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La fin du 19 e siècle verra, dans la mouvance de critique de l’autonomie de

Chapitre 1 : Approche négative : particularité du concept de fraternité

54. La fin du 19 e siècle verra, dans la mouvance de critique de l’autonomie de

volonté, l’élaboration d’une nouvelle théorie sociale politique et juridique ayant pour clef de voûte le concept de solidarité, et pour objectif de fonder l’entité sociale161.

Voulant rompre avec toute connotation religieuse ou morale, les solidaristes revendiqueront « dès l’abord, pour leur système moral, un caractère strictement scientifique »162. Pour apporter une solution au rapport entre l’individu et la société,

158 G. Antoine, Liberté, Égalité, Fraternité ou les fluctuations d’une devise, Unesco, Paris 1981, p.

151. Durkheim insiste : « L’étude de la solidarité relève donc de la sociologie. C’est un fait social que l’on ne peut bien connaître que par l’intermédiaire de ses effets sociaux » (É. Durkheim, De la

division du travail social, Quadrige/PUF, Paris, 7e éd., 2007, p. 31).

159 V. sur ce point J. Chevallier et D. Cochart-Coste, Présentation, in J. Chevalier, C. Haroche, D.

Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment républicain ?, PUF, Paris, 1992, p. 5, spéc. p. 6. : « Dès l’origine (…) deux conceptions de la solidarité apparaissent. La première, illustrée par A. Compte, est de type organiciste (…) ; la solidarité est ainsi conçue comme l’expression d’une interdépendance objective résultant de l’appartenance du même organisme. La seconde, illustrée par P. Leroux (…) est au contraire de type humaniste : (…) la solidarité (…) est avant tout de type relationnel ; elle permet de concilier le sentiment d’appartenance à la collectivité et l’exigence d’épanouissement de l’individu ».

160 « 2. Rapport de dépendance réciproque existant (…) en particulier entre les membres d’un même

groupe social. (…) 4. Devoir de solidarité, ou simplement solidarité, devoir moral fondé sur l’interdépendance des membres d’un groupe social. », Grand Larousse de la langue française, cité in G. Antoine, Liberté, Egalité, Fraternité ou les fluctuations d’une devise, Unesco, Paris 1981, p. 149.

161 Certes, l’idée que les hommes forment les membres d’une même entité n’était pas nouvelle et

remontait à l’Antiquité, et avait été développée ensuite par les penseurs chrétiens (V. ce qu’écrit Saint Paul : « Nous sommes tous membres d’un seul corps … De même que c’est par la chute d’un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, de même c’est par la justice d’un seul que tous les hommes reçoivent leur justification. De même que tous meurent en Adam, tous revivent en Christ. », cité in C. Bouglé, Notes sur les origines chrétiennes du solidarisme, Revue de métaphysique et de morale, p. 251, spéc. p. 254), mais elle sera reprise avec vigueur et approfondie dès le 18e, mais surtout avec le début du 19e, par les penseurs et philosophes (M. Borgetto, La notion

de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, op, cit., p. 351).

162 C. Bouglé, Notes sur les origines chrétiennes du solidarisme, op. cit., spéc. p. 256. Leur entreprise

était celle de « donner une assise sûre et incontestable au devoir de solidarité (…) censé reposer désormais ‘‘non plus sur la charité et l’amour, comme un sentiment subjectif et libre, mais sur une

idée, un principe scientifique et rationnel, propre à justifier l’intervention de la force publique’’ (Boutroux, intervention in Séances et Travaux de l’A.S.M.P., 1903, T. 60, p. 399) » (M.

ils adoptent la même méthode que toutes les autres sciences, en partant de l’observation des faits, et pour eux « l’élément premier (…) n’était autre, finalement, que le fait naturel de l’interdépendance et de solidarité sociale »163. Les récentes découvertes biologiques de l’interdépendance des organes ainsi que l’application de ce parallèle avec la société aboutissent à ce constat premier de l’interdépendance des membres de la société.

Nombreux furent les précurseurs de la doctrine164, mais c’est avec Léon

Bourgeois et son ouvrage Solidarité165, que sera portée le plus loin la théorisation de

l’idée de solidarité, dans la doctrine dite du solidarisme qui, du constat premier de l’interdépendance des individus en société, dégagera l’existence d’une dette à l’égard de chacun envers la société et, en faisant appel à la notion de Justice, une obligation de s’en acquitter. Ainsi, « l’homme ne pouvant vivre sans la société, dit Bourgeois, il est débiteur envers elle. Il y a dette de l’homme envers ses semblables »166.

Le principal avantage du solidarisme, aux yeux des tenants de cette théorie, est son caractère purement scientifique. C’est cette qualité majeure qui leur ferait préférer la solidarité à la fraternité. Mais ce caractère scientifique est à remettre en question.

Le point de départ du solidarisme est donc la loi de l’interdépendance : l’homme est un être social et « [son] état naturel n'est pas la liberté, c'est l'interdépendance et la solidarité sociale : il bénéficie des avantages d'une société préconstituée, il a envers ses membres une dette de solidarité »167.

163 M. Borgetto, op. cit., p. 364.

164 Au nombre desquels Auguste Comte, Charles Secrétan, Charles Renouvier ou Alfred Fouillée. La

solidarité sera, de plus en plus, présentée comme une donnée scientifique, censée « correspondre à un fait d’observation » (M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français…, op. cit., p. 607, et les notes 2 et 3, p. 395), dégagée du constat dans la Nature de l’interdépendance des membres de la société humaine, par application de la méthode positiviste en sociologie, initiée par Auguste Comte (M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français…, op. cit., p. 353.), et par la tendance accrue à transposer dans la pensée politique et sociale les données biologiques et chimiques issues des découvertes récentes réalisées dans le domaine scientifique. V. sur l’évolution et les différentes inspirations de la théorisation de l’idée de solidarité M. Borgetto, La notion de fraternité en droit

public français…, op. cit., p. 356 et s. ; C. Bouglé, Notes sur les origines chrétiennes du solidarisme, op. cit., p. 251, spéc. p. 254 ; et D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment politique ?, in J.

Chevalier, C. Haroche, D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment républicain ?, PUF, Paris, 1992, p. 100.

165 L. Bourgeois, Solidarité, Armand Colin, Paris, 1896, rééd. en 1998 aux Presses universitaires du

Septentrion.

166 D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment politique ?, op. cit.

167 J. Cedras, Liberté, égalité, contrat, le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de

55. À supposer que l’interdépendance soit réellement un fait premier

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