• Aucun résultat trouvé

L’union d’intérêts

Conclusion du chapitre préliminaire

Section 1 : Le dépassement de l’hypertrophie de la notion de bonne foi 114 Le juge forge donc les comportements 334 À ce titre la bonne foi occupe

B. L’union d’intérêts

126. Le solidarisme contractuel présente une curieuse ambigüité. Si celui-ci met en avant la valeur de solidarité, et est critiqué pour son caractère exagérément « utopique ou angélique (…) ou sa méconnaissance de la nature réelle du contrat, notamment son caractère conflictuel »379, d’autres soutiennent que les solutions

rattachées à celui-ci n’ont aucun rapport avec l’altruisme, et se placent beaucoup plus du côté de l’utilité économique380.

Cette ambigüité s’explique par le deuxième fondement conceptuel du solidarisme contractuel : la notion de communauté ou d’union d’intérêt (1). Ce fondement peut aussi être dépassé grâce au concept de fraternité (2).

1. Union d’intérêts et contradiction avec la solidarité

127. Reprenons ce qu’affirme Demogue : le contrat « (…) est une petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument comme dans la société civile ou commerciale. Alors à l’opposition entre le droit du créancier et l’intérêt du débiteur tend à se substituer une certaine union »381.

Pour lui, le contrat fonde donc nécessairement une union d’intérêts. Cette notion est un des préceptes fondateurs du solidarisme contractuel382. Pour celle-ci, « le contrat repose sur une union, voire une fusion, des intérêts des contractants, qui explique que chacun doive prendre en compte ou respecter l’intérêt de l’autre »383.

Or, d’une part, l’union des intérêts est contredite par la réalité dans la plupart des contrats (a), de l’autre, cette union d’intérêt contredit la solidarité-altruisme (b).

a. Extension artificielle de l’intérêt commun à tous les contrats

379 M. Mignot, De la solidarité en général et du solidarisme contractuel en particulier ou le

solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarité ?, op. cit., spéc. p. 2158.

380 Dans ce sens, C. Jamin, Quelle nouvelle crise du contrat ? Quelques mots en guise d’introduction,

in La nouvelle crise du contrat, C. Jamin et D. Mazeaud (sous la dir. de), Dalloz, Paris, 2003, p. 7,

spéc. p. 19 : « pourquoi faire porter la suspicion du côté de l’intérêt commun tout en liant celui-ci à l’angélisme ? Les économistes, et quelques sociologues, ne nous ont-ils pas appris que la coopération

antagoniste était moins du côté du moralisme que de celui de la simple efficacité ? »

381 R. Demogue, Traité des obligations en général. Vol. 2, effets des obligations, op. cit., n° 3, p. 9. 382 M. Mignot, De la solidarité en général et du solidarisme contractuel en particulier ou le

solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarité ?, op. cit., spéc. p. 2154 : « Le principe

fondateur du solidarisme, posé initialement par René Demogue, (…) est celui de l’union des intérêts des contractants ».

128. Seuls certains contrats présentent objectivement une communauté d’intérêt, et soutenir par exemple que, dans tout contrat synallagmatique, les parties trouvent un intérêt commun au contrat puisque chacune souhaite en retirer une contrepartie, revient à vider la notion d’intérêt commun de son contenu384. En effet, et dans la plupart des contrats, même ceux établissant les bases d’une coopération, ou d’une « œuvre commune » qui dure dans le temps, les intérêts des parties ne sont point convergents385.

129. La distinction entre contrat-échange et contrat-organisation386 est utile à

cet égard, c’est pourquoi il paraît nécessaire de s’y arrêter rapidement ; « [le] premier type de contrat (le contrat-échange) établit entre les parties un jeu à somme nulle (…), et les intérêts des contractants y sont donc largement divergents (…). Le deuxième type de contrat (le contrat-organisation) (…) crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération (…) et leurs intérêts sont donc structurellement convergents »387.

384 Th. Hassler, L’intérêt commun, RTD com 1984, p. 581, spéc. p. 584 : « Toutefois, l’extension du

domaine de l’intérêt commun à tous les contrats ne doit pas se faire au détriment de l’efficacité du concept. Il faut cantonner celui-ci dans des limites rigoureuses. Tout d’abord, on ne saurait inférer de la stipulation d’une rémunération que tous les contrats onéreux sont des contrats d’intérêt commun. L’admettre diluerait par trop le concept ». Dans ce sens égal. V. J.-P. Chazal, obs. sous Cass. com. 7 oct. 1997, Bull. civ. IV, no 252, JCP G 1998, II, 10085 : « Ou bien, l'on privilégie une acception

extensive de l'intérêt commun. Dans cette hypothèse, on induit l'intérêt commun "dès l'instant que la réalisation de l'objet du contrat présente pour les deux parties un intérêt" (Ph. Le Tourneau et G. Virassamy, Concessions, J.-Cl. Contrats Distribution, Fasc. 531, n° 16, refondu, Fasc. 1010). Dès lors, tout contrat synallagmatique paraît être conclu dans l'intérêt commun des parties. Il suffit de rappeler que pour Saint Thomas d'Aquin "l'achat et la vente semblent avoir été institués dans l'intérêt commun des deux parties, chacune d'elles ayant besoin de ce que l'autre possède" (Somme

théologique, II, Quest. 77, art. 1er) ».

385 V. G. Roujou de Boubée, Essai sur l’acte juridique collectif, LGDJ, Paris, 1961, pp. 11 s. : les

contrats opèrent « un compromis entre des intérêts antagonistes ou tout au moins différents ». Sur le contrat d’édition par exemple, et pour lui refuser la qualification de contrat de société pour défaut d’intérêt commun, V. Y. Guyon, Droit des affaires, t. 1, Droit commercial général et sociétés, Économica, Paris, 12e éd., 2003, no 126, p. 135 : « dans le contrat d’édition on trouve les principaux

éléments objectifs d’une société : l’auteur apporte son manuscrit, l’éditeur son argent et son savoir- faire. L’un et l’autre se répartissent le prix de vente de l’ouvrage. Ils souhaitent tous deux son succès. Pourtant leurs intérêts ne sont pas toujours absolument parallèles. L’auteur peut préférer l’estime des spécialistes alors que l’éditeur recherche davantage le succès commercial, quitte parfois à ce que la qualité de l’ouvrage s’en ressente. Il n’y a donc pas, en principe, société, faute d’affectio societatis ».

386 V. sur cette distinction entre autres P. Didier, Le consentement sans l’échange : contrat de société,

RJ com. 1995, n° spécial, L’échange des consentements, p. 75 ; Brèves notes sur le contrat-

organisation, in Mélanges François Terré, PUF Dalloz Éd. du Juris-Classeur, Paris, 1999, p. 636 ; M.

Mignot, De la solidarité en général et du solidarisme contractuel en particulier ou le solidarisme

contractuel a-t-il un rapport avec la solidarité ?, op. cit., spéc. p. 2172, n° 30 et s. ; Y. Lequette, Bilan des solidarismes contractuels, in Mélanges Paul Didier, Économica, 2008, p. 247, spéc. p. 260.

Dans les contrats-échange la divergence des intérêts est extrême, l’effort commun, dans un même sens, est difficilement concevable. La plupart du temps, dans les contrats synallagmatiques, chaque partie recherche son intérêt personnel avec un fort degré d’égoïsme tentant de maximiser ce qu’elle gagne, tout en essayant de réduire au minimum ce qu’elle fournit.

Dans les contrats-organisation, la communauté des intérêts apparaît plus clairement ; il « prend sa source dans un concours de consentements poursuivant un objectif commun »388. Il y a soit une mise en commun de moyens pour réduire les

pertes de chaque partie en augmentant leur profit respectif, c’est la « mise en commun

d’actifs spécifiques et complémentaires »389 qui imbrique les parties dans une

situation de dépendance l’une vis-à-vis de l’autre en appelant une coopération entre elles ; soit une mise en commun pour la recherche d’un intérêt supérieur commun, soit effectivement recherche du même objectif. L’intérêt des deux parties est dans ce dernier cas le même.

Certains ont pu proposer des catégories intermédiaires de contrats, tels le contrat-coopération390, le contrat-partage391, ou le contrat-alliance392. Ces déclinaisons

différentes cachent des réalités qui se rapprochent, traduisant l’idée des contrats d’intérêt commun393. Par exemple, le contrat-coopération, figure contractuelle

intermédiaire entre le contrat-permutation « situation d’antagonisme radical »394 et le contrat-concentration qui « établit entre les parties une confusion des intérêts, qui se trouvent en conséquence coalisés : l'altérité des parties disparaît derrière la personnification de la volonté d'ensemble »395, opère « une mise en relation d'actifs

388 P. Didier, Le consentement sans l’échange : contrat de société, op. cit. 389 M. Mignot, op. cit., p. 2174.

390 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, Dalloz, Paris, 11e éd., 2013, no 78,

spéc. p. 104 ; S. Lequette, Le contrat-coopération. Contribution à la théorie générale du contrat, Économica, 2012 ; M. Latina, Rép. civ. Dalloz, Vo Contrat, no 233 ; F. Descorps-Declère, Pour une

obligation d'adaptation des contrats de coopération. Contribution à l'étude du contrat évolutif, thèse,

Paris I, 2000 ; Y. Picod, Un nouveau contrat nommé : le contrat de coopération commerciale, in Mélanges Philippe Le Tourneau, Dalloz, 2007, p. 805.

391 F. Chénedé, Les conditions d'exercice des prérogatives contractuelles, RDC 2011, pp. 709 s. 392 J.-F. Hamelin, Le contrat-alliance, Économica, Paris, 2012 ; A. Sériaux, Le droit. Une

introduction, Éllipses, Paris, 2007, p. 110, no 125.

393 Sur le rapprochement entre ces notions, V. M. Latina, Rép. civ. Dalloz, Vo Contrat, nos 233-234.

Sur le fait que c’est le contrat d’intérêt commun qui est ainsi mis en avant, V. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, op. cit., no 78, spec. p. 104.

394 R. Libchaber, Suzanne Lequette, Le contrat-coopération. Contribution à la théorie générale du

contrat, RTD civ. 2012, p. 588.

complémentaires dans le cadre d'un projet commun mettant ainsi en scène des intérêts économiques convergents mais différents »396.

130. Raisonnons sur l’exemple du contrat de concession commerciale qui pose une difficulté de qualification397.

Certains estiment que l’effort entrepris pour la constitution d’une clientèle commune suffit à qualifier l’intérêt commun398, puisqu’il y aurait convergence

d’intérêts. Contrairement à cette opinion certains399 soutiennent que « le concept

contractuel que postule la concession commerciale, met en rapport deux personnes dont les volontés se rencontrent, mues par des intérêts non point communs, mais divergents. Chez l’une, c’est fabriquer pour vendre, chez l’autre, c’est acheter pour revendre (…). Dans le contrat, il n’y a donc pas véritablement des intérêts communs,

396 S. Lequette, Le contrat-coopération. Contribution à la théorie générale du contrat, op. cit., spéc.

no 180.

397 Sur la notion d’intérêt commun dans les contrats de distribution, V. L. Amiel-Cosme, Les réseaux

de distribution, LGDJ, Paris, 1995, nos 123 s, pp. 112 s.

398 En ce sens Th. Hassler, L’intérêt commun, op. cit., spéc. p. 588 : « Dans le contrat de concession

comme dans un mandat d’intérêt commun la clientèle est le creuset d’une communauté d’intérêts ». V. égal. J. Guyénot, note sous CA Amiens 29 nov. 73, Gaz Pal. 1974, p. 192, spéc. no 3 : « la Cour

d’appel d’Amiens renoue incontestablement avec une conception déjà exprimée par le doyen Ripert estimant, à propos de contrats d’intermédiaires du commerce que l’on est en présence de conventions particulières dont l’objet est une collaboration économique en vue de la constitution en commun d’une clientèle (Ripert, chr. D. H 1938-3). En ce sens, le contrat de concession commerciale est un contrat d’intérêt commun » ; et Concessions. Distribution, circuits et réseaux de distribution.

Inventaire des diverses concessions. Fondement et protection des réseaux de distribution, J.-Cl. Com.

Contrats-Distribution, fasc.1010, par Ph. Le Tourneau, no 104 : « l’objectif commun est le

développement de la clientèle, qui sera bénéfique tant pour le concédant que pour le concessionnaire (…). L’intérêt commun procède de la collaboration des deux parties à la réalisation d’une œuvre commune, au sein de laquelle leur intérêt particulier, tout en subsistant, convergent étroitement ».

399 V. D. Plantamp, L’intérêt commun dans les contrats de distribution, ALD 1990, p. 177, spéc. p.

178, no 8 : « dans la pratique de la concession ou de la franchise, l’intérêt commun entre concédant et

concessionnaire, entre franchiseur et franchisé, est illusoire. Seuls existent sur le terrain des intérêts divergents de part et d’autre. L’illusion provient de la complexité de ce type de relation bâtie sur un enchevêtrement de rapports obligatoires qui crée l’apparence d’une communauté d’intérêts » ; T. Buhagiar, Doit-on créer un statut légal des concessionnaires de vente exclusive ?, JCP 1975, C.I., 11636, no 2 ; J.-M. Leloup, Le partage du marché par les réseaux de vente et les réseaux de

distribution, in Dix ans de droit de l’entreprise, Litec, Paris, 1978, p. 940 (Ces références sont tirées

de L. Amiel-Cosme, Les réseaux de distribution, op. cit., no 128, pp. 113-114). V. égal. « Affectio

societatis », J.-Cl. Soc., fasc. 20-10, par Y. Guyon, actualisé par A. Mairot, no 33 ; J.-P. Chazal, obs.

sous Cass. com. 7 oct. 1997, Bull. civ. IV, no 252, préc.: « Les contractants n'ont que rarement des

intérêts purement communs. Leurs intérêts sont parfois contradictoires et le plus souvent égoïstes, même si cet égoïsme est tempéré par la nécessité de collaborer pour atteindre un objectif. Il est naïf de ne voir dans les contrats de distribution qu'une coopération ou qu'un intérêt supérieur du réseau. Mieux vaut parler de "coopération antagoniste" (J. Carbonnier, Les Obligations, PUF, n° 113). Les contrats de distribution révèlent à l'évidence un lien de domination économique, plus qu'une volonté de collaboration sur un pied d'égalité ». Notons qu’en plus, pour ce dernier auteur, l’application de cette notion est inopportune dans les contrats de concession puisqu’elle introduirait une rigidité dans la gestion du réseau, puisqu’à chaque rupture, le concédant devra motiver sa décision, ou sinon, payer des dommages-intérêts.

mais plutôt un enchevêtrement de rapports obligataires, partant de deux points opposés pour se croiser et aboutir aux deux pôles de l’opération »400.

Ainsi, d’une part, les intérêts peuvent réellement présenter un certain caractère

commun ou une union, avec une intensité pouvant varier de degrés. Ceux-ci peuvent

être convergents, ou identiques.

D’autre part, les intérêts peuvent être fort différents et divergents et alors l’« on perçoit mal où est, dans cette conception, le but commun, le principe d’union existant entre les contractants, chacune des parties poursuivant la réalisation d’un objectif et la satisfaction d’un intérêt qui lui sont propres »401.

131. Ceci nous permet de soutenir avec M. Hassler, qu’« [on] ne peut donc pas approuver les tentations doctrinales visant à diffuser l’intérêt commun dans des conventions où les parties ont des intérêts divergents. L’intérêt ne peut véritablement être commun que si le créancier du prix trouve un intérêt personnel à l’obligation dont il est le débiteur »402.

Ceci nous mène de manière corrélative à repousser la tentative de fonder les dynamiques de collaboration, de coopération et de prise en compte de l’intérêt du cocontractant, sur la généralisation de l’affectio societatis et du modèle de contrat de société à tous les contrats, en la transposant par la notion d’« affectio contractus ». Celles-ci ne peuvent être rattachées à un argument de technique contractuelle, l’intérêt commun, et un autre fondement doit en être recherché.

400 J. Guyénot, note sous CA Amiens 29 nov. 1973, Gaz Pal. 1974, p. 192, spéc. no 3. Contra R.

Rodière et C. Champaud, À propos des pompistes de marques : les contrats de distribution intégrée et

la marge commerciale du distributeur, JCP 1966, I, 1988, no 5. V. égal. A. Constantin, note sous

Cass. com. 7 oct. 1997, Bull. civ. IV, no 252, LPA 16 sept. 1998, p. 17, spéc. nos 13,17 et 18 : « la

notion de clientèle commune, telle qu'elle justifie l'application du régime du mandat d'intérêt commun, ne se rencontre pas dans le contrat de concession (…). À la différence du mandataire d'intérêt commun, le concessionnaire exploite en effet une clientèle propre, dans son intérêt personnel direct (…) Le concessionnaire est, en principe, un commerçant indépendant qui agit en son nom et pour son propre compte en achetant personnellement des marchandises en vue de les revendre à sa propre clientèle, en assumant de la sorte personnellement le risque économique de ces opérations » ; et eod. loc. no 21 : « Chacun déploie ses efforts en direction de la clientèle afin de satisfaire son

intérêt personnel. Mais, ce faisant, l'intérêt de l'autre contractant se trouve également réalisé, par voie de conséquence. Tout le système économique et juridique de la concession repose fondamentalement sur ce mécanisme (…). Elle ne méconnaît nullement le fait, évident, que les parties à un tel contrat peuvent avoir et ont fréquemment, des intérêts divergents. Elle repose en revanche sur l'idée qu'en contractant, ces parties ont entendu lier étroitement leurs intérêts particuliers, en subordonnant la satisfaction de ces derniers à la réalisation du but commun, laquelle suppose nécessairement une collaboration entre elles ».

401 Y. Lequette, Bilan des solidarismes contractuels, op. cit., spéc. p. 258. 402 Th. Hassler, L’intérêt commun, op. cit, spéc. p. 584.

Nous verrons que ces deux configurations, de convergences ou de divergences des intérêts, vont nous aider à démontrer que, dans tous les cas, le raisonnement en termes d’union d’intérêt exclut la solidarité-altruisme.

b. Contradiction entre solidarisme et solidarité-altruisme

132. Le solidarisme est donc « [entendu] comme l'union des cocontractants en vue d'atteindre un but commun, le solidarisme contractuel implique un certain altruisme de l'un, qui doit prendre en considération, voire en charge, les intérêts de l'autre, lui consentant au besoin quelques sacrifices »403. Cette opinion nous aide à révéler que le solidarisme contractuel opère une forme de « mélange de mobiles »404 entre d’une part, l’utilitarisme invitant à réaliser un avantage plus grand ou plus important que son seul intérêt propre, au moyen d’une « union en vue d’atteindre un but commun », et d’autre part, la logique du dépassement de l’intérêt propre s’apparentant plus à l’altruisme ou au sacrifice.

Travailler pour un intérêt commun405, ou coopérer dans une œuvre

commune406, ou même fusionner les intérêts en jeu407, sont des processus s’éloignant

de la solidarité, entendue comme dynamique altruiste. Dans toutes ces situations, l’attention n’est pas portée à l’intérêt d’autrui mais à son propre intérêt, ou du moins à une certaine combinaison de l’intérêt personnel avec celui d’autrui, donc elles s’allient beaucoup plus avec la logique utilitariste408. Or « [l]’utilité du contrat se

confond avec la satisfaction égoïste de l’intérêt de chaque partie et suppose un calcul permanent maximisateur de cet intérêt »409. Ainsi l’union d’intérêts, fondement du

solidarisme, fait dériver ce dernier de l’égoïsme et exclut la solidarité dans le sens d’altruisme.

403 J. Cedras, Liberté, égalité, contrat. Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de

cassation, Rapport 2003, p. 215.

404 C. Bouglé, Notes sur les origines chrétiennes du solidarisme, Revue de métaphysique et de

morale, p. 251, spéc. p. 261.

405 Sur ce point, J.-L. Baudoin, op. cit., p. 15 : « La solidarité exige comme condition sine qua non

une communauté d’intérêts (…) Sont donc solidaires les personnes liées entre elles par la poursuite d’un but commun, qui partagent une vision identique de la réalité et poursuivent à travers un mouvement concerté un objectif commun ».

406 Sur ce point, C. Bouglé, op. cit., p. 261 : « La coopération proprement dite nous transporte à un

niveau encore plus élevé lorsque les coopérateurs consacrent tout ou partie des bonis à quelque œuvre commune ».

407 Sur ce point, Mensuel La solidarité, 1849 : « La solidarité n’est autre chose qu’un rapport qui

rattache et confond les intérêts », cité in G. Antoine, Liberté, Egalité, Fraternité ou les fluctuations

d’une devise, Unesco, Paris 1981, p. 154 ; C. Bouglé, op. cit., p. 262.

408 V. supra nos 79 s.

409 M. Mignot, De la solidarité en général et du solidarisme contractuel en particulier ou le

133. Précisons un peu plus la relation entre la prise en compte de l’intérêt du cocontractant et cette notion d’union ou de communauté d’intérêts en se servant de la distinction entre intérêts convergents et divergents.

Si les intérêts sont convergents ou identiques, et l’objectif véritablement commun (comme dans les contrats-organisation), alors, dans ce cas, « plus les intérêts des parties sont unis, plus chacune a intérêt à prendre en compte l’intérêt de l’autre,

dans son propre intérêt, pour que l’autre en fasse de même, parce que l’intérêt

d’autrui est son propre intérêt »410. La collaboration dans ce cas découle de la nature

du contrat, de l’identité des intérêts et alors l’altruisme est exclu, chacun travaillant en fin de compte pour la réalisation de son propre intérêt.

Si les intérêts sont divergents, le solidarisme contractuel les considère au moins comme imbriqués ou interdépendants411. L’égoïsme dans la recherche de son

intérêt propre engendre le besoin d’autrui « chaque contractant étant intéressé par la différence de l’autre et cherchant à obtenir de lui ce qu’il n’a pas »412. Dans ce cas, la

prise en compte ou « le respect par le contractant de l’intérêt de l’autre contractant est le moyen pour lui d’obtenir la satisfaction de son intérêt propre (…) Ce n’est donc pas l’altruisme qui pousse une partie à satisfaire au mieux les intérêts de l’autre partie, mais son égoïsme bien compris, satisfait en retour par l’exécution utile de ses propres obligations par l’autre partie »413. C’est l’égoïsme qui est encouragé ici : la

prise en compte de l’intérêt d’autrui est un moyen de renforcer la réalisation de

Outline

Documents relatifs