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CHAPITRE II : REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.3. Transition nutritionnelle et risque cardiovasculaire

2.3.6. Consommation de boissons alcoolisées et risque cardiovasculaire

cardiovasculaire

La consommation de boissons alcoolisées est en augmentation dans le monde, surtout dans les PED [335]. Le maintien de la consommation traditionnelle conjuguée à la production industrielle locale de boissons alcoolisées (la bière notamment), l’urbanisation, le développement économique et la mondialisation sont des facteurs

largement impliqués dans cette progression de l’alcool dans les PED [336]. En ce sens, la consommation d’alcool fait partie des changements qui s’opèrent dans le mode de vie au cours du processus de transition nutritionnelle et elle est impliquée dans le risque de MCV et d’autres maladies chroniques [337].

On estime à environ deux milliards le nombre de personnes consommant des boissons alcoolisées dans le monde dont 76,3 millions avec des problèmes de surconsommation [336]. D’après le rapport de l’OMS sur la santé mondiale en 2002, la consommation d’alcool était globalement responsable de 1,8 millions de décès et 58,3 millions de cas d’invalidité ajusté par année de vie perdue [335]. Des études montrent une association et même un lien de causalité entre la consommation d’alcool et la cirrhose du foie [338] et des maladies chroniques telles que le cancer, le diabète, l’hypertension, les MCV [339-341]. Toutefois, d’autres travaux ont rapporté un effet protecteur, principalement sur les maladies coronariennes, de doses modérées [342, 343].

L’impact de l’alcool sur la morbidité et la mortalité est modulé par la nature, les quantités et les habitudes individuelles de consommation des boissons alcoolisées [340, 344], elles-mêmes influencées par divers contextes socioculturels [345]. Le type et la quantité d’alcool consommé, ainsi que les habitudes de consommation varient considérablement d’une région à une autre. Les quantités les plus élevées sont consommées en Amérique du Nord et en Europe; les moins importantes sont relevées dans l’Est méditerranéen et dans certains pays de la région de l’Asie du Sud Est [335]. Les habitudes de consommation les plus nuisibles se rencontrent dans plusieurs pays de l’Europe de l’Est, des Caraïbes, d’Amérique Latine et d’Afrique sub-saharienne, alors que les moins nuisibles sont rencontrées dans les pays d’Europe occidentale [335].

En ce qui concerne les liens avec les MCV, une forte consommation de boissons alcoolisées est en général considérée comme nuisible car elle augmente le risque [3, 346], alors qu’une consommation modérée est plutôt considérée comme un facteur protecteur [347, 348]. On estime que le plus grand risque de morbidité et de mortalité pour l’alcool se retrouverait chez les grands buveurs, mais surtout les grands buveurs sporadiques [339, 340, 344]. Au Canada par exemple, Murray et al. [344] ont évalué les conséquences d’une consommation élevée et sporadique (≥ 8 consommations en une seule prise), ainsi que de la consommation habituelle dans une étude longitudinale à

base populationnelle. Cette étude a été menée dans les régions de Winnipeg et du reste du Manitoba chez des sujets âgés de 18 à 64 ans (n = 1154). La période de suivi était de 8 ans. Les auteurs ont rapporté que la consommation sporadique élevée était associée à une augmentation du risque rapport de hazard (RH)5 de maladie coronarienne chez les

hommes [RH = 2,26; IC 95% (1,22-4,20)] comme les chez les femmes [RH = 1,10 ; IC 95% (1,02-1,18)]. Le risque d’hypertension était aussi en augmentation, mais uniquement chez les hommes [RH = 1,57 ; IC 95% (1,04-2,35)]. Alors que la consommation sporadique et élevée n’avait pas d’effet sur les autres MCV, la consommation habituelle (en grammes d’alcool pur) montrait un effet protecteur très significatif chez les hommes et les femmes [344].

L’effet modérateur de l’alcool dans le risque de MCV a aussi été mis en évidence dans plusieurs méta-analyses [339, 343, 349]. Celle de Corrao et al. [339] publiée en 1999 a surtout mis en évidence le risque lié à la quantité (dose-réponse) plutôt qu’au type d’alcool consommé. Les auteurs ont rapporté un risque d’hémorragie cérébrovasculaire et d’hypertension artérielle pour des consommations élevées, mais aussi une association significative pour des faibles consommations correspondant à deux prises journalières ou deux verres de vins (25g/j) [339]. Le peu de concordance entre les études incluses dans cette méta-analyse en est une des principales limites. Il convient toutefois de signaler que l’effet protecteur de l’alcool est surtout rapporté pour la maladie coronarienne [342, 343, 348, 349]. La méta-analyse de Rimm et al. [343], par exemple, a montré que la consommation modérée d’alcool était reliée de manière causale à un moindre risque de maladie coronarienne à travers les changements dans les lipides sanguins et les facteurs hémostatiques [343]. Ces auteurs ont en effet observé que les changements dans les concentrations de HDL-cholestérol, fibrinogène et triglycérides associés à une prise de 30g d’alcool par jour devrait réduire de 24,7% le risque de maladie coronarienne [343]. Des résultats similaires ont aussi été rapportés dans la seconde méta-analyse de Corrao et al. [349]. Les auteurs ont observé une diminution de maladie coronarienne avec une consommation d’alcool de 0 à 20g/j [RR = 0,80; IC 95% (0,78-0,83)], l’évidence de l’effet protecteur allant jusqu’à 72g/j [RR= 0,96; IC 95% (0,92-1,00)]; en revanche, le risque était accru pour des apports au dessus de 89g/l [RR

5 Le rapport de hasards (Hazard ratio) est le risque relatif de survenue d'un évènement dans une analyse multivariée réalisée selon le modèle de régression logistique de Cox.

= 1,05; IC 95% (1,00-1.11)]. L’effet protecteur de l’alcool était moindre chez les femmes alors que l’effet nuisible y était plus accentué.

Bien que la consommation d’alcool à faible dose soit reconnue comme bénéfique pour les MCV (maladies coronariennes en particulier) et pour les lipides sanguins (HDL- cholestérol en particulier) [347, 350-352], son effet bénéfique sur les autres facteurs de risque de MCV comme l’obésité [353], les dysglycémies incluant le diabète [341] et même le syndrome métabolique [354-356] reste discuté et peut varier selon le type de boissons. En Suède, par exemple, Carlsson et al. [341] ont examiné l’association entre la consommation d’alcool et les troubles de la tolérance au glucose ou le diabète chez des hommes de 35-56 ans (n = 3128). Les résultats ajustés pour l’histoire familiale, le tabagisme, l’activité physique et l’IMC, montraient un risque relatif de diabète de 2,1 (IC 95% : 1,0-4,5) chez ceux qui avaient une consommation élevée d’alcool (>12 consommations/semaine) et de 0,7 (IC 95% : 0,3-1,8) chez les buveurs modérés (7-12 consommations/semaine), comparativement aux non-buveurs. Le risque d’intolérance au glucose était de 0,7 (IC 95% : 0,5-1,1) et 0,6 (IC 95% : 0,4-1,0) respectivement. Les analyses séparées ont révélé que les grands buveurs avaient un risque relatif plus élevé de diabète, de l’ordre de 2,9 (IC 95% : 1,2-6,9) pour la bière, 3,3 (IC 95% : 1,4-7,8) pour les spiritueux et 1,2 (IC 95% : 0,5-2,7) pour le vin. Cette étude a donc montré que la consommation élevée de bière et de spiritueux augmentait de manière significative le risque de diabète, mais non celle de vin; à dose modérée, la consommation de vin était associée à une diminution de risque de troubles de la tolérance au glucose [341].

Dans le cas du syndrome métabolique (SM), la direction de sa relation avec l’alcool dépend aussi bien de la quantité et du type d’alcool consommé que de la relation entre l’alcool et les composantes du SM. Freiberg et al. [355] à partir des données de l’enquête NHANES III aux Etats-Unis (n = 8125) ont examiné la relation entre la prévalence de SM (d’après NCEP-ATPIII) et la consommation d’alcool. La consommation courante d’alcool était d’au moins une prise d’alcool par mois. Après avoir ajusté pour plusieurs variables (âge, sexe, race/ethnie, éducation, revenu, tabagisme, activité physique et alimentation), les sujets qui avaient 1-19 et ≥ 20 prises d’alcool par mois, comparativement aux non buveurs, avaient un rapport de cote de prévalence de SM de 0,65 et 0,34 respectivement (P< 0.05). Ce facteur de protection était surtout robuste chez les buveurs de bière et de vin. L’association entre le SM et les

consommations d’alcool ≥ 20 par mois était constante dans tous les groupes ethniques, mais elle était plus forte encore chez les Blancs. Les auteurs ont aussi rapporté que la consommation d’alcool était significativement (p < 0,05) et inversement associée à la prévalence du HDL-cholestérol bas, des triglycérides élevés et du tour de taille élevé, ainsi qu’à l’hyperinsulinémie à jeun. Cette étude a donc montré que la consommation modérée d’alcool était associée à une plus faible prévalence de SM et que l’alcool avait un effet bénéfique sur les lipides sanguins, le TT et l’insulinémie à jeun avec une forte évidence chez les Blancs et parmi les consommateurs de bière et de vin [355]. Dans une étude de même nature, mais uniquement chez des sujets blancs, Djousse et al. [354] ont montré, comparativement aux non-buveurs, des rapports de cote de prévalence de SM plus bas chez les buveurs actuels hommes (0,68 ; 0,72 ; 0,66 ; 0,80) et femmes (0,80 ; 0,47 ; 0,47 ; 0,39) respectivement pour des quantités d’alcool de 0,1 à 2,5 g/l ; 2,6 à 12,0 g/l ; 12,1 à 24,0 g/l et >24,0 g/l. Chez les sujets qui avaient plus de 7 consommations par semaine, la réduction de prévalence de SM était observée pour tous les types de boissons alcoolisées, avec des rapports de cote de 0,32; 0,42; 0,57 et 0,56 respectivement pour le vin, la bière, les spiritueux et au moins deux types d’alcool différents [354].

La revue par Rehm et al. [340] résume bien les connaissances actuelles sur la relation entre la consommation d’alcool et le risque de MCV. Des résultats de cette revue ont été par nous adaptés dans le Tableau IV, où le risque relatif de développer une MCV ou un facteur de risque est présenté en fonction du sexe et de la consommation en g/l indépendamment du type de boisson. Les équivalences de grammes d’alcool pur pour plusieurs boissons sont présentées dans la figure 4. Il en ressort que, comparativement à l’abstinence, la consommation d’alcool même à faible dose ou modérée n’a pas d’effet bénéfique pour l’hypertension chez les hommes et chez les femmes (RR>1); le risque relatif augmente avec la consommation, particulièrement chez les hommes. Pour ce qui est des hémorragies vasculaires cérébrales, la consommation d’alcool représente un risque dans toutes les catégories chez les hommes (RR>1), alors que chez les femmes, il y a un effet protecteur dans les deux premières catégories (RR<1), mais un risque fortement accru dans la dernière catégorie (RR>7). Dans le cas des ischémies vasculaires cérébrales, l’alcool est protecteur dans la catégorie 1 chez les hommes et les femmes et la catégorie 2, mais uniquement chez les femmes (RR<1). Le risque augmente avec les quantités consommées dans les deux catégories supérieures chez les

hommes et la dernière catégorie chez les femmes. Pour ce qui est des maladies coronariennes, l’alcool est protecteur dans les deux premières catégories (RR<1), alors qu’il augmente le risque avec des consommations élevées correspondant à la 3e catégorie (RR>1). En ce qui concerne le diabète, la tendance est à la protection à tous les niveaux de consommation chez les femmes, alors que chez les hommes l’effet protecteur serait dans les deux premières catégories contre un risque dans la 3e catégorie.

Tableau IV: Risque relatif des MCV et de certains facteurs de risque selon le sexe et les catégories de consommation moyennes journalières en grammes d’alcool comparativement aux non buveurs

Catégorie 1 Catégorie 2 Catégorie 3

Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes

Hypertension 1,40 1,40 2,00 2,00 2,00 4,10 Hémorragies vasculaires cérébrales 0,59 1,27 0,65 2,19 7,98 2,38 Ischémies vasculaires cérébrales 0,52 0,94 0,64 1,33 1,06 1,65 Maladies coronariennes 0,82 0,82 0,83 0,83 1,12 1,00 Diabète 0,92 0,99 0,87 0,57 1,13 0,73

Les trois catégories proposées ici reflètent les quantités consommées telles que rapportées dans plusieurs études Catégorie 1: moyenne de 0 à 19,99g/j d’alcool pur chez les femmes (0 à 2 verres de vin à 12°) et 0 à 39,99 g/j chez les hommes (0 à 4 verres de vin à 12°);

Catégorie 2: moyenne de 20 à 39,99g/j d’alcool pur (2 à 4 verres de vin à 12°) chez les femmes et 40 à 59,99 g/j chez les hommes (4 à 6 verres de vin à 12°);

Catégorie 3: 40g et plus d’alcool pur par jour chez les femmes (≥ 4 verres de vin à 12°) et 60g et plus chez les hommes. (≥ 6 verres de vin à 12°)

Figure 4 : Équivalence d’alcool pur pour différentes boissons

Tous ces verres standard contiennent la même quantité d’alcool (10 g) Source: Com-Ruelle et al. [357]

2.3.7. Transition nutritionnelle et risque cardiovasculaire au Bénin