• Aucun résultat trouvé

Définition de l’altruisme autour de la notion d’intérêt

Conclusion du chapitre

Section 1 : Relation et altérité au sein du concept de fraternité

B. Définition de l’altruisme autour de la notion d’intérêt

89. Rechercher l’altruisme au sein du contrat amène un refus catégorique de certains, le contrat étant principalement un outil au service de l’intérêt privé. L’altruisme est perçu par un vaste courant comme une notion floue et imprécise, qui n’aurait même aucune emprise sur la réalité, en particularité sur la réalité juridique. L’imprécision de la notion est donc un obstacle. Est-ce seulement un vague sentiment de moralité, de philanthropie, de bienfaisance ?

90. L’altruisme est une notion consubstantielle à toute société267, et selon « sa

définition la plus courante, l'altruisme est ce comportement, teinté de dévotion, qui

263 Il y aurait d’ailleurs des degrés d’altruisme, « ordinaire », « tempéré », ou « sublimé ». V. sur ce

point Ph. Le Tourneau, Rép. civ. Dalloz, Vo Gestion d’affaires, spéc. nos 12 s., 16 s., et 18 s.

264 Sur la finalité quelque peu équivoque de l’intention libérale, V. H. Bartleby, Libérales

intentions…, Defrénois 2011, art. 40141, p. 1077.

265 V. sur ce point M. Grimaldi, Le mobile est indifférent à l'existence de l'intention libérale, RTD civ.

2011, p. 162 : « Suivant une thèse dite objective, l'intention libérale suppose simplement la conscience et la volonté de s'appauvrir (ou, pour le legs, d'appauvrir ses héritiers) : on ne va pas plus loin, on ne s'interroge par sur les raisons de ce sacrifice voulu. Suivant la thèse dite subjective, l'intention libérale suppose que le sacrifice soit en outre désintéressé, c'est-à-dire consenti par pur altruisme : on recherche donc les mobiles du disposant et l'on exclut toute intention libérale de sa part si l'on découvre qu'il a poursuivi un intérêt matériel ou même purement moral ».

266 V. Cass civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-17.919, Bull. civ. I, n° 200 ; D. 2009, p. 2490 ; AJ famille

2009, p. 460, obs. F. Bicheron.

267 Selon Durkheim, il « n'est pas destiné à devenir ... une sorte d'ornement agréable à notre vie

pousse à agir pour le bien d'autrui en suivant une démarche désintéressée »268. Il est parfois réduit à un sentiment, rendant inopérant le concept en droit, ce dernier ne se souciant guère de la motivation derrière les actes juridiques269, restant à l’écart du for intérieur. Tout au plus, serait-il « conçu comme une source, sinon d'exonération, du moins d'allégement de la responsabilité »270.

Sans qu’il ne soit lieu de retracer le cheminement de ces idées d’altruisme et d’égoïsme dans l’histoire de la pensée, évoquons simplement le tiraillement de l’homme entre ces deux dynamiques opposées, relevé par certains auteurs tels Rousseau271, ou Smith272.

91. L’acte égoïste, traditionnellement visé comme le moteur du contrat, est celui « visant l’intérêt de celui qui l’accomplit »273. Il est « attachement excessif porté

à soi-même et à ce que l’on fait à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres »274. À

l’opposé, l’altruisme avec sa racine latine « alter » qui veut dire « autre », est défini nous en passer ? Les hommes ne peuvent vivre ensemble sans s'entendre et, par conséquent, sans se faire des sacrifices mutuels, sans se lier aux autres de manière forte et durable. Toute société est une société morale » (De la division du travail social, Quadrige/PUF, Paris, 7e éd., 2007, p. 207).

268 C. Bénos, L'altruisme dans le contrat de prêt à usage, op. cit.

269 V. sur ce point par ex., G. Cornu, Du sentiment en droit civil, in L'art du droit en quête de sagesse,

PUF, 1998, p. 71 : « le sentiment n'est pas un élément constitutif de l'acte juridique » ; et C. Bénos,

L'altruisme dans le contrat de prêt à usage, op. cit.: « Peu importe pour le droit que l'acte juridique

soit la manifestation des bons sentiments d'un contractant à l'égard de l'autre ou d'un comportement altruiste ».

270 P. Puig, Rapport de synthèse. Dossier Existe-t-il une théorie générale des contrats spéciaux ?,

LPA 28 nov. 2012, p. 56.

271 Celui-ci « croit apercevoir deux principes, antérieurs à la raison, dont l’un nous intéresse

ardemment à notre bien être et à la conservation de nous-mêmes, et l’autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir … nos semblables » (Rousseau, Discours sur l’origine et

les fondements de l’inégalité parmi les hommes, GF Flammarion, 1971 (1754), p. 153, cité in C.

Haroche, La compassion comme amour social et politique de l’autre au XVIIIème, in J. Chevalier, C.

Haroche, D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment républicain ?, PUF, Paris, 1992, p. 11, spéc. p. 19).

272 Celui-ci « évoque l’existence de deux principes en tout homme : l’amour de soi et un principe

d’intérêt pour autrui (…) principes inscrits dans la nature de l’homme, (…) qui font que l’homme est tourné vers le bien d’autrui et le bien commun » (A. Smith, Théorie des sentiments moraux, Guillaumin, Paris, 1860, p. 1, cité in C. Haroche, La compassion comme amour social et politique de

l’autre au XVIIIème, op. cit., spéc. p. 18). Dans le même sens, M. Bedjaoui, La « fraternité », concept

moral ou principe juridique ?, op. cit., spéc. p. 21 : « deux exigences (…) contradictoires animent le

rythme du monde contemporain. D’un côté rien n’échappe à la loi toute puissante de l’intérêt, à laquelle tous doivent se plier et devenir des ‘calculateurs’ impénitents. De l’autre, tout doit être entrepris pour échapper à cette loi et accéder à cette pleine générosité, à ce don pur et entier, que l’éthique de fraternité nous enjoint de rechercher »

273 É. Durkheim, L’éducation morale, PUF, Paris, 1963 (1e éd. 1934, Cours de Sciences de

l’Éducation faits à la Sorbonne en 1902-1903), cité in D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment

politique ?, in J. Chevalier, C. Haroche, D. Cochart-Coste, La solidarité, un sentiment républicain ?,

PUF, Paris, 1992, p. 100, spéc. p. 106.

comme le « souci désintéressé du bien d’autrui »275, les actes altruistes étant ceux accomplis au-delà « de la poursuite des intérêts individuels »276. La notion d’ « intérêt », qu’elle soit l’intérêt propre du sujet ou celle d’autrui, est donc au cœur des notions d’égoïsme et d’altruisme.

Nous avions évoqué en introduction la dimension relationnelle de l’intérêt, celle-ci ne relevant pas exclusivement du registre de l’égoïsme. Nous l’avions aussi déterminé comme « ce qui importe ou est utile ».

L’altruisme, notion essentielle au cœur de la fraternité, pourrait ainsi être défini autour de celle d’intérêt : il serait une double dynamique d’intérêt, d’une part d’attention à l’intérêt de l’autre, à ce qui lui est important, utile ou avantageux, et d’autre part de désintéressement, c’est à dire de dépassement de l’intérêt personnel, de ce qui est important, utile ou avantageux pour soi-même.

§2. Intensité de l’attention portée à l’intérêt du cocontractant

92. « L’altruisme induit une idée de générosité et de désintéressement. Il s’écarte à ce titre de l’idée de respect d’autrui qui peut fort bien se développer en présence d’une recherche d’intérêt personnel et de profit »277. Cette affirmation de

Stéphane Darmaisin impliquerait que le désintéressement et la générosité ne pourrait coexister avec la recherche de l’intérêt personnel et de profit, et c’est pourquoi il refuse de confondre le respect d’autrui avec l’altruisme. Ceci est-il vrai ? Si une réponse affirmative s’impose, il faudrait alors conclure à l’impossibilité de toute forme de fraternité ou d’altruisme dans le contrat qui demeure l’outil principal de la recherche de l’intérêt personnel. De manière conséquente, la fraternité serait exclue comme fondement de la prise en compte qui nous intéresse.

L’étude de la proportion ou de la mesure entre attention à autrui et dépassement de soi, nous permettra d’exclure la notion de « sacrifice » de l’intérêt

275 Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse, V° Altruisme.

276 D. Rakotondrabao, Rapport de synthèse. Le principe de fraternité dans les Constitutions

(Définition de la Cour suprême du Canada), in La fraternité, ACCPUF, Paris, 2004, p. 651, spéc. p.

663. Nous avions relevé que le don, la gratuité, le dévouement sont inhérents aux notions de fraternité et d’altruisme. Or les « gestes (...) altruistes et désintéressés (sont ceux) sans véritable espoir de retour ou de rétribution autre que morale pour celui qui pose le geste » (J.-L. Baudoin, Introduction,

in Droits de la personne : solidarité et bonne foi, actes des Journées strasbourgeoises de l’Institut

canadien d'études juridiques supérieures, éd. Y. Blais, Québec, 2000, p. 14) et « [l]’homme capable de dévouement est désintéressé, il ne demande jamais rien, il est toujours prêt à donner sans rien exiger en retour. Le dévouement consiste à supporter longtemps des maux qui ne profitent qu’à autrui » (M. Block, Dictionnaire général de politique, éd. O Lorenz, 1873-1874, V° Dévouement).

personnel (A), et de parler de celle plus modeste et suffisante de « prise en compte de l’intérêt du cocontractant » (B).

Outline

Documents relatifs