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CHAPITRE II : REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.3. Transition nutritionnelle et risque cardiovasculaire

2.3.3. Alimentation et risque cardiovasculaire

2.3.3.1. Mesure de l’association de l’alimentation avec le risque cardiovasculaire

2.3.3.1.3. Indices de qualité

Les indices de qualité font parties des méthodes dites ‘a priori’ d’évaluation de la qualité alimentaire ; ce sont des approches plus anciennes que celles basées sur les schémas alimentaires pour étudier la relation entre l’alimentation et sa qualité avec le risque de maladies chroniques. Les indices de qualité sont basés sur une classification des individus à partir de la diversité/variété de leur alimentation [271, 272] ou sur la base des apports recommandés (Heathy Eating Index) [273, 274], ou encore, en fonction des deux séries de critères (Diet Quality Index et Diet Quality Index International) [275]. Le choix arbitraire des aliments à inclure dans les groupes, le manque d’uniformité des scores attribués et l’absence des valeurs seuils pour les scores en sont les principales limites.

Il existe de nombreux indices dont certains ont été modifiés ou adaptés à divers types de population [273, 276]. Quatre principaux indices reconnus comme originaux sont encore beaucoup utilisés ou adaptés, ce sont : le HEI (Healthy Eating Index) [277], le HDI (Healthy Diet Indicator) [274], le DQI (Diet Quality Index) [278] et le MDS (Mediterraneen Diet Score) [263]. D’autres indices comme le DQI-I (Diet Quality Index International) [275], le score de diversité/variété alimentaire [279], le score d’adéquation en nutriments ou micronutriments [280], tout comme la diète DASH (Dietary approaches to stop hypertension) [259, 281] sont aussi largement utilisés et mis

en relation avec le risque de MCV et autres maladies chroniques. Le DQI-I de Kim et al. [275], utilisé dans plusieurs études au niveau international [282-286], est décrit dans la section 5.3.2.4.3 (page 107) du présent document et utilisé pour la validation de nos indices de qualité (section 7.2, page 229) qui sont la diversité alimentaire, l’adéquation en micronutriments et la prévention contre les maladies chroniques.

 Diversité alimentaire

En raison de sa corrélation positive avec l’adéquation des apports aux besoins ou apports recommandés, la diversité alimentaire est largement utilisée comme indicateur simple de la qualité alimentaire, dans les pays industrialisés [271-273] comme dans les PED [280, 287], et aussi comme indicateur de sécurité ou insécurité alimentaire des ménages [288]. Selon les études, la diversité alimentaire se définit comme étant le nombre d’aliments [271] ou groupes d’aliments [210, 289] consommés au cours d’une période de référence, le plus souvent 24 heures [290] ou 7 jours [271, 291].

La diversité alimentaire, tout comme l’adéquation en macronutriments/micronutriments, est utilisée dans la construction d’autres indices de qualité alimentaire comme le HEI et le DQI-I. Dans le DQI-I par exemple, en plus de considérer la diversité des groupes d’aliments, les auteurs évaluent également la diversité des sources de certains nutriments comme les protéines à l’intérieur des groupes d’aliments [275]. Une des principales limites de cet instrument est le choix arbitraire des aliments à inclure dans la constitution des groupes, tout comme le nombre de groupes à considérer pour construire le score de diversité.

La diversité n’est pas un indice de qualité univoque. Dans un contexte de pénurie de ressources ou d’accès limité aux aliments comme dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne, une alimentation diversifiée est en général associée à une meilleure adéquation en macro- et micronutriments [280, 289]. La diversité peut dans ce contexte être associée à une meilleure santé nutritionnelle, comme cela a été rapporté au Mali où la faible diversité alimentaire était associée à deux fois plus de risque de retard de croissance et d’émaciation des enfants en milieu urbain [210]. En revanche, dans un contexte de disponibilités alimentaires abondantes (comme dans la transition alimentaire où la mondialisation augmente l’offre surtout en milieu urbain des PED), la

diversité alimentaire serait associée à un risque athérogène accru, tel que rapporté au Mexique, où la diversité alimentaire était positivement corrélée au pourcentage d’énergie des lipides totaux et des acides gras saturés, ainsi qu’aux apports quantitatifs de cholestérol [197].

D’autres études ont également montré que la relation entre la diversité alimentaire et le risque de morbidité ou mortalité due aux maladies chroniques dont les MCV varie selon le contexte, le type et le nombre de groupes d’aliments inclus dans le score. Le score de diversité alimentaire (évaluée par la présence de produits laitiers, viandes, céréales, fruits et légumes), était inversement associée à la mortalité par MCV et aux autres causes de mortalité chez les hommes et les femmes (après ajustement pour l’âge et les autres facteurs de confusion) dans l’étude de cohorte prospective (14 ans de suivi moyen, n = 10337 sujets de 25-74 ans au début de l’étude) NHANES-I aux Etats-Unis [292]. A l’aide de mêmes données, ces auteurs ont également rapporté qu’il y avait proportionnellement moins de sujets ayant une alimentation très diversifiée dans le troisième tertile de l’IMC [293], montrant ainsi que les variations de l’IMC pouvaient être associées à la diversité de l’alimentation. Des résultats semblables ont aussi été rapportés par Pryer et al. [294]. En revanche, McCrory et al. [295] ont rapporté que la diversité alimentaire était positivement associée à l’apport en énergie dans chacun des 10 groupes alimentaires considérés (r = 0,27 à 0,56, P < 0.05). Cette étude a aussi montré que la consommation diversifiée avec des sucreries, grignotines, condiments, poisson frit, bœuf, porc, poulet, pizza, thon, hamburger, ragoût et aliments riches en glucides, était positivement associée avec le pourcentage de gras corporel (r = 0,38; P = 0,001, corrélation partielle après avoir ajusté pour l’âge et le sexe). Cependant, la consommation diversifiée en légumes était négativement associée au pourcentage de gras corporel (r = -0,31; P = 0.01, corrélation partielle ajusté pour l’âge, le sexe et la consommation d’aliments gras). Des résultats semblables ont aussi été rapporté par Gates et al. [296] dans une étude visant à cerner la différence éventuelle entre l’alimentation des obèses et des non obèses. Ces auteurs ont observé que la proportion des obèses était plus élevée chez les sujets qui avaient une consommation élevée en produits de forte densité énergétique (pâtes alimentaires, céréales, féculents, pain, desserts, etc.), mais pauvres en d’autres nutriments, comparativement à ceux qui consommaient plus d’aliments protecteurs ou riches en vitamines (lait, viandes, œufs, fromage, légumes, fruits et jus). Signalons toutefois que la direction de l’association

entre la diversité alimentaire et un indicateur de santé tel que l’IMC ou l’obésité peut varier selon le contexte, les aliments et les groupes inclus dans le score. C’est ce qui ressort de la revue de Togo et al [297] où sur 30 études, seulement 10 montraient une association positive constante entre la consommation d’aliments de forte densité énergétique (riches en gras et en sucre) et le surpoids/obésité, alors qu’on observait une association inverse dans quatre études; mais il n’y avait aucune association significative dans 11 études. La diversité alimentaire doit donc être utilisée avec discernement en tenant compte des divers aspects évoqués plus haut.

 Insécurité alimentaire

L’insécurité alimentaire est fortement reliée à la pauvreté; elle peut aussi être utilisée comme indicateur de la qualité de l’alimentation. C’est en fait que la qualité nutritionnelle de l’alimentation est une dimension de la sécurité alimentaire des ménages, l’autre étant la suffisance de nourriture en quantité [298]. L’insécurité alimentaire est évaluée à l’aide d’outils développés et validés dans divers environnements et qui prennent en compte l’inquiétude de manquer de nourriture (insécurité psychologique), la monotonie de l’alimentation (insécurité qualitative) et le manque de nourriture (insécurité quantitative) [299, 300].

La relation entre l’insécurité alimentaire et le risque de maladies chroniques est évaluée dans plusieurs études, la plupart ayant examiné sa relation avec l’obésité [222, 301, 302]. L’étude de Townsend et al. [301], dont l’objectif était de déterminer, chez des femmes américaines, la relation entre l’insécurité alimentaire et la surcharge pondérale, a montré que les femmes en insécurité alimentaire présentaient 30% plus de risque de surpoids comparativement à celles qui jouissaient de la sécurité alimentaire. Dans la même optique, Adams et al. [302] ont montré que l’obésité était plus fortement prévalente chez des femmes américaines en insécurité alimentaire (31,0%) comparativement à celles en sécurité alimentaire (16,2%). Toutefois, cette relation peut varier selon l’ethnie/race, la région géographique et la gravité de l’insécurité alimentaire. Dans l’étude de Adams et al. [302], l’insécurité alimentaire sans faim (donc modérée), était associée à un risque important d’obésité chez les femmes de race blanche [OR = 1,36; IC 95% (1,00-1,84)], mais le risque était légèrement plus important chez les afro-américaines, les asiatiques et les hispaniques [OR = 1,47; IC 95% (1,07-

1,94)]. En revanche, l’insécurité alimentaire avec faim était associée au risque d’obésité uniquement chez les femmes asiatiques, afro-américaines et hispaniques [OR = 2,81; IC 95% (1,84-4,28)], mais non chez les caucasiennes [OR = 0,82; IC 95% (0,57-1,55)]. La limite dans la variété alimentaire et le choix d’aliments énergétiquement denses, pauvres en fruits et légumes et en micronutriments, conjuguée à des facteurs socioculturels et économiques sont des explications proposées par les auteurs [302]. La revue sur l’obésité et la pauvreté de la PAHO a aussi mis en évidence cet aspect du choix d’aliments énergétiquement denses lié à la pauvreté comme facteur associé à l’obésité en Amérique Latine, tout en soulignant aussi le rôle d’autres facteurs très importants comme l’inactivité physique [222].

Dans le contexte actuel de transition nutritionnelle, l’insécurité alimentaire, dans sa dimension de monotonie de l’alimentation, peut contribuer à l’augmentation du risque de maladies chroniques. Nos travaux antérieurs en milieu urbain pauvre du Bénin ont par exemple montré que l’insécurité alimentaire qualitative était un prédicteur indépendant du cumul de la malnutrition infantile et du surpoids maternel dans des ménages urbains pauvres de Cotonou au Bénin [20]. Or, il est de plus en plus établi, d’après la théorie de Barker sur l’origine précoce des maladies chroniques [22, 118], que la malnutrition infantile, tout comme la malnutrition intra-utérine, augmente le risque de maladies chroniques à l’âge adulte. Ainsi, l’insécurité alimentaire, en étant associée à la malnutrition dans la petite enfance, augmente le risque de maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension [118], le syndrome métabolique [23] et les MCV [114]. La revue de Eckhardt [303] a d’ailleurs dans cette optique mis la lumière sur le risque de maladies chroniques lié aux carences en micronutriments dans les PED. Chez les enfants, les carences en micronutriments essentiels entraînent un retard de croissance qui peut traduire de multiples adaptations métaboliques s’exprimant à l’âge adulte, lesquelles augmenteraient le risque d’obésité et des co-morbidités. Chez les adultes, les carences en micronutriments pourraient favoriser le stress oxydant; la carence en folates par exemple, pourrait augmenter le risque de maladies coronariennes, alors que la carence en zinc exacerberait le risque de complications chez les diabétiques en affectant les mécanismes de transport du glucose [303].