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Fraternité, affectio societatis, et intérêt commun

Conclusion du chapitre

Section 1 : Relation et altérité au sein du concept de fraternité

A. Fraternité, affectio societatis, et intérêt commun

75. La doctrine classique établit un lien entre l’esprit de fraternité et l’affectio

societatis, lui-même relié à l’intérêt commun.

76. MM. Ripert et Roblot soutiennent en effet que l’affectio societatis caractéristique du contrat de société, impose aux associés de « se présenter au contrat non comme des adversaires discutant leurs intérêts, mais comme des collaborateurs, animés d’un esprit de fraternité. On trouve dans un texte romain, et d’ailleurs dans un seul, l’expression de jus fraternitatis (Dig., 17, 2, fr. 63, princ.), sans doute par

213 M. Borgetto relève fort justement qu’au-delà du concept de solidarité, c’est la fraternité,

comportant cette « dimension d’amour indispensable à l’acceptation de l’Autre » (La notion de

fraternité en droit public français…, op. cit., p. 594) que ne connaît pas la solidarité, qui est invoquée

le plus couramment pour « condamner (…) plus particulièrement certaines attitudes de rejet et d’intolérance envers l’Autre », ou que le dernier terme du triptyque révolutionnaire est doté d’une « aptitude toute particulière (…) à lutter contre certaines formes d’intolérance et d’exclusion sociales » (Ibid., p. 637).

214 D. Rakotondrabao, Rapport de synthèse. Le principe de fraternité dans les Constitutions

(Définition de la Cour constitutionnelle de Moldavie), op. cit., spéc. p. 660. « Inclusion (…),

coopération (…), empathie » (eod. loc.(Définition de la Cour suprême du Canada), spéc. p. 663) sont donc au cœur du concept de fraternité, dans son versant relationnel.

souvenir de l’ancien consortium entre frères (Monier, Droit romain, 3e éd., II, no 136) »215.

77. À leur tour, les notions d’affectio societatis et de jus fraternitatis216, sont

reliées à celle d’intérêt commun.

En effet cet « esprit de fraternité » devant régner entre associés, est présenté comme un esprit de collaboration217, une volonté de travailler en commun.

Cependant, et dans un deuxième temps, pour mieux cerner ces concepts, le passage est opéré par les notions d’intérêt commun ou d’objectif commun.

Le contrat de société, ainsi que les contrats-organisation « ne traduisent pas seulement une certaine communion entre parties – l’affectio societatis, où l’on peut voir une forme première de bonne foi contractuelle –, mais visent aussi à permettre une mise en œuvre concrète, progressive, des objectifs contractuels (…) Grâce à la notion d’intérêt commun, la jurisprudence a progressivement élaboré une situation contractuelle spécifique, fondée sur la réduction de l’antagonisme entre les parties et la nécessité d’une coopération asservie à la poursuite d’un projet commun »218.

C’est donc dans un deuxième temps le concept d’intérêt commun219 qui est

présenté comme rattaché à celui de fraternité. Relevons par exemple l’affirmation de M. Guyon : « [dès] ses plus lointaines origines, c’est à dire en droit romain, le contrat consensuel de société a fait une large place à l’intérêt commun, c’est-à-dire à une notion voisine de la fraternité (…) On parle encore aujourd’hui de ‘‘jus fraternitatis’’ pour désigner la communauté d’intérêt qui doit toujours et dans tous les cas unir les associés »220.

215 G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, t. 1, vol. 2, Les sociétés commerciales, par M.

Germain, LGDJ, Paris, 19e éd., 2009, no 1056-34, p. 25. V. égal. G. Cornu, Du sentiment en droit

civil, in L'art du droit en quête de sagesse, PUF, 1998, p. 71, spéc. pp. 73-74 : « Sans doute pourrait-

on retenir concrètement, dans l’affectio societatis, une intention de se traiter comme des égaux, ou marquer l’esprit de fraternité qui, dans ce jus fraternitatis, doit régner entre associés ».

216 Définie comme « Expression latine signifiant littéralement droit de fraternité, encore employée

pour caractériser certaines relations, principalement les rapports entre associés, comme lien de fraternité, et faire naître l’idée d’une union fraternelle d’intérêts » (G. Cornu (sous la dir. de),

Vocabulaire juridique, 10e éd, PUF/Quadrige, 2014, Vo Jus fraternitatis).

217 Y. Guyon, Droit des affaires, t. 1, Droit commercial général et sociétés, Économica, Paris, 12e éd.,

2003, no 124, pp. 130-132 : « La théorie classique voyait dans l’‘‘affectio societatis’’ une

collaboration volontaire et active, intéressée et égalitaire ».

218 R. Libchaber, Réflexions sur les effets du contrat, in Mélanges Jean-Luc Aubert, Dalloz, 2005, p.

21, spéc. no 21 p. 229.

219 Th. Hassler, L’intérêt commun, RTD com. 1984, p. 581 s.

220 Y. Guyon, La fraternité dans le droit des sociétés, Rev. sociétés 1989, no 1, p. 439, spéc. no 4, p.

Remarquons que c’est aussi la communauté d’intérêt qui est au cœur de la notion de solidarisme contractuel, mais nous y reviendrons221.

L’intérêt commun est une notion centrale en droit. Elle est en lien étroit avec le domaine des intérêts particuliers et privés, mais sa définition demeure difficile à préciser, tellement a-t-elle pu être rapprochée ou confondue avec des notions voisines, telles que l’intérêt général, l’utilité commune222 ou le bien commun223. Elle participe d’une logique refusant la conception exclusivement égoïste de l’intérêt particulier que ce soit sur le plan social224, ou sur le plan économique225.

L’essentiel demeure que « le caractère commun de l’intérêt repose soit sur une complémentarité, soit sur une identité, soit enfin sur une certaine convergence des intérêts particuliers »226. M. Hassler précise cependant que l’intérêt commun n’existe

que lorsqu’il y a au moins convergence des intérêts ; « l’intérêt commun apparaît dès lors qu’il existe une convergence d’intérêts entre les parties, Le terme commun ne signifie pas que les intérêts des deux parties sont semblables ou qu’ils se confondent jusqu’à ne faire plus qu’un ; en réalité, chacun poursuit son intérêt propre, mais il se

commerciales, op. cit., no 1056-35, p. 26 : « En vérité, la recherche d’un intérêt commun confère à

l’acte de société une originalité incontestable. Inspirée des travaux de Duguit et Hauriou, la doctrine civiliste moderne analyse volontiers l’engagement des associés comme un acte collectif, qui s’oppose à l’accord d’intérêts antagonistes tel qu’il se rencontre dans le contrat synallagmatique. La société repose sur un concours de déclarations dont l’interdépendance résulte en règle générale, non pas de ce qu’il fait naître des obligations réciproques dont chacune trouve sa cause dans l’existence des autres, mais de ce que les volontés en concours poursuivent une fin commune ».

221 Nous reviendrons plus particulièrement sur la distinction entre les fondements de fraternité et celui

de solidarisme contractuel dans le titre 2. La distinction s’établit particulièrement grâce à ce critère de l’altérité des intérêts. V. infra no 127 s.

222 M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en

droit privé, LGDJ, Paris, 2004, no 43, p. 39.

223 M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en

droit privé, op. cit., no 44, pp. 39-40.

224 V. sur ce point E. Durkheim, Œuvres et lettres, Gallimard, 1953, p. 1206 : « Il faut toujours

préférer les intérêts du tout dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier », et M. Mekki,

L'intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé,

LGDJ, Paris, 2004, no 73, p. 63 : « L’homme est un animal social. L’homme ne se conçoit

juridiquement qu’au sein d’une société organisée qui lui préexiste ».

225 V. sur ce point M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie

des intérêts en droit privé, op. cit., no 70, p. 58-59 : « Sur le plan économique, ensuite, le rejet du

caractère purement égoïste de l’intérêt particulier préfigure déjà dans la pensée d’A. Smith qui développe sa théorie de la sympathie (…) L’agent économique est motivé par la sympathie d’autrui. Son comportement se fait donc dans un rapport intersubjectif et jamais dans un rapport purement égoïste. Une idée similaire se dégage de l’utilitarisme social de J. S. Mill ».

226 M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en

trouve que celui-ci coïncide avec l’intérêt de l’autre partie : l’intérêt commun c’est la

rencontre heureuse de deux égoïsmes »227.

L’intérêt commun, convergence des intérêts, a pour fonction « de tempérer les intérêts individuels exclusifs au profit des intérêts des autres consorts. (…) [L]’intérêt commun implique le sacrifice des intérêts individuels lorsque ceux-ci divergent de la communauté d’intérêts »228. C’est à ce titre qu’il y aurait ainsi, de prime abord, un rapprochement nécessaire à établir avec le concept de fraternité impliquant aussi la limitation des intérêts propres.

78. Le concept de fraternité correspondrait-il ainsi aux concepts d’affectio

societatis, et de jus fraternitatis ? La notion de fraternité serait-elle ainsi

consubstantiellement liée, au sein du contrat, à celle d’intérêt commun, l’existence de l’une passant nécessairement par celle de l’autre ? Une tentative contemporaine a d’ailleurs été, pour fonder l’exigence de coopération dans tous les contrats, de généraliser la notion d’affectio societatis et donc, du modèle de contrat de société à tous les contrats, en la transposant par la notion d’« affectio contractus »229.

Cette extension de l’intérêt commun à tous les contrats paraît critiquable à plusieurs égards, mais nous y reviendrons230. Il est surtout nécessaire de distinguer les

logiques de l’intérêt commun et de fraternité.

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