwindt, 2008), il s’agit donc bien d’une relation triadique, qui devrait prendre place autour de cet outil durant les séances de SEI.

Pourtant, aucune littérature ne renseigne sur les modalités de cette relation, et dans un contexte où des formations très spécifiques à chaque terrain sont conseillées par la littérature (Brown & Englehardt, 2017 ; Kopcha, 2012 ; Leclère & al., 2007), il nous parait des plus important, dans le cadre de notre recherche, d’ouvrir sans plus tarder une porte sur ces questionnements.

En effet, toute personne travaillant avec ou éduquant un jeune enfant en difficulté devra probablement un jour se demander de quelle manière se positionner, introduire puis co-utiliser la tablette tactile avec l’enfant et les différents partenaires. Notre cadre théorique a mis en lumière qu’un manque de connaissances, pousse souvent au rejet de cet outil (Mathen & al., 2015), ce qui serait regrettable pour différentes raisons.

Premièrement, ce serait passer à côté d’intéressantes possibilités éducatives. Et deuxièmement, malgré le rejet de l’adulte, l’enfant y sera forcément confronté un jour. Il semble dès lors préférable d’introduire l’enfant à ces outils, de manière constructive et éclairée, plutôt que de le laisser s’y confronter seul plus tard sans en connaitre les dangers.

Afin de répondre à ces questionnements, commençons par expliquer la méthodologie qui a été pensée pour cette recherche.

Méthodologie