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CHAPITRE II : REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.3. Transition nutritionnelle et risque cardiovasculaire

2.3.1. Urbanisation et risque cardiovasculaire

L’urbanisation désigne un phénomène démographique se traduisant par une tendance à la concentration de la population dans les villes [180] ; c’est aussi un aménagement des zones géographiques à caractère rural en agglomération à caractère citadin. Toutefois, les critères définissant la ville ou le milieu urbain sont très variables d’une région à une autre ou d’un pays à un autre. Le type d’infrastructures et le nombre d’habitants agglomérés sont souvent utilisés pour définir les villes. A titre d’exemple, France, Allemagne, Israël et Cuba utilisent le seuil de 2000 habitants agglomérés pour définir la ville, alors qu’il est de 2500 aux Etats-Unis et au Mexique, mais seulement 200 en Suède et 1000 au Canada ; en revanche, il est de 10 000 habitants au Cameroun et au Bénin, 40 000 en Corée du Sud et 50 000 au Japon [181]. L’accroissement naturel,

l’exode rural (déplacement massif des populations des compagnes vers les villes) et la rurbanisation (urbanisation rapide de zones rurales à proximité des villes dont elles deviennent des banlieues) sont les éléments qui influencent la démographie urbaine [181]. Notons aussi que le développement économique et l’industrialisation des villes sont des facteurs qui contribuent à leur croissance démographique, d’une part, du fait d’un besoin manifeste de main d’œuvre, et d’autre part, en raison de la recherche d’emploi ou de meilleures conditions de vie de nombreux migrants.

Les effets de la transition nutritionnelle dans les PED sont plus marqués en milieu urbain que rural et ils se traduisent par une augmentation du fardeau de maladies chroniques dont les MCV dans plusieurs villes des PED [21, 29, 31, 67]. C’est en fait que le milieu urbain comparativement au milieu rural est plus exposé aux changements tant dans l’alimentation que le mode de vie sous l’influence de l’industrialisation, du développement économique et de la mondialisation [8]. L’urbanisation peut en effet être considérée comme déterminant du risque cardiovasculaire dans les PED; elle est associée de manière directe ou indirecte à une fréquence accrue des facteurs de risque tels que l’obésité [31, 89, 182-184], le diabète [69, 185], l’hypertension [186], les niveaux de cholestérol [187], la résistance à l’insuline [146] et le syndrome métabolique [146, 147]; elle est donc de ce fait impliquée dans la progression des MCV [67, 188].

L’étude de Sobngwi et al. [89] au Cameroun est une bonne illustration de l’influence du milieu urbain sur la prévalence des facteurs de risque cardiométabolique ou la probabilité d’en développer. Les sujets de cette étude étaient âgés de 15 ans et plus et étaient aléatoirement sélectionnés selon leur lieu de résidence, urbain (n = 1183) et rural (n = 1282). Les auteurs ont rapporté des prévalences globales de facteurs de risque de MCV plus importantes en milieu urbain que rural. La prévalence de l’obésité (BMI ≥ 30) était 5 fois plus importante en milieu urbain que rural chez les femmes (17,1% c. 3% respectivement) et 10 fois plus chez les hommes (5,4% c. 0,5% respectivement). La prévalence de l’hypertension était aussi plus importante en milieu urbain (11,4% c. 6,6% chez les femmes et 17,6% c. 9,1% chez les hommes), de même que celle de diabète (4,7% c. 2,9% chez les femmes et 6,2% c. 4,7% chez les hommes) [89]. Ces résultats ont donc mis en évidence davantage de risques cardiométaboliques pour des sujets résidant en milieu urbain que rural. Une tendance similaire a aussi été observée en Inde dans une étude chez 7169 sujets du milieu rural, semi-rural et urbain, étudiés entre

1995 et 2000. Les auteurs ont rapporté un gradient positif (du milieu rural vers le milieu semi-urbain, puis urbain) dans la fréquence des maladies coronariennes (1,7%, 2,5% et 7,4% respectivement chez les hommes, et 1,5%, 3,4% et 7,1% respectivement chez les femmes). En comparaison au milieu rural, le rapport de cote de maladies coronariennes ajusté pour l’âge et le sexe était de 1,9 (IC 95%; 1,1-3,2) en milieu semi-rural et de 4,9 (IC 95% ; 2,9–8,2) en ville. Les auteurs ont également rapporté une fréquence plus élevée d’hypertension, de diabète, d’obésité et d’inactivité physique chez les sujets de la ville, montrant ainsi l’augmentation du risque cardiovasculaire avec le niveau d’urbanisation [67].

En raison de l’augmentation de la fréquence des facteurs de risque de MCV avec l’urbanisation, la prise en compte des mouvements migratoires d’une ville à une autre ou du milieu rural vers le milieu urbain (exode rural) pourrait aider à mieux documenter l’influence de la vie en ville et les facteurs associés à cette influence [189-191]. Au Guatemala, par exemple, Torun et al. [191] ont examiné la fréquence de facteurs de risque de MCV chez des individus natifs d’un même milieu rural et ayant partagé une même enfance, mais dont certains ont par la suite migré en ville. Les sujets âgés de 19 à 29 ans étaient répartis en deux groupes : le premier groupe (n = 161 hommes et 193 femmes) comprenait les individus qui résidaient encore dans leur village de naissance, alors que le deuxième groupe (n = 76 hommes et 43 femmes) était formé des natifs du même village, mais qui avaient établi leur résidence permanente en ville. Les auteurs ont observé que les femmes des deux groupes étaient similaires dans les taux d’obésité (28%), de gras corporel élevé (29,8%) et de faible niveau d’activité physique (83%). Chez les hommes, par contre, ceux de la ville étaient plus à risque de MCV que les ruraux ; ils étaient plus sédentaires (79% c. 27%) et avaient plus de gras corporel élevé (15,3% c. 13,3%), des niveaux plus élevés de cholestérol sérique (4,7 c. 3,9 mmol/l), LDL-cholestérol (2,66 c. 2,30 mmol/l) et rapport cholestérol total/LDL-cholestérol (4,6 c. 4,1).

L’évaluation des effets de l’urbanisation sur le risque de MCV ne devrait pas se limiter uniquement à la résidence en ville, mais devrait aussi tenir compte du temps global qu’un individu a vécu en milieu urbain [184]; d’autres aspects tels que les migrations temporaires ou les migrations conditionnelles aux activités menées en milieu urbain alors que la résidence principale est à la campagne [192] devraient aussi être pris en

compte. Au Cameroun, par exemple, Sobngwi et al. ont examiné la durée d’exposition à l’environnement urbain au cours de la vie et ses relations avec l’obésité, l’hypertension et le diabète chez 1726 sujets (999 femmes et 727 hommes) de 25 ans et plus aléatoirement sélectionnés selon le milieu de résidence (urbain ou rural) [184]. Ils ont rapporté une association positive de la durée d’exposition à l’environnement urbain avec l’IMC (r = 0,42 ; P<0,0001), la glycémie à jeun (r = 0,23 ; P < 0,0001) et la tension artérielle (r = 0,17 ; P<0,0001). Il n’y avait pas d’association entre l’âge et la durée d’exposition à l’environnement urbain. Les sujets qui venaient de s’établir en ville (≤ 2 ans) avaient un IMC, une glycémie à jeun et une tension artérielle significativement plus élevés (P<0,01) que les ruraux qui avaient déjà été exposés pendant au moins deux ans à l’environnement urbain. L’exposition au milieu urbain pendant les cinq premières années de la vie n’était pas associée à l’IMC, ni à la glycémie à l’âge adulte, mais la durée totale d’exposition en milieu urbain et le milieu de résidence des individus étaient tous deux indépendamment associés à l’obésité et au diabète, d’où la nécessité de considérer ces deux aspects de l’urbanisation. Toutefois, cette considération doit également tenir compte de l’urbanisation même de sites initialement considérés comme ruraux pour une meilleure évaluation des effets sur la santé des individus [193].

L’influence de l’urbanisation sur le risque cardiovasculaire ou la santé des individus se fait par divers moyens. La croissance démographique rapide dans les villes des PED en lien avec le développement économique de ces pays dans le contexte actuel de mondialisation favorisent les échanges de cultures et d’informations, lesquels exerceraient une influence sur les habitudes et choix alimentaires des individus, de même que sur leur mode de vie [11, 68, 194]. Au niveau de l’alimentation, par exemple, plusieurs auteurs soutiennent que l’alimentation urbaine est associée à un risque plus important de MCV que l’alimentation rurale [191, 195, 196]. La forte consommation de céréales raffinées, de produits animaux, huiles, graisses saturées et sucre serait en cause. En Afrique du Sud, Voster et al. ont examiné divers aspects de l’influence de l’urbanisation sur la transition nutritionnelle et la santé [28], dans une étude auprès de 1854 sujets de 15 ans et plus, apparemment en bonne santé et sélectionnés aléatoirement dans 37 sites urbains et ruraux de la province du Nord Ouest. Les sujets étaient divisés en cinq groupes où le groupe 1 représentait le milieu le moins urbanisé (milieu rural) et le groupe 5 le plus urbanisé (ville). Les auteurs ont observé que les sujets du milieu urbain consommaient moins de bouillie de maïs, mais plus de fruits, légumes, produits

animaux, graisses animales et huiles végétales que ceux du milieu rural [28]. Comparativement au milieu rural (groupe 1), on observait chez les femmes du milieu urbain (groupe 5), un pourcentage d’énergie en baisse pour les glucides (67,4% à 57,3%), mais en hausse pour les lipides (23,6% à 31,8%) et les protéines (11,4% à 13,4% avec une augmentation de protéines animale de 22,2 à 42,6 g/j). Les auteurs ont également rapporté une augmentation des niveaux sériques de cholestérol total, de LDL-cholestérol et de fibrinogène plasmatique, ainsi que des concentrations plus faibles de HDL-cholestérol entre les groupes (du moins urbanisé au plus urbanisé); l’hypertension (tension systolique > 140 mmHg) était aussi en augmentation (10,4% à 34,8%), de même que le diabète (0,8% à 6,0%). Les femmes des groupes moins urbanisés (groupe 1, 2 et 3) avaient des taux de surpoids/obésité plus bas que ceux des groupes plus urbanisés (48%, 53%, 47%, 61% and 61% respectivement), montrant ainsi l’augmentation du surpoids/obésité avec l’urbanisation [28].

L’influence de l’urbanisation sur la consommation alimentaire est aussi modulée par des aspects industriels et socioéconomiques. L’allègement de nombreuses tâches manuelles par la mécanisation de l’agriculture et l’industrialisation du secteur alimentaire au cours du processus de transition nutritionnelle contribuent à l’augmentation des disponibilités alimentaires dans les villes [11, 45], principaux lieux d’écoulement des denrées. A titre d’exemple, les avancés technologiques dans le raffinage et la production industrielle à grande échelle des huiles végétales aux Etats-Unis, en Europe, au Sud-Est asiatique (huile de palme) et en Amérique Latine (huile de soya), ainsi que leur exportation dans de nombreux PED, ont largement contribué à l’augmentation de la disponibilité de ces huiles et de leurs produits dérivés comme la margarine [40, 70]. Cette situation a favorisé la réduction du coût des huiles et matières grasses dans les PED, favorisant ainsi la forte consommation de ces produits [68, 70]. Il en est de même pour la consommation de sucre et des produits sucrés, qui est également en augmentation dans les PED. Il faut aussi noter que l’augmentation de revenu en milieu urbain des PED contribue également à une plus grande diversité alimentaire qui cependant peut aussi augmenter le risque athérogène parce que cette diversité est aussi associée à un apport plus important en cholestérol et en pourcentage d’énergie venant des lipides totaux et des acides gras saturés, comme observé au Mexique [197]. Le niveau de ressources économiques a aussi été mis en lien avec les changements alimentaires en milieu urbain et rural en Chine par Popkin et al. [75]. Ces auteurs ont rapporté que pendant la phase

de développement économique, les ménages urbains consommaient une proportion plus élevée d’énergie sous forme de lipides que les ruraux, alors que dans les deux milieux de résidence, la consommation de gras, de blé, riz et autres céréales raffinées augmentait avec le revenu. Dans le milieu rural, le taux de surpoids augmentait avec le revenu, tandis qu’il était plus important dans les ménages à faible revenu en milieu urbain. La consommation élevée de produits animaux était associée à une contribution énergétique majeure dans les ménages à revenu élevé dans les deux milieux, alors que les céréales raffinées étaient la principale source d’énergie dans les ménages à faible revenu [75]. Cette étude a montré que le milieu de résidence serait un facteur associé à la tendance inverse du surpoids dans les ménages de même niveaux de revenus; elle a aussi montré comment le niveau de ressources pouvait influencer les apports énergétiques, les plus pauvres ayant plus d’énergie venant des céréales alors que les plus riches ont surtout des apports énergétiques venant des produits animaux [75].

Au niveau du mode de vie, le milieu urbain est surtout associé à une plus grande inactivité physique, ce qui favorise l’émergence des maladies chroniques [89, 187, 198, 199]. Le remplacement des emplois actifs par des emplois plus sédentaires comme le travail de bureau, l’usage du transport motorisé (voiture, motocyclette) à la place de la marche ou de la bicyclette et des loisirs plus sédentaires (ordinateur, TV, jeux de société) sont les éléments mis en cause dans la réduction de l’activité physique et de la dépense énergétique globale en milieu urbain [33, 89]. Sobngwi et al. [89] ont évalué les caractéristiques de l’activité physique et ses relations avec l’obésité, l’hypertension et le diabète en milieu urbain et rural au Cameroun. Ils ont observé que les sujets du milieu urbain étaient caractérisés par des activités sédentaires ou de faible intensité et consacraient moins de temps à la marche et au cyclisme comparativement aux ruraux et que l’IMC, la tension artérielle et la glycémie étaient plus élevés dans le premier quartile de la dépense énergétique comparativement au dernier quartile [89]. Des résultats semblables ont été aussi rapportés par Mbalilaki et al. dans l’étude sur l’activité physique et les lipides sanguins chez des sujets âgés en moyenne de 43 ans et vivant en milieu urbain (n = 484) et rural (n = 501) en Tanzanie. Ils ont rapporté un niveau d’activité physique plus faible chez les citadins comparativement aux ruraux. Les citadins avaient également des valeurs moyennes plus élevées d’IMC, cholestérol total, LDL-cholestérol, ratio cholestérol-total/HDL-cholestérol, triglycérides et apolipoprotéine A-1 [187].